20/11/2011
Jean Genet ou la rébellion d'un moraliste (par Claude Darras)
Portrait et lectures Claude Darras
Jean Genet ou la rébellion d’un moraliste
■■■« Si écrire veut dire éprouver des émotions ou des sentiments si forts que toute votre vie sera dessinée par eux […], alors oui, c’est à Mettray et à quinze ans, que j’ai commencé d’écrire » : Jean Genet explique, en 1981, la genèse de ses travaux d’écriture à Bertrand Poirot-Delpech, journaliste au Monde, à la faveur d’entretiens (filmés) qui seront édités (et diffusés) un an avant sa mort (L’Ennemi déclaré). À cette époque-là, en 1925, il est ébloui par les sonnets de Ronsard. Situé à huit kilomètres de Tours, Mettray (département d’Indre-et-Loire) est proche du pays du poète de la Pléiade ; c’est une colonie pénitentiaire agricole fondée en 1839 pour quatre cents jeunes placés sous le régime de la liberté surveillée. Le souvenir de l’institution de redressement innerve la plupart de ses livres ; le roman Miracle de la rose lui est presque entièrement consacré et le texte de L’Enfant criminel s’en inspire largement. Auteur dès l’âge de dix ans de multiples chapardages et coutumier de fugues, il y entre en détention à l’automne de 1926 (Jean Genet matricule 192.102) et non l’année précédente ainsi qu’il le raconte.
Le 15 mars 1925, le compositeur René de Buxeuil engage à son service le pupille de l’Assistance publique. Le parolier de « L’Âme des violons » relate, quelque vingt ans plus tard, la découverte émerveillée des Fleurs du mal de Charles Baudelaire par son jeune secrétaire, une révélation qui semble décider de ses premières tentatives littéraires, en l’occurrence la rédaction de « Mémoires » qu’il entreprend dans un cahier d’écolier sous la signature de Nano Florane. Dans l’ouvrage Saint Genet comédien et martyr, Jean-Paul Sartre confirme que son modèle s’est familiarisé « avec la prosodie et les lois de la rime » auprès du musicien tourangeau. Au romancier et journaliste allemand Hubert Fichte (quotidien Die Zeit), Jean Genet rapporte qu’il a éprouvé pour la première fois à la prison de Fresnes (1939-1940) une émotion au moment d’écrire à l’occasion d’une « carte de Noël » adressée à Anne Bloch ou à Lily Pringsheim (ses seules amies, féminines, avec l’écrivaine Andrée Pragane dite Ibis). « C’était en 39, raconte-t-il, 1939. J’étais seul au cachot, en cellule enfin. D’abord, je dois dire que je n’avais rien écrit, sauf des lettres à des amis, des amies, et je pense que les lettres étaient très conventionnelles, c’est-à-dire des phrases toutes faites, entendues, lues. Jamais éprouvées. Et puis, j’ai envoyé une carte de Noël à une amie allemande qui était en Tchécoslovaquie. Je l’avais achetée dans la prison et le dos de la carte, la partie réservée à la correspondance, était grenue. Et ce grain m’avait beaucoup touché. Et au lieu de parler de la fête de Noël, j’ai parlé du grenu de la carte postale, et de la neige que ça évoquait. J’ai commencé à écrire à partir de là. Je crois que c’est le déclic. C’est le déclic enregistrable. » (L’Ennemi déclaré).
La malédiction des origines
Né à Paris le lundi 19 décembre 1910, Jean Genet est abandonné sept mois plus tard par sa mère, Camille Gabrielle Genet (Lyon, 1888-Paris, 1919). Femme de ménage, elle ne peut plus assumer la charge de l’enfant depuis que le père - un certain Frédéric Blanc, né en Bretagne en 1869 - l’a quittée. L’hospice parisien des Enfants-Assistés place le pupille chez Eugénie et Charles Regnier, à Alligny-en-Morvan, une petite commune de la Nièvre. Lui est menuisier, elle tient une boutique de buraliste de l’autre côté de leur maison…
Singulière enfance pour le paria, non pas orphelin mais rejeté d’emblée, ce qui est la pire des conditions ! Aussi la figure maternelle confisquée avive-t-elle constamment à travers son œuvre une blessure incurable : elle apparaît violemment métamorphosée en mendiante édentée ou en voleuse dévastée le long des péripéties des Pompes funèbres et des Paravents. Dans son dernier récit, Un captif amoureux, c’est la « Pietà », l’immortel couple mère-fils, qu’il place au cœur de sa quête au plus intime des camps palestiniens et des ghettos noirs d’Amérique. En dépit de son inclination au vol, l’écolier est brillant, il lit énormément (Dostoïevski et Verlaine notamment) et fréquente le catéchisme jusqu’à la communion solennelle : il apprend ainsi à respirer les effluves de l’encens et à flairer… le parfum capiteux du péché. Les pièces Le Balcon et Elle sont loquaces à fustiger, parfois jusqu’à la calomnie, l’institution ecclésiastique. Engagé dans l’armée qui lui sera un refuge intermittent durant six années (au génie puis à l’infanterie coloniale, 1929-1936), il parcourt l’Europe des mauvais garçons et des maisons d’arrêt où il conforte son homosexualité et ses mauvais penchants. Voleur, déserteur, prostitué, vagabond et taulard, il échafaude entre vingt et trente ans un système de valeurs personnel qui apparaît comme le double inversé du code moral traditionnel. Avec une rage méthodique, il se jette dans la délinquance, l’abjection, la déchéance comme vers une terre promise, une libération, une catharsis.
Gide, Sartre et Cocteau…
Du monde littéraire, les premiers encouragements viennent d’André Gide qui reçoit le militaire entre deux affectations, à Paris, en août 1933. Étonné par la culture livresque et la lucidité critique du jeune homme, le vieil écrivain l’encourage à persévérer dans l’étude. Jean-Paul Sartre et Jean Cocteau seront les premiers, en 1942, à reconnaître l’écrivain de grande race qui vient d’écrire Le Condamné à mort dont ils permettront la publication. C’est un long poème en alexandrins où leur protégé exprime la passion qu’il voue à un ami assassin guillotiné le 17 mars 1939 : à la prison de Fresnes, pour relever le défi de ses compagnons de cellule qui viennent d’applaudir les versets larmoyants de l’un d’entre eux, il compose sur-le-champ une ode très académique dédiée à l’une de ses « icônes », le meurtrier Maurice Pilorge dont le « visage découpé dans Détective enténèbre le mur de la cellule ». L’œuvre, inaugurale, est suivie de cinq romans qui sont élaborés dans la même clandestinité de la réclusion : Querelle de Brest (1945), Miracle de la rose (1946), Pompes funèbres (1947), Notre-Dame des Fleurs (1948) et Journal du voleur (1949). Dès lors, aux premiers succès de librairie, le repris de justice devient une personnalité bien parisienne et les honnêtes gens s’empressent de célébrer le poète, comme l’ont fait leurs devanciers avec d’autres « maudits », tels Villon, Ronsard et Sade…
Il n’en est pas changé pour autant. Et de nouveaux larcins, d’argent et de livres, le conduisent fréquemment en prison entre 1940 et 1945. Passible de relégation dans un bagne des colonies, le récidiviste est sauvé en 1946 par la grâce présidentielle de Vincent Auriol consécutivement à une action engagée par Sartre et Cocteau - ils ont déjà témoigné en sa faveur au tribunal trois ans plus tôt - sous la forme d’une supplique que signent de nombreux intellectuels, André Breton, Paul Claudel, Thierry Maulnier, François Mauriac, le professeur Henri Mondor, Pablo Picasso, Jacques Prévert et François Sentein, entre autres personnalités ; sollicités, Louis Aragon, Albert Camus et Paul Eluard refusent de s’y prêter.
Un activiste politique tourné vers le tiers-monde
En 1952, les éditions Gallimard entament la publication des œuvres complètes avec une préface-fleuve de Jean-Paul Sartre que l’intéressé apprécie moyennement. « Toi et Sartre, reproche-t-il à Jean Cocteau, vous m’avez statufié. Je suis un autre. Il faut que cet autre trouve quelque chose à dire. »… Les années suivantes, entre deux scénarios (Les Rêves interdits et Le Bagne), il multiplie les voyages au gré de ses relations en Grèce et en Tunisie, en Italie et au Maroc, en Allemagne et en Suède, en Hollande et en Algérie. En 1955, il noue une forte relation amoureuse avec un jeune acrobate de cirque, Abdallah, auquel il consacre un superbe essai en hommage, Le Funambule : il va jusqu’à lui composer un numéro, dessiner son costume et régler les éclairages ! En octobre 1959, Roger Blin crée avec succès Les Nègres au théâtre de Lutèce, à Paris, devenant ainsi son metteur en scène attitré. Pendant la décennie 1950-1960, il se passionne pour… la course automobile et se plaît à redécouvrir Paris où l’on reconnaît sa silhouette courte, sa tête de boxeur au crâne ras et au nez cassé, son blouson de cuir, son regard à la fois angélique et effronté.
Si l’on excepte de très nombreux articles et des entretiens, il cesse d’écrire après 1968, sacrifiant son temps et sa notoriété à des causes politiques. Les Panthères noires aux États-Unis, les travailleurs immigrés en France, la Fraction Armée rouge en Union soviétique, les Palestiniens au Proche-Orient : chacun de ses actes, chacune de ses interventions fait l’effet d’une bombe. Aux U.S.A., il se range aux côtés des militants noirs Angela Davis et George Jackson. Deux ans durant (1970-1972), il partage le quotidien des camps palestiniens. Et ses prises de position favorables à la bande à Baader et au communisme soviétique procèdent du même souci de défendre l’Organisation de libération de la Palestine (Olp) : l’Union soviétique soutient la résistance palestinienne et le groupe de Baader-Meinhof a partagé l’entraînement des fedayins, les combattants de l’Olp.
Sulfureuse, acclamée, contestée, la réputation dont il jouit ne pâlit pas un instant. En 1981, Rainer Werner Fassbinder porte son roman Querelle de Brest à l’écran (avec Brad Davis, Franco Nero et Jeanne Moreau). En 1983, Patrice Chéreau reprend au théâtre des Amandiers à Nanterre Les Paravents (avec Maria Casarès), une pièce que le ministre André Malraux défend avec pugnacité vingt ans plus tôt. Le grand prix national des Lettres lui est attribué la même année. Cerise sur le gâteau de la consécration, en 1985, Le Balcon entre au répertoire de la Comédie-Française (mise en scène de Georges Lavaudant avec Christine Fersen) !
La sainteté au cœur du mal
Curieux personnage tout de même ! Romancier, dramaturge et poète de grand format, il n’aura cessé, dans sa vie comme dans son œuvre, de catalyser l’ambiguïté et de jouer sur les contradictions, pratiquant la trahison comme un art, expérimentant l’engagement politique avec une constante ironie, recherchant la liberté dans les cachots et la sainteté au cœur du mal. « L’œuvre entier de Genet, soutient à cet égard Dominique Fernandez, est un miracle de la rose perpétuel : la prison y est le paradis, le criminel y est le saint, l’abjection y est le trésor. » (Écrivains d’aujourd’hui 1940-1960, éditions Bernard Grasset, 1960). Quant au personnage, son biographe américain (Genet, éditions Gallimard, 1993) le trouve à la fois « estimable et insupportable » : « Estimable car il est pur et hostile à toute compromission, explique Edmund White au Magazine littéraire (n° 313, septembre 1993) ; insupportable pour presque les mêmes raisons car il était toujours réticent à pardonner les fautes réelles ou supposées de ses amis, toujours prêt à exploser et à excommunier ». « Mais quel styliste ! », s’exclame Jean-Paul Sartre. « Écrire étant un acte religieux, un rite de messe noire, Genet ne déteste pas la pompe, assure-t-il dans son Saint Genet : sa phrase, difficile et nombreuse, chargée, miroitante est pleine de vieilles tournures ressuscitées, inversion, ablatif absolu, infinitif sujet ; il aime à l’allonger jusqu’à ce qu’elle se brise, à en suspendre le cours par des parenthèses : différé, attendu, le mouvement révèle mieux son urgence ; en même temps il use de la syntaxe et des mots en grand seigneur, c’est-à-dire comme quelqu’un qui n’a plus rien à perdre (…). »
Ses proches, parmi lesquels Tahar Ben Jelloun, Alexandre Bouglione (dit Romanès), Colette, Lydie Dattas, Léonor Fini, Alberto Giacometti, Juan Goytisolo et Jacques Guérin soulignent avec justesse le mérite de l’observateur, la perspicacité du physiologiste, le génie de l’écrivain, une sorte de moraliste qui sait réinventer tant de types, analyser tant de caractères, mettre en scène tant de personnages qu’il a presque tous connus, aimés ou haïs, du reste, et qui composent une flamboyante galerie de portraits : héros et traîtres, monstres et policiers, bagnards et domestiques, nazis et nord-africains, paysans et archevêques, juges et terroristes, marionnettes et bourreaux. Il ne les copie pas, loin s’en faut, il les vit idéalement, s’immerge dans leur milieu, contracte leurs habitudes, possède leur existence intime au point d’aviver le sang circulant dans leurs veines au lieu de l’encre sympathique qu’injectent à leurs personnages les auteurs ordinaires.
Jean Genet est décédé au Jack’s Hotel, rue Stéphane-Pichon, à Paris, dans la nuit du lundi 14 au mardi 15 avril 1986, au lendemain du décès de Simone de Beauvoir. Son corps est enseveli à Larache, sur le littoral marocain, entre Tanger et Rabat. On a creusé sa tombe derrière le cimetière musulman, à quelques mètres de la maison qu’il avait achetée pour Mohamed El Katrani, le dernier compagnon de sa vie. Edmund White rappelle que lorsque le cercueil enchâssé dans un sac de jute est descendu de l’avion à Casablanca, il était étiqueté « travailleur immigré »… ■■■
Décembre 2011 © Les carnets d'eucharis, Claude Darras
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18/11/2011
L'Enfance d'Ivan (Andreï Tarkovski, 1962)
00:11 Publié dans Andreï Tarkovski, VIDEOS, ANIMATIONS, DOCUMENTAIRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
17/11/2011
Pier Paolo Pasolini
Pier Paolo Pasolini
Appendice : Le manque de demande de poésie
La mancanza di richiesta di poesia
« Poésie en forme de rose (1961-1964) »/Poesia di forma di rosa, in Pietro II
Pier Paolo Pasolini, Chia (VT) 1975, © foto Dino Pedriali by ADAGP/SIA E 2006
Extrait :
Comme un esclave malade, ou une bête
j’errais dans un monde que le sort m’avait assigné,
avec la lenteur qu’ont les monstres
de la boue – de la poussière – ou de la forêt –
rampant sur le ventre – ou sur des nageoires
sans usage pour la terre ferme – ou des ailes faites de membranes…
Il y avait autour des remblais, ou des cailloutis,
ou peut-être des gares abandonnées au fond de villes
de morts – avec les rues et les passages souterrains
de la pleine nuit, quand on entend seulement
des trains épouvantablement lointains,
et des clapotis de canalisations, dans le gel définitif,
dans l’ombre qui n’a pas de lendemain.
Ainsi, tandis que je me dressais comme un ver,
mou, répugnant dans sa naïveté,
quelque chose passa dans mon âme – comme
si dans un jour serein le soleil s’obscurcissait ;
à la douleur de la bête haletante
une autre douleur s’ajouta, plus dérisoire et plus sombre,
et le monde des rêves se fêla.
« Personne ne te demande plus de poésie ! »
Et : « Ton temps de poète est passé… »
« Les années cinquante sont finies dans le monde ! »
« Tu as connu ton automne avec les Cendres de Gramsci,
et tout ce qui fut la vie te fait mal
comme une blessure qui se rouvre et donne la mort ! »
***
Come uno schiavo malato, o una bestia,
vagavo per un mondo che mi era assegnato in sorte,
con la lentezza che hanno i mostri
del fango – o della polvere – o della selva –
strisciando sulla pancia – o su pinne
vane per la terraferma – o ali fatte di membrane…
C’erano intorno argini, o massicciate,
o forse stazioni abbandonnate in fondo a città
di morti – con le strade e i sotto passaggi
della notte alta, quando si sentono soltanto
treni spaventosamente lontani,
e sciacquii di scoli, nel gelo definitivo,
nell’ ombra che non ha domani.
Cosi, mentre mi erigevo come un verme,
molle, ripugnante nella sua ingenuità,
qualcosa passo nella mia anima – come
se in un giorno sereno si rabbuiasse il sole ;
sopra il dolore della bestia affannata,
si colloco un altro dolore, piu meschino e buio,
e il mondo dei sogni si incrino.
« Nessuno ti richiede piu poesia ! »
E : « E passato il tuo tempo di poeta… ».
« Gli anni cinquanta sono finiti nel mondo ! »
« Tu con le Ceneri di Gramsci ingiallisci,
e tutto cio che fu vita ti duole
come una ferita che si riapre e dà la morte ! »
Traduction Nathalie Castagné
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Pier Paolo Pasolini, Je suis vivant
Pier Paolo Pasolini Je suis vivant
Editions Nous, 2011
Extrait : (Petite Préface Pasolinienne)
Comme il est étonnant de bien considérer que ce livre s’est écrit en 1945 et 1947, entre vingt-trois et vingt-cinq ans : tant de nostalgie l’irrigue déjà – ce terrible sentiment que les émotions une fois vécues ne s’éprouveront plus jamais ; qu’il est définitivement vain de revenir sur les lieux aimés ; qu’à leurs places, un désert étendra son empire ; que la mort des sensations neuves est consommée. Et pourtant ! Il suffit une (autre) fois du cri d’un enfant pour saisir cette émotion profonde, incomparable, qui se traduit d’un mot : « je suis vivant ». Alors c’est tout un monde qui renaît : monde mythologique des jeux antiques et de l’enfance remémorée.
(p.11, Olivier Apert)
22:46 Publié dans ITALIE, Pier Paolo Pasolini | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
A l'Atelier Pictura...
Cycle de conférences
organisé à l’Atelier Pictura de novembre 2011 à juin 2012 sous la direction de Bruno Le Bail
Première conférence
L’urinoir de Duchamp
Dimanche, 27 novembre 2011 à 11 heures
Route d'Artignosc, 04500 St. Laurent du Verdon
22:38 Publié dans CLINS D'OEILS (arts plastiques) | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
François Lallier, Vita Poetica (par Tristan Hordé)
Une lecture de Tristan Hordé
FRANCOIS LALLIER
Vita Poetica
L’Arbre à Paroles, Amay (Belgique), 2010
On sait qu’en France l’enseignement des langues classiques se réduit chaque année, considéré comme peu rentable, sans utilité dans une société où l’argent et les biens qu’il procure sont devenus les "valeurs" dominantes.1 Il existe encore, bien heureusement, des amoureux de l’Antiquité pour lire et relire les Grecs et les Latins, et ne pas penser que tout a été écrit à leur propos. François Lallier, poète et lecteur attentif de la poésie contemporaine2 publie avec Vita poetica des analyses neuves des poètes latins de la fin de la République.
Cette plongée dans les temps anciens conduit à mettre au jour un moment où la relation entre l’écrivain et son œuvre se transforme ; changement des plus importants, une séparation entre les deux se construit : « Une biographie […] advient au poète, parce qu’il ne se confond pas avec son chant, mais porte un masque sous lequel apparaît une autre vie que celle que peint le poème » (p. 10). Un peu plus loin : « Dans le clivage des déguisements et de la personne, une « vie poétique » se fait jour, s’opposant à des rôles, des conditions auxquelles toutefois le poète n’est pas soustrait, précisément parce que l’exercice de la poésie n’est pas une condition, un métier moins encore, mais une construction, sinon une fiction, vécue et mise à l’épreuve selon le cours de l’existence commune. » (p. 11) Quelles conséquences ? Cette transformation implique l’élaboration d’un « mythe éthique », celui qui oppose le choix éthique (la vita poetica) du "pur amour" à la violence de la société et qui modifie en profondeur, notamment, le rapport du poète, de la poésie au politique. Ce mythe, on le sait, aura longue vie…
François Lallier analyse minutieusement quelques textes de Virgile, Horace et Catulle pour cerner et préciser son propos. Ce qui retient dans ces lectures, c’est la relation essentielle établie entre la recherche d’une fonction de la poésie et les événements que vivent les trois poètes. Pour eux, la poésie ne peut (ne peut plus) se définir par la seule écriture en vers ; certes, la perfection de la métrique est nécessaire et il suffit d’évoquer leur virtuosité pour en être convaincu, mais le poème ne peut se limiter à cela. En même temps, c’est la thématique de l’épopée qui est abandonnée ; Horace, par exemple, affirme son incompétence à manier le style épique pour vanter la politique d’Auguste, alors même qu’il prouve une éblouissante maîtrise du vers. C’est que le poète se refuse à mettre la tête dans le sable et à accepter la violence sociale, les injustices, la vilenie des ambitions, à faire comme si la « voix du monde » n’était qu’harmonie.
L’éloignement de l’épique, sa mise à l’écart même, par la réflexion sur les choses du monde, conduit parallèlement à construire une autre poésie qui deviendra une source majeure pour l’Occident. François Lallier suit des moments de cette élaboration et montre comment une poésie amoureuse se substitue au genre épique, comment l’exaltation du sentiment amoureux, de la passion humaine s’oppose à la Fable. Il ne s’agit évidemment pas d’un simple changement thématique. François Lallier dégage dans Virgile l’importance de la « musicalité intérieure aux mots » (p. 45). Le même soin est apporté dans l’étude des Noces de Thétis et de Pélée ; Catulle y laisse de côté la continuité narrative propre à l’épopée et adopte une composition toute différente en faisant se succéder des tableaux, modification lisible en particulier dans la description du voile nuptial. En même temps, ce qui importe, c’est la recherche d’une « émotion de la forme » (p. 72), qui naît d’un travail sur le matériau sonore. À propos de la danse des Ménades, l’analyse attentive de quelques vers fait apparaître comment le jeu des sons, le rythme visent à "peindre" la scène, à en restituer le mouvement, et à imiter par la langue quelque chose de l’accompagnement musical. Ce qui se dessine et se décide, c’est « une idée de la poésie dont on retrouvera sans peine, sous le thème mythologique, les grands axes que sont la centralité de l’amour et la quête tout ensemble ironique et ardente d’un sens au destin de la cité, entre le mystère salvateur et la funeste logique de la puissance. »
Le passage de l’épique à l’élégie, c’est d’une certaine manière l’affirmation que le poète n’est pas (n’est plus) au service d’un pouvoir. Catulle, par exemple, suit d’abord Callimaque de près, mais Les Noces de Thétis et de Pélée se concluent par une critique forte qui place le lecteur « au cœur du temps et du lieu où l’auteur écrit » (p. 76). Le monde de Catulle n’a plus ses dieux, sinon dans la Fable, et la poésie aura pour fonction première de « rendre à la visibilité [le] mystère de l’amour » (p. 76).
Je n’ai retenu de cette lecture savante, qui est aussi celle d’un poète, que quelques conclusions. Ponctuée d’extraits en latin traduits, suivie de traductions, elle conduit à reprendre avec un autre regard les œuvres des Latins — mais pas seulement : elle incite à réfléchir sur la tradition de la thématique de l’amour. Précisons que Vita poetica est le premier ensemble d’un vaste livre qui comprendra les chapitres suivants : Ut pictura, La vie divine, Les amours, L’horreur épique.
© Tristan Hordé, Carnets d’eucharis n°30 (sept/oct 2011)
François Lallier, Vita Poetica
L’Arbre à Paroles, Amay (Belgique), 2010
■ LE SITE DE FRANCOIS LALLIER :http://www.francoislallier.com/
1 Un rappel : "classique" reprend le latin classicus, « de première classe », appliqué aux citoyens, puis classici [sciptores] a désigné les écrivains de première valeur…
2 Je renvoie à La Voix antérieure II (Jouve, Jourdan, Michaux, Frénaud, Munier), 2010, La Lettre Volée, et à La Semence du feu, 2003, L’Atelier la Feugraie. F. Lallier a organisé le volume collectif Avec Yves Bonnefoy, De la poésie (P. U. de Vincennes, 2000) et co-dirigé le Cahier Roger Munier paru au Temps qu’il fait (2011) ; avec Géraldine Toutain, il a fondé en 2004, à Dijon, les éditions Poliphile (www.editions-poliphile.fr).
22:26 Publié dans François Lallier, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS, Tristan Hordé | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Mario Maffi (extrait d'un article, revue Conférence N°21)
Mario Maffi Blues de la mort par les eaux : souvenir de la Nouvelle-Orléans
Revue CONFERENCE, N°21, automne 2005
Extrait :
Des sources à l’embouchure, le bassin hydrographique du Mississippi était à l’origine un « système en équilibre ». Cela signifie que, au-delà des accidents occasionnels, le fleuve, ses affluents, les terres alentour étaient reliés par un réseau de forces qui s’équilibraient. En période d’étiage, le Père des Eaux s’écoulait entre les berges créées naturellement par les alluvions, alimentant ici et là de petits émissaires qui, au printemps, quand les eaux grossissaient, se chargeaient de leur donner d’autres issues. Dans les périodes de crue du cycle naturel (ou quand des inondations se produisaient), le fleuve débordait, recouvrait les terres basses des alentours et contribuait à les sédimenter et à les fertiliser, allant parfois jusqu’à s’étendre sur cinquante milles à l’intérieur des terres. Les populations indigènes, quant à elles, s’accommodaient de ces rythmes et alternaient nomadisme et vie sédentaire (il se peut même que certains des mounds, ces petites collines caractéristiques des cultures indigènes américaines, aient répondu à l’exigence de garder objets, récoltes et habitations dans une position élevée). Par la suite, quand arrivèrent les Européens, porteurs d’un germe de capitalisme destiné à se développer avec une impétuosité égale à celle des eaux du Mississippi, cet équilibre fut menacé. Le fleuve transformé en voie de communication et de commerce exigeait des ports et de petites localités sur ses rives, les terres fertiles devaient être parcellisées et réparties afin d’être vendues et achetées, cultivées et exploitées. C’est ainsi que les berges naturelles furent élevées (d’où leur nom de levées) et renforcées, et que d’autres, artificielles, vinrent s’y ajouter, bâties selon des systèmes de construction toujours plus sophistiqués ; les émissaires petits et grands furent tronçonnés et transformés tout au plus en petits lacs reconnaissables à leur forme en fer à cheval. Pourtant, le fleuve continua à rester indomptable : dès qu’il le pouvait, il changeait de cours, s’ouvrait d’autres voies, filait tout droit en éliminant tel de ses méandres (ce sont les célèbres cut-offs qui scellaient parfois le sort d’un village)…
(p. 52/53)
http://www.revue-conference.com/
22:15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
11/11/2011
Zbigniew Herbert - Le labyrinthe au bord de la mer
Zbigniew Herbert,Le labyrinthe au bord de la mer
Editions Le Bruit du Temps, 2011
(Sept essais illustrés - Traduction du polonais et avant-propos par Brigitte Gautier)
[…]
Au contact des œuvres du passé, nous voulons être sûrs de leur authenticité, sûrs que personne ne les a corrigées, que personne ne s’est mêlé de les embellir, de les parfaire, de les rendre plus compréhensibles. Nous souhaitons seuls, sans intermédiaire, jeter un pont par-dessus l’abîme du temps entre nous et les hommes et les dieux d’il y a plusieurs millénaires. N’étant pas un pur esprit, j’ai toujours cherché des traces matérielles, pour fonder une entente et une alliance. C’est pourquoi j’ai toujours été ému par les ornières des routes romaines, les marches des cathédrales usées par les pèlerins, le sceau du maçon dans la pierre.
III- Le labyrinthe au bord de la mer(p.42)
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[…]
Celui qui viendrait ici avec la palette d’un paysagiste italien devrait abandonner toutes les couleurs suaves. La terre est brûlée par le soleil, rauque de sécheresse, couleur de cendre claire, parfois de violet gris ou de rouge violent. Le paysage n’est pas seulement devant les yeux, il est aussi de côté, dans le dos. On sent sa poussée, son encerclement, sa présence intense. Les grands arbres sont rares, à l’exception parfois d’un chêne majestueux : le Zeus des arbres. Des mottes de verdure sont accrochées aux versants, des petits buissons qui luttent férocement pour survivre. Au bord des routes, sur les collines plus douces : un olivier sauvage aux feuilles étroites, digitées, mouvantes, d’un vert argent par en dessous. Tout près du sol, du serpolet, du thym, de la menthe, aromates de la chaleur.
Essai de description du paysage grec (p.82)
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[…]
Je considérais comme une chose naturelle de me sentir toujours incertain face aux chefs-d’œuvre. La loi positive des chefs-d’œuvre est de détruire notre présomptueuse assurance et de mettre en question notre importance. Ils s’appropriaient une partie de ma réalité, imposaient le silence, faisaient cesser mon affairement de souris autour de choses vaines et bêtes. Ils empêchaient aussi – comme dit saint Thomas More – que je me soucie trop de cette chose envahissante qui s’appelle le « moi ». S’il est loisible de parler de transaction, c’était la transaction la plus favorable de toutes. En échange de mon calme et de mon humilité, ils m’apportaient « du miel et de la lumière » que je n’aurais pu créer.
[…]
J’ai toujours souhaité croire que les grandes œuvres de l’esprit étaient plus objectives que nous. Et ce sont elles qui nous jugeront. Quelqu’un a dit fort justement que ce n’est pas nous qui lisons Homère, regardons les fresques de Giotto, écoutons Mozart, mais Homère, Giotto et Mozart qui nous regardent, nous écoutent et constatent notre vanité et notre bêtise. Les pauvres utopistes, les débutants de l’histoire, les incendiaires de musées, les liquidateurs du passé sont pareils à ces insensés qui détruisent les œuvres d’art car ils ne peuvent leur pardonner leur calme, leur dignité et leur froid rayonnement.
La petite âme (p.122/123)
■ ■ ■ Poète et essayiste, Zbigniew Herbert (1924-1998) est une figure majeure dans le paysage de la poésie polonaise du XXe siècle.
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10/11/2011
Les carnets d'eucharis n°31
Les carnets d’eucharis n°31
Novembre/Décembre 2011
URIAN
Edith Magnan
Pierre Agnel assis en retrait
Cathy Garcia Le poulpe et la pulpe
René Crevel Elle ne suffit pas l’éloquence
GERTRUDE STEIN lectures en amérique
PIERRE CHAPPUIS Muettes émergences
ZBIGNIEW HERBERT Le labyrinthe au bord de la mer
ILE ENIGER (Un coquelicot dans le poulailler)
CHRISTINE BAUER Galerie des traits/Dora Maar
Nathalie Riera & Marie Hercberg/ LE REALGAR EDITIONS
Jean-Pierre Faye Choix de poèmes lus par l’auteur
Walt Whitman … Paul Blackburn
Mireille Calle-Gruber, Claude Simon Une vie à écrire par Nathalie Riera
L’écriture féérique de Hilda Doolittle par Patrice Beray
Eucharis ou l’eucharistie littéraire de Nathalie Riera par Camille Loty Mallebranche
REVUE(S) Nu(e) – # 47 (Marie Etienne)
Au format livre numérique/CALAMEO
21:32 Publié dans LES CARNETS D'EUCHARIS (pdf & calaméo), Nathalie Riera | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
03/11/2011
Sur les Carnets d'eucharis (par Camille Loty-Mallebranche)
Eucharis ou l’eucharistie littéraire
de Nathalie Riera
7 octobre 2011 par Camille Loty Malebranche
Site : Intellection
Tant intense et substantielle est la présence humaine de l’animateur culturel, tant opulemment esthétique est la communication de l’art. CLM
De nombreux sites excellents par leur contenu révolutionnent la chose littéraire en la faisant passer du rectangle de papier livresque à l’écran planétaire du web. J’en ai visités qui sont de purs chefs d’œuvre. Toutefois, avec Les carnets d’Eucharis de Nathalie Riera, cette intellectuelle à la sensibilité à la fois flamboyante et foudroyante, j’ai littérairement eu le coup de foudre.
Nathalie Riera a la grâce d’Artémis, et elle cultive les friches du web souvent agreste, par les richesses réelles de la littérature qu’elle porte au sommet sur le tabulaire virtuel d’internet. Elle dispense une culture abondante dans la lande des Carnets d’Eucharis. Elle anime le multivers de la littérature des genres comme une eucharistie littéraire, comme par liturgie - dans le sens étymologique et hellénique de ce lemme qui réfère au service public en deçà et au-delà du cultuel - avec un tel amour, qu’elle met notre conscience esthétique dans un incontournable figement contemplatif.
Comme Diogène, Nathalie porte elle aussi la lanterne, mais pas pour chercher un humain dans la cité déshumanisée, car sa flamme n’existe que pour féconder par le littéraire et ses plus splendides saillies, l’humanité des lecteurs d’Eucharis…
18:32 Publié dans Camille Loty Malebranche, CANADA/QUEBEC, LES CARNETS D'EUCHARIS (pdf & calaméo) | Lien permanent | Commentaires (1) | Imprimer | | Facebook
01/11/2011
Jean-Pierre Faye
Jean-Pierre FAYE,Choix de poèmes lus par l’auteur
Coédition Notes de Nuit/L’Harmattan, 2011
(Livre multimédia comprenant un DVD audio de 2h50′ de lectures, le texte des poèmes et un film de 40′)
[…]
Tu es ciel chargé par le suc
D’un long été tremblant de pentes, de verdure
Tout forgé de feuillage, jour
Abrupt de transparence, allié
Au soleil immergé des feuilles
Au feu fragile de la branche, au jour plus mûr
– Nourri de terres à distance, lac
Captif et eau arable dans le roc
Tu mêles tout bas sol et ciel
ici
Où la montagne éclate et s’ouvre, femme
Où crie le feu, halète la venue de vie
Et le labeur de terre ardente
La torsion du travail, qui sculpte
Un tressaillement simple d’avenir
Modèle une joie précise, dure, par la chair
Taillée dans la lumière vive
(Sourire aux yeux d’enfant humides)
Et la parole sourd, se ramifie aux lèvres douces
Alourdies de matin, mouillées d’amour, limées de soif
Vous vivez là, parole
Autour de moi, en un seul cri
Aube égouttée dans l’arbre en cassures d’oiseaux
Brisée à bout de branche
Silva plana
In Fleuve renversé (1960)- (p.9)
-------------------------
D’amères nourritures
vont et viennent
devant facettes ou fibre
et griffe ou chitine violette
ou l’antenne oscillant, la tige
sur l’aine lisse de la ronce
et, fer brun, avance
la rape de fougère sur la prairie
dans l’odeur plus droite que l’ail
plus mouillée que le bois
ou les cris d’enfants brassés
– et cela entre ici et revient
le son avec le bruit
et l’encre des mûres, raidie
à la pointe, griffe et vision
et jus écrasé et coulée
ou tache sèche du tissu, durcie
ou ligne bleue et pliée
dans le bras, pente fléchie
juste là où le son est tiré
bouche, bouche que veux-tu
entre parler, boire et nager
ce qui te nourrit est entré
afflue ce qui est avalé
grisonne le lait diffusé
passe vite le soir plombé
– qui s’épand est vite effacé
qui dort est tôt disparu
La venue et l’allée
ont peine d’être perdues
– pour qui a peine en dormant
doit être la veine tranchée
Amère et dure la nuit
tige par tige à froisser
fibreuse et âpre à mâcher
avec du fer et du bruit
l’os et l’œil, l’herbe arrachée
tirant terre et cailloutis
fibre amère que veux-tu
suc et mousse, sang et vue
Herbe et peau se séparent
Pourtant, bouche et écorce
ou lumière ou vert contre bois
tige et tendon roulement
du bruit bondissant et tympan
coups au-dedans et rumeur
par le long de la soirée
et cette ligne qui va
tranchant soleil, et sombrée
ce qui va nourrir est distinct
Amère mangeaille, tu vas
approchant et inondant
enfournant boisson et chair
herbe et sable, voisinage
tu tires tempes et ventre
tu entres droit sur les yeux
si là-bas les ligues sont claires
lumière, tu vas t’éloignant
cisaillant les fonds de soirée
le vent trop large pour boire
la poussière a goût d’éclair
lumière, tu passes tout près
dans l’œil en coup de ciseaux
[…]
Plans du corps
In Verres (1979)- (p.13)
-------------------------
n’emploie pas le nom
des choses car il abîme. Mais laisse
bouger poires pierres pourriture
. fleurs atroces féeries guaranies
ciel raconte le vide du monde
si tu t’endors où seras-tu
. ne t’endors pas mais ouvre
le corps de bonheur aux vies flottantes
la petite fille stupéfaite mange le charbon
de la nuit. elle mange le mouchoir de bois
elle engorge les soleils et mange des viandes de caillou
. et dessine sur l’envers arraché aux murs
elle bouge ventre et corps dans le mouvement
qui va être le transformant des mondes
. par elle entre en éclats par ça le vert et rouge
et la mise en feu le charbon du flottement
par ça qui la bouge elle éclatante de charbon
. je l’aperçois qui devient je la vois qui forme
elle mange les couleurs et les mélange au noir
buvant la fumée le noir la violence du vent
Rage donc
In Désert fleuve respirés (2004)- (p.81)
-------------------------
je dirai
toute chose sur quoi s’ouvre regard
et la vue qui est devenue visage
quand il criait un monde
ce qui le liait au corps
pris à la gorge par d’autres
corps découverts et même
dénudés tout au long du chemin
dressés sur des cavernes de chiens égorgés
débouchant sur la mer par
le faucon qui rompt l’espace
et les guêpes de sang
car elle
ne s’est pas donnée, mais elle
s’est fait prendre
par
le vu, et par le
ressaut des choses
elle commence tassée sur les cris futurs
écrite sur un poème tiré poils contre
poils et fibreux en forme de chienne
mangeuse de taureau à l’œil rouge
épinglé à la voûte des éclats, et
aux rouleaux de la mer en fil de quartz
sur la pierre inestimable et le soleil purgé
du fait des plaisirs en son lit, contre
le corps le plus vif et le feu qui piège
toutes formes, hêtre et faine, agar et sara
hors de la ligature des soleils
je vous demande la poursuite d’empreinte
et la puissance d’outrer le plus vivant
par les filles couchées en océan, tramées
franchissant l’espace, non par
bateaux ou chemins, mais
par récit, contant une voix non connue
chemin de taupe et sans trace, autre
que le tas de terre friable écroulé
où s’écrie le cri inouï, l’empreinte
d’intention sur le son la contrainte violentée
par vautour ; corps plongé consumé
donné en fusions, mis en rivage
ravage, aboyé de rire
her wild hollow hoarlight hung to the height
and hoarwhore, là où
notre nuit déferle et achève
je commencerai à voir la face enfouie
dans l’ivre le commencement l’éclat
alors il va reparler encore, et
de l’hirondelle possédée
du tout premier visage, aussi
beau que l’enfant prêt à être
coupé en deux
Toute chose du monde
In Comme en remontant un fleuve (2010)- (p.87)
Pour toute commande sur le site: contact@jean-pierre-faye.net
■ ■ ■ Né à Paris le 19 juillet 1925, Jean-Pierre Faye est écrivain, poète et philosophe français.
■ Biographie : http://www.jean-pierre-faye.net/biographie/
A paraître :
Novembre 2011: « Paul de Tarse et les Juifs »
éd. Germina
Janvier 2012: « Combat au-dessus du vide –pour une critique du ‘logocentrisme’ »
éd. Germina
Janvier/Février 2012: « Didjla le Tigre »
Réédition avec version audio lue par Bérangère Bonvoisin
L’Harmattan/Notes de Nuit
Dernières parutions :
« Al FÂRÂBI, les desseins de la métaphysique »
Texte bilingue présenté par Jean-Pierre Faye
Selefa
& autres poèmes
■ CARNETS D’EUCHARIS N°31
Novembre&Décembre 2011
(mis en ligne le 15 novembre 2011)
© Nathalie Riera – nathalieriera@live.fr
22:38 Publié dans Jean-Pierre Faye | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
26/10/2011
Gunther Anders
ed. fario — 2011
L'obsolescence de l'homme - Tome 2
Sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle
Par Günther Anders
cHRISTOPHE dAVID (traducteur)
"Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le changeons de toute façon. Il change même considérablement sans notre intervention. Nous devons aussi interpréter ce changement pour pouvoir le changer à son tour. Afin que le monde ne continue pas ainsi à changer sans nous. Et que nous ne nous retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes."
00:50 Publié dans Gunther Anders | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
24/10/2011
Edith Magnan, Galerie du Tableau
Exposition du 17 au 29 octobre 2011
Vernissage le lundi 17 à partir de 18h 30
Du lundi au vendredi de 10h à 12h et de 15h à 19h.
Le samedi de 10h à 12h et de 15h à 18h
Galerie Du Tableau, 37, rue Sylvabelle
13006 MARSEILLE
http://galeriedutableau.free.fr/
EDITH MAGNAN
Attention Espace
« Attention Espace » vous présente une partie des derniers travaux d'Édith Magnan. Fascinée par le rapport de l’homme avec l’espace, l’artiste nous propose d’en expérimenter différentes catégories.
Ses travaux tentent de rendre compte d’un état de fait invisible, non quantifiable mais cependant omniprésent : l’espace et sa volumétrie toute particulière. Les éléments tels que : la pierre, le rocher, le bois, la terre font partie de cette singulière composition organique. Ils agissent ici comme des extractions, des échantillons, des prélèvements ; ils font un état des lieux.
Plusieurs collages et installations occupent l’espace de la galerie, que le spectateur est invité à activer en découvrant et en touchant les objets.
Image : Pierres - paire trois, 2011.
Plastique, encre, gouache, pastels, 14.7x19.7cm
15:39 Publié dans du Tableau, GALERIES | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Gertrude Stein, Lectures en Amérique
Gertrude Stein Lectures en Amérique
Éditions Christian Bourgois, 2011
Extraits :
G. Stein avait une grande sensibilité aux problèmes de la perception et au rôle rénovateur de l’art. Elle savait bien que l’habitude de voir et de sentir les objets empêche de les voir et de les sentir autrement et qu’il faut les déformer pour que le regard s’y arrête et y fasse apparaître d’autres possibles. C’est une leçon qu’elle avait surtout apprise de la peinture et sa compréhension de la littérature s’est faite au contact des tableaux des jeunes peintres du début du siècle. Chaque génération – selon sa propre terminologie – lève l’automatisme crée par les conventions artistiques de la génération précédente (…) Elle voit l’art comme procédé, ces procédés elle nous en parle ici et décide des siens, de ceux qui lui semblent convenir au XXe siècle, elle les utilise pour en parler parce qu’on ne comprend bien les choses qu’en les faisant et en étant fait par elles.
« Introduction » par Claude Grimal
(p. 16)
Comme je l’ai dit, m’étant de plus en plus familiarisée avec toute peinture à l’huile, je me suis, bien sûr, familiarisée de plus en plus avec nombre de tableaux précis, avec beaucoup de tableaux. Et, comme je le dis, quand on a regardé nombre de visages et qu’on s’est familiarisé avec eux, on peut trouver quelque chose de nouveau dans un nouveau visage, on peut être étonné d’un nouveau type de visage, on peut être choqué d’un nouveau type de visage, on peut l’aimer ou non ce nouveau type de visage, mais on ne peut pas refuser ce nouveau visage. On doit accepter ce visage pour ce qu’il est en tant que visage. C’est la même chose pour un tableau. Vous pouvez maintenant concevoir que, quand Matisse est survenu et puis le cubisme de Picasso, rien ne pouvait me déranger. Et pourtant bien sûr en un certain sens cela me dérangeait ; mais cela me dérangeait parce que je refusais.
Cela n’aurait pas été possible puisque j’étais familiarisée avec la peinture à l’huile, et que l’essence même de la familiarité consiste en la possibilité de tout regarder.
Gertrude Stein
(p. 81/82)
www.christianbourgois-editeur.com
15:07 Publié dans Christian Bourgois Editeur, ETATS-UNIS, Gertrude Stein | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Jean-Christophe Bailly, La véridiction...
Jean-Christophe Bailly La véridiction - sur Philippe Lacoue-Labarthe
Éditions Christian Bourgois, coll. "Détroits", 2011
Extrait :
S’il y a une joie, et une joie de l’œuvre, c’est-à-dire une réponse de l’œuvre à la fidélité (à la vie, à la possibilité d’existence), elle est du côté de la musique. Il me semble que pour Lacoue, et on peut justement le penser à partir de l’excès de réalité qui tombe sur Lenz, la musique est seule à pouvoir donner, non la diction (même dans le pur chant, elle n’est pas proprement diction) mais la dictée elle-même : sous la forme d’un ruissellement se donnant dans l’évidence d’une forme qui sans fin se défait, la musique, alors même qu’elle est beaucoup plus technique encore que le langage, donne à qui l’écoute l’impression de s’être débarrassée de ce bagage et c’est comme si, et non pas brusquement, mais selon cette progressivité qui appartient en propre au nouement temporel du musical, un accès à l’immédiateté (cet accès même que Hölderlin jugeait impossible) était ménagé. A l’immédiateté, c’est-à-dire au temps, à l’expérience dénouée du temps, au pur passage. Ce qui veut dire que la musique accorderait (rarement peut-être, rarement sans doute, mais peu importe) ce qui normalement n’est pas accordé à l’homme, c’est-à-dire, selon une expression que Lacoue affectionnait, qu’elle passerait l’homme, et qu’elle le ferait et ne pourrait le faire, étant aussi strictement humaine, qu’en passant par lui.
(p. 47/48)
Collection « Détroits » fondée par Jean-Christophe Bailly, Michel Deutsch et Philippe Lacoue-Labarthe
Illustration de couverture : Tournage de Andenken, Bordeaux, la Garonne, 2000 (détail)
14:58 Publié dans Jean-Christophe Bailly | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
17/10/2011
Nathalie Riera, Marie Hercberg - Feeling is first, 2011
Galerie Le Réalgar
23, rue Blanqui – 42000 Saint-Etienne
06 87 60 22 34
« Feeling is first »
Poème de Nathalie Riera
Illustrations de Marie Hercberg
Quatrième opus de la Collection "1 et 1" : un artiste et un écrivain
Pour se le procurer, contacter la galerie au 06 87 60 22 34 ou àlerealgar@gmail.com
Prix: 4€
21:17 Publié dans Nathalie Riera | Lien permanent | Commentaires (3) | Imprimer | | Facebook
14/10/2011
Galerie la non-maison
LA NON-MAISON
CONTREVOIES [1]
bande à part / jean-luc godard / 1964
EXPOSITIONS ET RENCONTRES DU 15 OCTOBRE AU 31 DECEMBRE 2011
Galerie LA NON MAISON, 22, rue Pavillon 13100 Aix en Provence
galerie / résidence [43.5]
tél : 06 29 46 33 98
Galerie ouverte du jeudi au samedi de 14H à 19H et sur rendez-vous
00:33 Publié dans GALERIES, La non-maison | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Guy Allix, survivre et mourir
Festival de la parole poétique, Quimperlé, photo de Yann de Keyser, 2011 © Guy Allix
Même si tout au bout s’effondre la main qui
l’a porté, il reste ce geste à l’infini.
Le vrai de toi qui s’imprime dans un souffle.
La rumeur à l’œuvre de ton corps.
Ile précaire
A Guénane
Mais cela même
Ton nom sur la page
Comme une île infiniment
Comme une île tout au bord
Le temps à peine…
L’écriture comme un regard
S’injecte du sang nécessaire au souffle
Ton cœur s’écarquille aux quatre vents
Ile de Groix, été 2007.
[…]
Partir sans plus de bruit qu’une feuille morte
Abandonner le temps enfin
Retrouver les fruits de la terre dans la terre
Ton ventre s’étonne d’un oubli
L’arbre te recommence
Si ce n’est le sang aux tempes
Comme un souffle vain
Si ce n’est la paupière
Sur l’épaule d’un jour
Si ce n’est le fruit
Comme un œil fatigué
C’est alors le dernier mot
Sur le parchemin de vivre
Guy Allix, « Survivre et mourir», éd. Rougerie, 2011
00:01 Publié dans Guy Allix | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
13/10/2011
Lutz Dille
Stephen Bulger Gallery
Lutz Dille, MoMa, NYC 1959-2004 - Gelatin Silver print, 12x16 inches
23:26 Publié dans CLINS D'OEILS (arts plastiques) | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Jean-Philippe Rossignol (une petite note de Claude Minière)
Jean-Philippe Rossignol Vie électrique
Editions Gallimard, coll. L’Infini, 2011
Une « odyssée » en trente jours, chacun d’eux apportant une menace, une chance, une décision, une rencontre et une séparation. Ce n’est pas une barque qui danse dans les ondes mais une vie… Quelques auteurs (au fond un petit nombre) sont capables de vous persuader que la forme-roman recèle des ressources inattendues. Inattendues non dans le choix du « sujet » mais dans le mode d’entrelacement vie/ lectures/ pensée, là sur la page, par l’énergie des coupures et liaisons.
Claude Minière, octobre 2011
Les carnets d'eucharis
23:13 Publié dans Claude Minière, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook