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02/08/2023

PAUSE ESTIVALE

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COMMUNIQUÉ

Fort de son succès, le Hors-série dédié à Edmond Jabès est épuisé.

Pour toute autre commande, notamment le dernier numéro-anniversaire de la revue (2023), n’hésitez pas à télécharger le bulletin d’abonnement, en lien ci-dessous.

 

 LES CARNETS D’EUCHARIS

marquent une pause jusqu’au 1er septembre 2023

 

Je vous souhaite un bel été !

 

Contact : nathalriera@gmail.com

 

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Claude Darras - Destins croisés - Une lecture de Richard Skryzak

 

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Claude Darras © Photo France de La Rocque

 

On n’échappe pas à sa destinée
Un texte critique de Richard Skryzak

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Il est des livres dont on sait d’emblée qu’on ne sortira pas indemne. Destins croisés de Claude Darras est de ceux-là.

Dans le contexte des Trente Glorieuses, de 1956 à 1964, l’ouvrage déploie l’histoire d’un Polonais, d’un Marocain et d’un Belge dont les parcours se recoupent à un moment ou un autre. Le cadre est celui du Nord de la France, composé de chevalements charbonniers, de cheminées de hauts-fourneaux, de champs de houblons et de betteraves, de canaux comme l’Escaut ou la Deûle. On voyage ainsi de Valenciennes à Douai, de Béthune à Oignies, du Queensland d’Australie à Billy-Montigny, de Casablanca à Audenarde, de Bruges à Noyelles-Godault… À travers les destinées de ces trois êtres aux identités singulières et aux origines différentes, Claude Darras tisse une trilogie dense et foisonnante. Une véritable Trinité. Trois Rois Mages venus offrir à la France leur culture, leur compétence et leur sueur. Le tout sur fond de drame, d’amour, d’espoir et d’amitié.

Peu de livraisons ont saisi à ce point les enjeux et l’esprit de cette période. Le parti pris d’écriture est annoncé dès le départ. « À la véracité de la trame historique, le narrateur a opposé une géolocalisation volontairement imprécise. Et les personnages oscillent perpétuellement entre invention et réalité. »  La réflexion est porteuse. La Vérité serait donc du côté de l’Histoire ? Alors que l’Imaginaire serait guidé par la Géographie ? On pense aux propos du philosophe Gilles Deleuze : « Les Français sont trop humains, trop historiques. Ils passent leur temps à faire le point. (…) Le devenir est géographique. »

Ce procédé dialectique, fondé sur un socle épistémologique solide, permet à l’auteur d’envisager toutes les audaces fictionnelles.

Stéphane Walkowiak, alias Belle-Fleur, est polonais. Il est arrivé en France en 1919 à l’âge de sept ans, ses parents ayant fui la Mazovie. Il est mineur d’abattage et chef d’équipe au puits 9-9 bis d’Oignies. Sa vie est un combat permanent qu’il mène sur tous les fronts. Il résiste comme il peut, pris dans la tourmente de l’engagement syndical, de la lutte ouvrière, des méfaits de la mine comme le grisou et la silicose sur son entourage, de la trahison, de l’adultère, du crime et de la culpabilité.

Il s’éteint à flanc de terril, face contre terre, tel un Sisyphe moderne et prolétaire, mettant un terme définitif à son labeur en conjurant les dieux.

Hassan Selouani est marocain. D’ascendance berbère, il est né en 1922 à Tafraout, dans la province de Tiznit. Ses parents sont venus s’installer en France en 1936, à Noyelles-Godault, dans le Pas-de-Calais. Il travaille comme herscheur, préposé à la circulation souterraine des berlines de minerai, à la fosse n° 9-9 bis d’Oignies. En mai 1959, il emmène sa famille pour quelques jours dans son pays d’origine, à la recherche de ses racines. Mélange de nostalgie, de réjouissance et d’inquiétude. Le voyage est une révélation riche en péripéties. Traditions, superstitions, explosion meurtrière, vol et pillage d’objets archéologiques touchant des pays d’Europe et d’Afrique.

Épuisé par la dureté de la mine et le combat syndical, une issue se présente à lui sous la forme de l’exploitation agricole familiale de Bouizarkane, qu’il décide de reprendre et de moderniser, pour son bien et celui des siens.

Léopold Vanpoucke est belge, né à Gand en 1926. Il est batelier. Il arpente les canaux de Flandre à bord de la Marie-Pervenche, en vrai nomade du transport fluvial. L’occasion de rendre hommage à ce métier dur et exceptionnel qui avait fait l’objet en 1969 d’un feuilleton très suivi sur la première chaine de l’ORTF : L’Homme du Picardie.

Léopold a une passion pour la chanson qu’il pratique en tant qu’auteur-compositeur-interprète, sous le pseudonyme de Capitaine Léo. Il s’est produit au cabaret « L’Écluse » à Paris. Il a sorti un disque microsillon 33 tours de ses succès. Un ethnomusicologue s’intéresse à sa production. Certains de ses textes sont engagés politiquement en faveur notamment des travailleurs immigrants, ce qui lui vaudra une fin digne d’une tragédie grecque.

Il meurt en effet dans une embuscade déguisée en accident de voiture, tendue par des extrémistes xénophobes et fascistes.

Les trois individus se connaissent, se sont rencontrés, ont contribué à une histoire commune. Leurs chemins se sont recoupés puis ont bifurqué. Stéphane et Léopold, issus du Nord, disparaissent. Mais Hassan est épargné. Une lueur d’espoir viendrait du Sud ?

 

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Impossible ici de résumer la richesse et la diversité des thèmes abordés. Citons-en quelques-uns : bassin minier, métallurgie, combat syndical, lutte ouvrière, difficulté économique, misère sociale, alcoolisme, violence, chômage, histoire politique, camps d’exterminations nazis, immigration, colonisation, guerre d’Algérie, religion, ésotérisme, magie, rituel, superstition, colombophilie, phytothérapie, trafic d’objets archéologiques, cuisine, botanique, peinture, chanson, tradition, modernité, discrimination, racisme, xénophobie, fascisme, adultère, meurtre, etc.

J’en extrais trois à mes yeux symboliquement prégnants. La Terre, la Chanson et la Peste Brune.

La Terre. Essentielle. Centrale.

La terre c’est le dessous. Les entrailles. Le ventre qui absorbe les mineurs tel le Moloch en acceptant de les laisser remonter à la surface, de les redonner au grand jour quand il ne décide pas de les garder. Coup de grisou.  Peur viscérale. Terre mortelle.

La terre c’est le dessus. Le jardin ouvrier, les potagers, l’agriculture, la nourriture, le partage. Terre nourricière.

La terre c’est surtout le territoire, le sol natal. La frontière que l’on franchit de plein gré ou contre sa volonté. Qu’est-ce que l’immigration sinon, en termes deleuziens, un processus de déterritorialisation et de reterritorialisation ?

La terre c’est aussi celle des peintres. Claude Darras met en scène un artiste peintre, Jean-Pierre Prévost, qui n’est pas sans évoquer le spectre de Van Gogh qui hante encore le Borinage et les alentours de Mons en Belgique où il vécut. Le génie hollandais, le « suicidé de la société » comme l’appelait Antonin Artaud, adorait Millet et sa représentation des paysans. Voici ce qu’il en disait dans une lettre adressée à son frère Théo : « son paysan semble peint avec la terre qu’il ensemence ! »

Pas de plus belle définition de la « Transsubstantiation » picturale. Terre créatrice.

La Chanson. Le chapitre Paroles et musiques fait l’éloge de la culture dite « populaire » à travers la chanson à laquelle s’adonne Léopold Vanpoucke, le Capitaine Léo. On y retrouve les grands noms comme Brassens, Ferré, Brel et Darnal. On sait que des compositeurs classiques aussi prestigieux que Chopin ou Bartok ont puisé dans le répertoire folklorique. Contrairement à une vision idéologique élitiste qui court dans les hautes sphères des esthétiques officielles, les pratiques culturelles et les différents types de savoir ne s’opposent pas mais se complètent, voire s’enrichissent mutuellement.

Mais c’est l’occasion pour l’écrivain de procéder, via la description des productions de Léopold et par un effet miroir, à une mise en abîme de son propre procédé d’écriture. Citons-le : « En racontant des évènements privés, personnels, qui s’insèrent dans un contexte historique et géographique particulier, avec ses conventions, ses lois et ses tabous, il parvient à toucher le collectif (...) mais l’amène aussi à explorer un champ lexical et discursif plus large qui renvoie à un ensemble de situations sociales et politiques : la dureté de la navigation fluviale (Gare au mascaret !), les heurs et malheurs de l’immigration (Pologne en Artois), la nostalgie du souvenir (Batelier de père en fils), la noblesse de la transmission (Chanson berbère), les alcools forts de la solitude (Sur le zinc du mastroquet), la tombe de l’oubli (Gand à contre-courant) ou la rébellion des prolétaires (On a décimé nos flamandes !). »

La Peste Brune est l’intitulé d’un chapitre qui retient particulièrement l’attention par sa résonance avec l’actualité d’aujourd’hui. Lors d’un récital du Capitaine Léo, le samedi 15 décembre 1962 sur la scène du théâtre de Cambrai, une dizaine d’hommes masqués font irruption dans la salle, vêtus de blousons de cuir noir et armés de manches de pioche, en hurlant « La France aux Français » et « La Patrie en danger ». Les contradictions qui accompagnent la montée de l’extrême droite sont pointées. Comment expliquer que le racisme se soit développé dans ce « Nord-Pas-de-Calais qui porte l’empreinte d’une histoire forte, celle des mines, de la classe ouvrière, de la S.F.I.O. (l’ancêtre du Parti socialiste), celle des grèves de 1941 et de la résistance » ? Comment admettre que des descendants d’immigrés polonais, italiens, ou marocains qui ont été les victimes du fascisme, puissent être tentés par les thèses d’extrême droite ? Questions qui continuent d’intriguer. Les pages consacrées à ce sujet sont éclairantes.

Dans un mélange d’érudition et d’émotion, d’approche scientifique et de vibration sensible, en digne héritier du Zola de Germinal, Claude Darras sait à merveille restituer et décrire les ambiances, les décors, les odeurs, les couleurs, la psychologie des personnages et les tensions qui les animent.

Précision, minutie, rigueur conceptuelle et souci du détail contrebalancent la liberté imaginaire si bien que l’ensemble, en redistribuant les couples Histoire/Géographie, Espace/Temps et Vérité/Fiction, dessine une cartographie inédite et singulière propre à l’entreprise darrassienne.

La construction du récit s’assimile à un puzzle que l’on découvre au fur et à mesure de la narration. Mais elle évoque tout autant le montage cinématographique : séquences alternées, transitions en fondu ou en cut, flash-back, reprises, effets de suspense et de surprise, rebondissements.

La figure métaphorique domine. Par exemple l’opération de Tissage ou d’Entrelacs caractéristique de la structure du livre renvoie tout aussi bien à l’esthétique marocaine des motifs décoratifs, qu’à la peinture des œufs de Pâques dans la tradition polonaise.

Les collages et assemblages du peintre Jean-Pierre Prévost, qui inclut des signes berbères dans ses tableaux, évoquent à leur tour le métissage, le brassage et l’intégration des cultures.

Des personnages historiques comme Mohamed V, Guy Mollet ou Maurice Thorez sont évoqués et imbriqués aux êtres de fiction qui charpentent le récit, à la manière de ces « conversations sacrées » qui s’épanouissent à partir du XVe siècle dans l’Italie du Nord et en Flandre au moment de la Renaissance. Ce thème artistique religieux met en scène des personnages divins et terrestres au sein d’un même espace. Une des plus célèbres est La Vierge du chancelier Rolin peinte par l’artiste flamand Jan van Eyck vers 1435. On y voit Nicolas Rolin, alors chancelier du duc de Bourgogne Philippe Le Bon, agenouillé en prière devant la Mère de Jésus.

À ce titre les descriptions « impressionnistes » des paysages, des couleurs, des lumières, des atmosphères et des matières, qui abondent dans l’ouvrage, nous rappellent que l’auteur est également un critique d’art éclairé et passionné.

 

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Italo Calvino, dans Le château des destins croisés, raconte l’histoire de voyageurs qui de prime abord semblent ne pas se connaître et se retrouvent le soir dans un château. Ils réalisent qu’ils se sont rencontrés sans le savoir, en reconstituant leurs itinéraires grâce à un jeu de tarot. 

Claude Darras reprend cette idée que des routes individuelles, parallèles et apparemment sans lien commun finissent tôt ou tard par se rejoindre et faire sens. On n’échappe pas à sa destinée.

Le travail s’inscrit dans le droit fil indiqué par Tzvetan Todorov dans son essai La littérature en péril. Celui d’une réconciliation entre l’acte littéraire comme connaissance du monde et le réel qui l’entoure, afin que le lecteur puisse de nouveau poser du sens à son existence, redonnant au passage au récit romanesque ses lettres de noblesse.

Une des fonctions de la littérature d’aujourd’hui, dont l’auteur est un digne représentant, est peut-être de nous replonger dans l’examen du passé, comme métonymie d’une situation planétaire touchée par des crises successives aux origines diverses, afin de projeter un avenir plus radieux. 

Manière de sortir de l’impasse angoissée où l’on tente désespérément de nous maintenir. Car si pour Marx l’Histoire se répète deux fois : une fois en tragédie et une fois en farce, pour Churchill en revanche : « un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ».

Je voudrais ajouter ceci.

Il se trouve que bien des aspects du livre riment avec mon propre vécu.

J’ai bien connu par exemple le chanteur Jean-Claude Darnal quand j’ai débuté comme animateur culturel dans les années 1980. Je suis issu de l’immigration polonaise des années 1930, venue travailler dans les mines de charbon, les usines et les fermes du Nord-Pas-de-Calais.

Mon père, Henri Skryzak, né en 1935 à Noeux-les-Mines et disparu en 2018 à Valenciennes, fut mineur de fond de 12 à 20 ans. Il jouait à l’accordéon des airs populaires polonais, valses, polkas, et je l’accompagnais au piano (allusion au passage où Walkowiak partage une expérience similaire avec son fils). Ma mère, Maria Skryzak, née Walkowski en 1939 à Quiévrechain à la frontière franco-belge près de Quiévrain, chantait dans une chorale polonaise qui s’est produite en son temps à la salle Pleyel de Paris. Elle continue de cuisiner à merveille les plats traditionnels polonais dont les pâtisseries comme le makowiek ou le placek décrits dans l’ouvrage. Je pourrais multiplier les correspondances de ce type.

C’est donc tout un pan de ma propre culture d’origine, et de ma vie tout court, que le récit mobilise indirectement. Aux destins croisés des personnages du livre s’ajoute celui du lecteur que je suis.

Qu’est-ce que cela signifie ?

L’écriture comme métaphore du sillon du labour est très ancienne. C’est le boustrophédon désigné par Michel Serres en ces termes : « Écrivain, je vivais comme l’archaïque paysan du boustrophédon, vieux mot qui signifiait que le bœuf tirant la charrue se retourne au bout du sillon pour attaquer celui qui suit, en ligne parallèle mais en sens inverse. »

On travaille les mots comme on retourne la terre, pas à pas, ligne après ligne, faisant du champ l’équivalent de la page. Les trajectoires décrites par Claude Darras guident nos pas et nos pensées en creusant le sol de leurs empreintes, sans horizons, ni limites.

Les destins individuels tracent les sillons d’une mémoire collective comme autant de mythologies personnelles à redécouvrir par nous-mêmes et en nous-mêmes.

Reconnaître c’est connaître à nouveau. C’est mettre à jour ce que l’on savait déjà mais qui restait enfoui.

Il y a dans « Destins croisés » comme une histoire sans fin qu’il nous faut sans cesse réécrire pour ne pas sombrer dans l’oubli. Une urgence à dire qui ne faiblit pas. Une promesse. Un Salut.

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Richard Skryzak

Vidéaste, écrivain et universitaire

Juin 2023

 

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Destins croisés, Claude Darras

Avec seize encres de chine du peintre Guy Toubon

[Éditions Complicités, Paris, 307 pages, février 2023]

 

 

Illustrations de l’ouvrage :
encres de Chine sur vélin d’Arches 23,5 cm x 15,5 cm, 2022.

 

 

 

 

 

Mia Lecomte - Poèmes choisis et traduits par Silvia Guzzi

MIA LECOMTE

INTIMITÉS

 

Poèmes choisis & traduits par Silvia Guzzi 

 

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Mia Lecomte;Silvia Guzzi

Mia Lecomte © Photo Carlo Accerboni

 

Petite partition

 

I

 

Les choses telles qu’elles nous entourent existent

parfois si peu que les posséder

signifie y renoncer nous en jouissons

justement par leur peu d’existence

par la modestie le vide qui s’ensuit

un intervalle entier que l’on voudrait

où ne rien dire n’est jamais superflu 

les choses telles qu’elles nous accompagnent

n’existent jamais tout à fait c’est justement

pour ça que nous les faisons nôtres

pour ça qu’elles s’y refusent encore

qu’elles essayent d’exister se laissent fondre

 

II

 

Ce que les choses aiment de nous

elles le savent toujours dans leur solitude

elles se le répètent quand et comment

le jour sa lumière en canon

d’une heure à l’autre pour chaque geste

revécu à leurs côtés chaque habitude

– Si tu savais le peu de paix

elles parlent de notre capacité à avoir

– combien le mode de la perte est prévisible

Elles se l’avouent presque sans y croire et

puis elles l’oublient d’une heure

à l’autre en se répétant toujours quand

nous ne les entendons plus

 

III

 

Les choses confinées dans les tiroirs

n’essayent plus de nous rejoindre elles restent

immobiles toutes là dans ces tiroirs

qui ne glissent que dans un sens

qui les enferment chaque jour de l’année

d’où en principe elles veulent sortir

elles arrivent à bouger dans les tiroirs

à attendre aussi mais ensuite elles se figent

sans nous rejoindre enfermées là-dedans

sans regret elles restent toutes

en ordre sans nous

 

IV

 

Avant que nous quittions la pièce les choses

commencent déjà à s’en aller

elles se raidissent dépourvues de genre

une à une elles reprennent tout

d’elles-mêmes sans un regret

elles se font inutiles sans crainte

de ne pas insister elles vont précises

droites là-dehors une à une

elles nous font sortir un peu à la fois

sans heurts morceau après morceau jusqu’à ce que

de nous plus rien ne reste

 

 

Partiturina

 

 

I

 

Le cose come ci circondano esistono

a volte così poco che possederle

significa sottrarsi ne approfittiamo

proprio per quel poco essere

per la modestia il vuoto che consegue

un intervallo intero che vorremmo

dove il non dire non è mai superfluo

le cose come ci accompagnano

non esistono mai del tutto proprio

per questo le facciamo nostre

per questo ancora non ce lo permettono

provano a esistere si lasciano svanire

 

II

 

Quello che le cose amano di noi

lo sanno sempre nel restare sole

se lo ripetono come e quando

il giorno quella sua luce a canone

da un’ora all’altra per ogni gesto

ritrascorso accanto ogni abitudine

– Non puoi capire quanta poca pace

parlano della nostra capacità di avere

– quanto è scontato il modo della perdita

Se lo confessano quasi senza crederci e

poi se ne dimenticano da un’ora

all’altra sempre a ripetersi quando

non le sentiamo più

 

III

 

Le cose rinchiuse nei cassetti

non provano più a raggiungerci restano

ferme tutte lì dentro in quei cassetti

che scorrono per un unico verso

a chiuderle ogni giorno dell’anno

da dove in principio vogliono uscire

riescono a muoversi dentro i cassetti

anche aspettare ma poi si fermano

senza raggiungerci chiuse lì dentro

senza rimpianto restano tutte

in ordine senza di noi

 

IV

 

Prima che usciamo dalla stanza le cose

cominciano già ad andarsene

si fanno rigide prive di genere

ad una ad una riprendono tutto

di loro stesse senza un rimpianto

si fanno inutili senza paura

di non insistere vanno precise

dritte là fuori ad una ad una

ci fanno uscire poco per volta

senza dolore in brani singoli finché

di noi non rimane più niente

 

Extrait de Intanto il tempo, 2012

 

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Passionnée

 

Le poisson rouge grandit en proportion du bocal

il prend forme dans une géométrie de pulsions

retenue exactement dans l’idée de ses limites

une empreinte circonscrite dans un moule de sang

conscient du plaisir exigu des espaces

qui inonde attentif jusqu’au point où son toucher

se traduit en un baiser tout d’écailles brûlantes

une étreinte d’un muet tendant au carmin

 

le poisson est froid il a froid

il plonge refait surface dans sa circularité intransigeante

dans le destin d’un ailleurs réadapté chaque fois au millimètre

il tremble immobile en deçà de l’élan le plus saturé il conclut

ce qui dépasse se transcolore ce qui lui appartient se dissipe

mais n’a rien à voir avec son rouge à lui

 

 

Appassionata

 

 

Il pesce rosso cresce in proporzione alla vasca

viene configurandosi in una geometria di pulsioni

trattenuta esattamente nell’idea dei suoi limiti

un’impronta circoscritta in uno stampo di sangue

consapevole del piacere angusto degli spazi

che allaga vigile fino al punto in cui il suo tocco

si traducesse in un bacio tutto squame roventi

un amplesso di un muto tendente al carminio

 

il pesce è freddo ha freddo

sprofonda riaffiora nella sua circolarità intransigente

nel destino di un altrove riadattato ogni volta al millimetro

freme saldo al di qua dello slancio più saturo conclude

quel che eccede trascolora si disperde quel che è suo

ma non ha niente a che fare col suo rosso

 

Extrait de Al museo delle relazioni interrotte, 2016

 

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Intimité

 

La fille aînée a parlé avec le diable ce matin

dans la chambre rose pâle renversée dans le soleil il

s’est présenté à elle du dedans et lui a dit de sa

propre voix que le très saint est le dieu des perdants

alors qu’un pacte efficace garantit la victoire suprême

la certitude du plaisir pour toujours en l’absence d’éternité

 

la cadette dans son lit rêvait entretemps d’un vampire

et même d’un monstre tricéphale et de fantômes

qui jouaient tous aux dés sur le drap de marbre

ils se vantaient de leur toilette ils lui expliquaient

les morts vivants et d’autres questions simples de sexe

 

appuyée à l’idée d’elle-même la mère décousait les volants

de son jour parfait elle le remplissait de boucles au hasard

de boutons de plusieurs tailles elle se rappelait que ce jour-là

elle avait aimé un lycanthrope et qu’il l’avait dénudée jusqu’au

point où un reprisage d’argent brille encore

 

 

Intimità

 

 

La figlia maggiore stamani ha parlato col diavolo

nella stanza rosa pallido rovesciata nel sole lui

le si è presentato da dentro e le ha detto con la sua

propria voce che il santissimo è l’iddio dei perdenti

mentre un patto efficace assicura la vittoria suprema

la certezza del piacere per sempre in assenza d’eterno

 

la minore nel suo letto sognava intanto un vampiro

e anche un mostro tricefalo ed alcuni fantasmi

che giocavano tutti a dadi sul lenzuolo di marmo

si facevano belli della loro toilette le spiegavano

dei morti viventi e d’altre semplici questioni di sesso

 

poggiata all’idea di se stessa la madre scuciva le balze

del suo giorno perfetto lo riempiva di asole a caso

bottoni di più dimensioni ricordava che quel giorno

aveva amato un licantropo lui l’aveva spogliata fino

al punto dove luccica ancora un rammendo d’argento

 

Extrait de Al museo delle relazioni interrotte, 2016

 

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Seuils

 

Le premier mari a eu peur de la poussière

il la sentait passer dans la chambre

s’arrêter sous le lit où il dormait

se faire danger

Quand le deuxième arriva la poussière

s’était déjà accumulée dans les coins les plus sombres

il suffit de peu et la chambre en sera mouillée

plus que l’eau indivisible

Le troisième mari le quatrième

dirent poussière le besoin de négliger

fidèles à une certaine idée de brillance

ils s’entourèrent de bibelots transparents

Le cinquième le sixième le septième puis tous les autres

maris en ordre d’indifférence

du premier au dernier un seul

lui de côte et de désir

Et toujours elle qui crie fort

syllabe par syllabe

poussière à la poussière tu étais et tu seras

qui a été avant nous que je redeviendrai après

 

 

Soglie

 

 

Il primo marito ha avuto paura della polvere

la sentiva passare nella stanza

fermarsi sotto il letto dov’era coricato

farsi pericolo

Arrivò il secondo che la polvere

già si era accumulata negli angoli più bui

basta poco e la stanza ne sarà bagnata

più che l’acqua indivisibile

Il terzo marito il quarto

dissero polvere la necessità di trascurare

fedeli a una certa idea di lucentezza

si circondarono di ninnoli trasparenti

Il quinto il sesto il settimo poi quegli altri

mariti in ordine di indifferenza

dal primo all’ultimo un solo

lui per costola e desiderio

Intanto lei che grida forte

sillaba per sillaba

polvere alla polvere eri e sarai

che fu prima di noi ritornerò poi

 

Extrait de Lettere da dove, 2022

 

 

 

 

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© Photos Mia Lecomte

 

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| BIO-BIBLIOGRAPHIE :

 

Mia Lecomte (Milan, 1966) est une poétesse et écrivaine italienne d’origine française. Parmi ses dernières publications, on citera les recueils de poésie Al museo delle relazioni interrotte (2016) et Lettere da dove (2022), de nouvelles Cronache da un’impossibilità (2015) et de contes pour enfants Gli spaesati / Les dépaysés (2019). Ses poèmes ont été traduits dans plusieurs langues et ont paru en Italie et à l’étranger dans de nombreuses revues littéraires et anthologies. En 2012, l’éditeur canadien Guernica en a publié une sélection sous le titre For the Maintenance of Landscape, tandis que les recueils Là où tu as ton corps (Prix Khoury Ghata 2021) et Nuda proprietate ont été publiés en 2020. En 2009, elle a créé la Compagnia delle poete, un groupe théâtral de poétesses étrangères italophones dont elle-même fait partie. Elle est traductrice du français et critique littéraire dans le domaine de la littérature transnationale italophone et, tout particulièrement, de la poésie. On lui doit l’essai Di un poetico altrove. Poesia transnazionale italofona (1960-2016) (2018) et la direction de plusieurs anthologies. Elle est rédactrice du semestriel de poésie comparée Semicerchio et de la revue franco-anglaise La traductière et elle collabore à l’édition italienne du Monde Diplomatique. Elle fait partie des membres fondateurs de l’Agence littéraire transnationale Linguafranca, qui a vu le jour en 2017.

 

Silvia Guzzi est traductrice de l’italien, de l’anglais et de l’espagnol. Elle traduit des poètes contemporains, dont la plupart sont encore inédits en France, pour des revues, des blogs et des livres d’art. Elle a récemment traduit la correspondance de L. M. Alcott, Nos têtes audacieuses. Lettres de la créatrice des sœurs March, pour les éditions L’Orma (2022), et les témoignages de survivants au génocide arménien, Paroles d’enfants arméniens 1915-1922 de S. Orfalian, pour Gallimard (2021). Son blog : Traductions.it.

 

 

 

Pascal Boulanger - En bleu adorable - Une lecture de Gwen Garnier-Duguy


Une lecture de Gwen Garnier-Duguy

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PASCAL BOULANGER 

En bleu adorable

Carnets 2019-2022 

[Editions tinbad, 2023]

 

 

Le poète de Martingale (Flammarion, 1995), de Tacite (Flammarion, 2001), de Mourir ne me suffit pas (Corlevour, 2016) poursuit son poème historial par d'autres moyens qui sont ici le fruit de ses lectures à travers lesquelles pense son esprit poème.

Placé sous la figure tutélaire d'Hölderlin à qui Pascal Boulanger emprunte le titre d'un poème, le poète, comme le monde entier, vit la période de la pandémie planétaire avec la conscience du creuset qu'elle incarne pour l'espèce.

Boulanger inclut dans ses carnets des fragments de ses lectures, qui incorporent le grand poème de sa pensée.

Sa poésie intérieure fait fruit de toute parole comme on fait feu de tout bois, avec ces mises en perspectives qui agissent en tant que preuves déjà énoncées, sur le chemin du marcheur qu'est le poète Boulanger vivant la vie dans l'incandescence offerte par chaque instant.

J'ai toujours eu une vie secrète qui était toujours ma vraie vie. (Imre Kertèsz)

Quand on le déroule, le livre emplit l'univers dans toutes les directions, quand on l'enroule, il se retire et s'enfouit dans son secret. (le Zhong Yong)

Le secret est un contre-poison au cœur du poison social, comme un silence au cœur du bavardage, il est l'arme absolue contre la convoitise. (Pascal Boulanger)

Nous comprenons, dès la 2e page, que ces carnets sont un poème de survie en territoire ennemi, un guide de salut pour les damnés de l'enfer moderne imposé par une élite non-émancipée de l'illusion progressiste et sociale, et de l'esclavage consenti qui est notre réalité.

Ces fragments de lectures, qui sont des preuves, nous l'avons dit, sont autant d'étapes, comme sur un chemin de labeur, permettant la vision créatrice et contemplative : Comme une prose qui s'étire, la mer s'engorge et se désengorge, tisse et détisse dans des ondulations aux beautés étendues et dispersées. La parole mariée au paysage intégré dans un mouvement d'épousailles relève de l'amour, le chant devenant le corps de la nature.

L'attitude du poète Boulanger dans tous ses livres, et dans celui-ci précisément qui prolonge toute son aventure poétique, donc de conscience humaine, est celle, exemplaire, indicative, du dépassement du négatif, le négatif étant celui de notre modernité finissante. Il prolonge sa dilatation poétique et la conscience du lecteur, par son chant, même si entendu par peu d'oreilles, est alors imprégnée de la danse énigmatique et magique du vivant.

Boulanger, ici comme dans tous ses livres, dit la fonction historiale des événements dans la pensée poétique possible pour le genre humain alors enfin arraché à la pesanteur sociale qui est l'extrême illusion tenant lieu de but ultime, de raison de vivre aux tenants du fanatisme progressiste.

La pensée de Boulanger s'appuie sur les preuves déjà énoncées par les devanciers, Rimbaud, Lautréamont, Cendrars, et sa pensée devient poésie vivante. Les preuves sont aussi énoncées par ceux qui font la guerre au peuple ou à l'autre, comme Eribon ou encore Edouard Louis, projetant sur le monde leurs ténèbres qu'ils sont incapables, fous et aveugles, d'intégrer dans leur conscience infantile n'ayant strictement rien à voir avec l'esprit d'enfance chanté par Baudelaire.

Le poète s'interroge alors : Que révèle cette crise sanitaire (qui est, en vérité, une crise métaphysique) et sa gestion programmée à l'échelle mondiale ? Tout simplement un crime contre la mort : il est devenu, en effet, interdit de mourir, sauf pour les jeunes et pour l'esprit d'enfance retrouvé à volonté. Elle révèle, par conséquent, un infanticide.

Technique, comme chanté dans Tacite, et projection, par le fantasme transhumaniste de la peur de se confronter à la finitude, à notre condition de mortels dans ce qu'elle peut nous révéler de notre nature ontologique, et nous conduire dans les bras révélés de l'amour, donc de Dieu. Projection par terreur d'affronter notre propre profondeur, toute la société spectaculaire vient de cette tétanisation régressive. Projection ce besoin d'accumuler, de stocker tout l'étant pour se prémunir contre le gouffre, ce vide ouvert par le Verbe fait chair, par le dieu qui parle.

En bleu adorable dit aussi le ressentiment. La présence de René Girard, génie contre-moderne des temps modernes, éclaire la pensée-poésie de Boulanger que son poème illumine à son tour dans son prolongement impensé mais chanté.

Chanter, en vers, en versets, chanter en prose, dire ce moment de vie que fut le souhait de son éditeur Flammarion de désavouer l'ami Marcelin Pleynet qui venait d'attaquer la récente traduction des Cantos d'Ezra Pound, chez Flammarion aussi, chanter la fidélité à l'amitié, et le prix à payer, le prix de la liberté contre les compromissions.

Tout est chant lorsque élevé au timbre approprié, ce timbre du dénuement permettant de se débarrasser des peaux anciennes qui sont aussi des peaux sociales.

Il n'est alors pas étonnant de trouver Guillevic dans ce poème, Boulanger sachant que ce n'est pas la parole qui nomme les choses, mais les choses qui nous appellent et nous nomment et de citer des vers de Guillevic : Tu sais bien / Que ta présence / Va réjouir les plantes / Sur le balcon.

Monte alors le grand chant intérieur de Pascal Boulanger : Une vie calme et voluptueuse – hors-calcul, hors comptabilité – dans ce qui vibre en résonance, comme se baigner dans la profondeur bleutée des yeux de l'aimée.

Boulanger brasse alors Hölderlin et dans un va-et-vient vertigineux avec les paroles du Christ, se pose en poète métaphysicien. Peut-être y a-t-il une manière d'identification avec Hölderlin dont chaque respiration tendait à la relation avec le divin et contre la société perfide, la société humaine qui persécute l'être tendu en Dieu ?

Vaincre le monde a pour prix la Croix et, à chacun sa Croix. La Croix de Boulanger serait de vivre banni d'avoir chanté le chemin authentique, son propre chemin de conscience. Ce bannissement relève alors de l'ordre véritable tant c'est déjà beaucoup, pour le poète, d'être la mauvaise conscience de son temps comme le disait Saint-John Perse.

Cependant Boulanger sait que la conséquence logique (à sa liberté) est la solitude mais aussi la victoire posthume, comme l'écrivait Sollers à propos de Chateaubriand.

Les marées malouines et les mascarets du Mont Saint-Michel sont ceux que respire le poète Boulanger, chargés du souffle toujours dans l'air du génie du Christianisme.

En bleu adorable l'annonce, dans l'apparition jubilatoire de son poème.

 

 

 

19/06/2023

Rodolphe Burger

04/06/2023

Les Carnets d'Eucharis au Marché de la Poésie - 2023

 

Au Marché de la poésie

du 07 au 11 juin

Place Saint Sulpice (Paris 6e)

 

L’Atelier Les Carnets d’Eucharis

Stand Ent'Revues 700-704
 

vendredi & samedi : 11h30 – 19h
 

 

 

 

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Pour + d'infos

 

24/05/2023

Les Carnets d'Eucharis et son numéro hors-série dédié à Edmond Jabès - Périphérie du Marché de la Poésie - Paris

Dans le cadre de la Périphérie du Marché de la Poésie, Ent’revues a le plaisir de vous inviter à une soirée

 

Jeudi 25 mai 2023 à 18h30

à la Maison des Sciences de l’Homme – 54, Bd Raspail – 75006 Paris

 

autour de la revue Les Carnets d’Eucharis et de son numéro hors-série

 

Edmond Jabès – Dans la nuit d’encre et de sable

 

une conversation entre

Marcel Cohen, Didier Cahen, Bernard Grasset, Marc-Alain Ouaknin

 

animée par Martine Konorski et Yves Boudier

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Entrée libre.

Réservation recommandée : info@entrevues.org

 

Pour + d’infos : CLIQUER ICI

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18/05/2023

Les Carnets d'Eucharis - Numéro anniversaire - 2023

 

NUMÉRO – ANNIVERSAIRE

ÉDITION 2013 # 2023

 

[PARUTION LE 16 MAI 2023]

 

 

 

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LES CARNETS

D’EUCHARIS

[Numéro-anniversaire]

 

 

2023 : dixième année d’édition pour La revue Les Carnets d’Eucharis ! Un spécial numéro-anniversaire (140 pages) est également accompagné d’un hors-série (120 pages) dédié au grand écrivain et poète que fut Edmond Jabès.

Au fil de ses 10 numéros, la revue Les Carnets d’Eucharis s’est à chaque fois investie de l’impératif d’écritures « plurielles », toujours dans le vœu d’assurer une fonction agrégative, en réunissant différents styles d’écriture relevant autant du genre poétique que du genre narratif.

Pour ce numéro évènementiel 2013 # 2023, nous retrouverons les rubriques habituelles :

« Au pas du lavoir » et son anthologie de poésie contemporaine qui rassemble 12 poètes et pour chacun une approche créative de l’écriture tout aussi inédite que singulière. Parmi les invités : Anne Barbusse, Chantal Bizzini, Sophie Brassart, Alain Fabre-Catalan, Romain Fustier, Gery Lamarre, Hervé Martin, Joël-Claude Meffre, Damien Paisant, Nathalie Riera, Jos Roy, Benoît Sudreau, Jean-Charles Vegliante et Gabriel Zimmermann.

Pour « À Claire-Voix » le poète Etienne Faure répond aux questions de Martine Konorski. Etienne Faure a publié depuis de nombreuses années chez Champ Vallon (Légèrement frôlée, Vues prenables, Horizon du sol, La vie bon train, Ciné-Plage) et chez Gallimard depuis 2018, avec Tête en bas (qui a reçu le prix Max-Jacob), Et puis prendre l’air, Vol en V. Autant de recueils qui ont conduit Martine Konorski à en savoir davantage sur son travail d’écriture, sur la fabrique de son art poétique, sur ses lectures et références multiples et de tous les genres.

« ClairVision » accueille Marc Mercier et Richard Skryzak dans un entretien détonant : « Vive la Poésie électronique ! » Marc Mercier est poète, écrivain et vidéaste, co-fondateur en 1988 du Festival international Les Instants Vidéos de Manosque, devenus ceux de Marseille en 2003, sous l’égide de l’association Les Instants Vidéo Numériques et Poétiques. À travers ce portrait dialogué, Richard Skryzak nous propose « de découvrir l’œuvre polymorphe et les idées de cet artiste à part, éternel voyageur et passeur de cultures, pour qui les mots et les images constituent autant d’actes de “résistance”. Pour qui surtout le Désir s’incarne dans toutes les formes Poétiques possibles, de l’écriture à l’image électronique ».

Dans cette même rubrique Nathalie Riera aura à cœur de poursuivre sa « série art italien » qui s’ouvrait en 2021 avec un portrait de la critique d’art dissidente Carla Lonzi. Pour ce numéro, elle a choisi de rendre hommage à Pino Pascali (1935-1968), une comète dans le milieu de l’art italien. Sculpteur, peintre et performeur à l’œuvre exceptionnelle et à la carrière fulgurante, Pascali est l’un des pionniers de l’Arte Povera, mouvement contestataire qui est apparu à la fin des années 1960, s’opposant au pop art américain et au mercantilisme de l’art.

Le « Labo des langues » s’ouvre sur la poésie « d’un réalisme cosmique à la Lucrèce » de Maria Borio. Née à Perugia en 1985, diplômée en Littérature italienne, « sa poésie exigeante, parfois proche d’une vision revisitant l’enfance, ou une image d’enfance assumée comme telle, atteint dans ses derniers recueils à une véritable "transparence" proche de la méditation philosophique et spirituelle ». Les poèmes choisis sont traduits par Jean-Charles Vegliante.

Jane Hirshfield rend hommage à Robert Elwood Bly (1926-2021), à travers une sélection de 5 poèmes traduits par Geneviève Liautard. Bly restera toute sa vie fidèle à sa région natale, le Minnesota. Paysan fermier, il mènera aussi des activités de traducteur, d’éditeur et d’écrivain. Son œuvre se concentre sur la puissance du mythe, la méditation, la poésie des Indiens d'Amérique et les contes.

Lucile Charton, Elisa Deutsch, Erika Neav et Martina Zizzari, étudiantes du Master TLEC italien (Master de Traduction Littéraire à l’Université Lumière Lyon 2), avec leur enseignante Sandra Bindel, nous proposent leurs chantiers de traduction. Parmi les poètes sélectionnés, Claudio Pozzani – que Fernando Arrabal définit comme « un maître de l’invisible, un débusqueur de rêves, un voleur de feu. Ah ! que son cœur danse dans l’alcôve fêtée… » – et Viviane Ciampi, née à Lyon d’un père toscan (Pise) et d’une mère lyonnaise. Sur le site des éditions Al Manar, on peut lire : « Son goût pour les mots se nourrit de l’intérêt de son père pour la parole chantée des poètes, sa passion pour la musique lui a été transmise par son grand-père. Dans les années 1970, elle s’installe à Gênes où elle découvre la poésie de Campana, Sbarbaro, Montale, De Andrè ».

 

 

Format : 16 cm x 24 cm | 140 pages (dont un portfolio)

| France : 32 € (frais de port compris) – 25 € (sans frais de port)

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Ouvrage publié avec le soutien de la Fondation Jan Michalski.

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47 € (ABONNEMENT-PROMO)

Pour une commande globale de l’édition 2023 qui comprend le numéro-anniversaire de la revue (2013#2023) et une édition spéciale « Edmond Jabès. Dans la nuit d’encre et de sable ».

 

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CONTACT : Nathalie Riera nathalriera@gmail.com /

 

 

Edmond Jabès - Dans la nuit d'encre et de sable (édition spéciale Les Carnets d'Eucharis, 2023)

LES CARNETS

D’EUCHARIS

[Édition spéciale 2023]

 

 

EDMOND JABÈS

DANS LA NUIT D’ENCRE ET DE SABLE

 [PARUTION LE 16 MAI 2023]

 

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Stéphane Barsacq Didier Cahen

Marcel Cohen Anne de Commines

Alain Fabre-Catalan Alain Freixe

Bernard Grasset Steven Jaron

Martine Konorski Etienne Lodého

Joël-Claude Meffre Michel Ménaché

Marc-Alain Ouaknin Rosie Pinhas-Delpuech

Raphaël Rubinstein André Ughetto

Rosmarie Waldrop Catherine Zittoun

 

 

Edmond Jabès : Dans la nuit d’encre et de sable, numéro hors-série des Carnets d’Eucharis (2023) est une monographie consacrée au grand écrivain que fut Edmond Jabès (1912-1991). Cette édition inédite a été rendue possible grâce au concours de certains de ses proches et des auteurs qui, se sentant en affinité avec l’œuvre, ont volontiers accepté d’écrire pour ce numéro, l’occasion aussi de (re) découvrir un pan de la littérature et de la pensée moderne.

Parmi ses proches, Marcel Cohen nous a autorisé la publication de quelques extraits de ses entretiens avec Jabès. De même que Rosmarie Waldrop, une des meilleures spécialistes de Jabès et qui a été son amie pendant plus de vingt ans, nous a autorisé et permis de publier des extraits inédits en français de son essai Lavish Absence, livre considéré par Marcel Cohen comme majeur. C’est Rosmarie Waldrop qui a introduit Edmond Jabès aux États-Unis. Steven Jaron, également un des meilleurs connaisseurs de Jabès, nous a permis de publier un texte inédit en français. Quant à la fille de Jabès, Viviane Crasson-Jabès, elle a accompagné avec beaucoup d’intérêt et de générosité ce travail qu’elle considère comme important.

Edmond Jabès, quatre syllabes qui ouvrent l’espace de cet écrivain majeur du XXe siècle dont l’œuvre est aussi vaste que forte. Ce hors-série en propose une vision plurielle, incluant quelques textes inédits traduits en français, et donne la parole à des spécialistes et amis qui l’ont bien connu comme à des auteurs qui se sentent en affinité profonde avec cette création unique en son genre. C’est d’ailleurs à cet exercice de lecture et de traduction que Jabès invite le lecteur pour la re-création permanente de ses écrits indomptables ne relevant d’aucun mouvement, centrés sur la Question qui génère d’autres questions, à l’infini, pour toujours aller à la rencontre de soi et de l’Autre. 

La coordination de ce hors-série assorti d’un cahier visuel en quadrichromie est assurée par Martine Konorski.

Des textes, des lettres, des manuscrits, des entretiens et des témoignages ont aidé à la réalisation de cet ouvrage exceptionnel.

 

Je suis le fond oublié de la mer. Je suis le rêve impossible de l’eau lasse. Le ciel a du sable dans les cheveux.

……………………………………………………………………………………………..

  • Edmond Jabès

 

 

Format : 16 cm x 24 cm | 120 pages (dont un portfolio)

| France : 27 € (frais de port compris)

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Ouvrage publié avec le soutien de la Fondation Jan Michalski.

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23/02/2023

DE SON VIVANT - Un film d'Emmanuelle Bercot

18/02/2023

Ç’AURAIT ÉTÉ MIEUX SI J’ETAIS RESTÉE EN HONGRIE - par Nathalie Riera

 

 

Hommage à Agota kristof

— texte composé en vers libres

© Nathalie Riera, février 2023

 

 

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23 octobre 1956 : Budapest se soulève au nom de la liberté

Ce sera la première insurrection armée contre un régime communiste

Le peuple refuse la tutelle soviétique

Une statue de Staline est renversée

Le 4 novembre 1956 : plus de 1500 chars frappés de l’étoile rouge déferlent sur la capitale

La ville est sous le feu de l’artillerie et de l’infanterie

« Des chars, du sang, la liberté confisquée » !

Les civils se battent pied à pied

Et malgré que les obus tombent et que le pays s’enflamme

Les occidentaux vont rester l’arme aux pieds !

Il faut dire que Français et Britanniques se trouvent, au même moment, empêtrés dans une opération militaire sur le Canal de Suez

L’ancien Premier Ministre János Kádár est placé au pouvoir

La répression fait plus de 20 000 morts tandis que 200 000 hongrois se réfugient en Europe de l’ouest.

 

Agota Kristof a 21 ans en cinquante-six

quand l’exil la conduit jusqu’en territoire francophone.

S’enfuir de la petite cité médiévale de Köszeg

– qui se trouve à quelques pas de la frontière autrichienne.

Fuir à travers bois, la nuit, avec mari et nourrisson,

passer les gardes-frontières occupées par des Russes,

avant de poser pied à Neuchâtel, en Suisse romande.

Perdre un pays et tout ce qui pouvait l’y rattacher ;

parmi les autres pertes, ses manuscrits écrits en hongrois :

des poèmes de jeunesse – elle écrit depuis ses 13 ans.

Les aléas de l’Histoire lui font adopter le français,

mais plus que de l’adopter, le français sera pour elle :

affronter une langue qui est en train de tuer sa langue maternelle.

Agota Kristof parle le français mais ne le lit pas.

Ses premiers textes écrits en français sont des pièces de théâtre.

5 ans après son arrivée en Suisse elle affirmera

être « redevenue une analphabète »… L’analphabète

est un récit autobiographique paru en 2004.

Sur ce roman Agota est sans complaisance aucune ;

elle dit regretter d’avoir publié L’analphabète : (14)

« C’est pas de la littérature, c’est du mauvais journalisme ».

 

La ville de Köszeg est au centre de ses trois romans :

Le Grand Cahier, La Preuve et Le Troisième Mensonge.

L’écriture ne pouvant assurer ni vivre ni couvert,

Agota travaille dans une manufacture horlogère,

toute la journée chez Ebauches SA à Peseux,

et le soir elle écrit des poèmes en hongrois et français.

Si l’exil provoque un besoin compulsif d’écrire,

pour Agota : « Il faut du courage pour écrire certaines choses ».

Aussi survivre aux douleurs multiples du déracinement.

Mais comment traduire l’exil avec la langue de Voltaire,

cette « langue ennemie » qui deviendra pourtant langue d’écriture ?

 

Agota Kristof abhorre les sensibleries littéraires.

Pour elle, pas de place aux mensonges des sentiments et des mots.

S’en tenir aux faits. Aller à l’essentiel. Seulement ça.

 

Elle « regarde souvent les cartes postales de Köszeg »[1],

elle n’aurait jamais dû quitter la Hongrie. « Si j’avais su

que je resterais toujours, je ne serais pas partie. Oui,

je regrette ce choix. » « Hier tout était plus beau… ». Oui.

 

« … la musique dans les arbres

le vent dans mes cheveux

et dans tes mains tendues

le soleil »[2].

 

Agota Kristof arrête d’écrire en 2005.

Sa machine à écrire, son dictionnaire bilingue hongrois-français,

puis ses manuscrits de romans et d’œuvres théâtrales

seront vendus aux Archives littéraires suisses, à Berne.

 

Elle meurt le 27 juillet 2011 à Neuchâtel.

 

 

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Editions ZOE

 

 

 

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Opus Seuil

 

[1] Claire Devarrieux, Libération, 5 septembre 1991.

[2] Agota Kristof, Hier, in Opus Seuil, 2011.

12/02/2023

Guennadi AÏGUI

Guennadi AÏGUI

Sommeil Poésie Poèmes

[extraits]

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Guennadi AÏGUI

 

 

 

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  Extraits 

ÉDITIONS SEGHERS/AUTOUR DU MONDE – 1984.

Traduit du russe par Léon Robel

 

 

 

« il était comme une clairière le pays

le monde – comme une clairière

et il y avait des bouleaux-fleurs

et un cœur-enfant

 

et comme ces bouleaux-fleurs étaient par le vent de ce monde soufflés

 

et des roses-neiges

entouraient comme d’anges-mendiants le soupir

des sans-parole villageois !... et avec leur Lumo-Pitié

ensemble

illuminaient

 

/ ici – lieu d’un silence

aussi long

que l’infini de leur vie /

 

nous nous appelions – de Cette Lueur maints

chacun renforçant

la vivante luminescence

secondement dans la douleur

 

/ ici aussi

même

silence /

 

et étions écoutant : que dira la pureté d’un mot unique ?

 

sans cesser

rayonnait :

 

le monde-pureté »

1975

Extrait de « O OUI : PATRIE » – p.9.

 

***

à M. Roguinski

 

« Un champ parsemé de journaux ; le vent les emmêle (il n’y a ni début ni fin). J’erre tout le jour, examine avec attention : le titre est partout le même (et même l’oubli : j’oublie et j’examine – le temps passe : impossible de me souvenir) ; avec le même portrait partout (et de nouveau, l’oubli). Où suis-je ? où dois-je revenir ? Vent ; absence de routes ; froissement de papiers ; la Terre entière n’est que ce champ ; ténèbres ; solitude. »

1979

Extrait de « GOUACHE » – p.101.

 

***

 

« et quelque part

se tient jusqu’à ce jour

une petite femme

et quelqu’un transporte – en ses yeux indifférents – comme des cercles de soleil

le scintillement mauve de sa robe

 

et entre ses épaules et les miennes entre son cou et le mien

entre mes manches et ses manches

il y a l’herbe poussiéreuse les rails chauffés à blanc

et les rochers brûlants

des villes et des monts

 

mais à part moi nul ne sait

comme sont chauds ses coudes là-bas dans la manche

et quelle particulière

vulnérabilité de la démarche se dissimule

en cette station

frêle-penchée

 

– et il n’y a rien de plus audible que le silence

de plus fidèle que la douleur de plus clair que l’angoisse !

 

et longtemps encore le séjour longtemps

dans le monde le séjour longtemps / rien ne parvient jusqu’au sens « depuis longtemps » /

et vivante sur la terre

elle n’a pas encore quitté les hommes

quelque part elle se tient à présent aussi

la petite femme vêtue d’une robe rouge

 

– et il n’est rien de plus infini que la fin

 

et les buissons mauves de l’euphorbe

s’agitent la salissant de poussière du chemin

jusqu’à la ceinture

 

et ils deviennent plus hauts et plus larges

et plus éclatants que sa robe »

1958

Extrait de « PROLONGEMENT DU DEPART » – pp.133-134.

 

***

 

[…] Ce qu’écrit Aïgui ne ressemble à rien de connu en Russe. C’est une sorte de synthèse organique entre trois traditions très différentes : l’avant-garde russe poétique et picturale du XXe siècle (Malevitch est pour Aïgui une référence privilégiée), la poésie française moderne et la culture populaire tchouvache. La syntaxe en est souvent désarticulée, de manière à offrir plusieurs possibilités d’interprétation simultanées et à dire en même temps les difficultés de la communication en notre temps. Les images souvent surgissent des tréfonds de la mémoire. La ponctuation très personnelle permet par les trait d’union des coagulations ou cristallisations de sens (plusieurs mots se fondent en un seul) tandis que les tirets, les point d’exclamation marquent des brisures et des envols du rythme. Des néologismes parfois apparaissent comme de nouvelles évidences de la pensée ; des rimes ou des mètres réguliers enfouis ou démontés et reconstruits sont des indices de l’immense travail sur le système de versification accompli par Aïgui. Ce qui est à l’œuvre ici c’est véritablement une « pensée rythmique » qui, par son mouvement même, nous porte vers la saisie de son objet. Ce qui fait que le mouvement rythmique est inventé pour chaque poème. […]

Extrait de « DU TRADUCTEUR AU LECTEUR… » par Léon Robel – p.157.

 

■ À CONSULTER:

En attendant Nadeau : Aïgui le simple par Odile Hunoult : CLIQUER ICI 

Les éditions Mesures : CLIQUER ICI

Les éditions Circé : CLIQUER ICI

L’anthologie permanente de Poezibao : CLIQUER ICI

 

 

 

 

 

Anne-Emmanuelle Fournier

Une lecture de Gaël de Kerret

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Anne-Emmanuelle Fournier

 

L’OFFRANDE AUX FANTôMES

SUIVI DE

Il y a longtemps que je t’AIME

[Editions Unicité, 2022]

 

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© Anne-Emmanuelle Fournier

 

 

Commençons, peut-être, par interroger ce double titre. La seconde partie est-elle vraiment un ajout ou une suite ? En réalité, j’ai ressenti cet ouvrage comme un chiasme, dont l’inclusion centrale est un poème isolé qui a pour rôle de transformer toute l’aspiration de la première partie en Réalisation finale.

Il est aisé de rentrer dans la première partie : ces « carrés » de prose nous placent dans une géographie par le mot. Le mot fait l’espace. Le lecteur s’y rend comme si c’était aussi un peu le sien. Les phrases sont courtes, prévenant toute tentation discursive. Ne reste que le primat de la sensation, comme un envol de l’initiation de l’auteure vers la science des vivants.

Le mot, disais-je, détaille la géographie, mais il détaille aussi les bruits quotidiens, non comme une lassitude potentielle, mais comme le sentiment d’un trésor qui est encore questionnement. Ces bruits sont entendus sans tout-à-fait être dans l’Entendement, en cohérence avec la conscience d’un sujet encore enfant au début de ce livre.

Le lecteur reste alors bouche bée devant ce que l’auteure/jeune fille appelle pudiquement « le vieil homme » qui lui enseigne tout, mais « ne reparaîtra plus ». Cet homme vieux de deux millions d’années – comme l’écrivait Carl Gustav Jung – parle la langue des oiseaux, car les Anciens transmettent non ce qu’ils disent, mais ce qu’ils sont. Puis vient l’impressionnisme de l’été. Tourisme nostalgique maintes fois réitéré en littérature ? Sauf que des mots tels que « la piscine municipale » nous empêchent résolument de fuir vers le faux et enterrent tout embourgeoisement du discours. Et l’on se demande si l’exactitude des mots ne cache pas une aspiration qui ne peut encore se dire.

Cependant, la petite fille grandit et veut prendre sa place dans ce monde. L’état de tension entre le bruit banal et l’homme vieux de mille ans ne cache plus qu’un sens de vie est en train de se constituer. Cette question du Sens est prégnante dans ce livre. Depuis que Copernic nous a dit que la terre n’était plus au centre de l’univers, l’homme baroque, avec Caravage, est devenu ombre et lumière se posant la question du sens de sa présence dans l’univers. Alors, dans la nuit qui est forcément nuit éveillée, l’adolescente cherche à découvrir la lumière qui habite les ténèbres. Même la pluie qui affole les 'raisonnables' est pour elle l’expression de la liberté « qui ruisselle par tous les pores de la nuit ». D’autres nuits, il y a même des étoiles dans cette marche que jonchent tant d’obstacles. Ces étoiles sont la métaphore du chemin « vers une source ». Elle sait la source, mais elle ne la connaît pas. Ce sera dans le quotidien du mot que se recueillera le sens : « Une pliure du multivers où tu réponds au téléphone, sarcles tes parterres ». On trouve en ce processus les trois acceptions du mot sens en français : sensation, direction, signification ».[1] Pour François Cheng, on glisse alors subtilement vers le Yi puis le Yi King comme « accord, entente communion ». Pour l’auteure en quête d’initiation, c’est là le plus important. Elle voit l’agitation des touristes, mais « rien de tout cela ne parvient jusqu’au ventre de pénombre de la maison, où la grand-mère attend. »

Puis la femme advient dans son statut d’adolescente, qui parvient à s’aimer par le tissu enveloppant son corps, donnant au « rêve de soi » la beauté exemplaire. À cet âge, parce qu’elle a pris l’univers comme amant, elle sait ce que veut dire : « partager un plat odorant à l’ombre d’un platane », avec les « valides et les fracturés ».

Fracturés ? Quand il lui est donné de voir les morts malgré tout, les rôles sont étrangement renversés : ce sont les vivants les crucifiés. Preuve en est : son lieu de visions, d’odeur et d’intangible, son topos de la Lumière spirituelle est dorénavant une pancarte : À vendre. Oui, les choses passent, mais la Lumière n’est pas à vendre. Les armoires, les lits sont médusés face à ce qui va être leur drame absolu, mais l’enfant d’autrefois s’approche du piano pour un dialogue avec les morts car elle sait « qu’ils rêvent ». Soudain monte en elle l’exigence d’une décision. La méditation doit faire place à la résolution, sous peine de rejoindre ces morts.

Cette résolution est le Kaïros du livre : ce poème adressé directement à l’homme de sa vie avec qui elle va pouvoir exercer chez elle, pour elle, toutes les visions recueillies de l’enfance. À cause de cette métanoïa du chiasme, il fallait changer d’écriture. Ce sera donc de la poésie (librement) versifiée, dans laquelle le mot isolé est roi de prophétie, parce que l’auteure sait que la poésie est création au sens du poïein grec. En 1951, le philosophe Martin Heidegger commente ainsi ce que devrait être la poésie :

« Poétiquement habite l’homme sur cette terre. Dans quelle mesure l’homme habite-t-il poétiquement ? S’il habite ainsi, c’est qu’il parle... que pouvons-nous faire pour sauver le Poème de son manque de pays ?

Libérer la poésie de la littérature, c’est une chose.

 Il faut sauvegarder la terre dans son intouchable source à partir du Haut-jeu entre les divins et les mortels, pour ce jeu même. » [2]

C’est ainsi que je définirais la poésie d’Anne-Emmanuelle Fournier : mots rendant sacré le quotidien, sacrés les changements de statut de l’enfant né à la vie, mots qui donnent la verticalité du « Haut-jeu entre les divins et les mortels ». C’est un quotidien semblable à l’épi de blé surgissant de terre, porteur de tant d’archétypes immémoriaux. Renversement ici encore : dans cette partie placée sous le signe de la chanson traditionnelle À la claire fontaine, c’est l’enfant qui enseigne : « cet amour est plus grand, plus ancien que tout ce que je crois être ». Il enseigne par le « désir de parole », écrit l’auteure, et non par la « langue domestiquée ». En archê ên o logos : à l’origine était la parole, écrit le Prologue de Saint Jean. Et du côté de la fin, les rêves montrent que l’âme continue son travail, que la Lumière continue son travail malgré l’extinction de la forme, ce que l’auteure dit par ces mots : « Lorsque le temps aura dissout mon nom sur mes propres lèvres ».

Chacun des poèmes de ce dernier temps du recueil commence par « Je pourrais vivre ». Cette anaphore m’a rappelé la structure du poème « Liberté » de Paul Éluard, extrait de Poésie et Vérité et par exemple fiévreusement mis en musique par Francis Poulenc dans Figure humaine. L’apostrophe d’Éluard résonne : j’écris ton nom, j’écris ton nom, j’écris ton nom : liberté ! On peut penser qu’Anne-Emmanuelle Fournier, qui témoigne en réalité d’une double mise au monde, pourrait faire sienne cette déclinaison : mon enfant-liberté, j’écris ton nom.

 Gaël de Kerret

 

[1] François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Albin Michel, 2006, p.35

[2] Revue Obsidiane, « Heidegger » 1982, p. 145. Cette prise de parole prend place lors d’une lecture de poèmes à Bühlerhöhe, ville dAllemagne près de Baden-Baden.

 

31/01/2023

Anne-Sophie SUBILIA

Anne-Sophie SUBILIA

Neiges intérieures

[extrait]

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Fondation Leenaards

© Philippe Pache

 

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  Extrait 

Éditions Zoé, 2022.

 

Le bruit d'un torrent près des tempes
le bruit du vent dans le cou
je suis seule
pour un moment
j'écris vite et mal
dans ma tête il y a un bourdonnement de corde tendue
je ne comprends pas ce que c'est
si c'est positif ou négatif
peut-être un reste d'excitation.
Pour le moment rien ne me rassure
ici, le paysage m'est hostile.
Je le repousse depuis notre arrivée.
Je vais courir chaque fois que c'est possible.
Mes camarades ont bien compris que c'était nécessaire.
J'ai besoin de me défouler et quand je reviens je suis plus calme.
Ce n'était pas prévu.
Maintenant c'est devenu une habitude.
Quand je cours je reprends une sorte de pouvoir. C'est sans doute une chose de civilisation.

 

 

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© Éditions Zoé 

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29/01/2023

Stjepan Hauser (Violoncelliste) - "Oblivion" d'Astor Piazolla

26/01/2023

Christian Dotremont

Christian DOTREMONT

Abrupte fable

[extrait]

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Christian Dotremont

 

 

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  Extraits 

Éditions L’Atelier Contemporain, 2022.

 

« Sans vous, la poésie n’aurait pas de racines.

Certains d’entre vous, je sais bien, mènent la grande vie. Mais qu’importe ? Votre poésie est […] vouée à la pureté, à l’amour de l’amour, elle est vouée au secret. Elle est toujours résistance, résistance aux “grands barbares”, résistance à toutes les familles, résistance aux “autres”, à ceux dont le cœur n’est qu’une boule de sang.

[…]

La poésie est votre forêt, votre chaumière, votre capitale […] ».

 

pp.18-19

 

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© Éditions L’Atelier Contemporain

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20/07/2022

FEU! CHATTERTON ! (Arthur Teboul) AU CABARET VERT

 

17/07/2022

Grisélidis Réal

Grisélidis RÉAL

Revue des Archives Littéraires suisses

Quarto n°50 – 2022  

[extraits]

 

 

Grisélidis Réal

Grisélidis Réal

 

 

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  Extraits 

QUARTO, n° 50 – 2022.

Revue des Archives Littéraires suisses

 

 

 

« […] Ce cinquantième numéro de Quarto aimerait rendre hommage à cette créativité verbale de Grisélidis Réal, d’abord en mettant en avant les documents issus de son fonds aux Archives Littéraires suisses. On s’intéressera notamment à son œuvre la plus connue, Le Noir est une couleur ; à son aventure éditoriale ainsi qu’à ses dimensions éthiques et esthétiques. Il s’agira aussi d’évoquer l’art épistolaire réalien, l’impact philosophique de son fameux Carnet noir, sa place dans les écritures de la prostitution, son exemplarité enfin pour la recherche en sociologie. Nous avons aussi donné la parole à un éditeur, à un écrivain et à une comédienne qui, chacun à sa manière, ont subi le choc de cette lecture. En guise de conclusion, on trouvera un entretien avec Igor Schimek, fils aîné de l’écrivaine. Nous espérons que, par ces différentes approches, ce numéro fera à nouveau résonner cette voix bouleversante, qui nous requiert toutes et tous, au plus intime. »

Extrait de l’éditorial de Fabien Dubosson – p.6.

 

***

 

« […] Je me replonge dans mon passé, je revis absolument tout, je retrouve mes anciennes compagnes de tôle, c’est comme si elles étaient ici, dans ma chambre. Je sens les odeurs, j’ai les goûts dans ma bouche. Il me semble à tout moment que je suis enfermée à clé et que dans un grand fracas de ferraille on va m’ouvrir ma porte. C’est hallucinant ! Est-ce que par hasard on perdrait un peu la boule en écrivant ? ça serait comme une seconde vie ? Bizarre… ».

Lettre à Jacques Chessex, 28.10.1970, Fonds Chessex, B-2-REA

 

***

 

« […] Enfin, à force de souffrances, de ratures, j’ai eu une lueur, j’ai compris une chose : pas de philosophies inutiles, d’adjectifs superflus, de littérature. Il faut s’en tenir à l’action quotidienne réduite à l’essentiel et c’est tout. De temps en temps, mais vraiment très rarement, on peut s’accorder une petite image, un petit bonbon poétique, mais vraiment il faut les trier sur le volet. Il faut sabrer impitoyablement. La pureté c’est le squelette ! ».

Lettre à Jacqueline Fromenteau, 20.01.1970, Fonds Réal, B-1-FRO

 

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Grisélidis Réal

© Revue QUARTO

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27/06/2022

AMY CLAMPITT

Amy Clampitt

Un silence s’ouvre

[extrait]

Amy-Clampitt.jpg

 

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  Extrait

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gaëlle Cogan

Préface de Calista McRae

Édition bilingue

Éditions Nous, 2021.

 

 

La raiponce cornue

 

« Chaque jour, de ce terrain

étranger d’un perpendiculaire

enchanteur, fleurissait

quelque chose de nouveau

et, après inspection

détaillée, de merveilleux —

 

encore une permutation

aromatique-fleurie

de la silène ou de la sauge,

de la scabieuse, de la ciste,

de l’onagre, de la

campanule, que celle-ci,

 

d’un genre que je n’avais

jamais vu : éperonnée,

avec des ajours en fuseau, sorte de

baldaquin sur tige,

rareté solitaire, élégante,

suspendue, d’une teinte

 

à mi-chemin entre l’azur

clair du romarin

et le violet plus

sombre de l’ancolie,

qui s’avéra être

nommée raiponce cornue.

 

Le lendemain elle n’était plus

singulière mais plurielle ;

le jour suivant, multiple.

En une semaine elle était

partout, devenue

simple raiponce cornue,

 

si familière que

je l’oubliai, et n’y

pensai plus, semble-t-il,

jusqu’au moment où

un volume de l’Encyclopaedia

Britannica, pris sur l’étagère

 

à une fin quelconque, s’ouvrit

au hasard, sur la raiponce

cornue, nommée,

dépeinte, étonnante

en mémoire tandis que l’amour ancien

refleurissait, encore vibrant. »

 

[pp.55-56]

 

clampitt un silence s'ouvre.jpg

© Éditions NOUS/NOW

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20/06/2022

Monologue sur un portrait - par Nathalie Riera

NATHALIE RIERA

Monologue sur un portrait

[Samuel B.]

 

monologue portrait samuel B.jpg

 

 

 

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  Extrait

 

Texte inédit

 

« Que sait-on de toi, Samuel B. ? Tu es de ceux qui ont toujours pensé qu’un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous, fallait sentir quelque chose en soi se pourfendre, pas de théorie, jamais, tout commence avec le corps, dirait ton ami Paul A. Ton regard ressemble à une mer gelée, et avec tes yeux d’un bleu clair un peu glacial, une sorte d’angoisse transparait, qui a marqué ton visage taillé à coups de serpe. Comment ne pas s’intéresser à toi ? Il y en a un qui a cherché à te connaître. Tu te souviens, c’était en 1968, ta rencontre avec Charles J, un an avant qu’on te décerne le prix Nobel de littérature. Tu te souviens à quel point tu l’intimidais, impressionné par ce qui se dégageait de ta personne. Il y aura plusieurs rencontres entre vous. On peut se retrouver en face de toi sans que tu n’émettes un seul mot, et ça peut durer un long moment ce temps sans parole, ce mutisme malaisant, mais en même temps, paradoxe, ce silence ouvre des perspectives de dialogue. Charles J. était si jeune à l’époque de votre première rencontre, mais c’est peut-être celui qui aura le mieux saisi ton étrangeté. On vous dirait tous deux unis, scellés par un curieux conciliabule, mais Samuel B. tu n’es pas homme à t’épancher. Que s’est-il passé ce jour-là, quand cet homme s’est jeté sur toi, on a parlé d’un clochard avec un poignard, ce coup aurait pu t’être fatal ! Tu souffriras néanmoins d’une fragilité pulmonaire. Austère, minimaliste, monacal, des vocables qui te vont bien. Tu te souviens ces années à Montparnasse, désorienté, perdu, sans ressources, et le tunnel dans ta tête. Presque te plaisais-tu à dire que tu n’es jamais né, drôle de révélation que n’être finalement jamais né, tu l’as écrit dans Tous ceux qui tombent. Samuel B. ta littérature ressemble presque à ta vie, l’écart est très mince entre l’une et l’autre, deux champs qui ne se contredisent même pas… Tu as été profondément marqué par la littérature de Joyce et parmi les artistes, notamment les peintres, ta complicité sera grande avec les Bram et Geer Van Velde, les « peintres de l’empêchement », selon ton expression. D’ailleurs, Charles J. écrira aussi sur ses rencontres avec Bram, comme il a pu le faire à l’occasion de ses rencontres avec toi. Il y a un fait de toi que j’aimerais évoquer, à l’époque où tu recevras ta première distinction, et pas des moindres. Nous sommes en mars 1945 quand tu te vois récompensé d’une croix de guerre et d’une Médaille de la Résistance. Ce prix te semble plus acceptable, voire même moins humiliant que celui du Nobel, qui sera vécu comme une « catastrophe »… Toi et les mondanités, ce n’était pas ton fort, tu me fais penser à cet autre écrivain autrichien Thomas B. et ses fameux Mes prix littéraires, neuf petits récits aux discours assassins face à la vanité de l’industrie littéraire. Samuel B. :  si la solitude n’est pas toujours ou forcément un écrin du bonheur, pour toi ce sera surtout l’écriture et son appel infini à la transgression, l’écriture comme l’affirmation d’une expérience extrême, ainsi que le disait Rilke au sujet de l’œuvre d’art, laquelle était pour lui toujours liée à un risque. Avec toi, Samuel B. ce sera l’écriture toujours à l’ombre du silence, à l’ombre du silence, l’écriture, toujours à l’ombre, l’écriture du silence, du silence l’écriture toujours à l’ombre, à l’ombre l’écriture toujours du silence. » 

(c) Juillet 2021