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04/06/2015

Pascal Boulanger, Confiteor (une lecture de Claude Minière)

 

 

 UNE LECTURE DE CLAUDE MINIÈRE

 

 

Pascal Boulanger

Confiteor
Éditions Tituli, 2015

 

 

Pascal Boulanger fait paraître Confiteor aux éditions tituli. Dans le VI° arrondissement de Paris, ces libraires se font éditeurs et organisent des lectures dans leur galerie (www.tituli.fr). L’écriture poétique, dit Pascal Boulanger, « va tenter de renverser la malédiction (la malédiction de toute existence) en exultation. » Pour Confiteor, il a regroupé ses notes et paragraphes selon quatre « pôles », en quatre chapitres : L’enfance des choses ; Imprimer un monde ; Liberté divine ; Poésie politique. « Mon écriture alors s’ouvre au hasard, aux circonstances, aux accidents ». Ce qui fait la logique même de Pascal Boulanger : il ne réclame pas l’adhésion. Mails il a des soutiens, des amis en écriture, en pensée, et dans la lutte. Avec Baudelaire, il revendique le droit de se contredire. Comme Claudel, pour une célébration du passage et de la haute alliance (célébration pascale) il fait feu de tous bois (« Le laurier, s’il y en a, ou la palme encore mieux s’il y en a, ou le rameau d’olivier, ou le buis tout simplement… » lançait l’auteur de Le jour des rameaux), il force une voie, passe outre, entend lui aussi, « l’accord dans le désaccord parfait ». Il n’épargne pas, ne s’épargne pas et n’épargne personne mais parle avec émotion et gratitude de ceux qu’il aime. « Vivre ses sensations, c’est trouver un hors-lieu, c’est bâtir des stèles de l’enchantement simple ».

Où se jouent les choses ? Qui est à l’abri des fantasmes qui consistent (je tiens que les fantasmes consistent) à imaginer qu’il est au bon endroit, qu’il occupe la bonne position ? Pascal Boulanger bouscule les positions, pousse sa ligne contre les vents des actualités et marées humaines, contre ou plutôt en dehors de l’utilité, des calculs, de la spéculation. Comme Saint Paul, il doit passer par un certain aveuglement pour confirmer son chemin. Il regagne le temps perdu. Sans pruderie, et sans prudence. C’est un nerf de la croyance qui a un sens politique. La croyance longe la foi. C’est pas fini. L’auteur de Confiteor rappelle son avant-propos de Fusées et paperoles (2008, Comp’Pact) : « Aujourd’hui, j’entends toujours les cris effacés du silence, je vois toujours le ciel surgir des draps cachés de la terre… »

Page 57 : « J’ai été confronté, en commençant d’écrire, au psychologisme lourd de mes contemporains, au sociologisme pesant,… » On peut comprendre qu’étant donnée la belle mansuétude qui caractérise l’espèce humaine et les propriétaires d’un supposé pouvoir culturel, le « psychologisme » est une arme (misérable) de découragement. Mais Pascal Boulanger a du courage, du « courage poétique » (selon le mot d’Hölderlin).

Ce n’est pas sans raison que le premier chapitre de Confiteor est pour l’enfance. L’enfance, retrouvée à volonté, et l’archive conduisent à confronter la question « poésie et politique ».

Claude Minière | © Les Carnets d'Eucharis, N°45 - Printemps 2015

 

 

 

À CONSULTER

Le site de l’éditeur | © http://www.tituli.fr/

 

 

 

 

 

 

 

 

10/12/2014

Christian Prigent par Claude Minière

 

Christian Prigent | © Photo : Olivier Roller

 

 

Christian Prigent

 « La langue et ses monstres ».

P.O.L. 2014

 

 

      Le livre de Christian Prigent qui vient de paraître chez P.O.L. est à la fois lecture et relecture. A plusieurs titres. C’est un livre de lectures puisque l’auteur y écrit ses lectures d’écrivains et poètes, de Gertrude Stein à Christophe Tarkos (sur 300 pages). Pour cet ouvrage, Prigent a relu les textes publiés dans une première version parue en 1989 aux éditions Cadex, sous le même titre : il en donne aujourd’hui une édition corrigée et complétée, fraîche comme un gardon, gardée comme lexicon : « En quoi ce déchiffrement peut-il nous aider à mieux évaluer ce dont on parle en fait quand on parle de littérature ? » (Avertissement, p. 9).

     Quand il lit, l’écrivain fougueux qu’est Christian Prigent (romans, essais, poèmes, chroniques) étudie patiemment et précisément chacune des écritures singulières qu’il découvre mais aussi, dans le même temps, il relit à travers elles la littérature et la touche au cœur. Intelligence et sensibilité associées, il touche la littérature au cœur, en son centre, en mesurant comment des « voix excentriques traversent les représentations couramment admises pour composer de nouveaux accords ». Vous appréciez là l’exception-Prigent. Vous verrez, vous sentirez comment un engagement personnel exceptionnel (il n’y a pas d’équivalent parmi les Critiques) le porte à rendre claire l’excentricité des voix qu’il écoute.

     Qu’il se penche « sur » Gertrude Stein, Pleynet, Jude Stéphan ou Eric Clémens, le lecteur-écrivain Prigent est , présent, personnellement, et en même temps, il laisse filer ou accompagne chacune des voix dans sa vibration propre, frottée aux « limites ». Fin connaisseur de Georges Bataille, Prigent décèle, lit et relit le drame de la chance et du frein que la littérature négocie avec l’écriture.  Et il expose, montre ces monstres de la langue comme étant d’hier, d’aujourd’hui, et de probablement demain. Il est seul ? Peut-être pas. Les lecteurs auxquels il s’adresse sont vivant d’angoisses et d’effronteries, de tendresse et de défi.

 

Claude Minière © Les Carnets d’Eucharis, 2014

 

 

 

 

CONSULTER Les Carnets d’Eucharis  N°43 (automne 2014)

| © http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/archive/2014/11/16/les-carnets-d-eucharis-n-43-automne-2014.html

& P.O.L. Editeur

| © http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-2147-7

 

 

 

 

12/12/2013

Claude Minière - Barnett Newman - Le Théâtre de verdure

 

 

 

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  Barnett Newman | MUSEE DES BEAUX-ARTS DU CANADA | (1905-1970)


BARNETT NEWMAN

Retour vers l’Eden

 (Tarabuste, 2012)


 

 

 

TARABUSTE EDITEUR

Collection Brèves Rencontres

SITE DE L'EDITEUR

 

 

 

 

 

                

 

BARNETT NEWMAN

Retour vers l’Eden

 

p. 16.

 

  

Il est le peintre de ONEMENT, de l’ « expiation » et de la réconciliation, mais bien plus encore celui qui a lutté contre l’idée de Chute, contre la pensée d’une déchéance de l’homme. Il y a vu l’acte d’un dieu jaloux. Le premier homme était un créateur, un artiste. Il cherche ce qui est premier. Il est l’artiste de DAY BEFORE ONE, un « peintre du samedi », du sabbat luxueux. Il s’est posé des questions sur la terreur et la tragédie. La terreur est-elle maintenant derrière nous ? Devant ? En face de nous ? Quand il peint il accomplit un acte de connaissance. Celui qui est connaissant ne se sent-il pas divin ?.. Il se tient dans l’atelier, son œuvre l’accompagne sur son chemin et elle est son chemin. La peinture et lui ça fait deux et ils ne font qu’un. Il se tient dedans et à côté.

 

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 


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Claude Minière | Le théâtre de verdure | 2013



 

 

 

MARIE DELARBRE EDITIONS

Les Carnets du Noctambule

SITE DE L'EDITEUR

 

 

 

 

                           

  LE THEATRE DE VERDURE 

p. 12/13.

 

 

 

(…) Quand j’écris, pour franchir les limites de la chambre je cherche le climat et le cadre du Théâtre de verdure, sa fraîcheur, l’ordre et le soleil, le déroulement, les apparitions et disparitions, le bruissement des feuilles, la vue accrue, les voix, le petit orchestre, l’angoisse, les heurts, les résolutions, les lois et la dramaturgie. Et si je pense, imperceptiblement ma pensée s’engage dans ce jeu de ruptures, de répétitions, de progression, d’éclaircies et obscurcissements… C’est dans ce « cadre » (immatériel) que m’apparaissent le fond et la surface des évènements, les paroxysmes et le retour au calme ambigu, incomplet. Si je ferme et ouvre les yeux, si je « ferme les yeux » sur l’actualité, si j’ouvre les yeux sur le réel, je vois, j’entends en arrière-fond, vide, en attente de surprises, de chances et de démons, le « théâtre de verdure ». C’est le lieu rêvé, la place exacte de génération de la pensée et de saisie des sensations.

 

 

 

***

 

 

 

NOTICE BIO&BIBLIOGRAPHIQUE

 

Claude Minière est né à Paris le 25 octobre 1938, dans le 18ème arrondissement. Il est marié à Margaret Tunstill. D’un premier mariage il a trois enfants. Durant la guerre, il a passé son enfance auprès d’une tante de sa mère, native de Dordogne. En 1955 il a été admis (pensionnat) à l’Ecole normale d’instituteurs de Chartres. Il est encore en poste dans la campagne beauceronne quand paraît son premier livre aux Editions du Seuil en 1968, L’APPLICATION DES LECTRICES AUX CHAMPS. Il entame des études d’histoire de l’art puis de sciences politiques, à Paris, où il fréquente artistes et écrivains.  Il collabore aux revues Tel Quel, Critique, Art press, Po&sie,… Aujourd’hui, L’Infini (Sollers, Pleynet) et Les Carnets d’eucharis (N. Riera) sont désormais les deux seules revues avec lesquelles il entretient des relations  suivies.  Après des hébergements éphémères chez différents éditeurs (Christian Bourgois, Flammarion,…) il a trouvé un « refuge » solide chez Tarabuste, et attentif chez Marie-Delarbre. Il est l’auteur (à succès) d’un PANORAMA DE L’ART EN FRANCE, paru en 1995, et de traductions d’EZRA POUND, en collaboration avec Margaret Tunstill, pour les éditions Tristram. Il a par ailleurs consacré un essai au poète américain (POUND CARACTERE CHINOIS, Gallimard, 2006). Il est actuellement domicilié à Lille, tout proche de la station des « Eurostar » vers l’Angleterre. Derniers ouvrages publiés : BARNETT NEWMAN (Tarabuste) ; LE THEATRE DE VERDURE (Marie-Delarbre). A paraître en 2014 : LE GRAND POEME EN PROSE (Tarabuste).

 

10/11/2012

Marcelin Pleynet par Claude Minière

Lecture Claude Minière

 

Marcelin Pleynet

Nouvelle liberté de penser
 
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Editions Marciana, 2011.

260 pages, 25 euros
ISBN : 978-2-9539900-0-3

 

 

 

 

 

 

Une satire sociale sur le mythe de l’immortalité

____________________________________________________________________________

 

 

 

Jean-Paul Sartre entamait le volume I de ses Situations par ce préambule : « A tous les philosophes il est permis de poser une question préalable : à propos de quelle situation privilégiée avez-vous fait l’expérience de votre liberté ? »  Voici, sur 350 pages (son Journal de l’année 2001) une réponse de Marcelin Pleynet, poète (et « philosophe »).Des interventions critiques dans l’actualité, explicites ou comme « pour soi », pour pointer où nous en sommes ou marquer la mesure d’une différence ;  des méditations ; des descriptions de paysages ; des lectures et relectures ; des pensées avec la musique : de l’écriture.  L’exploration des possibilités et impossibilités, les privilèges personnels et le disponible à tous…Eucharis, « l’air du large »*.

 

                                                                                  Claude Minière, novembre 2012

 

 

  • signalons aussi la parution d’un numéro de la revue faire-part (www.revue-faire-part.fr) entièrement consacré au poète : « Itinéraires de Marcelin Pleynet ».

 

 


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Extraits illustrés

 

Extraits illustrés de Nouvelle liberté de pensée, journal de l'année 2001

[Paris, lundi 23 avril]

À Blévy, en mettant de l'ordre dans mes archives, je trouve une carte postale que François Thiolat m'avait envoyée, en 1983 : « Environ d'Aix-en-Provence. Route du Tholonet. La stèle marque l'endroit d'où Cézanne a peint le paysage de la Sainte-Victoire, dont on aperçoit le massif à l'horizon. »

Pourquoi cette mauvaise photo me semble-t-elle si bien témoigner de ce qui inspire Cézanne ?

On apprend à regarder en regardant ce qui nous regarde.

 

 

10/04/2012

Danièle Robert/Guido Cavalcanti (une lecture de Claude Minière)

 

Une lecture de 

Claude Minière

  

 

 

Guido Cavalcanti / Danièle Robert

 

 

Rime

Editions vagabonde, 2012

 

 

 

 

 

 

      

 

   Que se passe-t-il à Florence dans la fin du 13ème siècle ?  « A temps nouveau, nouveau chant » avait déclaré le troubadour Guillaume IX d’Aquitaine.  Mais il y a aussi, dans la profusion des langues, un immense héritage ; dans la philosophie, un retour et une inquiétude. Guido Cavalcanti (1250-1300), avec d’autres poètes au premier rang desquels Dante (1265-1321), participe à une refondation.  Leur « volonté commune est de donner un sens nouveau à la poésie amoureuse traditionnelle » (D. Robert, préface).  Guido a son chemin personnel, une pratique complexe de l’expérience lyrique : « Ce que Cavalcanti met surtout en lumière avec une exceptionnelle acuité…c’est le drame de la connaissance » (idem).

 

      Les saisons consécutives à ce printemps florentin seront étendues. William Shakespeare dans ses Sonnets posera « Will I am » (« Virilité je suis »), ce qui est, il faut en convenir, d’une autre impétuosité que « Je pense donc je suis » mais n’en manifeste pas moins une volonté de fondement et une décision en raison.  Plus tard, dans le péril, Hölderlin en quelque sorte « ramassera » les options diffuses et tranchera : « Ce qui demeure, ce sont les poètes qui le fondent ».  Ezra Pound, au début du 20ème siècle, traduira Cavalcanti et souvent se remémorera, comme en jouant, « Donna me prega ».

 

 

 

      Donna me prega (« Dame me prie… ») est l’incipit de la canzone XXVII de Guido Cavalcanti.  C’est dans cette « pièce » que l’on peut relever ces notes aiguës et graves :

 

        vers 5   : « Or à présent je recherche un savant »

 

        vers 53 : « (ne peut l’imaginer qui ne l’éprouve) »

 

        et enfin cet envoi :

 

                       « Tu peux partir, chanson, tout à fait sûre,

 

                           là où tu veux : car je t’ai si ornée

 

                           que ta raison va être fort louée

 

                           par toutes gens qui ont l’entendement ;

 

                           et quant aux autres tu n’en as vraiment cure »

 

 

 

      Danièle Robert a fait le choix d’entrer dans un système métrique et elle s’en explique dans sa préface (pp. 9-35) du volume. Elle a également fait le choix de conserver ou « retrouver » une certaine tonalité de vocabulaire. Alors attardons-nous un instant sur ta raison (« tua ragione »). Quelle raison ? Une raison ornée. Cavalcanti est virtuose dans la tournure d’une « canzone », dans l’usage et la subversion des codes poétiques--- mais pas seulement. Il avance une raison qui sera fort louée, mais de ceux, seuls, qui ont « l’entendement ». Dans une note au premier  poème des Rime, une « ballata », Danièle Robert explique que « le caractère ineffable de la beauté de l’aimée » porte l’interrogation sur « sa véritable nature : humaine ou divine ? »

 

     

 

      On pourrait renverser les termes : ne serait-ce pas l’interrogation (humaine ou divine ?) qui installerait le thème de la beauté de l’aimée, beauté dès lors logiquement « ineffable » --- ou inépuisable ?  Danièle Robert parle bien de « l’expression lyrique d’un drame » (je souligne). Dans le drame, Cavalcanti et Dante prendront des chemins différents, l’un et l’autre répondront différemment à la question de savoir jusqu’où peut-on aller, jusqu’où peut on aller avant de buter sur l’indicible. Dante repense la doctrine de la fin’amor en fonction de la théologie et de la Grâce ; Cavalcanti vivra l’expérience « comme ne permettant d’atteindre ni vertu ni rédemption ».

 

      Comme toujours (elle a pour Actes Sud traduit Ovide et Catulle, pour vagabonde Michele Tortorici) Danièle Robert écrit ici de manière sensible et documentée. Sa lecture des Rime nous engage à voir comment se renouvelle la figure de la « Donna », et ce qu’elle demande.

 

…Pensée de l’Amour, amour de la pensée.

 

 

 

© Claude Minière

Les Carnets d’Eucharis N°33 (printemps 2012)

 

10/03/2012

Claude Minière - Poèmes inédits

 

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Claude Minière

 

 

 

CLAUDE MINIERE

PoÉsie

 

 

 

Des Dieux et des Hommes

Inédit

2012

 

 

Extrait

 


Vues sur L’Acropole

 

 

                                                                                                      

dans la juxtaposition

  

plus haut la haute cité

                       Akros-polis

plus bas la façade du Parlement

                        dans l’absence muette de liaison

                         dans la révolte

ils se heurtent à un mur

                          à la surface

                          la parole coupée de l’histoire

                                                   Usura

                                           le « dossier grec »

dans la négociation de l’oubli

                                                                        le temple en ruines

                                                                        dans l’éclat de sa blancheur

                                                                        Athéna la tourneuse de chars

 

 

 

 

dans leur séparation leur partition

je ne les vois pas séparés

ils sont côte-à-côte

parés de splendeurs et défauts

tels dieux hommes et femmes

    (les mortels et les immortels)

                                                    Terre et ciel

de la même substance tenue dans une ligne

                                                    côte-à-côte ou trait à trait

 

 

à partir de ce que j’ai sous les yeux commence l’ascension

                                                     commence la plongée

à partir de ce que j’ai avec les dieux

ils demeurent

                        ils chantent à l’orée à l’oreille

                                                       les voix rayées et claires

 

 

et puis il y a longtemps à l’instant

la bataille s’engagea sur la plaine violette

                                                         dans les rues

c’est à l’ordre du jour

à l’ordre et au désordre du jour

                                                          vous y êtes

                                                          vous y étiez déjà

et je porte des guerres anciennes dans mon sang

ici et assis sur les dalles polies

    ici les roses centifolia aux soixante pétales

    au-dessus des jardins s’élève une montagne

                            comme elles s’ouvrent dans leur naïveté

                             diverses sont les lignes de la vie

 

si je me souviens bien

les choses sont venues d’un trait

                              un étrange séisme

 

plus proche le jaune-vert des oliviers aux feuilles talentueuses

les jupes du lierre

                               je m’en souviendrai comme si c’était hier

 

 

 

 

les fleurs se ferment sur le soir

les faits renferment une leçon

                                 quelle histoire ?

 

 

Thucydide voulait « la cause  la plus vraie et la moins avouée »

                                  quelle langue quelle liberté ?

certains peuples trouvaient plus de charme à la tyrannie

 

ils ont été endormis par un charme

                                    (disons un charme)

ils reprennent ce qui leur appartient

                                     et l’air d’un bleu poudreux

                                     l’agitation des pointes

                                     les flèches argentées

 

 

dans les poudres anciennes de la ville

une statue sur la Grand-Place à Lille

une colonne

                     ils l’appellent « la déesse »

mais les dieux sont plus proches en retrait

                      à hauteur d’homme

à Marseille une tête d’Homère

                       passage derrière les paupières

 

 

 

© Les carnets d’eucharis

 

 

 

NOTICE

 

Né en 1938 à Paris, Claude Minière vit aujourd’hui entre Lille et Londres. En une vingtaine de recueils et essais il a développé une œuvre qui traverse la crise de la poésie (de la pensée), de la pensée du divin en notre temps. Il parle donc « des dieux et des hommes ». A paraître : Barnett Newman, retour vers l’’éden (essai). 

 

13/10/2011

Jean-Philippe Rossignol (une petite note de Claude Minière)

Jean-Philippe Rossignol Vie électrique

Editions Gallimard, coll. L’Infini, 2011

 

vie électrique.jpgUne « odyssée » en trente jours, chacun d’eux apportant une menace, une chance, une décision, une rencontre et une séparation. Ce n’est pas une barque qui danse dans les ondes mais une vie… Quelques auteurs (au fond un petit nombre) sont capables de vous persuader que la forme-roman recèle des ressources inattendues.  Inattendues non dans le choix du « sujet » mais dans le mode d’entrelacement vie/ lectures/ pensée, là sur la page, par l’énergie des coupures et liaisons.

 

Claude Minière, octobre 2011

Les carnets d'eucharis

17/06/2011

Revue Triages N°23, juin 2011 (avis de parution)

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Copyright © Revue Triages, N°23, 2011

 

« Vie ne veut pas dire
que vivre est absence.
Mais si vie exige
des brassées de fleurs,
et que fleurs disparaissent,
tu peux partir. »

Jacques Izoard « Le bleu et la poussière » (1999)

 

 

La revue littéraire et artistique Triages, des Editions Tarabuste, ouvre sa 23ème édition avec un dossier d’hommage à Jacques Izoard, une figure marquante de la poésie contemporaine (1936-2008). Dans « Merci aux poèmes de Jacques Izoard », James Sacré écrit : « Aucune œuvre ne vient de nulle part sans doute – et celle de Jacques Izoard, je suppose, pas moins que les autres. On peut penser en la lisant à des fatrasies du XIIIe siècle, à des façons de faire briller les associations de mots de Tristan L’Hermite, ou à des éclats de poèmes de Rimbaud. N’y a-t-il pas chez Izoard quelque chose de fortement rimbaldien (…). Peut-être aussi quelque chose du surréalisme, mais sans que l’image et la métaphore empoissent le poème.

Françoise Favretto, éditrice de L'atelier de l'agneau : « (…) on sait qu’il ne choisira pas la littérature « engagée » mais tendra plutôt vers l’Esthétisme. Il voit cependant les limites de l’écriture et souhaiterait davantage d’elle ». Izoard publiera sous cette enseigne : Plaisirs solitaires (avec Eugène Savitzkaya), Axe de l'œil, Petits crapauds du temps qui passe (avec Michel Valprémy), Bègue, bogue, borgne.

 

Les deux premiers tomes de ses « Œuvres poétiques » complètes sont disponibles aux Editions de La Différence ; un troisième volume paraîtra en 2011, consacré aux années 2000-2008.

 

« Langue happe libellules

Langue d’insecte,

Ou de saint sec !

Le mot « langue » bouge

Sans cesse en un étui

De fraîche salive…

(p. 29)

 

***

Cette 23ème édition est aussi une rencontre incontournable avec le poète Claude Minière dans un entretien avec Pascal Boulanger intitulé « Courage cœur, poussière dorée à propos de Claude Minière ». Rappelons-nous de Pascal Boulanger Une action poétique de 1950 à aujourd’hui (éd. Flammarion, 1998), Suspendu au récit... la question du nihilisme (éd. Comp’Act, 2006), et puis Fusées et paperoles (L'Act Mem, 2008), sans oublier l’ensemble de ses articles consacrés à la littérature contemporaine et publiés dans des revues comme Art Press, Europe, Action Poétique… tout le travail d’analyse de Pascal Boulanger s’établit sur le terrain non pas des clivages scolaires sur la poésie, mais sur celui de la demeure du poète dans sa relation à l’Histoire. D’un livre à un autre, ce qui s’affirme sans relâche est la question du nihilisme et des diverses intimidations de notre époque. Au cœur de ce passionnant entretien, les réponses de Claude Minière témoignent d’une profonde et réelle attention pour la poésie, et plus que jamais pour le « courage poétique ». L’enjeu d’un recueil de poésie, nous dit Claude Minière « est d’abord du rapport du poète à lui-même. Les hommes sont parés de mérites et pourtant c’est en poète qu’il faudrait habiter cette Terre. /La conviction de tout véritable poète est qu’à travers l’Histoire – à travers l’histoire de l’humanité, à travers l’histoire sociale et l’histoire de la métaphysique – un très long débat se poursuit, « visiblement » ou secrètement. Débat du poète avec lui-même (« La poésie doit avoir pour but la vérité pratique »), avec les logiques de discours qui formatent les corps et les esprits, et avec la culture. Ainsi même, le poème peut parfois avoir pour « embrayeur » la haine de la poésie quand celle-ci n’est pas à la hauteur de ses ressources mais les galvaude. Ne pas contourner la haine qui anime le poème est un premier trait du « courage poétique ». Trait de dégagement (contre le « chantage », d’exercice de la nécessité et de la liberté intime, et, comme en passant, salut adressé aux compagnons de route, de joie, de combat et de questionnement. ».

Grand lecteur d’Ezra Pound et auteur de Pound caractère chinois, paru dans la collection L’Infini chez Gallimard en 2006, un prochain essai de Claude Minière va paraître aux éditions Tristam : La méthode moderne (consacré au poète Pound).

Pour ma part, je suis heureuse de retrouver, parmi les recensions de Pierre Drogi et Brigitte Donat autour de l’œuvre de Claude Minière, ma lecture, en 2009, de Pall-Mall, Journal 2000-2003 (éd. Comp’act, 2005), sous le titre Claude Minière... et le monde dans son ordre par la justesse d'un trait. Que Pascal Boulanger, Djamel Meskache et Tatiana Lévy en soient remerciés.

 

Nathalie Riera, juin 2011

Sur Claude Minière, consulter  Les Carnets d'eucharis

 

 

 

 

Pour commander la revue


 

Editions TARABUSTE

Rue du Fort

36170 SAINT-BENOIT-DU-SAULT

Tél.    02 5447 66 60

Fax    02 5447 67 65 

06/09/2009

Claude Minière... et le monde dans son ordre par la justesse d'un trait

NOTE DE LECTURE

Par Nathalie Riera

 

 

15 avril – Écrites à Paris, à Londres ou à Oziers, ces pages du Journal accompagnent Hymne. À travers elles, je me fais le compagnon de mon poème, de son achèvement. De son départ et de son achèvement.

Claude Minière, Pall Mall, journal 2000-2003 – (p.77)

 

 

couv_fiche_miniere_pall_mal.jpgPall Mall

Journal 2000 - 2003

Claude Minière

Editions Comp’Act, 2005

 

 

Le journal ne se veut pas lieu de confessions, et le poème ne cherche pas à rendre plus compréhensible le réel. Journal et Poème esquissent un vaste projet : demeurer lié au monde afin que le monde ne vous hait pas.

L’interrogation ne cherche pas de réponse, elle est action de remonter, de soulever, elle n’est qu’exigence de penser, à l’opposé des manières du monde et de ses vanités à ne vanter que le faux et son escorte de vulgarités.

Se défaire de l’ornement, taire le discours. Ne pas s’attarder, mais devancer. Toujours, devant, la voix menue du cœur qui aime à donner étreinte, qui aime à toujours aimer, ne pas rester dans le malheur, comme l’écrivait Hölderlin, mais chanter.

 

Ma poésie au fond répond à ce désir – « l’enfance retrouvée à volonté » - sans pathos, de corps immédiats, de traits et retraits, de bord de l’eau, de gestes sans jugement au rythme des feuillages. Exulter au cœur du monde.

 

Naître de l’esprit est nourricière du chant. La poésie de Claude Minière est certes vouée aux éléments familiers du quotidien, mais aussi et surtout à la liberté des espaces, aux paysages présents et dérobés, à ce qui fait rêve sans futiles rêveries.

Le journal est moyen de faire partir le poème, de passer par le poème, de passer par ce que l’on connaît et qui nous est nouveau. Et le poème est moyen de se tenir dans l’instant, toujours rester en la vérité, poursuivre l’enquête.

 

5 avril – Anna Dina Nurabelle. Plus fluides, les pensées doivent se faire plus fluides pour la sécheresse de l’arc-en-ciel, et comme « atomiques », pollens de lumière flottante.

 

 

Sécheresse d’une époque à laquelle quelques contemporains nous rappellent (à la manière d’Hölderlin) que peu de savoir nous est donné, mais de joie beaucoup.

Entre autre joie, celle du regard qui s’attache encore au sol, dans le vert profond d’une herbe, où les écrits ne flétrissent pas.

 

A la 112ème page de Pall Mall, le 16 novembre 2003 : Comment peut-on avoir encore envie, aujourd’hui, de publier ? Tout tombe dans la quantité à plat. Quant aux « critiques », il semble que Hymne les ait littéralement laissés sans voix.  Aucun de mes livres n’a recueilli aussi peu de commentaires. Je pourrai dire que c’est bien ainsi : comment taire, comme enterre. Mais ce silence « gêné » rend d’autant plus précieux et vifs les rares gestes : celui de Marcelin Pleynet (et son invitation dans l’émission radiophonique « Surpris par la poésie », sur les ondes de France-Culture) ; celui de Pascal Boulanger (et l’article qu’il a écrit, qui paraîtra dans art press).

 

© Nathalie Riera, septembre 2009

26/08/2009

Claude Minière

 

 

Claude MINIERE

Poésie

(1997)

 E X T R A I T S

L u c r è c e


 

Photo Internet

 

 Les Carnets d’eucharis N°12 - septembre 2009

 

 

comme une robe qui s’ouvre

sur le corps blanc

sur le corps noir

 

le corps rond

odorant

incomparable

et qui passe rivière sans segments

à l’infini dans son dénattement

 

petit poisson

            nénuphars

nés d’un regard

            et d’un nom

tout contre le malheur

 

II, ce qui est  (p.13)

 


 

volume et profondeur de la peinture

cette invention

            architecture de vent

                                   invocation

 

immobile comme le rêve

            où nous entrons sans mal

passant les plans de lumière, légers

            que nous portons sur le dos

                                   (itinéraire)

qui nous portent

            comme l’air

avançant vers le rêve d’une cité heureuse

couleurs dans la douceur

            violence qui brûle en pigments

comme une douleur assouplie

            plis déployés allégés des figures et des corps

ne seraient plus déments

            (les gens ne seraient plus démentis)

 

XI, comment être heureux (p.91)

 


 

                        c’est ce que j’ai sous les yeux

c’est ce que j’ai derrière et devant les yeux :

cheveux d’un noir de geai tressés au rose des collines

                        si je distingue encore les choses

dans leurs rayures et dans leur prose

dans leur pose

            parallèlement

                        une cuisse sur l’autre

entre les lignes

 

elles se croisent et se chevauchent plus bas

                        plus bas dans la voix

paroles qui fuient

                        dans la rivière

                                   et perlent

                                               (en marge :

barrages construits par des enfants, moulins)

comme divertissements

                        danse de papillons

                                   clignements d’histoire

 

XVI, recoupements (p.128)

 

 

 

Extraits issus de Lucrèce, éditions Flammarion, 1997

 

 

À PARAÎTRE

JE HIÉROGLYPHE (automne 2010)

 

...………..je reprends la main

à la bonne vitesse

dans la courbe penché

sur la ligne du cercle

blanc sur noir

l'inconnu comme conscience

                      comme rail matériel et abstrait

 

comme écoutant le sol trembler

                       je reprends la main

 

à la limite de l'adhérence

                        le pneu soudain quittant la chair du bitume

                                                           perdant le contact, le fil

 

Je reprends la main

      je me reprends par la main sur le tapis vert

                                                            de la vérité chorale des pâquerettes

                                                                    du sang des coquelicots

 

© Claude Minière

17/07/2009

Zoom sur Claude Minière

 

 

Claude Minière

CM.jpg

 

 

POUND CARACTÈRE CHINOIS [2006] Collection L'Infini, Gallimard


 

 

POUND CARACTERE CHINOIS.gif« Beaucoup de reproches ont été adressés à Ezra Pound. Et pourtant : l'"invention" de la poésie chinoise dans les années 1920, c'est lui ; la plus vive critique du provincialisme occidental, c'est lui  ; la plus émouvante méditation alors sur le destin de l'Europe et de l'Amérique, c'est lui  ; la plus authentique alternance du calme et du tumulte, c'est lui.

Ce caractère, j'ai essayé de le comprendre de l'intérieur, c'est-à-dire dans le drame des Cantos. Où études, hypothèses, échecs, traductions, traits de génie sont plongés dans le théâtre des opérations. »

Claude Minière. 

 Pound regarde au loin

 

PALL MALL Journal 2000-2003 Editions Comp’Act


 

 couv_miniere_pall_mal.jpg

 

Pall Mall
Journal 2000-2003

Claude Minière

Comment vivre, chaque jour, avec les vulgarités et les prisons de la Communication? Comment se rappeler la liberté des espaces, la probité de l’étude, la marque d’un choix? Comment proprement déceler le contemporain, l’il y a et l’Être? Et pourquoi le Journal quand on a le poème?

Polyphonie et dérèglement, le poème gagne spontanément l’éternité. L’écriture réfléchie du journal, elle, n’est qu’à deux doigts de sa consummation: va et vient, bien et mal, pensée et ignorance... Exercice moral de la retenue et de l’oubli.

A Londres, en Grèce, dans la campagne limousine, à Paris, à Berlin, le "Journal" de Claude Minière accompagne la préparation et la publication du recueil Hymne (paru chez Tarabuste). Mais pour ce poète, comme pour quelques autres écrivains, le Journal n’est pas un recueil de «confessions» ou de «notes intimes», il est un moyen vital de résistance à la confusion de notre époque: moyen de tourner la pensée vers ce qui mérite d’être pensé, et questionné.

 

 lecture de Jean-Paul Gavard-Perret

 

Sur le site des Editions L'Act Mem

 

Le Matricule des Anges

 

LE DESSIN POUR LIBERTE : DANIEL DEZEUZE dessindezeuze.jpgCatalogue d’une exposition récente des dessins de Daniel Dezeuze à la galerie Athanor de Marseille. Un texte de Claude Minière accompagne les 52 reproductions. Cet ouvrage a bénéficié de l'aide à l'édition imprimée du Centre national des arts plastiques. Co-édition Jean-Pierre Huguet Editeur L'ouvrage rend compte d'une pratique qui se déploie en zig-zag et de manière ordonnée, il en offre l'album. De l'artiste on connaît surtout les expositions et les interventions dans l'espace construit, les dessins sont plus intimes. De temps à autre s'ouvre une série sur un thème impromptu, ce que Claude Minière appelle liberté. Mais il s'agit en même temps d'un "coup de dés" : Daniel Dezeuze Dessin. Daniel Dezeuze est né en 1942 à Alès. Son père, artiste peintre, lui enseigne les bases du métier. Membre fondateur du groupe Supports-Surfaces de 1970 à 1972, il participe à de nombreuses expositions collectives dont celle au Musée d'art moderne de la Ville de Paris en 1970. Depuis 1977 il enseigne à l'Ecole des Beaux-arts de Montpellier. Nombreuses expositions dans les galeries Yvon Lambert à Paris, Albert Baronian à Bruxelles, Daniel Templon à Paris. Une importante rétrospective de son œuvre a eu lieu en 1998 à Carré d'Art - Musée d'art contemporain à Nîmes.  

 

PERFECTION [2005] Editions Rouge Profond, collection Stanze


PERFECTION.jpgPerfection, à la fois essai et méditation poétique sur l'idée de perfection, peut se lire comme le deuxième volet d'un diptyque dont le premier, plus assertif dans sa forme, serait le Traité du scandale. Aigu, jouant d'incises ou de détours, discrètement érudit, léger toujours, dans cet intangible principe de civilité intellectuelle qui caractérise Claude Minière, Perfection convoque, dans les domaines de la littérature et des arts plastiques, pour les besoins de sa réflexion quelques figures clés du paysage de réflexion miniérien: Tchouang-tseu, Catulle, ou encore Barnett Newman ou Martial Raysse ; plus avant, Hölderlin et Nietzsche, avec qui Minière entretient un dialogue quasi ininterrompu depuis ses tout débuts d'écriture. Perfection inaugure symboliquement la collection "Stanze" qui voudrait traiter les questions d'esthétique (contemporaines, et plus anciennes) selon une essentielle logique d'écriture, reconnaissant là une condition première à la vitalité de la pensée.

 

 

LA TRAME D’OR


 

pardes2-a.jpgJour après jour, il s’écrit beaucoup de choses - qui partent en buée, qui tombent, noires, courantes. Est-il vain de vouloir en dire la trame, “la trame d’or”, résistante, résistante au nihilisme, à la fatigue - est-il fou d’en chercher encore le motif ? Seule l’inter-prétation lente, volontaire (poésie) dégage un avenir.”

C.M., 1999

 

Toute la littérature revient à une dimension majeure : voir (et faire voir) ce que le noir “trame”, voir ce que les images trament. Dès lors, Claude Minière devient forcément un des écrivains emblématiques d’une quête capitale où l’esthétique rejoint l’existentiel.

À partir de Bataille — toujours sous-jacent — chez Minière se travaille le passage, en cette traversée : “Ni sauvés, ni damnés / — tout à faire ! / partir d’a sinistra / (champ / hors champ) / et dire sans trêve la trame d’or du motif” La trame, mais pas le motif lui-même. Sortir donc de l’événementiel (qui réduit la littérature à un effet de réel) pour pousser vers une autre dépense (pour en revenir à Bataille) au cœur de la langue.

Trouver ainsi les interstices, oublier “à quoi s’accrochent les notations” pour repérer à la mesure d’Ezra Pound le banni des éléments de base, ce qui tisse, trame le réel. Ne plus s’en tenir aux images et aux idées toutes faites et trouver lorsque le texte redevient musique ces accords mineurs qui “forent et forcent le noir”.

Reste alors dans ce livre rare la partie presque jamais renouvelée ni lavée du “paysage”. Nulle approche, nulle rencontre, juste ces bribes que la conscience efface ma conscience. Ne parlons même pas de repère mais de l’inquiétude. Il n’y a plus de règle mais ces fragments, ce “délit secret / — sauvage” “dans l’espace vide, le blanc de la page”. Les textes comme des taches (d’encre), “secouées par la marée”, à la recherche de l’impossible ; les noms enfouis, perdus. Ne plus croire à ce point à l’excellence du feu mais aux songes maternels de la langue.

Ne pas croire pour autant à un aveu là où le texte ne s’abrite ni dans l’extase ni dans l’abstinence. Il tient juste la nécessaire distance avant que les mots ne s’égarent pour dissiper les apparences de la réalité. Ils ne jouent donc plus à la place de celle-ci, ils sont cette absence, ce qui n’a jamais été. Voilà ce que Minière sauve : ces riens qui forment un tout : “je / le sais dans la sensation / je le vois dans la pensée / pas seulement le concept : / griffonnés”, mais les “dessins noirs / qui se défroissent / dans le noir”.

Noir d’encre, cela s’entend. À travers les fragments cette langue en charpie et qui gagne en netteté, ici la littérature ne demande point de salut : pureté est la négation. Cela la dévoration. Sans crédit ni pardon, le texte tourne au pays du grave toutes les choses de son éphémère légèreté. La chimère engloutit la règle et fait déjà l’automne dans sa dureté : vide au monde, volis agonal, nefas.

J.P. Gavard-Perret


 

miniere_claude.jpgClaude Minière a publié :

• L’Application des lectrices aux champs, poésie, Éd. du Seuil, 1968.

• Vita Nova, poésie, d’atelier, 1978.

• Glamour, récit, Christian Bourgois éd., 1979.

• La Mort des héros, récit (gravures de M. Pérez), Éd. Carte Blanche, 1983.

• Difficulté passagère, poésie, TXT, 1987.

• L’Hommage à Lord Chandos, poésie, La main courante, 1990.

• Course libre, poésie (dessins de C. Viallat), Éd. Cadex, 1990.

• Traité du scandale, essai, Éd. de la Différence, 1992.

• La Chambre bouleversée, poésie, Éd. Cadex, 1992.

• Chroniques, poésie, Génération, 1992.

• Traité de tactique et de poétique, poésie (dessins de D. Dezeuze), Sixtus éd., 1994.

• L’Art en France (1960-1995), essai, Nouvelles Éditions Françaises, 1995.

• Lucrèce, poésie, Éd. Flammarion, 1997.

• Étude de nuages, La main courante, 1998.

• Claude Viallat, Éd. Fall, 1999.

• Le Temps est un dieu dissipé, Éd. Tarabuste, 2000.

• Hymne, Éd. Tarabuste, 2002.

 

Une lecture de Pierre Drogi sur Poezibao

 

• Perfection, Editions Rouge profond, 2005 ; poésie

• Pound caractère chinois, Editions Gallimard, 2006 ; essai

 

Un article dans la Revue des Ressources

 

 

 

ruboff11.gifJouve et le mangeur de brumes

par Claude Minière

« Le diable, sans doute, veut que, dans le moment juste où l’homme approche de son but, il in vente aussi des pouvoirs sur l’énergie qui vont le jeter en dehors. Les intrusions du mécanique et du technique arrivent à se produire dans l’Art ; en supprimant le sens de notre profond jeu, elles doivent anéantir la forme - l’idée même de forme. » [1]

« De la tentation d’aimer Jouve » écrivait un jour dans les pages de TEL QUEL Denis Roche. Que perdrions-nous à l’aimer ? Peut-être quelque chose de la modernité [2]. Peut-être quelque chose de la modernité car Jouve croit au diable (« Le diable, probablement », Bresson) et le jeu chez lui est toujours ressenti comme « profond », jamais comme pratiques critiques de « surfaces » d’intertextualité [3]. Il manifeste toujours, surtout dans ses romans, ce goût (surréaliste) pour le hasard tragique plutôt que pour une « découverte de la logique » [4] qui s’interrogerait et s’étonnerait visiblement (« naïvement ») sur les enchaînements de l’énonciation. Nous avons une conception différente du « chant », de la musique dans la poésie, et n’avons plus la même idée de la forme, chez lui comme contours d’une sublimation. Lire la suite

 

LA CHAMBRE BOULEVERSEE.jpgLa chambre bouleversée

extrait Editions Cadex, 1991

Elle est dans le plus simple appareil,
elle marche, oui, je la vois, et je la pense
ainsi, en agent double dans les sels d’argent :

je la saisis sur les marches, dans le lit
du fleuve, comme un bateau, elle appareille,
quand je la barre elle n’a pas sa pareille
pour se renverser comme une arche, elle va
balayant l’air de sa jupe large[comme
une barge]défait emportant une cargaison
d’effets.

Fiche auteur Editions Cadex

 

CLAUDE VIALLAT CLAUDE MNIERE.jpg"J'essaie de voir les possibilités d'aventure qui me viennent dans l'instant."

Claude Viallat, cité par l'auteur dans l'Atelier de l'art.

 "La peinture de Viallat bénéficie aujourd'hui partout dans le monde d'une vive reconnaissance. Pourtant, trop souvent la critique française continue de plaquer sur cette oeuvre ce qu'il faut bien appeler une forme de malentendu. Un malentendu persistant, voilà ce que ce petit livre s'attache à élucider."

Claude MINIERE

Librairie Couleur du temps

 

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Comme des particules lumineuses

Le texte commence - tout comme Finnegans wake de James Joyce - par le mot 'riverrun': 'riverrun; duo, danse; contre le labyrinthe; elle; deux mots pour la nature; l'hommage à Montaigne'. La danse est la vraie rivale du poète, affirme Minière, car dans la poésie il y a toujours un point fixe 'où nous partons dans la déclinaison des particules', où des copules mettent le monde en mouvement, où la conversation est conservée et où la danse fait son entrée avec la métrique, 'enlevant' ainsi le poème. C'est une danse comparable à celle des atomes et électrons qui dansent les uns autour des autres, dans la haine et l'amour, dans tout ce que nous voyons: 'dans le soleil, dans la nuit, dans la froideur d’une première pensée'. Nous aussi, selon Minière, nous sommes comme des photons: des particules lumineuses. A la fin du poème, Minière salue les philosophes Empédocle et Montaigne : 'Et, là, il arrive à sortir une ligne du fouillis'. Dans sa poésie, Minière a volontairement orchestré le langage comme un fouillis et il saute d’un son à l'autre, d'un rythme à l'autre, d'une association à l'autre. Minière souhaite que le poème et la pensée sur ce poème (la pensée du lecteur tout comme celle de l'auteur) se confondent et forment un seul texte.

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Lire la suite sur le site KB National library of the Netherlands

22/04/2009

Psaumes - Paul Claudel (une lecture de Claude Minière)

 

 

 

Paul Claudel, Psaumes, - Traductions 1918-1953

Gallimard, 2008

 

NOTE DE LECTURE………

 

« La manière que j’ai eue de mettre un pied devant l’autre, tout de même il est temps d’y songer, et toute cette écriture que j’ai écrite avec ma langue. » (Ps. 38)  La réécriture des Psaumes telle que la pratique Claudel donne une excellente occasion de « voir » sa poésie.  Répétitions, variations, corrections, épuisement, nouvel élan.  Un pas en arrière pour mieux sauter.  Langue cultivée ou des « simples », réclamations d’enfant têtu, emphase, demande nue, pression, humilité…Claudel mobilise toutes les capacités de sa lyre.  « Regardez mes doigts sans aucun bruit dans le rayon de soleil qui essaient la harpe entre mes genoux : il y a dix cordes » (Ps. 32).  L’instrument est toujours le même mais les changements de clef sont abrupts, selon le jour et l’heure, entre 1918 et 53.  On croit entendre un écho d’Hölderlin : « L’homme, avec tout cet honneur qui lui sied, n’a pas compris » (Ps. 48), et puis c’est Homère : « Dieu va au secours du matin avec l’aurore »(Ps. 45).  Le combattant échappe à ses poursuivants : il est debout sur le verset, converti, envers et contre tout dans les revers.  « Egorge-Moi la glorification ! »(Ps. 49), voilà comme Claudel se permet de faire parler Dieu.  Ou bien : « la beauté de la campagne est avec Moi. ».

                                                                                                    Claude Minière

 

 

 

 psaumes de claiudel.jpg« Les psaumes, ça n'est pas fait pour dormir dans des vieux livres poussiéreux, ni pour être ânonné ou roucoulé sur des airs qui manquent d'air, de beauté, de culot. C'est fait pour vivre aujourd'hui, louer, crier, pleurer, prier, danser ce qui fait le fond et l'arrière-fond de notre présent avec toute la panoplie des douleurs, espoirs, tristesses, joies.

Plutôt que de les retraduire, Paul Claudel a voulu les répondre comme l'écho, en les recréant en toute liberté dans cette langue charnelle, baroque, bruissante qui fait son génie.

Le résultat est explosif. »

Guy Goffette (Préface)

 

à consulter