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27/03/2008

Le jour où...

 

 

Antoni TàpiÈs

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EXTRAIT

La pratique de l’art
Editions Gallimard, collection Folio essais, 1974, pour la traduction française

(traduit du catalan par Edmond Raillard)

 

Texte écrit en 1969, préfacé par Georges Raillard.

 

 

 

 

 

Le jour où existera une politique culturelle efficace et véritablement digne de  ce nom, c’est-à-dire une politique qui mette au service de nos besoins actuels, du progrès et de l’enrichissement de notre esprit toutes les manifestations de la culture, anciennes et récentes, alors les artistes nouveaux cesseront d’être mal compris. Cesseront aussi les jugements erronés que l’on suggère au peuple : les artistes sont des « cas », des personnages extravagants, des clowns. On comprendra alors l’importance de leur rôle dans la société.

 

Pour se mettre, comme on dit, au diapason de l’Europe, on se livre dans la Péninsule à un véritable simulacre de culture. Noms prestigieux, dates importantes, titres d’œuvres célèbres… tout cela nous est livré en vrac et, présenté sans recul, sans référence aux nécessités actuelles, proprement incompréhensible. Il suffit de regarder quelles sont les lectures que recommande la télévision, et le type de concours qu’elle organise. Tout y est affaire de mémoire, de niaise érudition, sans relation avec la vie. En revanche, (…) aucune explication sérieuse sur le véritable sens de l’art nouveau. On en est au point que l’on peut voir à la télévision des concurrents capables de trouver que Rimbaud a écrit le sonnet des Voyelles ou Eluard son fameux chant à la Liberté , mais que personne ne peut lire effectivement (…) Et ne parlons pas des œuvres classiques diffusées dans de vieilles traductions, déformées, blanchies, transformées en divertissement rhétorique ; ni du temps d’antenne démesuré qui partout dans le monde est consacré à la « culture » des feuilletons et à toutes les drogues d’abrutissement.

 

Nous vivons, sur le plan culturel, les mêmes difficultés qu’au siècle dernier, quand certains chefaillons de village tentaient d’empêcher les gens d’apprendre à lire et à écrire, de peur qu’ils deviennent moins faciles à tenir en main. Nous sommes horrifiés d’entendre les classes dominantes encore affirmer, avec une démagogie qui ne nous surprend plus, qu’il faut plutôt offrir au peuple des choses qui lui plaisent que trop d’intellectualité.

 

On parle beaucoup d’un prétendu triomphe à l’étranger de l’art de l’Espagne actuelle. Ceux qui ont vécu de près les problèmes de l’art espagnol savent que c’est là un bluff dont nous devrions avoir honte.

 

(…)

 

Avec le temps, on s’apercevra de la décadence à laquelle nous a menés le retard accumulé au cours des dernières décennies, en ce qui concerne la formation de la sensibilité de notre société à toute culture. A moins de croire qu’il n’y a pas de meilleure formation que la platitude des prix nationaux de Peinture, livides comme des cadavres, qui s’amoncellent depuis trente ans à l’Académie  des Beaux-Arts, ou que la vulgarité des chanteurs qui sévissent à la télévision.

 

[…]

 

------------------------------ (p. 98/102)

Chapitre III : Déclarations