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22/10/2012

Ernesto Sabato par Claudio Magris

 

ERNESTO SABATO

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 Ernesto Sabato Buenos Aires en 2005 par Eduardo Longoni.jpg

Ernesto Sabato

[à Buenos Aires, 2005]

par Eduardo Longoni

 

EXTRAIT

Ernesto Sabato et les deux écritures

(par Claudio Magris, Corriere della Sera, 2 avril 2000 et 17 avril 2002)

 

 


La grandeur créatrice et humaine de Sabato réside dans la rigueur avec laquelle il a respecté les deux vérités, la diurne et la nocturne, sans les confondre et sans faire de l’une un alibi pour déformer l’autre. De ce point de vue, il constitue une exception rare parmi les écrivains, qui sont parfois des margoulins. Souvent celui qui professe – avec une véritable honnêteté intellectuelle ou avec une rhétorique fausse – la vérité diurne et affirme des valeurs positives se fait le douanier vigilant de la moralité et barre la route aux vérités de la nuit parce qu’il a peur de les regarder ou en est incapable. Celui qui au contraire fait profession de fréquenter les ténèbres, le gouffre obscur où tout se confond, en profite souvent, même de jour, pour se soustraire à tout choix moral, pour imposer sa domination sur les autres, en s’attribuant un permis de transgression qui autorise toutes les bassesses, toutes les prétentions et toutes les arrogances. Sabato, lui, descend dans le noir, là où l’on découvre qu’il n’est pas très important de savoir combien font deux et deux et que parfois cela peut même faire cinq, mais quand il remonte à la surface il n’en profite pas pour tricher sur l’addition et ne pas payer ce qui est dû aux autres. Et quand il entre en lice, il ne le fait pas, comme tant de ses confrères, en se limitant à protester dans les manifestations ou dans les salons, à signer des pétitions ou à lancer des invectives, mais en mettant en jeu sa vie, son temps, son travail.

Il ne s’est pas contenté de signer des appels contre les bourreaux de la junte militaire argentine mais, en tant que Président de la Commission d’enquête sur les personnes disparues en Argentine pendant la dictature, il a travaillé concrètement, en sacrifiant son écriture, pour reconstituer l’existence, l’itinéraire et le sort de beaucoup de desaparecidos, pour savoir comment et où étaient morts Untel ou Untelle, avec le sentiment humain et poétique de l’individualité unique et non interchangeable de chacun de ces noms et de ces destins perdus. C’est ce respect, humble et intrépide à la fois, pour chacun qui constitue sa grandeur humaine, à des années-lumière de la risible suffisance narcissique fréquente chez tant d’écrivains, surtout parmi ceux de second ordre mais aussi chez quelques uns des plus doués.

 

 

 

 

 

                                                                                                    

 

 

 

■ Claudio Magris, Alphabets, Ed. Gallimard/L’Arpenteur, 2012

Traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau