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02/05/2021

Sarah Kirsch

SARAH KIRSCH

amour de terre/erdenliebe 

[Extraits]

SARAH KIRSCH3.jpg 

[1935-2013]

  

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   Extraits

[Sarah Kirsch, amour de terre

(édition bilingue)

Atelier des livres, 2020]

 

 

Amour de terre est une anthologie qui rassemble quelques textes en prose et quelques poèmes de Sarah Kirsch, une grande voix poétique d'Allemagne, d'Est en Ouest, et de la planète en chute, née Ingrid Bernstein en 1935 dans le Harz. Les textes présentés et traduits par Marga Wolf-Gentile sont issus des recueils Étoile errante (Irrstern) et Sol mouvant (Schwingrasen). « Poète des deux Allemagnes », peut-on lire en introduction du recueil, Sarah Kirsch se définit comme « réfractaire à toute récupération et fuyant la médiatisation » : « se trouvant, après son passage à l’Ouest, au centre de l’attention sur le plan littéraire, comme public, Sarah Kirsch a montré sobriété et retenue – de la méfiance presque face à un monde qui ne lui était pas familier. Monde multiple, commercialisé, médiatisé, pressé qu’elle peut ressentir comme aliénant ».

Concernant l’édition en français de l’œuvre de la poète, on retient les publications suivantes : Terre / Erdreich, poèmes traduits et présentés par Jean-Paul Barbe, éd. Le Dé bleu, 1988. Chaleur de la neige / Schneewärme, poèmes traduits et présentés par Jean-Paul Barbe, éd. Le Dé bleu, 1993. Choix de poèmes et de prose poétique traduits et présentés par Marga Wolf-Gentile dans diverses revues littéraires dont PO&SIE (n°54, 90, 126, 165-166), Revue Alsacienne de Littérature (n°90), Les Carnets d’Eucharis (2019), Recours au Poème, Terres de femmes.

 

 

[VOYAGE II]

1

 

Mais je préfère aller en chemin de fer

à travers mon petit pays réchauffant

en toute saison : l’hiver me lance

des traces de lièvres des plantations de choux oubliées

par la fenêtre, je vois les ourlets des arbres nus

fin contour du branchage ils approchent

se tournent et s’éloignent de moi

 

 

2

 

En printemps je vois marcher le faisan

ses plumes de dent-de-lion dorées

le rendent précieux je crains pour lui

le voilà déjà disparu, terre éventrée

exhibée, obscène sur le remblai et puis

près de la maisonnette du garde-barrière, lissée

par des pensées pivoines en touffes des violettes

je vois déjà venir l’été, alors

la roue ailée sera peinte en rouge

le garde-barrière composera en pierres

de bons souhaits pour les voyageurs

 

 

3

 

Pauvre terre noire de suie et farineuse

belle couleur contrastée des iris qui bleus

et avec des pétales de soie veinées

se dressent au dernier soleil, cela passe

d’autres images tournent le train est si lent

que je peux désigner les plantes par leurs noms

des robiniers ici du blanc et vert vaporeux

ou est-ce sur les feuilles-monnaie posée la poussière de l’usine à chaux

 

 

4

 

Le voyage s’accélère vers le bord de mon pays

je vais à la rencontre de la mer des montagnes ou

que d’un fil de fer blessant qui traverse la forêt, là-derrière

les gens parlent bien ma langue, connaissent

les complaintes de Gryphius comme moi

ont les mêmes images dans leur télévision

mais les mots

qu’ils entendent, qu’ils lisent, les mêmes images

seront à l’encontre des miens, je ne sais ni vois

de chemin qui puisse mener mon train haletant

à travers le fil de fer

tout devant bleue la locomotive Diesel  

 

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[UNE PRUNELLE DANS LA BOUCHE JE PASSE PAR LE CHAMP]

 

 

Une prunelle dans la bouche je passe par le champ

Elle roule sur la langue bute contre les dents quand je marche

Ma tête un grelot résonne et fait

Une triste bouche

la mienne avec une prunelle

La tienne sable déjà et galet

Moi dessus toi dessous

Grains de sorbier sur le chemin, rouge sang rouge velours

Mangez les grives mangez

Faites de la graisse tout le long de l’automne

 

2/9/66

 

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[FUMETERRE]

 

 

Et à certains moments il arrive

Que très heureux de

Quelque chose une nouvelle

Le nouvel amant l’enfant

Nous déambulons prenant alors plaisir

Au travail le plus monotone nous cuisinons

Des plats merveilleux nettoyons les fenêtres

En chantant embrassons la fleur

Qui vient juste d’éclore

Sur le buisson devant notre porte parlons

À des inconnus de l’autre côté de la rue

Sans nous occuper du soleil

De la neige légère qui danse

Tout est connu et familier

Ce sera toujours ainsi croyons-nous

Et même les affreuses images

Dans les postes de télévision nous confirment

Qu’ici au moins ça restera toujours ainsi nous entassons

Les journaux qui nous laissent dormir tranquilles

Soigneusement jusqu’à ce qu’on vienne les prendre

Nous sommes tous vivants sautons et dansons

Dans les demeures meublées de la mort.*

 

*  Allusion à un titre du recueil de Nelly Sachs In den Wohnungen des Todes (Dans les demeures de la mort) apparu en 1947 en souvenir et hommage à ses congénères exterminés.