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21/11/2009

Jaccottet - Ungaretti Correspondance 1946-1970

  

jaccottet ungaretti.jpgPhilippe Jaccottet fait la connaissance d'Ungaretti lors d'un premier voyage en Italie, en septembre 1946, juste après la guerre. Cette rencontre se révélera pour le jeune écrivain aussi décisive que celle de Francis Ponge ou de Gustave Roud. Devenu avec les années le traducteur presque attitré d'Ungaretti, qui lui confie ses textes à peine achevés, il s'implique, prend des initiatives, collabore au choix des inédits, les commente, les préface. C'est aussi à l'homme, solaire et généreux, que Jaccottet s'attache ; il lui vouera une amitié indéfectible, le retrouvant à maintes reprises à Rome, ville restée pour lui élue entre toutes. Chargé d'établir l'édition française de toute son oeuvre poétique, Jaccottet publiera Vie d'un homme. Poésie 1914-1970 (Minuit / Gallimard, 1973), un volume réunissant les principaux traducteurs d'Ungaretti. Cette publication, à la suite de nombreux textes (essais, proses de voyages, entretiens) qu'il rassemble et traduit du vivant de l'auteur, contribuera de manière décisive au rayonnement de cette oeuvre dans les pays francophones. Une semblable exigence en poésie, une expérience parallèle du métier de traducteur, une haute conscience des mots et du rythme caractérisent "sur le terrain" deux écrivains en quête de justesse, mettant leur inquiétude au service d'une oeuvre où le détail, toujours, fait sens. Souvent succinctes, voire hâtives, leurs lettres renvoient davantage à ce travail sur les textes qu'à des propos sur la littérature ou sur leurs contemporains. Elles ouvrent la porte d'un atelier où circulent, au-delà d'une attention minutieuse à la langue, l'intelligence et la passion de la poésie elle-même.

Editions Gallimard
http://www.gallimard.fr
Collection : Les Cahiers De La Nrf
Parution : 21 Novembre 2008

08/12/2008

Philippe Jaccottet, traducteur d'Ungaretti (lecture d'Alain Paire)

"Jaccottet traducteur d'Ungaretti. 1946-1970"

éd. Gallimard, collection Les Cahiers de la Nrf.

Edition établie, annotée et présentée par José-Flore Tappy.

Guiseppe_Ungaretti.jpg

Guiseppe Ungaretti, photographie reproduite dans La Gazette de Lausanne, 7-8 février 1970.

Ungaretti et Jaccottet se rencontrèrent en septembre 1946, pendant "une fin d'été romaine". Lorsqu'il eut la chance de lier connaissance avec le poète qui fut avec Gustave Roud et Françis Ponge l'un des trois écrivains qui l'aura le plus profondément influencé, il s'agissait pour l'habitant de Grignan de son tout premier voyage dans le Sud de l'Europe. Jaccottet découvrait l'Italie dont il se souviendra lorsqu'il composera son Libretto, publié en 1990 par les éditions de La Dogana .

Guiseppe Ungaretti parlait et écrivait parfaitement le français. Il pressentit immédiatement les qualités du jeune homme de 21 ans qui deviendra son plus fidèle traducteur. Rome et Paris furent les deux villes où ces personnes se rencontrèrent aussi souvent que possible. "Hasard ou bien destin ?", comme l'indique la préface de cette correspondance, en mars 1951, quelques saisons avant de s'établir dans la Drôme, Jaccottet se logea près de Montparnasse, au 9 de la rue Campagne Première, dans une chambre-atelier proche de l'étage où vécurent, pendant quelques mois de 1921, Ungaretti et son épouse Jeanne Dupoix.

En janvier 1997, dans un entretien confié au Journal de Genève, Jaccottet rappellera que "C'est en le lisant que j'ai appris l'italien. A la fois dans "L'Allegria" et dans la rue, ce qui n'était pas la pire des méthodes". Il appréhendait avec émotion la beauté déchirante de Rome, "pareille à un incendie endormi", la seule ville "qui ait pu lui arracher des larmes". Rome restera, pour Philippe et pour son épouse Anne-Marie Jaccottet, intimement liée au souvenir d'Ungaretti, "homme de peine" passionnément attaché à la perception de la lumière. Au coeur de cette "ville entre toutes aimée", Philippe Jaccottet ressentait profondément "l'exaltation du feu d'été (qui semble à Rome où  Ungaretti s'était alors établi, brûler dans la même pierre jusqu'en plein hiver)".

Souvent brèves et la plupart du temps focalisées par des chantiers de traduction ou des prises de rendez-vous, leurs correspondances réparties sur un peu plus qu'un quart de siècle ne sont pas immédiatement renseignantes. Leur publication se révèle infiniment précieuse. Elle aura requis l'intense travail de José-Flore Tappy dont l'appareil critique met finement en perspective les enjeux et l'evolution d'un dialogue de première importance. Auteure de recueils de poèmes publiés par La Dogana et les éditions Empreintes ainsi qu'avec Marion Graf d'une Anthologie de la poésie suisse romande depuis Blaise Cendrars (éd. Seghers, 2005) José Flore-Tappy avait établi en 2002 l'édition de la Correspondance de Jaccottet avec Gustave Roud. En tant que collaboratrice du Centre de recherches sur les lettres romandes de l'Université de Lausanne, elle est également la responsable d'un livret d'exposition de la Bibliothèque de Lausanne consacré en janvier 2005 à Jaccottet poète. Jean-Baptiste Para lui avait confié pour l'automne de 2002 la conception d'un cahier d'Europe à propos de Gustave Roud ; en novembre 2008 et toujours pour Europe, en complément au numéro Jaccottet coordonné par Nathalie Ferrand, José-Flore Tappy a composé en collaboration avec Jean-Baptiste Para un dossier Ungaretti où l'on trouve des contributions d'Andréa Zanzotto, Sergio Solmi et Fabio Pusterla.

Un recueil "meilleur en français qu'en italien".

Dans des notes de lecture et des traductions de poèmes publiés dés 1948 aux cahiers Pour l'art ou bien à la revue 84, Jaccottet entreprend d'aider à frayer en francophonie la voie d'Ungaretti. Avec Jean Paulhan qui dispose d'importants moyens pour accroître l'audience du poète, il s'étonne et parfois se scandalise d'une réception critique et d'un succès public rarement conséquents. Comme l'indique José-Flore Tappy, il a scellé une manière de pacte avec Ungaretti : "Il ne cessera depuis lors de le lire, de le faire entendre, de le commenter, porté par une impérieuse nécessité : servir sans compter une oeuvre à ses yeux exemplaire, et contribuer à sa découverte". Ungaretti le revoit à Genève et Lucerne en septembre 1948. Il ne lui ménage pas son affection : "Je pense beaucoup à vous, sans cesse, avec une très très grande tendresse. Cette journée de Lucerne restera parmi les très rares qui ont été belles pour moi".  Il réitère en février 1949 les marques de sa totale confiance : "je crois qu'on pourrait difficilement traduire mieux". Cette appréciation ne se modifiera pas : en témoigne une lettre de juillet 1951 adressée à Paulhan (1), un fragment de courrier dans lequel Ungaretti signale que "Jaccottet arrive à donner admirablement certaines choses d'extrême transparence".

Le printemps  de 1963 inaugure une nouvelle phase de leurs relations. Jaccottet qui n'a pas cessé pendant les années précédentes de traduire et de commenter des fragments de l'oeuvre d'Ungaretti, se mobilise afin d'honorer la commande des éditions du Seuil et de Philippe Sollers qui lui demandent pour la collection Tel Quel la version française d'Il deserto et dopo. En cette occcasion, Jaccottet réfléchit à la composition globale de ce journal de voyage, propose de faire l'économie de certains passages, à ses yeux plus faibles que d'autres. Quelques jours après la parution d'A partir du désert, dans une lettre de mars 1965, Ungaretti qui avait accepté la quasi totalité des coupures effectuées par Jaccottet lui exprime sa gratitude : "Votre travail, un travail admirable, inégalable ... Ce livre a quelque valeur, parce que vous y avez mis votre langue splendide et votre lumière de poète". Un mois, plus tard, lors d'un entretien confié à Pierre Descargues, il affirme : "Ce qu'a fait Philippe Jaccottet de ce livre, c'est une merveille. Je crois qu'il est meilleur en français qu'en italien".

Une totale complicité soude le poète et son traducteur. Bien qu'étant requis par des chantiers de traduction particulièrement absorbants - le volume de la Pléiade d'Hölderlin, ou bien L'homme sans qualité de Robert Musil - Jaccottet fait continûment preuve d'une entière disponibilité, ne proteste jamais quand Ungaretti modifie la donne et remanie brusquement le texte pour lequel il avait d'ores et déja accompli un important travail. José-Flore Tappy qu'il faut continuer de citer commente la confrontation remarquablement féconde de "deux créateurs aux prises avec la langue qui partagent une même quête de la justesse,  une même conception éthique de la littérature, un même engagement dans l'écriture ; où le chemin, incertain et en constante évolution, importe autant que le résultat".

Deux autres grands livres d'Ungaretti auront pour maître d'oeuvre Jaccottet : Innocence et Mémoire (1968) et Vie d'un homme (1973) qui réunit à côté des traductions de Jaccottet des contributions de Jean Lescure, Pierre Jean Jouve, Françis Ponge, Mandiargues et Armand Robin. Pour les essais rassemblés dans Innocence et Mémoire, "le traducteur, écrit José-Flore Tappy, va construire un livre inédit, au parcours éclairant" : Jaccottet imagine un plan d'ensemble, recherche des textes antérieurs, leur donne quelquefois un nouveau titre, apporte de nouvelles nuances à ses propres traductions. Tout en maîtrisant admirablement son sujet, il affine ses propres compétences chaque fois qu'il emprunte les voies tracées par son aîné auquel il doit une connaissance approfondie de Dante, de Pétrarque, de Léopardi ainsi que de Gongora (2) pour les sonnets duquel il entreprend ses premières transactions.

Une ultime traduction s'effectuera dans le courant de l'année 1969, quelques mois avant le décés d'Ungaretti survenu le 2 juin 1970. Elle concerne les deux versions en italien d'un poème intitulé Dunja, pour lequel quatre versions en français s'échangeront entre Grignan et Rome. Ce dossier est particulièrement riche, José Flore Tappy signale à quel point ses transferts "s'inventent et s'exécutent sous nos yeux, d'intuitions en approximations". L'entente et la parité entre les deux écrivains sont rigoureusement parfaites. Ungaretti écrit à Jaccottet le 3 septembre 1969 : "Si vous pensez qu'il faille reprendre tout à zéro, c'est à votre goût, qui est exigeant, que vous aurez à demander conseil, et décision".

Le 10 juin 1970, dans un bref article publié lors de l'hommage posthume de l'hebdomadaire Les Lettres Françaises, Jaccottet n'évoquait pas directement son deuil et son immense affection mais redisait combien Ungaretti (3) "avait la science du langage poétique dont quelques-uns, rares, disposent aujourd'hui ; mais, avec cela, plus d'amour vrai, plus de bonté, plus d'enfance que personne".       

                                                                                                Alain PAIRE                                                                                                               

(1) La Correspondance Guiseppe Ungaretti-Jean Paulhan, 1921-1968, l'un des plus beaux échanges de lettres qui puisse se lire, reste disponible chez Gallimard (1989).

(2) Cf l'article de J-F Tappy à propos de "Lire Gongora en français (étude comparative de trois traductions différentes des Sonnets)" in Jean-Pierre Vidal , Philippe Jaccottet (éd. Payot, 1989). Les Solitudes de Gongora, dans la traduction de Jaccottet sont éditées par La Dogana.

(3) Cette édition comporte plusieurs textes critiques de Jaccottet qui ne figurent pas dans Une transaction secrète (Gallimard, 1987). Vie d'un homme est disponible en collection de poche Folio/ Poésie. Six poèmes d'Ungaretti figurent dans l'anthologie de Philippe Jaccottet D'autres astres, plus loin, épars / Poètes européens du XX° siècle (La Dogana, 2005).

 

L’article est en ligne sur le site de la Galerie Alain Paire

28/11/2008

Anne-Marie & Philippe Jaccottet (par Alain Paire)

AIX-EN-PROVENCE : ANNE-MARIE ET PHILIPPE JACCOTTET :

UNE EXPOSITION D'AQUARELLES ET UNE LECTURE EN PUBLIC.

 

Mercredi 12 novembre, 300 personnes de la proche région - en sus des aixois, on croisait des amis comme le peintre Claude Garache ou bien Monique Petillon, venus spécialement de Paris, des gens de Marseille, du Var ou bien du Vaucluse - un public remarquablement réceptif était réuni dans l'amphithéâtre de la Cité du Livre d'Aix. Toutes ces personnes s'étaient volontiers déplacées pour écouter une lecture du poète Philippe Jaccottet, convié à Aix-en-Provence par son ami l'écrivain et historien Gérard Khoury et par Annie Terrier, en guise de préambule pour le vernissage des aquarelles et des dessins de sa compagne Anne-Marie Jaccottet. Philippe Jaccottet venait du village de Grignan dans la Drome qu'il habite depuis 1952. Ce fut une soirée sans ambages ni officialité. Sans envolée lyrique déplacée, avec une absence de solennité parfaitement bienvenue.

 

A propos de Giorgio Morandi


Les lectures de Philippe Jaccottet sont rares. Pendant ces huit derni
ères années, il ne s'y livra pas plus de quatre ou cinq fois. Cet écrivain traduit dans le monde entier et pleinement reconnu - une édition de ses oeuvres complètes est en préparation dans la prestigieuse collection de la Pléiade / Gallimard - a pour habitude de refuser courtoisement les invitations qui lui sont fréquemment adressées. Son registre est sobre, ses séquences ne sont pas celles d'un professionnel habitué aux périls de la performance. Le traducteur de L'homme sans qualité de Robert Musil interprète ses textes avec exactitude, avec une voix sourde qu'Amaury Nauroy compare aux longues respirations et aux soudaines inflexions des cordes d'un violoncelle.

 

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 Anne-Marie et Philippe Jaccottet lors du vernissage de l'exposition,

rue du Puits Neuf

(photographie de Nathalie Riera)



Une méthode claire et discrète, des intuitions finement décantées, des avancées et des rectifications, voila comment l'on peut appréhender les mouvements et la composition des textes en prose de Jaccottet. Beaucoup de patience et de tenue, point d'illusion ni d'épate, un regard qui refuse toute approximation. En contrepoint d'une élaboration aigue qui, sans acharnement ni "rage d'expression", distingue précisément les intervalles, les seuils et les espaces, on assiste au déploiement d'un merveilleux Art de la fugue, on éprouve les vibrations d'une très sobre partition, un subtil mélange d' innocence et de mémoire", immédiatement proche dans une ouverture de phrase, ou bien lors de certains changements de rythme, lorsque se trouvent cités des vers de Rilke et de Leopardi qui évoquent "le parfum éphémère, mais obstiné  du genêt », "la voix du vent qui passe dans les feuillages".

 

A propos de la peinture et de l'histoire de l'art, un peu comme son maître d'autrefois, le poète suisse romand Gustave Roud qui écrivit brièvement à propos de Nicolas Poussin, de Félix Valloton et de quelques amis, Philippe Jaccottet aura principalement publié des notes éparses parmi les pages de ses "Semaisons" ainsi que deux livres édités par un proche de sa famille, Florian Rodari qui dirige entre Genève et Paris les Editions de La Dogana. Lu presque intégralement dans l'amphithéâtre de La Verrière, le plus conséquent de ces deux livres est un chef d'oeuvre merveilleusement concentré sur une soixantaine de pages qui porte un titre japonisant, "Morandi / Le bol du pélerin". Son second ouvrage à propos de la peinture réunit une brassée de textes ainsi qu'un entretien récemment rédigés pour son épouse Anne-Marie Jaccottet.



Ici encore, dans l'incipit signé par Jaccottet pour "Arbres, chemins, fleurs et fruits", chez cet auteur qui refuse prioritairement l'emphase et les fausses notes, il s'agit de souligner avec rectitude et clarté l'allègement et le sentiment de reconnaissance que l'on éprouve en découvrant les oeuvres d'une artiste qui donne à contempler sans tricherie ni manifeste "les belles apparences du monde proche".

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   "La Boîte bleue", aquarelle et crayon d'Anne-Marie Jaccottet.

 

Des paysages et des vies silencieuses.


A côté de cette lecture donnée dans l'amphithéatre de La Verrière, une autre manière d'imaginer sans anecdotes faciles les horizons d'attente et la vie quotidienne du poète et traducteur Philippe Jaccottet, ce serait de se rendre rue du Puits Neuf, près de la Place Bellegarde, afin de découvrir jusqu'au 31 décembre l'exposition d'Anne-Marie Jaccottet. Cette artiste expose rarement ses travaux. Il lui arriva d'illustrer des ouvrages de son compagnon (entre autres livres,"La Promenade sous les arbres", édité à propos des alentours de Grignan en 1957 par ce magnifique mécène et découvreur suisse qui s'appelait Mermod, ou bien une anthologie d'Hai-ku chez Bruno Roy de Montpellier). Le recueil de textes composé par La Dogana est le tout premier ouvrage qui lui est consacré.

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 "Six kakis sur une assiette", aquarelle et crayon d'Anne-Marie Jaccottet.



Les ramures d'un arbre proche et les frissonnements de la lumière, les fleurs d'un bouquet champêtre, des kakis, des figues et des grenades réunis dans une coupe de porcelaine ou bien dans une corbeille, voila les sujets qu'Anne-Marie Jaccottet privilégie au sein d'une filiation picturale où l'on ne peut pas s'empêcher de citer les noms de Paul Cézanne et de Pierre Bonnard. Dans l'entretien qui clôture le livre de La Dogana, l'aquarelliste évoque la constance et la simplicité de ses habitudes de travail : "Je dispose des fruits que j'ai choisis et quelquefois laissés sécher. Des oranges, des pommes, des pamplemousses. Mais j'ai une prédilection pour les kakis : à  cause de leur forme, presque carrée, et de leur couleur, d'abord jaune, orange, puis quand ils ont mûri sur le bord de la fenêtre, rose, et quelquefois couvert de bruine "... "Tout à  coup, des accords de couleurs vous surprennent, vous bousculent"... "Je ne m'aperçois pas que le temps passe, mais mon travail ne dure jamais plus de deux heures. Il faut que les choses aillent vite, et sans retouches, qu'elles restent telles quelles. (Mais cette rapidité  suppose un long travail antérieur) ".



A propos de cette oeuvre infiniment sensible et discrètement joyeuse, l'un de ses meilleurs commentaires vient de Florian Rodari qui décrit dans un texte titré "Les fruits de l'émerveillement" la fraîcheur et la vivacité de la démarche d'Anne-Marie Jaccottet : "Il n'y a presque jamais d'ombre dans ses images... Des rires plutôt, des éclats de la couleur, comme dans la voix, se fait entendre la cascade du rire".



Alain PAIRE

courrierdaix.pdf

"Exposition Anne-Marie Jaccottet/ Paysages et Natures mortes ", Galerie du 30 rue du Puits Neuf, Aix en Provence. Jusqu'au 31 décembre, du mardi au samedi de 14 h 30 à 18 h 30. Tel 04.42.96.23.67. D'autres renseignements sur le site www.galerie-alain-paire.com.

Un bref enregistrement de la lecture de Jaccottet, quelques minutes sont diffusés depuis le 19 novembre sur le site Rue 89 / Marseille.

A côté des livres parus chez Gallimard, plusieurs ouvrages de Philippe Jaccottet sont parus chez l'éditeur montpellierain Fata Morgana (entre autres, "A travers un verger", "Requiem" et "Notes du ravin") ou bien sous l'enseigne de La Dogana (en sus du Bol du pélerin/Morandi, un Libretto à propos de Venise, des traductions de Rilke, Gongora et Mandelstam).

 

Télécharger l’article d’Alain Paire paru dans le courrierdaix.pdf du 29 novembre 2008

05/06/2008

"Légère cendre au pied du jour"

Et moi maintenant tout entier dans la cascade céleste,

enveloppé dans la chevelure de l’air,

ici, l’égal des feuilles les plus lumineuses,

suspendu à peine moins haut que la buse,

regardant,

écoutant

n     et les papillons sont autant de flammes perdues,

les montagnes autant de fumées --,

un instant, d’embrasser le cercle entier du ciel

autour de moi, j’y crois la mort comprise.

 

Je ne vois presque plus rien que la lumière,

les cris d’oiseaux lointains en sont les nœuds,

 

la montagne ?

 

Légère cendre

au pied du jour.

Philippe Jaccottet

A la lumière d’hiver « Leçons » (p.32)

14/03/2008

Philippe Jaccottet

Je n’ai presque jamais cessé, depuis des années, de revenir à ces paysages qui sont aussi mon séjour. Je crains que l’on ne finisse par me reprocher, si ce n’est déjà fait, d’y chercher un asile contre le monde et contre la douleur, et que les hommes, et leurs peines, (plus visibles et plus tenaces que leurs joies) ne comptent pas assez à mes yeux. Il me semble toutefois qu’à bien lire ces textes, on y trouverait cette objection presque toute réfutée. Car ils ne parlent jamais que du réel (même si ce n’est qu’un fragment), de ce que tout homme aussi bien peut saisir (...). Peut-être n’est-ce pas moins utile à celui-ci (...) que de lui montrer sa misère ; et sans doute cela vaut-il mieux que de le persuader que sa misère est sans issue, ou de l’en détourner pour ne faire miroiter à ses yeux que de l’irréel (deux tentations contraires, également dangereuses, entre lesquelles oscillent les journaux et beaucoup de livres actuels).

Extrait de « Paysages avec figures absentes », Philippe Jaccottet, Poésie/Gallimard, p.7

1694594016.jpgSi la consécration d’une œuvre peut être un danger pour le travail personnel de l’écrivain, et tel que l’estime Philippe Jaccottet, il est en effet toujours plus prudent pour un écrivain (d’autant plus si son œuvre ne répond pas à la tendance ou ne peut convenir aux arrogances du milieu littéraire) de maintenir la distance, et même si l’œuvre est reconnue, il est nécessaire de garder cette même distance, notamment à l'encontre de certains engouements qui porteraient quelques uns à des études approfondies sur des œuvres d’écrivain, et à cette sorte de passion d’écrire sur une œuvre ou de vouloir en dire quelque chose. Il est clair qu’une œuvre comme celle de Philippe Jaccottet ne peut laisser indifférent, de la même manière que de vouloir en dire quelque chose ne peut pas être critiquable au plus mauvais sens du terme, car ce n’est pas toujours de l’œuvre elle-même dont a forcément envie de dire quelque chose, mais plutôt de ce que cette œuvre a su produire sur nous en émotion et en réflexion. Il m’intéresse d’aborder Philippe Jaccottet sur les quelques particularités qui participent à son travail d’écrivain, mais sans m’écarter de ce que lui-même peut en dire. Et ce que lui-même peut dire sera notamment : son peu de goût à se retourner vers son enfance, n’être « guère capable d’imagination », deux caractéristiques qui ne sauraient empêcher son écriture à s’appuyer sur une tout autre exigence : sa capacité, dira t-il, d’écrire sur du concret et du vécu. Après qu’on eût lu certains de ses textes, il peut y avoir d’un livre à un autre le sentiment d’un ressassement, mais comme lui-même le dit si joliment, c’est « parce que l’expérience même a été revécue souvent et s’est trouvée être pour moi tout à fait centrale ». L’expérience revécue concerne entre autres ses multiples expériences d’être humain (et davantage que d’écrivain) dans son contact quotidien avec la nature ; son expérience d’écrivain ne répondant seulement qu’à son souci de « dire » et de « faire rayonner » ces expériences, et ce qui, selon lui, est la chose la plus essentielle dans ses travaux de prose et de poésie. Car sans cette sorte d’expérience, alors probablement que pour un écrivain comme Jaccottet, « dire » et « faire rayonner » serait impossible.

 

« Justesse de parole » est l’une des autres exigences du poète, et sûrement en raison de la difficulté d’une telle entreprise et de la préoccupation majeure à pouvoir la mener au mieux : « Il me semble que je sens, quand je me relis, là où ça dérape, où cela cesse d’être juste (…) Il y a pour chaque expérience à décrire des mots qui sont plus vrais que d’autres (…) S’il y a correction ensuite, dans chaque cas, le mot qui dit la chose doit correspondre le mieux possible à la chose vécue ». Chez Jaccottet, il en va aussi de cette perception de ne s’être jamais senti aussi réel, dit-il, « dans un monde lui-même aussi réel que maintenant – alors que l’inconnu approche, inéluctable ». Pour l’écrivain, ce qui est acquis, comme ce sentiment de se sentir plus réel qu’auparavant, n’appartient qu’à des moments, car arrivé à un certain âge, la réalité s’affaiblit et le sentiment d’une distance s’accroît. Et tout acquis qui pourrait se faire tardivement dans la vie d’un écrivain, il peut alors ne plus y avoir chez ce dernier nécessité d’écrire, l’écrivain peut ne plus rien avoir à dire, et se taire de n’avoir plus rien à dire, mais quoi qu’il peut en être de ces acquis seulement spécifiques à des moments de notre vie, toujours écrire et ne jamais se taire est aussi possible, car une question ordinaire comme « pourquoi écrire ? » pourrait avoir pour réponse que le besoin d’écriture est une façon de maîtriser des évènements douloureux, et cela par le fait de pouvoir en parler le plus exactement possible. Chez un écrivain comme Jaccottet, continuer d’écrire (jusqu’au bout) ou cesser d’écrire (pour toujours), cela est finalement sans grande importance, tant que nous pouvons nous sentir encore vivant et encore réel. D’avoir lu Jaccottet, comme j’ai pu le lire, mériterait certainement de le lire à nouveau, mais ce que je retiens de ma première rencontre avec l’œuvre de ce grand poète, c’est ce même sentiment que je peux éprouver à chacune de mes lectures, et quand bien même relire c’est redécouvrir et découvrir autrement, il s’agit toujours de ce même sentiment émerveillant, et qui est que vivre est aussi une grande raison de s’émerveiller, une bonne raison de vouloir renaître, comme une mauvaise raison de ne jamais se suffire de vivre.

Nathalie Riera



[1] Entretien avec Philippe Jaccottet par Mathilde Vischer, 27 septembre 2000. www.culturactif.ch