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08/07/2009

Yves Bonnefoy interprète deux poèmes de Roberto Mussapi

Yves Bonnefoy

La vénitienne

Roberto Mussapi

Editions Virgile

(édition bilingue)

14/05/2009


 

la vénitienne.jpgDans cet essai, Yves Bonnefoy lit et interprète deux poèmes de Roberto Mussapi, intitulés La Vénitienne et Les paroles du plongeur de Paestum, et présente les différences et similitudes qui les lient. Yves Bonnefoy se trouve face à une métaphore de la destinée du poète, partagé entre la poésie et l'art. Cependant, il découvre un second sens aux textes en explorant les mots, les pensées de Roberto Mussapi.

 

Roberto Mussapi est l'auteur de cinq livres de poèmes qui font de lui un des poètes contemporains les plus remarqués en Italie. Directeur éditorial des éditions Jaca Book, il y publie chaque année une anthologie poétique internationale, L'Anno di poesia. Il a déjà publié en français Le Voyage de Midi suivi de Voix du Fond de la Nuit (1999), traduit de l'italien par Jean-Yves Masson (Editions Gallimard, Collection L'Arpenteur), La Mer en Peinture (La Martinière, Beaux Livres), Poudre et le feu (L'escampette) et Lumière Frontale précédé du Sommeil de Gênes (La Différence).

livre_venicienne.jpgLes
Editions Virgile font débiter leur répertoire avec la modernité littéraire et poétique, dont elles cherchent à cerner la diversité. Les récits et essais que nous publions sondent les intimités et les expériences fondamentales. Qu'ils témoignent de l'oeuvre de poètes ou d'écrivains, ou qu'ils s'attachent à consigner le quotidien, ces textes ne sont jamais très loin d'un questionnement sur ce qui nourrit l'existence.

 

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Editions Virgile

06/04/2008

Lumière frontale (Roberto Mussapi)

1091627046.jpg(…)

Je ne sais, j’ai eu, j’ai été engendré

tandis que la terre noire fume sous la dernière neige

et que l’onde tremble sur le sable, un dernier

frisson d’hiver, dans le pas indécis, une peur

printanière, les gonds engourdis, une fatigue

étrange dans mon cartilage entre le gel

et le songe non formé … de quel côté, cette mienne

vigueur, cette marche calleuse à travers les rues et

les flaques bourbeuses,

et les os qui suivent, sensibles,

dans le fait d’avoir, d’être baptisé, ou dans

ce transbordement muet d’ébène et de bois qui est tien,

avec le soleil qui promet et se rétracte, encore,

dans l’air transparent… la lumière en vasque,

bleue, couchée dans l’eau, flottante…

et le poids d’avril, submergé,

brisé… j’ai eu, j’ai été

engendré, je ne sais pas et je demande dans le seul

occident de mon visage, les feux

qui grésillent dans l’eau noire, en déluge,

la foudre, l’orage qui plie

les arbres, les statues grecques qui brillent sur le fond,

rongées par le sel, leurs yeux, leur silence

de grands fonds, mon nom mon œuvre, la fin

qui recommence, et le vent ligurien

qui m’emporte loin de la baie vitrée où je réside

comme si c’était pour quelques heures, avant, dans le temps,

dans mon aquarium de cartilage, dans le sang,

frère agonisé, là où les masses

d’eau ouvrent grand les blessures et mon front

défoncé par le trépas des grands fonds, par le trop

d’amour, par l’excès bestial qui sanctifie,

comme en flairant la promesse sur les murs, dans les

croisements entre rue et rue, dans la lumière

qui décline sur les automobiles métallisées, les fils

électriques, les messages humains gelés dans le ciel…

quelques ailes de fil de fer, noires…

(…)

Extrait « Avril » pp.75/77 (Lumière frontale)

Lorsque Jean-Yves Masson nous rappelle que le poète peut être un homme de foi, se convaincre alors que l’état d’incertitude est tout aussi respectable, au sens où le doute est d’éviter toute excessivité ou une trop grande assurance qui priverait le poète de sa légitime anxiété. A la question « Où est la vérité ? » : être donc dans la réserve, ne pas se prononcer. Néanmoins, la question du lieu de la vérité suppose pour tout un chacun notre propre réconciliation (aussi difficile et précaire soit-elle), car celle-ci suppose un rapprochement, c’est-à-dire, s’accorder à penser que toute transaction ne tient que sur du presque rien : La vérité est dans ce chant caché parmi les feuilles La vérité est dans ce presque (La verità è in quel canto nascosto  tra le foglie La vèrità è in quel quasi) Ainsi, le lieu de la vérité ne serait pas ailleurs que dans la vie quotidienne, autrement dit à cet endroit même où il ne fait pas toujours très clair, et où le chemin ne cesse de se refaire. Les poèmes de Mussapi ont cette force vive de nous solidariser avec ce lieu de tous les jours, malgré les aléas de la vie. Ainsi y a-t-il entre l’homme et la vérité comme un mince espace qui les relie, et les invite à un probable partage, pouvant se faire à tout moment, et souvent de la manière la plus imprévue ou inattendue. C’est en cela que le poète est généreux. Générosité de nous rappeler que nos errances n’ont rien de pathétiques. Générosité, également, la richesse et la multiplicité des images qui puisent leur accord et leur mouvement dans la matière familière et à la fois incongrue de l’ordinaire, là où l’obscur et les ombres ne sont non plus dénués de leur chant, comme il ne sont non plus dépourvus d’un certain souffle que nous aurions tort de définir comme « mystique » ou seulement accessible aux plus initiés. Les ombres sont tantôt palpitantes, crépitantes, tantôt elles ont une respiration bleue comme le ciel. Le ciel a des pressentiments, détient ce pouvoir d’illuminer les vertèbres de quelqu’un qui traverse la rue, d’étouffer « le cri des trams », ou encore « sur cette route que les passants appelèrent ciel//comme si tu étais un long chemin ». Dans Le sommeil de Gênes il y a, certes, les vivants, mais aussi les disparus que Mussapi comparent « aux flèches d’une force que je rappelle, et non la mémoire, non les morts ». Les jours ordinaires prennent ainsi d’étranges colorations, parmi les formes présentes qui n’ont de cesse de se dissoudre ou de se déliter. Enfin, et parmi les poèmes de la générosité, il y a ceux habités de la figure paternelle. Dans « Le voyage de midi » : «( …) et j’ai revu en miroir, à l’ouest, du côté de Spotorno,//mon père au sommet de la tour sarrasine//et mon frère, tout petit au milieu des genêts//que le vent agitait devant ses yeux… ». Ou dans « Le souvenir d’Enée » : « Et moi qui étais arrivé à Cumes pour l’ombre de mon père//qui en parlant s’était dissous dans l’air comme fumée,//se délitant et se précipitant dans l’obscurité sans forme,//ravi par l’humidité de la nuit tandis qu’il me parlait… ». Le poème Lumière frontale est d’ailleurs dédié au père du poète.

La fleur de géranium que je vis le soir

sur le rebord de la fenêtre sous la première neige

et qui dans le sommeil glissa dans la chambre drapée  

que le souvenir s’assoupissait lentement,

refléta mon repos dans sa respiration changeante

et le drap qui nous couvrit les yeux nous maintint en vie,

puis dans le réveil dans le silence inouï

un seul frisson dans la lumière de neige.

 

J’ai ouvert la porte dans l’air glacé et je suis né.

(Trois fleurs)

« Inspirée des mythes, célébrant l'éternel dans le quotidien, la poésie de l'Italien Roberto Mussapi s'impose comme l'une des plus remarquables d'Europe. Nostalgique et émue, sa parole pénètre les strates de l'histoire humaine. ( …) Extrêmement narratifs, les poèmes de Mussapi sont des fleuves fraternels qui saisissent tout sur leur passage et diffèrent en ceci des autres courants poétiques italiens. » Marc Blanchet (Le Matricule des Anges – août/sept. 1999)

« On découvrira d’abord chez Mussapi l’héritage difficile, mais courageusement assumé, de ce qu’il est convenu d’appeler « l’hermétisme » italien du XXème siècle, malgré les innombrables confusions qui sont à la source de cette dénomination et les nombreux auteurs qu’elle laisse en retrait. On se tromperait en croyant que l’idée d’hermétisme renvoie à une obscurité recherchée pour elle-même ; la véritable ambition des poètes de cette école, si c’en est une, fut de tirer les leçons des expériences de Mallarmé et de D’Annunzio tout en retrouvant l’esprit des origines de la pensée italienne, celle des temps gothiques, ou encore, musicalement, la densité sobre et le raffinement des madrigaux de la Renaissance. Tout en affirmant avec Salvatore Quasimodo que « la vie n’est pas un songe », l’hermétisme n’a cessé de poser passionnément la question du rapport entre le signe et la réalité. » Jean-Yves Masson Postface de Lumière frontale, Editions de la Différence (Le fleuve et l’écho)

Bio/Bibliographie :

Roberto Mussapi fut rédacteur de la revue Niebo et collabore au quotidien Il Giornale. Directeur éditorial des éditions Jaca Book, il y publie chaque année une anthologie poétique internationale : L'Anno di poesia. Le poète a traduit de nombreux auteurs anglo-saxons, notamment Hermann Melville, R.L. Stevenson et le Prix Nobel antillais Derek Walcott. Mussapi se dit lui-même « proche de Rilke ou Dylan Thomas ».

Principali pubblicazioni:
Poesia:

La gravità del cielo (Società di Poesia, 1983)
Luce frontale (Garzanti, 1987, nuova edizione Jaca Book, 1998)
Gita Meridiana (Mondadori, 1990)
Racconto di Natale (Guanda, 1995)
La polvere e il fuoco (Mondadori, 1997)
Antartide (Guanda, 2000)
Il racconto del cavallo azzurro (Jaca Book, 2000)

Teatro:
Villon (Jaca Book, 1989)
Voci dal buio (Jaca Book, 1992)
Teatro di avventura e amore (Jaca Book, 1994)
L'Olandese Volante (radiodramma, RAI-ERI, 1989)
La grotta azzurra (Jaca Book, 1999).

Narrativa:
Tusitala (Leonardo, 1990)
Appuntamento a Balascam (per ragazzi, Laterza, 1998)

01/04/2008

Mon émotion quand je relis "Le cimetière des partisans" de Roberto Mussapi

1087572278.jpgLà, vivant parmi les vivants dans mon désir,

l’un d’eux se détacha de l’oubli et vint à ma rencontre.

« Ecoute-moi, arrête-toi un instant – car je vois bien

que tu es pressé – je suis Pellegrino

Battista, « Colibri » : regarde, je t’arrive aux épaules

(et il riait sous ses yeux noirs et sa tignasse), ma mère

habite à San Defendente, elle est encore des vôtres,

dis-lui que tu m’as vu, que je suis

comme la dernière fois où elle me vit,

je suis mort le jour suivant, dans une embuscade.

En tombant, j’ai senti l’herbe dans ma bouche, j’ai souffert.

Dis-lui que je la suis, que je suis près d’elle,

que de ses pleurs aucun ne s’est perdu,

parce que dans votre vallée on n’aime pas gaspiller les larmes. »

Et il fit le geste de me prendre la main, mais je me dérobai

par peur de l’étreinte vide.

Yves Bonnefoy a préfacé Gita Meridiana (Le voyage de midi aux éditions Gallimard, collection L'arpenteur, 1999). L'ensemble des poèmes de Roberto Mussapi est traduit de l'italien par Jean-Yves Masson.

Voici ce que Yves Bonnefoy écrit : "Et ce sont là des vers émouvants, mais davantage encore, ou pour mieux dire en ce fait même, en cette émotion, ce sont des vers lourds de sens, et je voudrais m'arrêter à cette richesse du sens comme à un de ces apports nullement inédits dans l'intuition poétique mais renouvelés, rendus efficients à nouveau, dont abonde la poésie de Mussapi. -- Que dit "Colibri", le petit partisan, sinon, d'abord, la sorte de vérité que l'on perd toujours de vue, celle que la poésie ne recherche qu'en vain, la plupart du temps, mais celle aussi que sans doute la mort révèle, d'une façon soudain évidente mais alors incommunicable, autant que venue trop tard : à savoir que c'est l'amour, le simple amour d'être à être qui s'avère au dernier moment la seule réalité. Colibri qui reste "auprès" de sa mère, qui a besoin des pleurs qu'elle verse est en cela même bien peu différent du Pline qui pense à la femme qu'il a aimée quand il rencontre sa propre mort dans l'éruption du Vésuve. Cette sorte d'amour est la suprême vérité, paut-être même la seule dont l'humanité soit capable, et, nommons cela un mystère, elle ne se distingue pas d'une joie qui monte du sol du monde par tout ce qui y semble pourtant de plus indifférent à l'existence des hommes : et cela parce que ce monde en son devenir est encore, de toutes parts, vie plus vaste qui enveloppe et éclaire. Réfléchissant en compagnie de l'ombre de Beppe Fenoglio, l'écrivain piémontais qui combattit lui aussi, dans ces montagnes, puis témoigna puis mourut sans avoir peut-être pu croire que ses livres avaient dit ce qu'il fallait dire, Mussapi en vient à penser :

Le sens le plus haut, celui qui coïncide avec la vie,

est étranger aux mots présents

et à la douleur d'où ils débordent.

C'est la montée du brin d'herbe vers la lumière,

le plongeon du dauphin parmi les bulles : la douleur

est en toi qui regardes depuis la rive salée,

non en celui qui plonge avec légèreté dans l'abîme".

 

Un grand poète à découvrir absolument!

Roberto Mussapi est né en 1952 à Coni dans le Piémont et vit aujourd'hui à Milan. Il est l'auteur de 5 livres de poèmes.

Le voyage de Midi, suivi de voix du fond de la nuit (Gallimard/L'arpenteur), 1999, pour la traduction française

La poudre et le feu (La polvere e il fuoco), Ed. L'Escampette, 2003, pour la traduction française

Lumière frontale (Luce frontale), précédé de Le sommeil de Gênes (Il sonno di Genova), Editions de la Différence, 1996, pour la traduction française