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09/08/2008

Un poème de Pierre Chappuis

 VOIX A VENIR

 

      Le picotement sonore de l’air, ce matin.

 

 

      Emiettement du froid : épars, tournoyants (brassées de voix à venir, s’ils trouvaient à se poser, se rassembler) parcimonieux (moindres poignées de bise) et si légers (poussière à peine), ses grains de neige brusquement s’interrompent pour regagner blancheur et transparence, happés d’un coup vers le haut.

 

 

      Telles les notes d’un violon heureuses de s’égailler, s’évanouir à l’extrême de l’aigu.

 

(p.53)

 

 

"A portée de la voix"

Pierre Chappuis

Editions José Corti, 2002

03/08/2008

La rumeur de toutes choses - Pierre Chappuis

la rumeur de toutes choses.jpgLa rumeur de toutes choses ?

Enseigne trompeuse, je le crains. Toutes choses, quand je n’aurai guère fait que tourner autour d’un petit nombre d’entre elles, toujours les mêmes mais propres à assurer une relation au monde approfondie, enrichissement de chaque instant – au vrai comme toutes autres choses, de celles dignes d’être aimées et qui tiennent en éveil.

 


Constituée dans le désordre des jours, la présente liasse de notes et de réflexions fait suite à La preuve par le vide, publié dans la même collection en 1992.

 


Pensée en devenir, bruissements de pensées éparses, alluvionnaires, susceptibles d’adjonctions, voire de remises en question. Si elles ramènent de préférence à une interrogation sur la poésie, son espace propre, sur ce qui, par elle, nous lie essentiellement – rêverie ou contemplation – au paysage et au moment présent, par ailleurs mettant en cause sa légitimité dans le monde bouleversé qui est le nôtre, elles n’entretiennent pas moins, en permanence, un rapport étroit avec le déroulement d’un vécu quotidien.


Pierre Chappuis

Ed. José Corti, novembre 2007

 

01/08/2008

Pierre Chappuis

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Pierre Chappuis 

Né à Tavannes en 1930 (dans le Jura bernois, en Suisse), Pierre Chappuis fait des études universitaires à Genève avant de se consacrer à l’enseignement de la littérature française dans le canton de Neuchâtel où il vit. Depuis 1969, il a publié dix recueils, des notes réflexives et plusieurs ouvrages hors commerce en collaboration avec des peintres, ses compagnons de route. Mouvants, discontinus, rebelles à toute fixité, jetés au-dessus du silence et du vide, ses poèmes engagent le lecteur dans une aventure du regard et du langage, qui laisse hors-jeu le concept et le sujet et sollicite l’eau, les nuages, la neige, l’éboulis, l’instant, le souvenir, le rêve...
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http://www.jose-corti.fr/auteursfrancais/chappuis.html

 

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Eboulis&autres poèmes (extrait)

 

Jour ouvrable

 

 

Salée, impure, mélangée, salie au long d'un jour maussade,
jour bas, gris - jour o u v r a b l e ; altérée, abâtardie, elle se
dégrade, se détériore, se ruine.

 

 

 

Neige de rue, de ville.

 

 

 

Elle tourne en eau, en boue, saumure noirâtre, brunâtre,
brouillée après avoir été lisse et soyeuse comme au sortir
d'une calandre.

 

 

 

Neige de grincheux.

 

 

 

Mastiquée, malaxée (mouillure, souillure, salissure), elle mol-
lit, pâte insalubre, porteuse de fièvre.

 

 

 

Ordurière, repoussante

 

 

 

 ***

 

D'abord blessée de rien (un pas, le suivant), la moindre
incursion (furtive, insignifiante) se dénonçant elle-même
comme une violation, elle fut, au terme d'une nuit blanche,
tendue à neuf sans plis ni déchirures.

 

S'échouait, songe, se perdait.

 

 

 

A peine marquées, toutes traces presque aussitôt rentrant
dans la blancheur ou la nuit, sans amarres, urbaine de moins
en moins (marcheurs somnambuliques), lentement, d'un
même débord (sables mouvants pris dans un insensible,
insensible glissement), l'agglomération en bloc, immobile,
à la dérive, sombrait.

 

 

 

L'aile de la mouette, le bord envolé du toit : toutes marges
irréelles. Pas plus de trottoirs alors que de chaussées.

 

 

 

Immobile, enrayée, lentement, songe au matin, s'échouait.

 

***

 

 

 

Michel Collot

Son oeuvre est un opus incertum, dont les blocs tiennent par la force d'un vide qui les menace mais les vivifie. En elle "triomphe et ruine, beauté et désordre", se conjuguent et échangent "une réciprocité de preuves", accomplissant ce qui est pour Chappuis la fatalité et la vocation de l'art : "convertir en beauté l'horreur du monde".

 

Jacques Dupin
Un carnet de montagne – compris la plaine, la nuit, le jardin, le faîte du toit, la fenêtre, le bruit du torrent, l’eau du lac, pour que s’y agriffent, l’un selon l’autre, les gestes de la vie, le pas indestructible et le regard cassé clair.

 

Le groupement des signes. La dispersion, la constellation des images. L’art de la parenthèse, appel, écho, sonnailles. La parenthèse nécessaire et bénéfique : une incision, une injonction et son déni, un plus et un moins, une rétraction dilatée, un dépassement, un retrait, une fissure dans le mur et son crépissage impromptu célébrant l’ouvert.

 

Parenthèse, un bout de corde pour assurer, une gorgée d’eau-de-vie pour rebondir, mais en retrait, en abîme… Une touche d’espace et de couleur plus légère pour contrecarrer le dru de la langue. Chaque mot est toujours plus qu’un mot, toujours en excès. Toujours en équilibre instable au-dessus de la mer, au-dessus de la langue. Chaque nuit nous porte au-delà de l’obscurité qui nous emmure. Il faut inventer des percées.

 

Extrait de « Le sens de la marche » Pierre Chappuis
(pp.148/150 - M'introduire dans ton histoire, P.O.L. Editeur, 2007)