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04/06/2023

Les Carnets d'Eucharis au Marché de la Poésie - 2023

 

Au Marché de la poésie

du 07 au 11 juin

Place Saint Sulpice (Paris 6e)

 

L’Atelier Les Carnets d’Eucharis

Stand Ent'Revues 700-704
 

vendredi & samedi : 11h30 – 19h
 

 

 

 

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Pour + d'infos

 

24/05/2023

Les Carnets d'Eucharis et son numéro hors-série dédié à Edmond Jabès - Périphérie du Marché de la Poésie - Paris

Dans le cadre de la Périphérie du Marché de la Poésie, Ent’revues a le plaisir de vous inviter à une soirée

 

Jeudi 25 mai 2023 à 18h30

à la Maison des Sciences de l’Homme – 54, Bd Raspail – 75006 Paris

 

autour de la revue Les Carnets d’Eucharis et de son numéro hors-série

 

Edmond Jabès – Dans la nuit d’encre et de sable

 

une conversation entre

Marcel Cohen, Didier Cahen, Bernard Grasset, Marc-Alain Ouaknin

 

animée par Martine Konorski et Yves Boudier

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Entrée libre.

Réservation recommandée : info@entrevues.org

 

Pour + d’infos : CLIQUER ICI

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18/05/2023

Les Carnets d'Eucharis - Numéro anniversaire - 2023

 

NUMÉRO – ANNIVERSAIRE

ÉDITION 2013 # 2023

 

[PARUTION LE 16 MAI 2023]

 

 

 

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LES CARNETS

D’EUCHARIS

[Numéro-anniversaire]

 

 

2023 : dixième année d’édition pour La revue Les Carnets d’Eucharis ! Un spécial numéro-anniversaire (140 pages) est également accompagné d’un hors-série (120 pages) dédié au grand écrivain et poète que fut Edmond Jabès.

Au fil de ses 10 numéros, la revue Les Carnets d’Eucharis s’est à chaque fois investie de l’impératif d’écritures « plurielles », toujours dans le vœu d’assurer une fonction agrégative, en réunissant différents styles d’écriture relevant autant du genre poétique que du genre narratif.

Pour ce numéro évènementiel 2013 # 2023, nous retrouverons les rubriques habituelles :

« Au pas du lavoir » et son anthologie de poésie contemporaine qui rassemble 12 poètes et pour chacun une approche créative de l’écriture tout aussi inédite que singulière. Parmi les invités : Anne Barbusse, Chantal Bizzini, Sophie Brassart, Alain Fabre-Catalan, Romain Fustier, Gery Lamarre, Hervé Martin, Joël-Claude Meffre, Damien Paisant, Nathalie Riera, Jos Roy, Benoît Sudreau, Jean-Charles Vegliante et Gabriel Zimmermann.

Pour « À Claire-Voix » le poète Etienne Faure répond aux questions de Martine Konorski. Etienne Faure a publié depuis de nombreuses années chez Champ Vallon (Légèrement frôlée, Vues prenables, Horizon du sol, La vie bon train, Ciné-Plage) et chez Gallimard depuis 2018, avec Tête en bas (qui a reçu le prix Max-Jacob), Et puis prendre l’air, Vol en V. Autant de recueils qui ont conduit Martine Konorski à en savoir davantage sur son travail d’écriture, sur la fabrique de son art poétique, sur ses lectures et références multiples et de tous les genres.

« ClairVision » accueille Marc Mercier et Richard Skryzak dans un entretien détonant : « Vive la Poésie électronique ! » Marc Mercier est poète, écrivain et vidéaste, co-fondateur en 1988 du Festival international Les Instants Vidéos de Manosque, devenus ceux de Marseille en 2003, sous l’égide de l’association Les Instants Vidéo Numériques et Poétiques. À travers ce portrait dialogué, Richard Skryzak nous propose « de découvrir l’œuvre polymorphe et les idées de cet artiste à part, éternel voyageur et passeur de cultures, pour qui les mots et les images constituent autant d’actes de “résistance”. Pour qui surtout le Désir s’incarne dans toutes les formes Poétiques possibles, de l’écriture à l’image électronique ».

Dans cette même rubrique Nathalie Riera aura à cœur de poursuivre sa « série art italien » qui s’ouvrait en 2021 avec un portrait de la critique d’art dissidente Carla Lonzi. Pour ce numéro, elle a choisi de rendre hommage à Pino Pascali (1935-1968), une comète dans le milieu de l’art italien. Sculpteur, peintre et performeur à l’œuvre exceptionnelle et à la carrière fulgurante, Pascali est l’un des pionniers de l’Arte Povera, mouvement contestataire qui est apparu à la fin des années 1960, s’opposant au pop art américain et au mercantilisme de l’art.

Le « Labo des langues » s’ouvre sur la poésie « d’un réalisme cosmique à la Lucrèce » de Maria Borio. Née à Perugia en 1985, diplômée en Littérature italienne, « sa poésie exigeante, parfois proche d’une vision revisitant l’enfance, ou une image d’enfance assumée comme telle, atteint dans ses derniers recueils à une véritable "transparence" proche de la méditation philosophique et spirituelle ». Les poèmes choisis sont traduits par Jean-Charles Vegliante.

Jane Hirshfield rend hommage à Robert Elwood Bly (1926-2021), à travers une sélection de 5 poèmes traduits par Geneviève Liautard. Bly restera toute sa vie fidèle à sa région natale, le Minnesota. Paysan fermier, il mènera aussi des activités de traducteur, d’éditeur et d’écrivain. Son œuvre se concentre sur la puissance du mythe, la méditation, la poésie des Indiens d'Amérique et les contes.

Lucile Charton, Elisa Deutsch, Erika Neav et Martina Zizzari, étudiantes du Master TLEC italien (Master de Traduction Littéraire à l’Université Lumière Lyon 2), avec leur enseignante Sandra Bindel, nous proposent leurs chantiers de traduction. Parmi les poètes sélectionnés, Claudio Pozzani – que Fernando Arrabal définit comme « un maître de l’invisible, un débusqueur de rêves, un voleur de feu. Ah ! que son cœur danse dans l’alcôve fêtée… » – et Viviane Ciampi, née à Lyon d’un père toscan (Pise) et d’une mère lyonnaise. Sur le site des éditions Al Manar, on peut lire : « Son goût pour les mots se nourrit de l’intérêt de son père pour la parole chantée des poètes, sa passion pour la musique lui a été transmise par son grand-père. Dans les années 1970, elle s’installe à Gênes où elle découvre la poésie de Campana, Sbarbaro, Montale, De Andrè ».

 

 

Format : 16 cm x 24 cm | 140 pages (dont un portfolio)

| France : 32 € (frais de port compris) – 25 € (sans frais de port)

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Ouvrage publié avec le soutien de la Fondation Jan Michalski.

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47 € (ABONNEMENT-PROMO)

Pour une commande globale de l’édition 2023 qui comprend le numéro-anniversaire de la revue (2013#2023) et une édition spéciale « Edmond Jabès. Dans la nuit d’encre et de sable ».

 

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CONTACT : Nathalie Riera nathalriera@gmail.com /

 

 

Edmond Jabès - Dans la nuit d'encre et de sable (édition spéciale Les Carnets d'Eucharis, 2023)

LES CARNETS

D’EUCHARIS

[Édition spéciale 2023]

 

 

EDMOND JABÈS

DANS LA NUIT D’ENCRE ET DE SABLE

 [PARUTION LE 16 MAI 2023]

 

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Stéphane Barsacq Didier Cahen

Marcel Cohen Anne de Commines

Alain Fabre-Catalan Alain Freixe

Bernard Grasset Steven Jaron

Martine Konorski Etienne Lodého

Joël-Claude Meffre Michel Ménaché

Marc-Alain Ouaknin Rosie Pinhas-Delpuech

Raphaël Rubinstein André Ughetto

Rosmarie Waldrop Catherine Zittoun

 

 

Edmond Jabès : Dans la nuit d’encre et de sable, numéro hors-série des Carnets d’Eucharis (2023) est une monographie consacrée au grand écrivain que fut Edmond Jabès (1912-1991). Cette édition inédite a été rendue possible grâce au concours de certains de ses proches et des auteurs qui, se sentant en affinité avec l’œuvre, ont volontiers accepté d’écrire pour ce numéro, l’occasion aussi de (re) découvrir un pan de la littérature et de la pensée moderne.

Parmi ses proches, Marcel Cohen nous a autorisé la publication de quelques extraits de ses entretiens avec Jabès. De même que Rosmarie Waldrop, une des meilleures spécialistes de Jabès et qui a été son amie pendant plus de vingt ans, nous a autorisé et permis de publier des extraits inédits en français de son essai Lavish Absence, livre considéré par Marcel Cohen comme majeur. C’est Rosmarie Waldrop qui a introduit Edmond Jabès aux États-Unis. Steven Jaron, également un des meilleurs connaisseurs de Jabès, nous a permis de publier un texte inédit en français. Quant à la fille de Jabès, Viviane Crasson-Jabès, elle a accompagné avec beaucoup d’intérêt et de générosité ce travail qu’elle considère comme important.

Edmond Jabès, quatre syllabes qui ouvrent l’espace de cet écrivain majeur du XXe siècle dont l’œuvre est aussi vaste que forte. Ce hors-série en propose une vision plurielle, incluant quelques textes inédits traduits en français, et donne la parole à des spécialistes et amis qui l’ont bien connu comme à des auteurs qui se sentent en affinité profonde avec cette création unique en son genre. C’est d’ailleurs à cet exercice de lecture et de traduction que Jabès invite le lecteur pour la re-création permanente de ses écrits indomptables ne relevant d’aucun mouvement, centrés sur la Question qui génère d’autres questions, à l’infini, pour toujours aller à la rencontre de soi et de l’Autre. 

La coordination de ce hors-série assorti d’un cahier visuel en quadrichromie est assurée par Martine Konorski.

Des textes, des lettres, des manuscrits, des entretiens et des témoignages ont aidé à la réalisation de cet ouvrage exceptionnel.

 

Je suis le fond oublié de la mer. Je suis le rêve impossible de l’eau lasse. Le ciel a du sable dans les cheveux.

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  • Edmond Jabès

 

 

Format : 16 cm x 24 cm | 120 pages (dont un portfolio)

| France : 27 € (frais de port compris)

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Ouvrage publié avec le soutien de la Fondation Jan Michalski.

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12/03/2022

Les Carnets d'Eucharis - "Sur les routes du monde, vol. 3" - Une lecture de Mazrim Ohrti (Poezibao)

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par Mazrim Ohrti – POEZIBAO

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[Les Carnets d’Eucharis – Sur les routes du monde #3 – 2021]

 

 

Une fois de plus, explorons la magnifique revue toute en nuances de Nathalie Riera et de ses complices dont le sous-titre promet une pérégrination « tous azimuts ». Confrontons-nous à une mondialité affranchie des affres du mondialisme. L’édito convoque les écrivains-voyageurs, d’Homère à Sylvain Tesson en passant par Chateaubriand, Jack London, Nicolas Bouvier, Kerouac, Jacques Lacarrière. Peinture, arts visuels, danses des mots et des corps nous invitent à suivre ce mouvement perpétuel dans les pas de Pina Bausch avec son Tanztheater, de Pippo Delbono, ce « poète intranquille de la scène » ou d’Ilse Garnier à laquelle se rattache d’emblée le nom de spatialisme. On apprend combien l’Afrique lui fut source d’inspiration autrement qu’à travers « un monde exotique ou un réservoir de motifs pittoresques ».

Il y en a comme à l’accoutumée pour la détente et l’érudition, dans l’idée que l’un ne va pas sans l’autre pour peu qu’on veuille se refaire une santé culturelle par les temps qui courent sans se retourner. Rythme et mesure et liberté créatrice extatique ne s’opposent pas, bien au contraire.  LIRE LA SUITE

 

Les Carnets d'Eucharis - "Sur les routes du monde, vol. 3" - Une lecture de Jean-Pierre Longre

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par Jean-Pierre Longre

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L’art en mouvement

[Les Carnets d’Eucharis – Sur les routes du monde #3 – 2021]

 

 

Les Carnets d’Eucharis, c’est une belle revue à lire comme voyageait Montaigne, sur des modes divers et par étapes curieuses. Montaigne dont il est question avec d’autres, (Chateaubriand, Lamartine, Nerval, Flaubert…) sous la plume de Patrick Boccard, Montaigne, l’un des premiers à pratiquer l’écriture « nomadisée » qui forme le thème du premier dossier de ce numéro. « Sur les routes du monde », nous rencontrons Nicolas Bouvier (avec Jean-Marcel Morlat), Lorenzo Postelli (avec Zoé Balthus), Homère, Kerouac, Lacarrière, Tesson etc. (avec P. Boccard), et nous suivons les itinéraires poétiques, descriptifs, narratifs, souvent illustrés, de Nicolas Boldych (à « Rome-en-Médoc »), Jean-Paul Bota (à Lisbonne), Zoé Balthus (au Japon), Jean-Paul Lerouge (en Ouzbékistan) – et nous nous imprégnons des pages que l’on découvre comme les écrivains-voyageurs se sont imprégnés des lieux qu’ils ont explorés.. 

LIRE LA SUITE

Anne-Emmanuelle Fournier "La part d'errance" - Une lecture de Rodolphe Houllé

 

Anne-Emmanuelle Fournier

LA PART D’ERRANCE

[Editions Unicité, Coll. « Le Vrai Lieu », 2021]

 

 

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© Anne-Emmanuelle Fournier (sur sa page Facebook)

 

 

par Rodolphe Houllé

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Maurice G. Dantec disait qu'une bibliothèque est un arsenal. Si cela est vrai, alors ce livre serait une arme de précision dotée d'un silencieux. Mais une bibliothèque est aussi un bunker et l'on a effectivement le sentiment que ce recueil est écrit alors qu'une catastrophe s'est produite – et continue à se produire. Il témoigne de l'état actuel du monde. Si quelqu'un du futur le lisait, il penserait : alors c'était ainsi, ce monde était ainsi. Car il n'y a pas, en le lisant, de quoi douter de cet état.

Le monde est fracturé. L'homme debout, le dieu et l'animal couchés. Couchés aussi l'air du soir, la lumière et le cadavre. Arrogance de la verticalité, surtout quand elle est immobile.

Cueillir, marcher, passer, traverser, tanguer, ployer, s'incliner, s'écouler.

La fission atomique symbolise cette fracture. L'autoroute, l'usine à porcs, la centrale nucléaire, dans ce triangle où l'homme sain ne peut que perdre la raison se joue quelque chose d'essentiel. Et qu'a-t-il à nous dire, ce « prométhée cafardeux » qui erre de nuit entre le « feu dérobé aux étoiles » et les « animaux concentrationnaires » ? Rien, ou si peu. Devant l'énormité du crime il ne peut que « psalmodier » et « sangloter doucement », abandonner seulement la camisole de la parole technocratique qui catalogue, classe et dissèque, s'identifiant ainsi à l'homme hypothétique évoqué par Paul Celan dans Tübingen qui, « s'il venait […] au monde, aujourd'hui, avec / la barbe de clarté / des patriarches : il devrait / s'il parlait de ce / temps, il / devrait bégayer seulement, bégayer, / toutoutoujours / bégayer ».

C'est que la fracture du monde matériel conduit inévitablement à celle de l'être. La séparation est une autre manière de nommer la fracture. A ce point radical que, même si « Voilà plus de mille ans que nous marchons / sans trouver l'eau », nous ne savons même plus « si nous saurons encore la reconnaître ».

La droite et l'angle dessinent la ligne de fracture qui traverse de part en part l'homme mutilé, « rogné ». Il n'y a pas de ligne droite dans la nature, la forme géométrique apparaît dans l'infinitésimal qui nous a engloutis, nous qui avons consommé le « fruit anguleux de la connaissance » et, munis de l'horloge atomique, disséqué le temps même, abandonnant « le cœur dilaté de ce présent » que rien ne saurait mesurer, sinon « la main pleine de son propre pouls », la « pendule arrêtée » dans le « fond animal des jours ».

Mais ce n'est pas du tout un livre politique, même si à défaut d'une politique, une manière d'envisager l'humain pourrait s'en dégager. Ce n'est pas non plus un livre de colère, même si l'un de ses piliers est la colère, car la colère ne convient pas. Et encore moins un manifeste, car nous avons déjà bien trop pensé (c'est-à-dire, pensé de cette manière voracement tendue vers l'avenir) et que cent-cinquante ans après Rimbaud, plus terrifiant encore, on voit toujours « roulant comme une digue au-delà de la route hydraulique motrice, / Monstrueux, s'éclairant sans fin, — leur stock d'études ».

Assez d'idées. Assez de choses. Assez d'avenir. La Que Sabe chante au-dessus des os, elle sait, que comprendre n'est rien.

Main : « crevassée ». Rumeur : « obscure ». Vent : « aride ». C'est ainsi qu'est le monde, parfaitement inintelligible. Pourquoi donc chercher à comprendre ? Et que comprendre ?

Que faire ? Rien. Cueillir, marcher, passer, traverser, tanguer, ployer, s'incliner, s'écouler.

Errer. Errer sous la force de gravité, « mère de toutes les forces ».

Marcher à côté du cheval et l'abreuver. Le cheval sait, lui aussi. Sa « mâchoire d'ombre », « sa sueur et ses muscles ». Rien d'autre, « dans le soir qui respire / à peine ». C'est le compagnon du lecteur, qu'il marche sous la steppe chamanique ou attende la nuit. Regarder son « visage ».

Regarder les insectes venus « manger aux pieds » de celle « qui ne vieillit plus depuis longtemps » et le moucheron qui « tournoie au-dessus de la table / […] sans doute plus proche que moi / de ce que serait Dieu ». Regarder ce qui est, regarder ce qui vit, c'est-à-dire tout. Brûler le vêtement de cette pensée mortellement civilisée devant le « dieu à tête de buffle » afin de se présenter nu devant « le dieu à quatre pattes ».

Ne plus être séparé.

Nous avons oublié ce que « vivre a de terriblement élémentaire » notait Jean Grosjean dans sa magnifique préface au Journal du manœuvre de Thierry Metz. Anne-Emmanuelle Fournier relève que cet oubli ne saurait cependant être complet et – c'est là sans doute l'un des aspects les plus troublants et les plus dérangeants de son livre – parvient à nous faire ressentir à quel point notre époque, comme toute époque, n'est qu'une pellicule dérisoire immergée dans un temps immémorial où presque rien de ce que nous imaginons connaître n'a de valeur et qui parfois, à la faveur d'un relâchement de l'attention, dissout toute certitude pour nous plonger dans le mystère fondamental et éternel du monde. Le poème qui débute par « Murmurée à l'après-midi / dans la stase d'une saison jaune » réussit de manière admirable à évoquer le malaise, l'étrangeté et la fascination dans lesquels nous emporte irrésistiblement cette lame de temps venue d'un passé vertigineusement lointain submerger le présent.

La « Méditation terrestre » qui clôt l'ouvrage évoque aussi ce glissement, d'une manière peut-être moins inquiétante, mais l'on ne peut s'empêcher de penser que « le son d'une voix » qui « de loin en loin » « perce mollement la canicule », « comme engourdie » et que nous avons « peut-être rêvée / dans cette journée ou dans une autre » n'est autre, incertaine, chancelante, que celle de l'homme, qu'une simple promenade par un après-midi d'été aura suffi à effacer presque entièrement du monde.

Livre compact, sec et lourd comme une pierre. Livre liquide, livre aérien.

Très grande maîtrise du silence. Livre silencieux. Livre qu'on écoute plus qu'on ne le lit qui, refermé, continue à vibrer longtemps dans la mémoire, comme planté dans le mille d'une cible inconnue par une magicienne inquiète. Souhaitons que sa parole soit entendue.

 

 

07/11/2021

Les Carnets d'Eucharis 2021 - En livraison dès le 08 novembre 2021

LES CARNETS D’EUCHARIS

(SUR LES ROUTES DU MONDE – VOL. III]

 

 [LIVRAISON LE 08 NOVEMBRE 2021]

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avec le soutien de la Fondation Jan Michalski 

 

Jean-Marcel Morlat  Zoé Balthus Patrick Boccard Nicolas Boldych Jean-Paul Bota Jean-Paul Lerouge Zagros Mehrkian Estelle Ladoux Nathalie Riera Alain Fabre-Catalan Martine Konorski Claude Darras Marianne Simon-Oikawa Michèle Duclos Camille Loivier Armelle Leclercq Christophe Lamiot Enos Irina Bretenstein Gérard Cartier Geneviève Liautard Jennifer Grousselas Michèle Kupélian Richard Skryzak Dominique Pautre Jean-Paul Thibeau Barbara Bourchenin Jean-Charles Vegliante Patrizia Valduga Naomi Shihab Nye Angèle Paoli

 

La route d’Anatolie

[Puis la glaise et la boue s’allument de mille feux et le soleil d’automne se lève sur les six horizons qui nous séparent encore de la mer. Tous les chemins autour de la ville sont tapissés de feuilles de saule que les attelages écrasent en silence et qui sentent bon. Ces grandes terres, ces odeurs remuantes, le sentiment d’avoir encore devant soi ses meilleures années multiplient le plaisir de vivre comme le fait l’amour.]

Nicolas Bouvier L’Usage du monde éditions Quarto Gallimard

               

Format : 16 cm x 24 cm | 230 pages (dont un Cahier visuel de 8 pages)

| France : 26 € (frais de port compris)

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20/10/2021

Les Carnets d'Eucharis au Marché de la Poésie - sur le stand 110-114 du CipM

38ème bis Marché de la Poésie

Du mercredi 20 au dimanche 24 octobre

Place Saint-Sulpice, Paris 6e

 

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Le Cipm est au Marché de la poésie, où il accueille un ensemble d’éditeurs et de revues de la Région Sud : Caméras animales, Fidel Anthelme X, Journaud, La Nerthe, L’Ollave, Plaine Page, Vanloo ; Art Matin / GPS, Bébé, Cri-Cri, Fondcommun, GPU, If, Les Carnets d’Eucharis, Muscle, Nioques, Pavillon Critiqvue, Phœnix, Teste. Présentation des livres, des revues, des actions, des projets…
Rencontre autour d’un verre mercredi 20 octobre, de 18 à 20h, à l’occasion de l’inauguration du Marché de la poésie : stand 110 - 114 (Cipm, éditions de l’Attente, éditions Nous).

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11/04/2021

Les Carnets d'Eucharis - DOSSIER DE PRESSE (2011-2021)

 

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Les Carnets d'Eucharis 2020 - une lecture de Mazrim Ohrti sur Poezibao

Les Carnets d’Eucharis 2020

●●●●●Poésie | Littérature | Les Arts de l’Image (photo&vidéo) ●●●●●●

 

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Voici le dernier numéro paru de la belle revue Les Carnets d’Eucharis.
Ce volume s’intéresse à Yves Bonnefoy, disparu en 2016. « Dire non à la nuit » est le nom du dossier qui lui est consacré à travers témoignages et reconnaissance de sa poésie et de son travail de chercheur/critique, dans ce domaine ainsi que dans d’autres tels que peinture, sculpture, musique ou photographie. Au poète de jeter des passerelles entre ces disciplines. Aux mots de constituer un refuge pour le sensible où se croisent les éléments de celles-ci. Le sens d’une démarche s’efface derrière l’objet limité à sa catégorie. Exigences d’élection du sensible restent anecdotiques. Il y a un travail de parole en perpétuel mouvement qui transcende les courants et les genres, qui, inscrite dans la peinture, la forme modelée ou la pierre, se révèle grâce à « la fonction éclairante de la poésie ». Nathalie Riera, Claude Darras, Alain Freixe, Julie Delaloye, André Ughetto et d’autres dispensent leur regard et leur attachement au poète et à son œuvre prolifique, chacun(e) à sa manière. On sait combien la liste des artistes que Yves Bonnefoy aura fréquentés pour exercer son talent est vertigineuse. 
Lire la suite sur POEZIBAO

 

 

23/11/2020

Bernard Vargaftig par Gérard Titus-Carmel

BERNARD VARGAFTIG

par Gérard Titus-Carmel

[extrait]

 

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[1934-2012]

 

 

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  Extrait

 

[Gérard Titus-Carmel,

« Dans la nudité d’être », Ecrits de chambre et d’écho

L’Atelier Contemporain, 2019.]

 

« […] Tout poète a un lexique, qu’il conserve et alimente jalousement, et par quoi il se nomme au monde – grâce auquel, aussi, il se livre à nous. Si les mots appartiennent à tous, certains sont oblitérés d’une présence particulière, sinon spécifique, qui les rend différents ou, mieux, reconnaissables, comme appartenant de fait à une langue propre et que leur seule qualité d’esseulement distingue. Dans la forte brassée de mots que manœuvre et maçonne Bernard Vargaftig, je retiens ceux-ci, parmi beaucoup d’autres, qui sont matière vivante, comme en suspension dans l’air, mais qui sont indubitablement siens – qu’il a fait siens : stupeur et éblouissement, silence et aveu, nudité et oubli, immensité et acquiessement, soudaineté et vitesse, désert et aveuglement, distance et effroi, feuillage et oiseau. Ils reviennent régulièrement, avec la seule force de l’entêtement qui les a souhaités et immobilisés dans ses rets et qui, partant, les somme chaque fois de paraître. Bernard Vargaftig les appelle à lui, il les appelle au-devant de lui, puisque tout est centre et mouvement depuis la blessure d’enfance qui sans cesse remonte comme salpêtre, comme mauvaise enfance qui étrangle, quoi qu’on en dise, et à quoi il faut donner du langage à moudre pour pouvoir encore survivre ou, pour dire les choses plus simplement – plus implacablement, aussi – pour vivre, enfin, dans la ressemblance. […] » (pp.185-186)

*

« […] “Je n’écris pas, je marmonne”, dit-il encore. Marmonner, ressasser, travailler les mots avec la bouche, les mesurer et les tordre dans l’antre de la gorge, depuis le cœur de la voix, une voix sourde, presque fêlée, pantelante. Avoir le texte au souffle, comme on dit à l’usure et, par le souffle, le soumettre. Puis solidifier tout cela, malaxer, ségréger les phrases dans le dit de la voix, avant que de les transcrire. Et se voir ainsi écrire ce qu’on en voulait, ou ne pouvait, pas dire : le trouble du nom propre mais sans son ombre portée, la séparation sinon consentie, du moins avouée, mais du bout des lèvres : “Je faisais tourner les mots en essayant d’ailleurs de ne pas remuer les lèvres”, confesse-t-il dans un entretien.

 

Car parfois les lèvres se refusent au texte, le brident, ou, plus encore, l’interdisent. Libre alors aux mots de forcer la barrière des lèvres, de s’oublier, ou de se perdre à leur entour. Ce qui, autrement, s’appelle composer avec la langue, jusqu’au revers de la langue – dans son inentamable rétivité. […] » (pp.187-188)

 

© L’Atelier Contemporain 

[CLIQUER ICI]

 

 

 

 

18/04/2020

LES CARNETS D'EUCHARIS (édition 2020) en livraison à partir du 11 mai 2020

LES CARNETS

D’EUCHARIS

[Édition 2020]

 

 

YVES BONNEFOY

"DIRE NON À LA NUIT"

 ALBERTO GIACOMETTI – NICOLAS DE STAËL

BENJAMIN BROU KOUADIO

 

[Portraits de Poètes – Vol. III]

 

 

 [LIVRAISON LE 11 MAI 2020]

 

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avec le soutien de la Fondation Jan Michalski

 

 

 

L’édition 2020 de la revue Les Carnets d’Eucharis, et son troisième volume « PORTRAITS DE POÈTES », est en partie centrée sur le mémorable et regretté Yves Bonnefoy. DIRE NON À LA NUIT réunit 9 contributeurs, pour rendre compte de son acuité de poète mais aussi de son attachement aux artistes. Cette 8ème édition est aussi l’occasion de revenir sur des écrivains et des artistes majeurs, à travers des portraits saisissants comme celui d’Alberto Giacometti en dialogue avec Jean Genet dans son atelier rue Hippolyte-Maindron ; puis celui de Nicolas de Staël en chercheur perpétuel, possédé de peinture, totalement voué aux fulgurances de la création.

Portraits de Poètes avec William S. Merwin (1927-2019) sous le regard bienveillant de la poète Jane Hirshfield qui évoque sa longue amitié avec l’un des chefs de file du renouveau de la poésie américaine après la Seconde guerre mondiale. Pour l’un comme pour l’autre Poetry is a way of looking at the world for the first time (La poésie est une façon de regarder le monde pour la première fois). Quatre poèmes accompagnent cette « amitié en poésie », traduits de l’américain par Geneviève Liautard et Luc de Goustine.

7 voix contemporaines se partagent « Au pas du lavoir ».

Pour la rubrique « À Claire-Voix », nous avons choisi de nous entretenir avec deux personnalités du monde des lettres : Sophie Loizeau, membre du comité éditorial de la revue Formes poétiques contemporaines, puis  l’éminent traducteur André Markowicz, qui a traduit l’intégralité de l‘œuvre romanesque de Dostoeïvski (29 volumes), du théâtre complet de Gogol et de Tchekhov, et qui répond à nos questions sur ce qui se joue dans la traduction et la retraduction ainsi qu’entre traduction et historicité.

L’artiste vidéaste, Richard Skryzak, nous entraîne dans ses divagations esthétiques, « divagations » à prendre sûrement au sens de « déplacement total ou partiel », rompre avec la notion de sens commun ou première notion des choses ordinaires. Il y est question de L’invention du Clin d’œil et de ses multiples formes.

Pour « ClairVision », Richard Skyrzak s’entretient avec le peintre et universitaire Benjamin Brou Kouadio sur le devenir de la peinture aujourd’hui, notamment en regard de ce qu’il est convenu d’appeler l’art contemporain.

Les Carnets d’Eucharis, c’est aussi une fenêtre ouverte sur un laboratoire de « Traductions » de textes vivants. La sélection 2020 offre un généreux bouquet de poèmes en langue portugaise (Nuno Júdice), italienne (Italo Testa) et grecque (Giannis Ristos).

Le carnet se referme avec « Et banc de feuilles descendant la rivière » : notes de lectures sur les derniers livres de Cécile Wajsbrot, Pascal Boulanger, Édith Boissonnas, Cees Nooteboom et Alexandre Blaineau.

Un cahier visuel de 8 pages s’ajoute au précédent portfolio Lignes de fuite, en une suite d’instantanés photographiques, sous le titre : Alentour l’horizon. Ces photographies inédites sont assurées par Nathalie Riera.

 

……………………………………… [Nathalie Riera]

 

Claude Darras

Julie Delaloye

Laurent Enet

Alain Fabre-Catalan

Alain Freixe

Michel Ménaché

Nathalie Riera

Pierre-Yves Soucy

André Ughetto

 

 

La justice nocturne

[Je rêve que je n’ai retenu de la peinture du monde que la Dérision de Cérès, d’Adam Elsheimer, et La Diane et ses filles, de Vermeer.

 

C’est la « justice nocturne ». Je suis maintenant tout près d’elle. Elle a tourné vers moi son petit visage enfantin, elle rit sous ses cheveux en désordre.]

 

Yves Bonnefoy

La vie errante

-– éditions Mercure de France

 

Sophie Loizeau André Markowicz Anne-Lise Blanchard Jacques Estager Corinne Le Lepvrier Martine Konorski Christophe Migault Angèle Paoli Jean-Charles Vegliante Benoît Sudreau Nuno Júdice Italo Testa Yannis Ritsos William S. Merwin…

               

 

 

Format : 16 cm x 24 cm | 216 pages (dont un Cahier visuel de 8 pages)

| France : 26 € (frais de port compris)

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© L’Atelier des Carnets d’Eucharis, 2020

 

 

 

30/03/2020

Gérard Cartier - L'Oca Nera (une lecture de Nathalie Riera)

 

 

 

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ǀ L’Oca Nera, Éditions La Thébaïde, 2019

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Gérard Cartier

 

GERARD CARTIER

[L'OCA NERA]

L’Oca Nera est le premier roman de Gérard Cartier, avec sa structure de 62 chapitres pour répondre au traditionnel Jeu de l’Oie et ses 62 cases aux figurines diverses, toutes en référence à la mythologie, dont certaines présentent un nombre de risques ou d’accidents, autant de cases fastes que néfastes – non sans quelque lien avec la vie humaine et ses vicissitudes. Jeu de hasard pur, qui n’implique ni réflexion ni calcul, où l’aléa règne en maître, le Jeu de l’Oie est marqué du double sceau de la simplicité et du mystère. D’origine italienne, probablement Florence, la première édition remonterait à 1580. Au Musée du Jeu de l’Oie, à Rambouillet, le narrateur nous avise : « Quatre siècles sont représentés là, depuis les premiers jeux, de simples gravures à l’encre bistre, jusqu’aux planches richement enluminées du début du siècle ».

Le narrateur sait l’enracinement dès son enfance du culte de l’image, « comme tous ceux de mon âge, j’ai appris le monde dans les livres d’images », une fascination que rien ne peut éradiquer, et c’est en protagoniste ocaludophile qu’il nous entraîne dans les ruines du passé, parmi celles de la tragédie du Vercors et son foyer de la Résistance française anéanti dans un bain de sang lors de l’attaque des Allemands le 21 juillet 1944. Puis, dans un temps moins reculé, du temps où le protagoniste – comme l’écrivain Gérard Cartier – menait une carrière d’ingénieur sur des projets d’infrastructures, il y aura cette autre guerre, jugée plus protéiforme, l’attaque du chantier La Maddalena et ses manifestations NO TAV dans le Val de Suse (27 juin 2012), simulacre de « jeunes gens révoltés qui (…) jouent, comme disent les journaux, à la guerre ». La lutte de ce mouvement populaire de protestation contre la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin dure depuis le milieu des années 1990. On se souvient des chefs d’accusation retenus contre l’écrivain Erri De Luca, pour instigation au sabotage et vandalisme et aussi de son acquittement le 19 octobre 2015 par le TPP (Tribunal Permanent des Peuples) de Turin.

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Le regard profond de Gérard Cartier sur l’Histoire répond à sa hantise de la guerre, celle précisément « qui nous a engendrés, dans l’ombre de laquelle mon esprit s’est formé », écrit le narrateur. Le passé remonte par bouffées, rien ne peut rompre les fils qui nous y rattachent.

Tout au long de ces 62 séquences sans chronologie dans le temps, le lecteur avance chapitre après chapitre, presque à l’aveugle, parfois tout aussi perdu que le narrateur qui veut bien croire que nous ne sommes pas seulement « un pion poussé au gré des nombres », mais plutôt croire « que nous sommes volonté et raison », au même titre qu’au jeu de hasard raisonné, à même de nous permettre d’opérer des choix pour tirer le meilleur parti du résultat des dés.

Le roman de Gérard Cartier est on ne peut plus troublant, intriguant, dans sa substance même, où le temps, qu’il soit présent ou passé, est à jamais vecteur de nostalgie : « Que devient ce qu’on possède dans l’instant, dans la pure dilapidation du désir », en même temps que ce paradoxe de vouloir y remédier avec juste ce qu’il faut d’ « un peu d’invention et même beaucoup (…) pour rendre vie au passé ».

Le premier jeu de l’oie du protagoniste remonte du temps de l’après-guerre, du temps de la ferme de Carrue, en décembre 1964, où il entendra pour la première fois le nom énigmatique de Graz, nom étroitement lié à la vie de son père, brancardier pendant la guerre, nom « tout à coup surgi des ténèbres du siècle ». Graz désigne Wolfsberg, une petite ville en Autriche, au sud-ouest de la frontière slovène que notre protagoniste aura le souci de sillonner, à la recherche « des baraquements couverts de toile goudronnée où des milliers de juifs ont langui avant d’être wagonnés vers Auschwitz ». Mais aucune trace ne subsiste. Aucune mémoire. Une usine de filtres automobiles remplace le camp mortifère. « Quant à mon père, j’en sais trop peu pour lui rendre un passé, trop peu même pour l’inventer, quand bien même, le suivant à distance, j’ai sillonné Wolfsberg et la Styrie et traversé l’Italie en regardant le monde avec ses yeux ».

C’est au retour de Graz que son père va retrouver « sous le lit de son enfance (…) la boîte de carton du jeu de l’oie qui l’attendait dans la poussière, et que le soir même, encore crasseux du long voyage en train à travers l’Autriche, l’Italie et la Savoie, à peine apaisée la faim dévorante qui l’avait presque réduit aux nerfs, il avait ouvert la planche colorée sur la grande table de la ferme et, le doigt errant de case en case, qu’il avait relaté son aventure à la famille réunie pour l’occasion. (…) Là, au milieu des miettes du repas, devant un verre encore à demi rempli de piquette, mon père avait entrepris de raconter la drôle de guerre et la défaite, cherchant ses mots, amenant à lui pour se donner une contenance le jeu de l’oie abandonné sur le buffet (…) ».

Une autre hantise de l’écrivain Gérard Cartier, rattachée à la tragédie du Vercors, celle du nom emblématique de Mireille Provence, hantise qui occupe une grande partie de L’Oca Nera. Mireille Provence, de son vrai nom Simone Waro, n’est pas sans lien dans l’histoire familiale de l’écrivain puisqu’elle serait impliquée dans la disparition de son oncle Marcel. Une double photo anthropométrique nous est donnée page 295. Mireille Provence dite l’espionne du Vercors, ou encore, l’égérie de la milice… Condamnée à mort à la Libération, De Gaulle la gracie, alors qu’elle a envoyé à la mort une quarantaine de maquisards. Que sait-on aujourd’hui du dossier du procès de Mireille Provence ? Après consultation aux archives de Grenoble dans l’espoir d’accéder au dossier de la condamnée, puis aux archives de Fontainebleau pour tenter d’élucider la disparition des dossiers de demande de grâce, la renégate n’est plus que fantôme, et pour l’écrivain parti sur ses traces, obnubilé « à sonder les bibliothèques et à dépouiller les vieux annuaires du Dauphiné et de la Provence », mais aussi pour les victimes et leurs familles, rien de plus abject que d’apprendre que la levée du secret n’aura pas lieu avant la fin de ce siècle : « la vérité est ensevelie dans les archives de la Cour de Justice de Grenoble », le dossier mis sous scellé « pour encore quatre-vingts ans » ! – Après une enquête toute personnelle, l’écrivain lui-même apprend que Mireille Provence a finalement écopé de seulement huit années de prison, ce qui paraît si faible au regard de l’assassinat d’environ 40 maquisards ! Mireille Provence « avait disparu des annales, après son procès, avalée par le siècle avec les Fredy Howard de Luz et les Hélène Coudreuse. Mais si j’avais su la retrouver, le sens était perdu. Mon sujet était autre : mesurer l’ombre que jette en nous l’Histoire (…) ».

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« (…) l’Histoire (…) la Littérature, lesquelles ne font jamais bon ménage, l’une nette et sévère, tracée à la pointe sèche, constellée de dates et de noms, certifiée par mille preuves inscrites sur les cartes et les stèles, l’autre vague et fluctuante, humide, ambigüe, plus propre à émouvoir qu’à enseigner, témoignage équivoque des anciens égarements, longue ombre portée sur la postérité. »

Tout comme le père – si peu disert quand le fils l’interroge sur cette époque sinistre de l’Histoire –, qui en passe par le jeu de l’oie afin de pouvoir faire récit, de pouvoir raconter, la passion (ou l’obsession) du fils pour le jeu de l’oie ne répond-elle pas au besoin de perpétuer la mémoire ? Et en passer par la littérature mémorielle, comme une manière de vaincre le temps ? Soustraire le passé de son propre néant, revisiter le passé pour mieux le redécouvrir, dans les moindres détails.

Le narrateur de L’Oca Nera s’est constitué une ocathèque avec plusieurs centaines de planches. Peut-on penser que cette fièvre de la collection recèlerait comme une nostalgie des origines, « l’émotion du révolu » pour reprendre une expression de Jean Starobinski au sujet de l’écrivain Claude Simon et ses Photographies. Chez le narrateur, nostalgie et vertige de la possession ne sont peut-être pas si éloignés, et l’acte de collectionner ne répond-il pas d’ « une sorte d’exercice d’hygiène mentale », de son aveu même.

Même si le lecteur peut parfois douter quand il s’agit de différencier la fiction de l’autobiographie, il lui reste de jouer le jeu, d’avancer de case en case, d’accompagner le narrateur dans son aventure peu commune, quitte à se perdre, revenir en arrière ou rebrousser chemin, jusqu’à parcourir toutes les cases de L’Oie Noire.

 

Mars 2020

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© Nathalie Riera

 

 

 

11/02/2020

A PARAITRE - Nathalie Riera - Instantanés des géographies de l'amour

Instantanés

DES GÉOGRAPHIES DE L’AMOUR                   

Nathalie Riera

 

PARUTION LE 10/03/2020

 

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Dans le prolongement de la revue, L’atelier Les Carnets d’Eucharis inaugure la collection « Au Pas du Lavoir », avec un texte inédit de Nathalie Riera, Instantanés des géographies de l’amour.

 

Propos de l’auteure :

Flux de paroles dans une courbe continue aux ressauts qui se succèdent : se laisser entraîner par le courant des mots et leurs petits ronds d’éclats. Mouvement d’une langue, non qui raconte mais qui vibre de l’amour, depuis la Rencontre, celle-ci toujours renouvelée dans une écriture inépuisable, l’étreinte du verbe par où ne cesser de revivre l’histoire, au secret du cœur et ses profondeurs, et par où rejoindre les arums du désir, pour au mieux s’éloigner des marais, leur préférer les ressacs du feu.

Géographie terrestre et maritime, à quelques faibles lieues du Rastel d’Agay, du Pic de l’Ours et du Cap Roux. Puis l’inoubliable Turin, la ville amoureusement citée, quand l’amour est ce « soleil besant d’or / de la nuit où nous être aimés / de midi à minuit nous être attendus ». Toujours l’amour, toujours « au fond de soi l’incarnat qui nous incarne / de l’aube à l’aurore de Turin ».

Instantanés écrits sous l’égide de la fulgurance. Passion pour la vie, pour les mots. Pour « l’éclat solaire même la nuit ». Instantanés d’un Amour.

Trame blondoyante la prairie des mots après l’érosion. Toujours avec le poème faire bain de langue. La ciselure de ce que nous écrivons. Jusqu’à la transparence. La musique de ce que nous écrivons est le bois noir d’une basse de viole. Le bruissage d’un drap. Nous souvenir que c’est août, l’ectasie des syllabes jusqu’à l’étoilement venue la nuit. Nous redire Turin à partir du même canevas.

[Extrait]

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L’Atelier Les Carnets d’Eucharis

Collection AU PAS DU LAVOIR | ISBN : 978-2-9543788-9-3 | 36 pages | 11 X 17 cm

| France : 15 € (frais de port compris)

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08/02/2020

Eduardo Arroyo. La peinture est aussi un combat - Nathalie Riera

Nathalie Riera

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 [Eduardo Arroyo. La peinture est aussi un combat]                                       

 

  

« Les artistes, en général, écrivent peu » affirmait Eugène Delacroix, et non sans raison, quand on sait l’importance, pour ce peintre-écrivain du XIXe siècle, de l’écriture expérimentale du journal comme un espace essentiel à son art pictural. En écho à Delacroix, notre contemporain Eduardo Arroyo s’est toujours intéressé aux peintres, notamment ceux qui étaient à la fois peintres et écrivains, « les peintres les plus intéressants sont ceux qui écrivent ». Il cite entre autres Max Ernst et Giorgio De Chirico comme « piliers » de sa peinture. Par ailleurs, Arroyo ne se cache pas d’être un artiste protéiforme : « Je ne suis qu’un peintre qui fait beaucoup de choses, qui se balade de l’écriture à la poésie, de la sculpture à la scénographie, pour arriver à la peinture, et peindre avec plus de force ».

Si peinture et littérature sont chez lui indissociables, son exil de l’Espagne franquiste le décidera à choisir la peinture plutôt que la littérature. On parlera d’une peinture « autobiographique » liée à la Figuration narrative, un mouvement pictural né au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris qui revendiquait « l’intérêt de l’anecdote, le droit au récit ». Pour Fabienne Di Rocco, traductrice, « […] cette conception de la peinture arcboutée sur l’anecdote et la littérature, il la tient autant de Francis Picabia que de Giorgio De Chirico »[1].

Né en 1937 à Madrid, Arroyo quitte l’Espagne en 1958, ce « pittoresque Paradis des mouches » où toute vie est soumise à la terreur. Banni de son pays par le régime de Franco, son passeport lui est confisqué le 25 octobre 1974 à Valence. Il attendra la fin du cauchemar et la restitution de son passeport espagnol le 1er avril 1976 avant de remettre les pieds sur le sol ibérique. Dans Berlin – Hiver 1975-1976, il écrit : « Le 20 novembre 1975, Francisco Franco Bahamonde rendait son âme dans un hôpital de Madrid, troué par les canules, percé par des tuyaux de différentes couleurs, lardé d’aiguilles. Moi, je suivais à la radio sa lente agonie. J’étais cloué au téléphone avec ma famille et, avec la main qui me restait libre, je peignais la réplique de la Ronde de nuit. Repeint, ce tableau, dans sa genèse et dans sa fin, exprime un souffle d’espoir ou la fin d’un cauchemar pour moi et pour l’Espagne. La mort du dictateur redonnait sens à ma vie »[2].

Arroyo est un artiste de la rupture, marqué par l’exil et par la fin d’un XXe siècle « riche de contradictions et de découvertes ». Dans le catalogue Eduardo Arroyo, Berlin-Tanger-Marseille, Germain Viatte précise au sujet de l’exil, outre qu’il permet à l’artiste d’affirmer sa propre singularité : « Le départ est une réaction du peintre aux menaces sur sa propre identité […]. Après les bouleversements du début du siècle et le traumatisme de la Grande Guerre, tout l’art moderne historique semble être ainsi né de l’exil. Dans ses ruptures successives, il a entraîné à travers l’Europe, puis outre Atlantique via Marseille, une cohorte d’ambulants réfractaires à l’étouffement. »[3] Eduardo Arroyo faisait partie du lot.

Peindre dans la rupture, c’est donner une physionomie à l’Histoire : « j’avais décidé irrévocablement de devenir un peintre d’Histoire ou d’histoires au pluriel »[4]. Sans condescendance pour le chantre du Ready-made il peint « Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp », une façon de crier haro sur la supercherie de l’avant-garde américaine ; avec « Les Quatre dictateurs » le peintre se mue en « assassin » : « il dissèque le Généralissime dans un grouillement de viscères […] éviscère aussi Salazar, Mussolini, Hitler… »[5]. Quand il aborde Napoléon en tant que figure de l’histoire : « c’est contre l’histoire, telle qu’elle m’a été enseignée que mes tableaux se dressent, contre l’histoire définitive, immuable, statufiée »[6]. Arroyo ne voue aucune sympathie pour Dalí et son adhésion à Franco, non plus pour Miró « dont il juge inacceptable les voyages entre Paris et Majorque alors que Picasso refuse de transiger et de rentrer en Espagne. »[7] Arroyo révèle n’avoir « jamais peint un seul tableau en Espagne de Franco. Jamais, j’ai vendu une seule litho (…) j’ai commencé à exposer en Espagne en 1977 », il veut dire deux années après la mort de Franco. En contrepartie le peintre-écrivain n’hésite pas à multiplier les hommages pour les poètes, les artistes et les étudiants victimes du franquisme, qui face à l’ennemi choisiront pour la plupart le suicide plutôt que l’arrestation. Il peint le suicide de Walter Benjamin à Port-Bou. Il peint le diptyque « Jean Hélion évadé en route de Poméranie vers Paris » pour saluer son aîné qui s’est évadé du Stalag II-B, en Silésie, le 13 février 1942. Arroyo ne peut concevoir l’acte de peindre sans cette attitude de transgression et il est conscient qu’il ne pourra jamais s’en sortir indemne, et tant mieux et tant pis. Il a toujours eu l’intuition que la peinture était libre, que tout était permis dans la peinture.

Constellation (non sans quelques coups d’éclats !) du trio Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati, à une époque où les avant-gardes méprisaient la peinture. Arroyo s’en explique dans une interview avec Guitemie Maldonado et Jacques Henric : « … la peinture a toujours été mal vue… elle sentait la térébenthine. Mais moi je l’ai toujours défendue, elle m’a toujours intéressé, avec la littérature, les deux. »[8] Arroyo exclut la dimension « politique » dans sa peinture, lui accordant plutôt d’être « obsessionnelle ». De même il remet en question « l’efficacité de l’art dans la lutte idéologique ». Avec une « ironie joyeuse », il avoue : « J’aurais 20 ans aujourd’hui je serais bibliothécaire. Je peindrais pas. Tout le monde peint la même chose. »[9]

Formé à la peinture dès son arrivée à Paris, Arroyo choisit la multiplicité des pratiques picturales : collage, céramique, gravure, lithographie, jusqu’à l’invention d’objets scéniques, d’installations éphémères pour le théâtre ou l’opéra (plusieurs collaborations avec le metteur en scène Klaus Michael Grüber). Tout un travail de recherche et de création nourri de littérature, mais aussi de cinéma, de photographie, sans oublier sa passion pour la boxe, car rien n’échappe à cet artiste trublion.

Arroyo mènera une longue enquête, sur près de cinq années, pour écrire la biographie du légendaire Panama Al Brown (Alfonso Teofilo Brown), alias la « libellule noire » : « Al Brown me hantait, j’étais incapable de peindre. Alors je l’ai raconté ». La biographie de 300 pages est publiée la première fois en 1982.[10]

J’ignore si Arroyo a lu le remarquable livre de Joyce Carol Oates, De la boxe [11]. Sûrement qu’il partagerait cette évidence que « … la boxe, c’est en fait bien la vie, et qu’elle est loin d’être un simple sport […] ». Arroyo ne désapprouverait pas le point de vue de l’écrivain américaine qui ne voit pas dans la boxe la dimension ludique telle que reconnue dans le baseball, le football ou le basket : « On joue au football, on ne joue pas à la boxe », précise-t-elle. Je me permets ce parallèle dès lors qu’Arroyo fait entendre ne pas supporter les existentialistes, dont Sartre, « parce qu’ils méprisaient le sport. Mais le sport, ce n’est pas un mensonge, comme la peinture ou la littérature. Si on saute 2,20 m, on saute 2,20 m et si on saute 2,18 m, on ne saute pas 2,20 m. »[12]

Grand admirateur de Ray Sugar Robinson, Arroyo n’est pas le seul artiste attiré par la boxe ni le seul écrivain à écrire sur le sujet. On peut citer Norman Mailer (qui avait pour maître en littérature Hemingway, lui-même attiré par la boxe mais qui n’écrira que sur la corrida) et son livre sur le géant du ring Cassius Clay-Mohammed Ali, alias « le Plus Grand Athlète du Monde »[13].

Cinq années consacrées à l’écriture de Panama Al Brown n’est bien sûr pas anodin. Des liens de parenté peuvent exister entre le boxeur et l’artiste, quand l’un et l’autre se construisent sur la douleur ou comme l’écrit Oates « une des explications de la fréquente attirance qu’éprouvent de grands écrivains pour la boxe (de Swift, Pope et Johnson à Hazlitt, Lord Byron, Hemingway, sans parler de nos Norman Mailer, Georges Plimpton, Ted Hoagland, Wilfrid Sheed, Daniel Halpern et autres) reste la recherche systématique de la douleur dans ce sport, et ce au nom d’un projet, du but d’une vie… »[14]

Arroyo peint aussi la boxe de même qu’il collectionne divers documents sur le Noble Art. « Eduardo Arroyo, du ring à l’atelier, même combat » titre le journal L’Humanité du 21 octobre 2015 suite à la mise en vente le 22 octobre de plus de 300 documents qui retracent l’histoire des héros de la boxe. Parmi les peintures et les dessins d’Arroyo : l’huile sur toile de Marcel Cerdan (en 1972), Jack Johnson (1969, collage et papier de verre), le poète-boxeur Arthur Cravan après son combat contre Jack Johnson (1991, mine de plomb sur papier), puis encore Cravan, avant et après le combat avec Johnson (1993, aquarelle et mine de plomb sur papier), sans oublier son hommage à l’ancien mineur polonais Yanek Walzak (1974, mine de plomb)…et bien d’autres figures de la boxe à consulter sur le site de l’éditeur.[15]

« Lorsque j’étais enfant puis adolescent, il y avait beaucoup de combats de boxe à Madrid. Je suis allé voir des réunions à partir de l’âge de sept ou huit ans, en particulier avec mon grand-père. J’ai notamment eu la chance d’assister au championnat d’Europe entre Raymond Famechon et Luis de Santiago, le 29 juillet 1950, à Madrid. À l’époque, j’avais 13 ans. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à beaucoup aimer ce sport même si je ne le pratiquais pas car je faisais du basket. Puis, quand je suis venu vivre à Paris en 1958, cela a vraiment été formidable. Il y avait le Palais des Sports, l’Élysée Montmartre, le Central, etc. J’allais tout le temps assister à des galas. J’aimais l’ambiance extraordinaire des salles, le public issu de milieux et de quartiers différents. Au Central, les titis parisiens avaient des formules extraordinaires et géniales. Ils rigolaient beaucoup avec un peu de dérision. Quand un boxeur était K.-O., ils avaient par exemple coutume de crier : “Faites de la place pour laisser passer la veuve !” À mes yeux, tout cela était très beau et magnifique. J’ai commencé à comprendre la richesse de la boxe et l’étendue de son champ aussi bien au niveau littéraire que cinématographique, sans compter les biographies de boxeurs. »[16]

Arroyo aurait été amusé d’entendre le champion poids plume irlandais Barry McGuigan répondre à la question « Pourquoi êtes-vous boxeur ? » : « Je ne peux pas être poète. Je ne sais pas raconter les histoires… ».

Un parcours thématique de ses œuvres depuis 1964 s’est tenu à la Fondation Maeght (de juillet à novembre 2017) sous le titre d’un tableau d’Arroyo « Dans le respect des traditions ». 7 autres toiles plus récentes seront réalisées pour cette exposition. C’est à cette occasion que j’ai découvert le travail engagé d’un artiste pour qui la parole était à la peinture.

Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends la disparition d’Eduardo Arroyo, à 81 ans, le 14 octobre 2018. Avec un éléphant géant (semblable à celui du dessinateur et graveur Alfred Kubin), Arroyo avait rêvé de son enterrement aux côtés de ses livres préférés : « L’éléphant m’apportait mes livres ! Pas la totalité, bien sûr, mais une bonne part de ceux que j’aime, ceux que pour rien au monde je n’oublierais, ceux qui ont occupé mes nuits d’insomnie. […] Je me recouchai alors et posai ma nuque sur Robinson Crusoé, le volume qui serait mon compagnon dans l’au-delà, et me tiendrai lieu de passeport pour passer la frontière, la frontière de l’expiration […] »[17]

 

© Contribution publiée dans Les Carnets d'Eucharis (2019).

 

[BIBLIOGRAPHIE]

[Livres d’Eduardo Arroyo]

Deux balles de tennis, Flammarion, 2017.

Minutes d'un testament, Éditions Grasset & Fasquelle, 2010.

Dans des cimetières sans gloire : Goya, Benjamin et Byron-Boxeur, Grasset, 2004.

Panama Al Brown, 1902-1951, Grasset, 1998.

Saturne ou le banquet perpétuel, Éditions Jannink, Paris, 1994.

Sardines à l'huile, Édition Plomb, 1993.

 

 

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© Nathalie Riera, en mémoire à Eduardo Arroyo | Le poète-boxeur Arthur Cravan.

Collage sur papier canson noir profond (d’après un dessin d’Eduardo Arroyo, 1937).

 

 

[1] Fabienne Di Rocco, Eduardo Arroyo et le Paradis des mouches, Galilée, Paris, 2017, p.119.

[2] Eduardo Arroyo, Berlin – Tanger – Marseille, Musée Cantini, Marseille (12 février – 18 avril 1988).

[3] Ibid.

[4] Eduardo Arroyo, Dans les cimetières sans gloire – Goya, Benjamin et Byron-Boxeur, Grasset, Paris, 2004, p.56.

[5] Fabienne Di Rocco, Eduardo Arroyo et le Paradis des mouches, op. cit. p.39.

[6] Ibid., p.54.

[7] Ibid., p.62.

[8] In Art Press n°446 (juillet-août 2017).

[9] Ces paroles sont extraites de « Visite dans l’atelier de ce grand personnage de la Figuration narrative » (vidéo du journal Le Figaro) : http://www.lefigaro.fr/culture/2017/08/05/03004-20170805ARTFIG00013-eduardo-arroyo-l-ironie-joyeuse-du-peintre.php

[10] Eduardo Arroyo, Panama Al Brown, 1902-1951, Grasset, Paris, 1998.

[11] Joyce Carol Oates, De la boxe, Tristram, Auch, 2012.

[12] In Art Press, op. cit.

[13] Norman Mailer, Le Combat du siècle, Denoël, Paris, 2000 (Traduit de l'américain par Bernard Cohen).

[14] Joyce Carol Oates, op. cit. p. 31.

[15] Collection Eduardo Arroyo. De la boxe, etc., 2015. Site des éditions Piasa : https://www.piasa.fr/fr/auctions/collection-eduardo-arroyo

[16] Eduardo Arroyo raconte dans les colonnes de France Boxe. Voir le site : http://www.ffboxe.com/news-24660-boxe-professionnelle-arroyo-l-adieu-aux-armes.html

[17] Eduardo Arroyo, Deux balles de tennis, Flammarion, 2017.

05/06/2019

Les Carnets d'Eucharis au Marché de la Poésie (Paris)

L’ATELIER DES

CARNETS D’EUCHARIS

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vous attend sur le stand d’Ent’Revues (700/704)

place St. Sulpice, Paris VI

(5-9 juin 2019)

pour la présentation de la dernière parution de la revue Les Carnets d’Eucharis et son cru 2019 dédié à Claude Dourguin.

 

samedi 8 & dimanche 9 juin 2019

à partir de 11h30 (toute la journée).

 

+ d'info :

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15/05/2019

Cees Nooteboom - 533. Le Livre des jours

 

 

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Cees Nooteboom 

 

Le Diario Novo de Cees Nooteboom

 

L’écrivain néerlandais Cees Nooteboom signe son dernier livre chez Actes Sud sous le titre 533. Le Livre des jours, à ne pas comparer à un journal, mais plutôt « quelque chose qui permette de fixer de temps à autre un peu du flux perpétuel de ce que vous pensez, de ce que vous lisez, de ce que vous voyez, mais en aucun cas un réceptacle à confessions ». Dans ce Diario novo, selon une expression de l’auteur, « Etats d’âme et examens de conscience n’y ont pas leur place », ce qui importe est d’avoir des choses à dire et à cela je me permets un rapprochement quand pour Max Frisch il convenait que toutes « choses à dire » soit dit « très précisément, et très simplement, c’est-à-dire sans ambition littéraire. Une bouteille à la mer ».[1] Toujours dans son Journal berlinois, vit-on pour dire quelque chose et à qui ?

Dans Le Livre des jours, ce sont pensées, voyages et souvenirs, entre le 1er août 2014 et le 15 janvier 2016, qui livrent le portrait d’un écrivain qui se demande toujours « Jusqu’à quel âge doit-on se soucier du monde ? » en même temps que le portrait d’un homme transformé « en individu de masse » : « pour personne vous n’êtes qui vous êtes », écrit-il. Cees Nooteboom vit dans ce « monde de malentendus » mais se réserve quelques échappées, sortes de temps de suspension, ce qui ne signifie pas pour autant que l’écrivain se tient loin du monde. Cees Nooteboom partage son temps entre Amsterdam et Berlin, puis, depuis plus de quarante ans, migre chaque été, pour quatre mois, jusqu’à l’île de Minorque, en Espagne. S’adapter dans une autre vie, dans un autre pays est « un exercice spirituel », mais ce qui est plein d’enseignements, ce qui requiert le plus l’attention de l’écrivain en dehors de l’île et de sa géographie maritime c’est son jardin : « Ce jardin, c’est un portrait de ton âme », mais aussi : « Il faut cultiver notre jardin, dit Voltaire (…) Je ne suis pas une plante, mais si c’était au contraire le jardin qui me cultive, moi ? ».

Le Livres des jours rapporte des moments d’observation, une attention toute particulière de l’écrivain pour les cactus, ces « habitants les plus impassibles du jardin » à la vue desquels « l’on ne peut s’empêcher de croire à la symétrie et à l’harmonie comme finalités de la création », puis également les aeoniums arboreum avec « ses feuilles vert clair disposées en cercle avec une belle régularité mathématique » ou encore les sempervivums : « Ces plantes n’ont pu être conçues que par un génie euclidien ». Ainsi, le séjour insulaire serait-il la promesse de mieux consentir au monde, lui accorder meilleure figure, c’est-à-dire s’accommoder de sa part tragique. Cees Nooteboom est « né avant une guerre » où son père trouvera la mort à la fin de l’hiver 1945 lors du bombardement de son quartier, « ensuite il y a eu des guerres pendant tout le reste de ma vie », écrit-il.

Le monde ne peut être autrement que paradoxal et la littérature n’est-elle pas pour s’en faire témoin ? Cees Nooteboom accorde à la littérature une juste place, loin du superflu ou de tout ce qui la rapprocherait d’une « perfection sculpturale ». Se rapproche-t-il de Witold Gombrowicz pour qui « le propos de la littérature n’est pas de résoudre les problèmes, mais de les poser ». À sa lecture de Cosmos, il reconnaîtra chez l’écrivain polonais son « absence totale de compromis ». En est-il ainsi du rôle de l’écrivain, de n’écrire comme personne d’autre et, pour reprendre Max Frisch, de ne surtout pas être le « pantin de l’opinion publique ».

Tout comme les arbres du jardin, les livres sont la famille de l’écrivain, mais pas n’importe quel livre. Il faut que le livre vous donne cette « impression d’avoir passé des heures à faire du trapèze (…) Travailler sans filet, sous la menace d’un saut périlleux, cela peut vous arriver aussi en lisant ». Quelques pages sont consacrées aux écrivains hongrois Miklós Bánffy, Péter Esterhazy et Miklós Szentkuthy et, plus brièvement, aux poètes Leopardi, « un haut sommet que j’ai l’intention de gravir depuis des années » et Mallarmé pour sa « poésie dépouillée de tout superflu » que Cees Nooteboom compare à un Malevitch ou un Mondrian.

 

14/05/2019

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© Nathalie Riera

 

 

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ǀ SITE : Actes Sud

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[1] Max Frisch, Journal berlinois (1973-1974), éd. Zoe, 2016.

04/05/2019

Lire Charles Racine aujourd'hui - Une présentation d'Alain Fabre-Catalan

 

Les Carnets d’Eucharis Hors-Série

CHARLES RACINE

DANS LA NUIT DU PAPIER

 

 

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Lire Charles Racine aujourd’hui

 

 

Charles Racine (1927-1995) est un poète suisse dont l’œuvre fut partiellement publiée de son vivant. Outre une plaquette, Sapristi, (Zürich, Hürlimann, 1963), il publia sous son nom deux livres : Buffet d’orgue (Zürich, Hürlimann, 1964) et Le Sujet est la clairière de son corps (Paris, Maeght, 1975). Il collabora par ailleurs à de nombreuses et prestigieuses revues en France, dont Le Nouveau Commerce, La Traverse, L’Ephémère, Po&sie et Argile.  

 

Il fut ainsi le contemporain ou l’ami de nombreux poètes qui écrivirent l’histoire de la poésie des années 60 et 70, comme Jacques Dupin, André du Bouchet, Jean Daive ou Michel Deguy, et fut soutenu par d’éminents critiques tels Georges Poulet ou Jean Starobinski, pour ne citer que quelques noms. Jusque dans l’effacement de ses écrits, Charles Racine et sa langue « posthume » témoignent de l’existence de la poésie. Cette œuvre qui semblait vouée au secret est désormais sortie de l’ombre où se tient l’étincelle du poème qui luit sous un Ciel étonné. Ce fut le titre du recueil posthume qui reprit en 1998, à l’initiative de Martine Broda et de Jacques Dupin, Le Sujet est la clairière de son corps (Maeght, 1975) avec les principaux écrits de Charles Racine publiés dans différentes revues françaises. Ainsi dans sa trajectoire solitaire avait-il croisé l’aventure éditoriale de la revue L’Éphémère créée sous l’impulsion de l’éditeur d’art Aimé Maeght. Avec le souci d’interroger la matière du poème, élargie à la question de l’art, l’écriture de Charles Racine trouva un port d’attache temporaire dans les pages de L’Éphémère puis de la revue Argile, de prometteuses revues qui accueillirent ses textes grâce aux rencontres avec les poètes de l’époque. L’étonnant recueil qui parut aux éditions Maeght en 1975 donnait à lire un subtil assemblage de textes, véritable alliage poétique accompagné de quatre gravures d’Eduardo Chillida. Par-delà son titre générique, Le Sujet est la clairière de son corps, ce recueil qui n’ouvrira pas un chemin vers d’autres projets de publication, constitue en lui-même un art poétique, et à sa manière singulière d’exister, « un lieu hors de tout lieu », ainsi que le définit le poète et ami Claude Esteban. Cette exceptionnelle publication reste pour les écrits de Charles Racine qui se poursuivront dans un retrait de plus en plus marqué jusqu’aux années 1990, un espace unique de dévoilement qui ne laissa pas indifférents les lecteurs du moment. Ainsi ce fut dans le premier numéro d’une nouvelle revue fondée en 1977 par Michel Deguy, la revue Po&sie, que parurent en ouverture un ensemble de poèmes de Charles Racine datés de 1942 à 1968. Cette poésie vouée à l’exil de l’écriture et qui met en question la lecture même du poème jusque dans le suspens d’une langue qui s’abîme dans ses reprises incessantes, a pris le risque d’exposer son échec, sans jamais oublier l’injonction de Paul Celan dans son discours Le Méridien prononcé le 22 octobre 1960 : « Prends plutôt l’art avec toi pour aller dans la voie qui est le plus étroitement la tienne. Et dégage-toi. »

 

Les Carnets d’Eucharis

Conçue sous forme de triptyque, cette publication rassemble tous les articles publiés dans les numéros annuels des Carnets d’Eucharis des éditions 2016 et 2017, augmentée en 2018 de documents inédits, dont un long entretien avec Gudrun Racine, l’épouse du poète, dépositaire des Archives Charles Racine à Zurich. Placée sous le signe de « la rencontre de Charles Racine », elle a pour dessein d’éclairer les lecteurs autant sur la vie que sur l’œuvre d’un poète longtemps dissimulé.

Des articles, des poèmes, des lettres, des notes, des manuscrits, des entretiens et des témoignages ont aidé à la réalisation de cet ouvrage exceptionnel diffusé en France et en Suisse. Cette édition spéciale « Charles Racine – Dans la nuit du papier » constitue la première monographie consacrée au poète suisse et a été publiée en décembre 2018 avec le soutien de la Fondation Jan Michalski par la revue Les Carnets d’Eucharis que dirige Nathalie Riera. Cet hommage a été́ rendu possible grâce au concours de ceux qui ont été́ proches du poète, mais aussi de ceux qui ont pressenti une œuvre à venir.

 

 

Présentation assurée par Alain Fabre-Catalan

© RECOURS AU POÈME – (4 mai 2019)

SITE – CLIQUER ICI

 

30/04/2019

Les Carnets d'Eucharis 2019 - une lecture d'Hugo Pradelle pour Ent'Revues

Les Carnets d’Eucharis 2019

●●●●●Poésie | Littérature | Les Arts de l’Image (photo&vidéo) ●●●●●● 

 

 

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Les Carnets d’Eucharis : Un cheminement nécessaire

 

 

Dans l’œuvre de Claude Dourguin, « l’immobilité est considérée comme contraire à la vie. Il y a nécessité de quitter ce qui abrite et protège, d’éprouver le vif des choses », écrit Tristan Hordé. « Dans chaque livre, Claude Dourguin tente inlassablement de restituer quelque chose de ‘l’inapparente réalité’, allant du paysage à l’imagination, appréciant dans ce mouvement ce qui nous demeure inconnu, labyrinthe où l’on erre pour se retrouver autant que pour se perdre. »

Le dernier numéro des Carnets d’Eucharis, deuxième volet d’une série intitulée « sur les routes du monde », se centre sur son travail, déployant onze contributions qui situent un auteur secret, discret, mystérieux. Une écrivaine du labyrinthe paradoxal de la nature, de la marche, de l’immensité du dehors et de ce qui se joue au plus profond de soi. Claude Dourguin refuse la fixité, la ponctualité. Elle parcourt le monde, la nature, leurs voies secrètes et infinies. Dans l’entretien qui ouvre le long dossier qui lui est consacré, elle confie : « le parcours, ou le parcourir, m’importe, m’est une nécessité. » Son œuvre répond à la nécessité d’un cheminement, d’une prospection attentive. C’est pour elle, visiblement, la nature même de l’écriture. « Le chemin, la route traversent des paysages divers, descendent, montent ; et les différences de pente, de nature du terrain sont infinies, subtiles. Chaque manière d’aller, différente, assure une liberté d’itinéraire, de rythme, de tempo. L’écriture connait ce climat de libre allure qui s’autorise les arrêts, les reprises, les détours. Ce sont aussi les modes du vagabondage, de la flânerie », dit-elle.

Chacune des contributions de ce numéro fort riche se lira comme l’un de ses détours dans lequel on trouvera une respiration, un repos, un écho. On réalise d’abord, comme très doucement heurté, que Claude Dourguin inscrit sa pensée dans la matière même du monde. Jean-Baptiste Para y insiste avec netteté, dans un excellent article, pour elle : « le réel avant tout ». Un réel qui réclame une attention totale, auquel il faut se frotter. C’est une « expérience du moment », écrit Michael Bishop. On s’y suspend, on s’y concentre. Comme l’écrit Marco Martella en paraphrasant Rilke : « être poète (…) c’est accepter la terre, retrouver sa place d’être humain au milieu des choses du monde, et si la poésie a une tâche, c’est d’indiquer le chemin qui mène au monde, à sa présence sensible. » Le rapport aux choses, à leurs formes, à ce qui entoure, qui nous fait condition, le temps que l’on accepte d’y transformer, augure d’une œuvre qui préfère l’expérience à la subjugation du symbole ou de la langue pour la langue. Ce qui fascine tous les contributeurs du numéro, c’est bien cette prospection.

Rien de bavard, d’inutile, de superflu. On se trouve face à une œuvre qui ordonne au monde un rapport d’évidence. Il faut montrer, sentir, exprimer. Comme l’écrit Martella : « Tous les poètes chez qui l’écriture et l’existence ne font qu’un nous l’ont dit : la parole ne peut être qu’une réponse à la vie, un geste de louange, un acte dû. » Quand la poésie égale la vie, on reconnaît que l’autre, le monde extérieur, ce qui n’est pas soi, existe et qu’il nous altère. Le dossier fourni des Carnets d’Eucharis offre l’occasion rare de découvrir et de se plonger dans l’œuvre de Claude Dourguin sans l’isoler, ni l’aborder avec une forme de précaution qui la différencierait. Au contraire, l’ensemble du numéro semble répondre à ce chemin qu’elle ouvre devant chaque lecteur. On lira ainsi un texte sur Olivier Rolin, auteur bien connu, qui a consacré de nombreux textes au voyage, ses voyages dans le nord de l’est, obsédé par la Russie. Quelques titres ainsi : Sibérie (Inculte), Le Météorologue (Seuil), Baïkal-Amour (Paulsen), Bakou, derniers jours (Seuil), Solovki (Le bec en l’air)… On lira aussi un texte sur Clarice Lispector ou sur le peintre Aduardo Arroyo. On y découvre des poètes traduits du grec, du taiwanais, de l’allemand ou de l’italien, belles surprises, ou on y lit des textes inédits de Jean-Paul Bota, Laurent Enet ou Thierry Dubois, des entretiens avec Christophe Lamiot Enos et André Ughetto…

On s’arrêtera sur la conversation entre Nathalie Riera, Claude Brunet et André Ughetto qui avance, comme pas à pas, dans l’existence d’un infatigable promoteur des revues. On y découvre son enfance, sa jeunesse, les livres qu’il aime, qui l’ont poussé en dehors de lui, de l’évidence de l’existence : La Peste de Camus ou Le Hussard sur le toit de Giono. On y suit aussi sa carrière d’enseignant, son obsession d’une transmission vivante des textes, ses enthousiasme, l’importance de se découvrir des relais. Il y explique son rapport à l’image animée, au cinéma, ses rencontres, ses films, ses rapports avec René Char, la poésie tout simplement. Et parle de la revue qu’il anime avec une grande énergie, sur tous les fronts, avec son équipe volontaire : Phoenix (dont nous rendions compte du dernier numéro consacré à André Velter). Une revue majeure dans laquelle la poésie venue d’ailleurs, la traduction, occupent une part importante. On pourra lire, comme en écho avec elle, un texte de Rita R. Florit, poète italienne (un entretien avec elle figure au sommaire), qui pourrait répondre au chemin ouvert par Claude Dourguin :

Trouver la terre, parcourir, noter, ceindre, créer des liens

Et pourtant être libre dans l’unique souci : la terre, tandis qu’Ishtar

Gravide fait peser un joug d’amour qui assombrit la pensée,

L’enchaîne à elle-même.

 

Trovare la terra, percorrere, segnare, cingere, creare vincoli

Eppure essere libri nell’unico pensiero : la terra, mentre Ishtar

Gravida, grava un giogo d’amore che annotta il pensiero,

L’inacatena a se stesso.

(traduction par Angèle Paoli)

 

Hugo Pradelle

© ENT’REVUES (25 avril 2019)

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