Mario Maffi (extrait d'un article, revue Conférence N°21) (17/11/2011)

Mario Maffi Blues de la mort par les eaux : souvenir de la Nouvelle-Orléans

Revue CONFERENCE, N°21, automne 2005

 

 

Extrait :

Des sources à l’embouchure, le bassin hydrographique du Mississippi était à l’origine un « système en équilibre ». Cela signifie que, au-delà des accidents occasionnels, le fleuve, ses affluents, les terres alentour étaient reliés par un réseau de forces qui s’équilibraient. En période d’étiage, le Père des Eaux s’écoulait entre les berges créées naturellement par les alluvions, alimentant ici et là de petits émissaires qui, au printemps, quand les eaux grossissaient, se chargeaient de leur donner d’autres issues. Dans les périodes de crue du cycle naturel (ou quand des inondations se produisaient), le fleuve débordait, recouvrait les terres basses des alentours et contribuait à les sédimenter et à les fertiliser, allant parfois jusqu’à s’étendre sur cinquante milles à l’intérieur des terres. Les populations indigènes, quant à elles, s’accommodaient de ces rythmes et alternaient nomadisme et vie sédentaire (il se peut même que certains des mounds, ces petites collines caractéristiques des cultures indigènes américaines, aient répondu à l’exigence de garder objets, récoltes et habitations dans une position élevée). Par la suite, quand arrivèrent les Européens, porteurs d’un germe de capitalisme destiné à se développer avec une impétuosité égale à celle des eaux du Mississippi, cet équilibre fut menacé. Le fleuve transformé en voie de communication et de commerce exigeait des ports et de petites localités sur ses rives, les terres fertiles devaient être parcellisées et réparties afin d’être vendues et achetées, cultivées et exploitées. C’est ainsi que les berges naturelles furent élevées (d’où leur nom de levées) et renforcées, et que d’autres, artificielles, vinrent s’y ajouter, bâties selon des systèmes de construction toujours plus sophistiqués ; les émissaires petits et grands furent tronçonnés et transformés tout au plus en petits lacs reconnaissables à leur forme en fer à cheval. Pourtant, le fleuve continua à rester indomptable : dès qu’il le pouvait, il changeait de cours, s’ouvrait d’autres voies, filait tout droit en éliminant tel de ses méandres (ce sont les célèbres cut-offs qui scellaient parfois le sort d’un village)…

 

(p. 52/53)

 

 

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