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06/06/2014

CONRAD AIKEN ... La venue au jour d'Osiris Jones / Neige silencieuse, neige secrète

 

 

 

 

ET BANC DE FEUILLES descendant la rivière *

(Nouvelles parutions, Notes, Portraits & Lectures critiques)

 

 

* Lorine Niedecker

| © Nathalie Riera

 

 

La venue au jour d’Osiris Jones | © Editions La Nerthe, 2013

Neige silencieuse, neige secrète| © Editions La Barque, 2014

 

 

 

 

 

 « LA NERTHE ET LA BARQUE … AVEC CONRAD AIKEN »

par Nathalie Riera

 

 

-I-

 

La venue au jour d’Osiris Jones Conrad Aiken est reconnu, selon les propres termes du poète et critique Allen Tate, comme « le plus polyvalent des hommes de lettres du XXème siècle : il a excellé dans la critique, dans la fiction et dans la poésie ».[1] Actuellement, deux éditeurs, en France, nous offrent à découvrir le poète américain dont sa singularité depuis T.S. Eliot ou Ezra Pound était d’être en avance sur son temps. La Barque avec la nouvelle « Neige silencieuse, neige secrète », La Nerthe avec  le poème dramatique « La venue au jour d’Osiris Jones » : deux livres qui participent d’une rencontre avec un poète qui « connut une relative reconnaissance » davantage auprès de ses pairs que des lecteurs.[2]

Une vie littéraire passée sous le signe de la discrétion et d’une « solitude essentielle », poète de « force lyrique », Aiken ne s’interdit cependant pas une « spécificité prosodique », précise l’éditeur, ajoutant par ailleurs : « Rien de ce qui se perçoit, la vue et l’ouïe dominant, n’échappe à la dramaturgie ».[3]

« Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage » pourrait nous dire Aiken, très tôt marqué par l’évènement traumatique que fut le suicide de son père, William Ford Aiken, après que celui-ci eût tué sa femme, la mère de Conrad alors âgé de onze ans. Dans une note de « La venue au jour… » Aiken nous éclaire sur l’origine du nom « Osiris » :

 

Quant au titre de mon poème, je ne peux que citer Le Livre des Morts, p.29 : « Dans toutes les versions du Livre des Morts, Osiris est toujours le nom donné au mort et, comme il était toujours admis que ceux  pour qui elles furent écrites seraient innocentés par la Grande Balance (…) elles étaient toujours écrites à partir de leurs propres noms ». (p.11)

 

Dans « Inscriptions diverses » :

 

En lettres dorées sur un panneau noir se balançant

         Docteur William F. Jones

(p.41)

 

Ö mort, en forme de changement, en forme de temps,

dans l’éclat d’une feuille et d’un murmure, charmant dieu

dont la divinité est fumée, dont le délice

est glace en été et l’arbousier

sous la congère et l’eau de la rivière coulant

vers l’ouest parmi les roseaux et les oiseaux volants

par-delà l’obélisque et les hiéroglyphes –

pourquoi et d’où chuchotés, question dans l’obscurité

réponse dans le silence, mais un tel silence, ange,

est aussi la seule réponse des dieux qui cherchent des dieux –

réjouissons-nous, car nous sommes venus dans un monde

où la pensée n’existe pas.

(p.101)

 

 

Les livres

         Mon cœur de ma mère – mon cœur de ma mère – mon cœur de mon être, –

         ne témoigne pas contre moi, –

         Ne me repousse pas vers les ténèbres !

 

 

 

 

-II-

 

Neige silencieuse, neige secrète la neige au-dessus de tout cloisonnement, « s’alourdissant plus chaque jour, emmitouflant le monde ». Là où le secret est comme « lieu de forteresse, de rempart derrière lequel il pouvait se retirer dans un isolement divin », tout le récit de « Neige… » se tient sur ce qui pourrait être perçu comme une faille, ou l’étrangeté d’une attitude, celle d’un enfant de 12 ans, du nom de Paul Hasleman : « La chose était avant tout un secret, quelque chose à dissimuler précieusement à Père et Mère »[4]. Et ainsi que lui-même le dit : cette chose lui appartient, est sa récompense. Il se fait en lui « une sensation de possession » et à cela la presque certitude d’« une sensation de protection ». A Paul Hasleman un monde nouveau s’est ouvert. Dans ses « Mots pour… » l’éditeur se risque à l’expression de Pietro Citati : « le royaume de la schizophrénie », mais cela pour nous dire plus précisément que dans ce monde de neige rien n’est enfermé : « Et c’est là le merveilleux, que ce texte n’enferme rien, pas même la folie »[5].

 

Et il ne pouvait y avoir le moindre doute – pas le moindre – que ce monde nouveau était le plus profond et le plus merveilleux des deux. Il était irrésistible. Il était miraculeux. Sa beauté allait simplement au-delà de tout – au-delà de la parole et au-delà de la pensée – éminemment incommunicable. Mais comment alors trouver un équilibre entre ces deux mondes dont il avait sans cesse conscience ? (p.14)

 

Comment au cœur de la vie de tous les jours éviter de ne pas être pris d’un déchirement, de par la simultanéité même d’une « vie publique » et d’une « vie secrète ». Paul Hasleman se résout à ne rien dévoiler, « continuer à se tenir à l’écart, puisque l’incommunicabilité de l’expérience l’exigeait ».[6] D’ailleurs, ne faut-il pas à ce monde secret indévoilable ou inavouable lui promettre d’à jamais préserver « cette combinaison extraordinaire de charme éthéré et de quelque chose d’autre, innommable ».

Conrad Aiken a dit au sujet de son récit « Silent Snow, Secret Snow » qu’il était une projection de sa propre inclinaison à la déraison.[7]Neige silencieuse, neige secrète est un voyage captivant dans les éminences non moins inéluctables que les creux. En Paul Hasleman, que ne cesse alors cet autre monde où « la neige riait ». Est-il vain de penser que, par ce récit en éloge d’un univers intérieur, Aiken nous livre peut-être une clé.

 

Deux livres pour nous réjouir. En compagnie d’un poète pour qui est de saisir et non de régenter la matière du monde. 

 

Nathalie Riera, juin 2014©Les carnets d'eucharis

 

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LA NERTHE

Conrad Aiken LA VENUE AU JOUR D’OSIRIS JONES

Traduction de Philippe Blanchon

| © Cliquer ICI 

 

LA BARQUE

Conrad Aiken NEIGE SILENCIEUSE, NEIGE SECRÈTE

Traduction de Joëlle Naïm

| © Cliquer ICI

 

 

 

 

 

NATHALIE RIERA

Les Carnets d’EucharisET BANC DE FEUILLES descendant la rivière

| © Cliquer ICI

 

 

 



[1]In 1969 the poet-critic Allen Tate, Aiken's opposite both in poetic temperament and in his views on art, politics and religion, called Aiken "the most versatile man of letters of the century: He has excelled in criticism, in fiction and in poetry."

http://www.georgiawritershalloffame.org/honorees/biography.php?authorID=1

[2] Conrad Aiken, « La venue au jour d’Osiris Jones », La Nerthe, 2013 in« Conrad Aiken et sa sortie au jour » de Philippe Blanchon, (p.1)

[3]Ibid., (p.6)

[4] Conrad Aiken, “Neige silencieuse, neige secrète”, La Barque, 2014, (p. 5)

[5] Ibid., in ‘Mots pour…” d’Olivier Gallon, (p.47)

[6] Conrad Aiken, “Neige silencieuse, neige secrète”, La Barque, 2014, (p. 20)

[7] Aiken once said that his short story "Silent Snow, Secret Snow" (a psychological portrait of a disturbed boy) was "a projection of my own inclination to insanity." http://www.poetryfoundation.org/bio/conrad-aiken

27/08/2012

Philippe Blanchon, "La ville vue de dos"

 

Couverture de Paul Keller

[poèmes 1986-1995]

 

la ville vue de dos couv.jpg

 

 

Extrait

 

 

nostalgie du silence de trop de calomnies

orgues mols et déconfiture grinçante

jours des concerts las :

ces vains bruits farce mauvaise

quand le bourreau se met à geindre

 

 

***

 

les gares aux voix des filles-chats :

lisses en l’automne attendu

(sa douleur / l’ultime portrait)

de l’intérieur :

l’oreille qui bascule

vers la sœur à la taille tenue

 

 

 

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editions la termitiere

 

19/02/2011

Charles Olson, Les Poèmes de Maximus

                  

CHARLES OLSON.jpg

         

           

 

                                   je vivais à Washington la

                                   capitale de cette grande pauvre Nation

j’avais du temps avant – les Muses ? où étaient les Muses ? – sont-elles, les

                                   Muses toujours sous le déguisement d’

                                   oiseaux sur la terre,

là un rossignol, ici un rossignol, à Cressy-plage un rossignol

                                                           oh des rossignols, ici ?

dans l’air de la nuit je suis seul

pas les perdrix qui flaquent des ailes en s’envolant, elles roucoulent et ne parlent pas, ici ?

 

            en tous cas de toute façon toujours je n’ai jamais cherché qu’au son

des seuls rossignols, dans ces Etats-Unis d’ici (cette portion d’Amérique

- & c’est du fond des puits que vient notre parole

                                                                                  nous parlons avec l’eau

                                                                                sur nos langues lorsque

                                                                                                                      la Terre

nous a rendus au Monde, nous Poètes, & que les Airs qui appartiennent aux Oiseaux ont

conduit nos vies à être ces choses-là au lieu de Rois

 

 

(Extrait Les Poèmes de Maximus, Volume trois, éditions La Nerthe, p.510)

 

 

La migration en fait (qui est sans doute une

constante de l’histoire, chose courante : la migration

 

est la recherche par les animaux, les plantes & les hommes d’un

environnement – et par les Dieux aussi – qui leur soit convenable

 

& préférable ; elle mène toujours vers un centre nouveau. Et pour dire

le vrai je parlerais ici du bi-pôle Ases-Vanes, car là

 

est l’impetus (la fureur qui s’ajoute à

l’Animus : ainsi l’Ame, la Volonté toujours

 

avec succès s’oppose au temps d’Avant & l’investit, Et là

est la rose est la rose est la rose          du Monde

 

                                                           lundi 8 août, dans la nuit

 

(Ibid., p.565)

 

     

 

 

                                  

04/10/2010

William Carlos Williams

WCW_par G. Paul Bishop, Jr.JPG

Photo : G. Paul Bishop, Jr

« FEMME QUI MARCHE » 


 

Un nuage oblique de fumée pourpre

couvre la silhouette laiteuse

de façades et d’arbres minuscules –  

un petit village –  

qui s’achève en une lame dentée

d’arbres recouverts de brume

sur une feuille de ciel gris.

 

A droite, faisant saillie,

un angle de toit écarlate.

A gauche, une moitié d’arbre :

 

- quelle bénédiction que

de te revoir dans la rue,

femme puissante

qui avance avec les hanches ondulantes,

les seins pointés,

les épaules souples, les bras pleins

et les mains fortes et douces (je les ai senties)

en portant le lourd panier.

 

J’aimerais te voir plus souvent !

Et pour une autre raison

que les œufs frais

que tu nous apportes régulièrement.

 

Oui, toi, aussi jeune que moi,

aux sourcils anguleux,

aux doux yeux gris et à la bouche avenante ;

toi qui marches vers moi

en descendant de cette morte colline !

J’aimerais bien te voir plus souvent.

 

 

William Carlos Williams, « Al que quiere ! », Librairie La Nerthe, 2007, (pp. 20/21)

07/02/2010

Charles Olson

 

les poèmes de maximus_charles olson.jpg  

 

 

 

 

Les Poèmes de Maximus

(traduit par Auxemery)

 

Les poèmes de Maximus sont une des oeuvres majeures de la poésie américaine de l'après-guerre. Poèmes salués par de grands prédécesseurs, William Carlos Williams ou Erza Pound, ils s'inscrivent dans cette tradition (nouvelle et strictement américaine) de grands poèmes embrassant histoire et philosophie. De Gloucester, Maximus envoie des lettres, qui sont autant de chants, traversées par l'histoire, celle d'avant l'arrivée des Européens, les implantations diverses, l'invention de ce nouveau monde avec ses vertus et les éléments constitutifs condamnés par Olson (la péjorocratie). De ce port de pêche, l'histoire économique, symbolique, mythologique et religieuse est revisitée du point de vue de Maximus, posté sur le guet. Gloucester, symboliquement, signifie aussi la fin des migrations.

Les poèmes, trois volumes rassemblés sur plus de 630 pages, sont traduits pour la première fois dans leur intégralité. Ils sont suivis d'un essai du traducteur (Auxeméry, travaillant sur Olson depuis près de trente ans) sur la complexité de ces poèmes, sur leur conception et évolution. D'autre part, de précieux glossaires aideront le lecteur à s'y retrouver dans les innombrables références ou allusions, tant historiques, géographiques, que mythologiques, philosophiques, etc. La beauté de ces poèmes ne repose pas sur l'érudition de leur auteur, mais il nous a semblé qu'ouvrir les portes de la bibliothèque Olsonnienne enrichirait davantage la lecture, permettant d'en mesurer l'intégralité des enjeux.


Libraire éditeur la Nerthe/Classique, 2009