28/12/2013
Patrice Beray, Pour chorus seul, Les Hauts-Fonds, 2013 & Claude Tarnaud, L'Aventure de La Marie-jeanne...
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UNE LECTURE DE NATHALIE RIERA
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Patrice Beray
© Couverture « POUR CHORUS SEUL »
Michel Thamin | Gisement 03 (installation)
« Pour chorus seul »
À Jean-Pierre Duprey et Claude Tarnaud
Essai poétique
Les Hauts-Fonds, 2013
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« … VERS LA HAUTE MER DU LANGAGE »[1]
par Nathalie Riera
« La poésie, parfois semblable à la marée, se retire des objets ou des images qu’elle n’a pas réussi à évider par son vertige, ou qu’elle n’est pas parvenue à hanter, pour y revenir comme dans ces coquillages où l’on n’en finit plus d’entendre battre le cœur du temps.»
Annie Le Brun, Qui Vive*, p.97
■■■ Avec « Pour chorus seul », Patrice Beray a choisi la forme de l’« essai poétique », dans un magnanime hommage adressé à Jean-Pierre Duprey et à Claude Tarnaud. Ce chaleureux essai peut-il être vu ou considéré sous l’angle d’une éthique de l’admiration, avec les poètes Duprey et Tarnaud réunis dans ce même ouvrage, c’est nous rendre à la poésie : ce courant que rien n’arrête, [2] ou, mieux encore, « cette sauvagerie critique capable de s’emparer d’un rien pour remettre tout en cause. » [3]
Jean-Pierre Duprey, sculpteur et poète de l’immédiat après-guerre, et de la deuxième génération surréaliste, – il rejoint le mouvement en 1949 – demeure parmi les grands ignorés de la critique, outre l’attention constante de Jean-Christophe Bailly [4] à cette œuvre intempestive, et « l’œil de Bernard Noël (et pas nécessairement l’oreille…) pour saisir ce qui, enfoui dans cet univers poétique, allait faire sens pour la pratique même du poème dans des sociétés sacrifiant progressivement à partir de Mai 68 aux vecteurs de la communication, exacerbant les dualités. » [5]
S’il y avait chez Duprey un sens de l’apostasie – à prendre dans son sens figuratif –, quitter le sens commun se traduira par son suicide dans son atelier, le 2 octobre 1959, à l’âge de 29 ans. « Puisse durer longtemps le phare du vaisseau/Qui nous porte sur terre ».
Si « l’immédiat après-guerre est synonyme de guerre faite à la poésie »,[6] la poésie véritable s’oppose à toutes formes d’anesthésies (esthétique, politique…). Eclipsé des cercles surréalistes, désolidarisé de la revue « La Révolution La Nuit » (fondée en 1945, avec Yves Bonnefoy et Iaroslav Serpan), à partir de 1948 Claude Tarnaud se lance dans le saisissant projet de « L’Aventure de la Marie-Jeanne ou le Journal indien » : un récit multi-composé « dont l’unique source est la poésie en ce qu’elle suppose d’adresse « mentale » à autrui » [7] (…) « retranscription « méta-romanesque » prenant sa source dans l’imagination, mais qui, suivant les lignes de vie des différents locuteurs, n’est à aucun moment « romancée » ou « fictive », et qui pour autant reste une aventure de l’esprit, même incarnée. » [8]
Cinq périodes – de 1948 à 1959 – constituent la trame de La Marie-Jeanne, entre autre dédiée à Stanislas Rodanski, et présentée sous la forme classique du journal. Claude Tarnaud n’a alors que vingt-six ans, et connaît un parcours physique et artistique sous l’heureux signe de l’aventure, avec ses aspérités, ses périls, ses hasards. L’année 1952 sera particulièrement marquée par son départ pour Mogadiscio, en Somalie italienne, et l’année 1956, par sa rencontre capitale avec le poète Ghérasim Luca, à Paris, celui qui dans « La Proie s’ombre » écrit : « Etre hors la loi/voilà la question/et l’unique voie de la quête. ».
Des lettres, des notes composent Le Journal indien, dont certaines ravivent nos sens, comme cette note du jeudi 4 septembre (1958), sur une lettre reçue de G. Luca, relatant son état de « terreur-douleur-passion » au cours de sa toute périlleuse ascension d’une falaise de laves noires : « S’il put finalement franchir le fleuve aride aux vagues aciculaires, ce fut en construisant une sorte de gué mobile avec des cahiers de notes et une copie du livre Le Gouffre de la Lune, qu’il plaçait devant lui avant d’y poser les pieds. » (p.137) Tarnaud connaîtra lui aussi cet état de noir effroi lors de son combat-épouvante avec une murène noire (p.146) : retranscription du vécu écrite dans une prose captivante, la poésie de Tarnaud est faite de ses pérégrinations haletantes, qui n’ont rien de fantaisistes. L’ironie n’est jamais absente. Le poète signe sa mise à l’écart, son égarement comme seuls vecteurs d’innovation et de création poétique.
« Poète synthétique », ainsi qu’il se qualifiait lui-même sous le nom de plume de H de Salignac : « (…) je proclame la défaite totale de l’esprit. Dès à présent je me veux l’égal du vide. » [9]
Se faire lecteur-complice de « L’Aventure de la Marie-Jeanne » ne peut se faire sans le remarquable essai « Pour chorus seul » de Patrice Beray.
* Annie Le Brun, Qui Vive Considérations actuelles sur l'inactualité du surréalisme
Ed. Ramsay - J.J. Pauvert, 1991.
Nathalie Riera, décembre 2013
©Les carnets d'eucharis
NOTICE BIO&BIBLIOGRAPHIQUE
Journaliste au site d’information Mediapart, Patrice Beray a animé la revue Delta, station blanche de la nuit. Auteur de livres de poèmes et d'études littéraires (notamment, Benjamin Fondane, au temps du poème, éd. Verdier, 2006, et Pour chorus seul – À Jean-Pierre Duprey et Claude Tarnaud, éd. Les Hauts-Fonds, 2013). Pour les Hauts-Fonds, il a collaboré à l’édition des livres de Guy Cabanel et René Crevel.
Claude Tarnaud
© Couverture « L’AVENTURE DE LA MARIE-JEANNE… »
Gibbsy Tarnaud | Photographies de couverture et du volume
« L’Aventure de La Marie-Jeanne ou le Journal indien »
Les Hauts-Fonds, 2013
Lorsque, les yeux protégés par des lunettes étanches de la myopie due au contact de la cornée avec l’élément liquide, on nage sous l’eau et que l’on est pris dans un courant qui vous entraîne à la même vitesse et dans les mêmes tourbillons que les algues, autour, et le sable, au fond, alors ce sont les rochers qui se déplacent, paniques, par à-coups et dans les directions les plus imprévues. Les lettres sont les récifs du langage et si l’ont est entraîné par le flux de la parole à la même vitesse et dans les mêmes tourbillons que les pensées, autour, et les désirs, au fond, alors ce sont les lettres qui se déplacent, spasmes, par à-coups, et dans les directions les plus prévisibles pour peu que l’on s’attache à déterminer leurs places respectives au milieu du sable des passions.
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Je devenais le jouet favori du hasard. Son double. Et j’interprétais :
« J’ai découvert la réalité du cactus à travers les mailles ténues d’un hamac maya. C’est la flamme verte – le sel y fut versé – figée dans son plein mouvement incessant – les radiations calorifiques en épines – la flamme verte, ai-je dit, celle que le prêtre prétend ranimer en déposant le chlorure de sodium sur la langue-flamme-à-verbe du baptisé.
… Je dormais. Une blatte cherchait à pénétrer dans mon oreille gauche. Machinalement ma main la saisit et, dans mon demi-sommeil, j’eus l’impression qu’il s’agissait d’une mante religieuse. La conscience subite de mon erreur m’imprima une panique telle que je laissai l’insecte. Ce ne fut qu’après une infernale partie de cache-cache parmi les encombrements de la chambre que je parvins à écraser la bête avec le premier objet qui me tomba sous la main : une cartouche, couleur d’argent et de pourpre, de cigarettes Pall Mall (prononcez Pêle Mêle). »
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(…) le supplément magazine qui fait partie de l’édition dominicale du New York Times publiait sous le titre UN Cats Dig Jazz une série de photographies prises pendant le concert donné aux Nations Unies. Sur l’une d’entre elles, apparaissait très distinctement mon visage effaré et ravi. Cela ne m’aurait pas ému outre mesure si, dans le même numéro du magazine, n’avait figuré un groupe de photographies de l’aquarium de Coney Island, dans lesquelles se pavanaient en gros plans mes acteurs préférés des cours de madrépores bariolés engloutis au large de Mogadiscio : le dangereux ptéroïs aux longues rémiges en guise de nageoires, les poissons-anémones qui vivent à l’abri des beaux et cruels tentacules de l’actinie, le poisson-pierre, doué d’invisibilité et de venin mortel, et une murène bleu ardoise, la gueule béante.
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Jean-Pierre DUPREY
© Photo : Luc Joubert | “Soleil noir”
SITES À CONSULTER
Articles
POUR CHORUS SEUL
Une lecture de Jacques Josse
Remue.Net – 7 novembre 2013
| © Cliquer ICI
UNE MAIN, DEMAIN
Par Patrice Beray
Mediapart – 11 mars 2009
| © Cliquer ICI
Sur les LA VIERGE DU NEANT,
premiers poèmes de Jean-Pierre Duprey
Alexandre SECHER
In« L’art d’aimer » (revue d’essais critiques)
| © Cliquer ICI
Poèmes
NAUFRAGE
(Mai 1946)
Sur le site : Terres de Femmes
| © Cliquer ICI
CRI
Sur le site : Littérature de partout
| © Cliquer ICI
Sur le site : La Frenière & Poésie
| © Cliquer ICI
Ghérasim Luca et Claude Tarnaud
à Oppède vers 1958/60
© Photo : Gilles Ehrmann | “Soleil noir”
SITE À CONSULTER
CLAUDE TARNAUD
Site dédié à Claude Tarnaud
[1] « (…) la détermination de s’aventurer vers la haute mer du langage. », Annie Le Brun, in « Qui Vive », p.30.
20:38 Publié dans Claude Tarnaud, Les Hauts-Fonds, Nathalie Riera, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS, Patrice Beray | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Sabine Péglion, Derrière la vitre
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UNE LECTURE DE CÉCILE Oumhani
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Sabine Péglion
« Derrière la vitre »
ficelle n° 109, Juillet-août 2012
Vincent Rougier, 2012
(Les Forettes F 61380- Soligny la Trappe)
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Combien d’instants se brisent contre des parois de verre, échoués dans le mirage d’une proximité et d’un partage possible... Des pas posés vers les autres, portés par la promesse du monde et qui cherchent, vacillent puis trébuchent dans le vide. Des mots chuchotés, confiés qui bruissent dans la lumière du jour puis retombent dans le silence...
Sabine Péglion écoute des voix qui se croisent, sans se rencontrer. Elle démêle les strates des phrases qui se suivent, se recouvrent jusqu’à étouffer un cri qui jamais n’émerge et demeure enfoui dans l’inaudible. Il s’enlise, vaincu par le quotidien, puis balayé par l’espoir qui renaît malgré tout, après les défaites. Passerelles incertaines / les mots courent / Fluides liquides / Bulles fragiles / à leurs lèvres assurées / Crèvent /se recroquevillent / fusent / aux volutes S’accrochent.
C’est dans cet inaudible, fait d’échanges avortés, de meurtrissures contenues à l’intérieur de la cartographie de tous les jours, que la poète recherche les fils ténus qui nouent nos gorges et emprisonnent nos élans. Elle y démasque les jeux sociaux où s’échappe le dire, bien loin du ressenti, du vrai et de ce que l’on désire. Entre ces paroles superposées, apparaissent les décalages et les abîmes où l’on se perd, dépossédé de ce que l’on est, sans parvenir à se débarrasser de sa chrysalide. Toi /Moi / Ta voix se tue / Ta voix s’est tue / Moi / Toi /Ce silence /Fleur rouge / Crevant d’absence / Et tes mots qui se cherchent / Et mes mots qui te cherchent.
La poète joue avec les blancs et les typographies pour mettre en relief la diversité des voix qui s’élèvent dans ces poèmes. C’est avec une grâce subtile qu’elle donne à voir ces espaces qui nous entourent et que nous entourons, de nos gestes et de nos mots. Et son recueil chemine selon l’ordonnancement d’obstacles de verre clairement repérés : La transparence du monde, De toi à moi et Pars cours deviens, où résonne la voix d’un adolescent qui se heurte à celle des adultes.
Ce regard posé sur notre présence au monde et aux autres touche et émeut. On ne peut être qu’interpellé par ces thèmes universels, abordés avec une infinie sensibilité.
Pourquoi dans l’île bien loin de nos rives / faut-il que le mauve se dissolve ? La poésie de Sabine Péglion approche notre intime solitude et la transfigure.
Cécile Oumhani, décembre 2013
© Les Carnets d’Eucharis
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SITES À CONSULTER
Extraits
DERRIÈRE LA VITRE
Sur le site : Terres de Femmes
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10:52 Publié dans Sabine Péglion | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
26/12/2013
Eric Sarner, Coeur chronique
ERIC SARNER
Cœur chronique
(Le Castor Astral, 2013)
Encre de couverture : Éric Sarner
Préface de Michel Deguy
Éric SARNER
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--------------------------------------------------------------------------- QUATRIEME DE COUVERTURE
Cœur chronique recense des évènements, des noms de lieux, de personnes, des œuvres et des mots qui, à tel ou tel moment, ont trouvé chez moi un écho émotionnel, écho retranscrit ici en vers ou en prose.
Du début à la fin, ce qui nous tient, n’est-ce-pas, ce sont bien nos émotions et ce qui souvent les accompagne, nos interrogations.
Le travail du poète est de tendre parole à tout cela.
D’y tendre…
É. S.
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ÉRIC SARNER vite entre Berlin, Paris et Montevideo. Réalisateur d’une vingtaine de documentaires pour la télévision, il est l’auteur de récits de voyages, comme La Passe du vent (Payot), Sur la Route 66, petites fictions d’Amérique (Hoebeke) et Un voyage en Algéries (Plon), ainsi que des recueils de poèmes dont Eblouissements de Chet Baker (La Passe du vent), Et comme emportés, on demeure (Dumerchez), et Ballade de Frankie (Le Castor Astral).
Il vient de recevoir le Prix Max Jacob pour son recueil "Cœur chronique".
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Femme au manteau
de chair
jouant aux angles
géométrie
de ses formes
de son
destin
son visage
borde les écritures
elle n’en voit rien
ni
la fumée
de l’autre côté
du lac
encapuchonnée noir
encapuchonnée arbre
sur l’eau
dans sa barque
un pêcheur la regarde
fouler
la neige
--------------------------------------------------------------------------- p.33
***
Effondrement du cœur
d’étoiles massives
en fin de vie
le plus ancien
le plus lointain
sursaut de rayons gamma
13 milliards d’années
d’autres bouffées
plus lointaines
plus anciennes
encore
seront repérées
dans le futur
dit le savant
peut-être un jour
pourra-t-on étudier
les toutes premières étoiles
et la fin de l’âge sombre
de l’univers
--------------------------------------------------------------------------- p.38
***
Elle
noire de la jupe aux cheveux
des yeux jusqu’au corsage
bouche mince
et rouge comme noire
je me rappelle son pas
glissando
une brise retenue
un tigre insomniaque et fiévreux
le nom d’une fleur mauve
quand je remontais du port
Goûter sa salive
--------------------------------------------------------------------------- p.51
***
La nuque de cette femme
y poser des figues vertes
des sanglots de fin juillet
des fièvres dignes du vaudou
de petits fleuves sans fin
autour de ses épaules
déposer
tout ce qui doit rester
le petit pont sur l’Arno
une amoureuse évanouie
quelque danse criminelle
les forêts au-dessus du Danube
et puis où encore
et sur quoi d’invisible
ce qui
ne se peut
voir
femme de pigments secs
pour toujours
déjà absentée
le 7 janvier 1911
--------------------------------------------------------------------------- p.53
***
Sur un trottoir
trempé
je trouvais ce mot
le cœur
est
un loup
pour l’homme
--------------------------------------------------------------------------- p.62
***
Les phénomènes de l’amour
comme si l’amour
était un champ d’érudition
algèbre et pas seulement géométrie
histoire et symbolique
et pas simple géographie
bestiaire furieux
outre les musiques de joie
ou de chagrin
seule la fin
sépare
probablement
le réel
de l’irréel
avant que le rhum coulant encore
on découvre
ceci
le texte sans doute est exact
la vérité est sûrement fictive
--------------------------------------------------------------------------- p.69
Ces poèmes sont extraits de « Expérience de l’hiver » in Cœur Chronique.
SITE À CONSULTER
LE CASTOR CASTRAL
Cœur chronique
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19:51 Publié dans Eric Sarner, Le Castor Astral | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Roberto Bolano, Amuleto
Roberto Bolaño
AMULETO
(Christian Bourgois Editeur, 2013)
Traduit de l’espagnol (Chili) par Emile et Nicole Martel
Roberto Bolaño
© Photo : Jerry Bauer | CLIQUER ICI
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------------------------------------------ QUATRIEME DE COUVERTURE
Mexique, septembre 1968 : la police envahit l'université de Mexico. Afin de leur échapper, Auxilio Lacouture, une Uruguayenne amie des poètes et de la poésie, se réfugie au quatrième étage de la faculté de Lettres et de Philosophie. Elle y demeure cachée pendant treize jours, au cours desquels elle se remémore son histoire. Au fil d'un vaste récit aux accents tantôt mystiques tantôt surréalistes, elle évoque ainsi les jeunes gens qu'elle a connus à l'université et les événements de ces années troubles.
Amuleto est l'un des premiers ouvrages de Roberto Bolaño parus en France. On y retrouve la combinaison d'une atmosphère angoissante et d'une terreur politique bien contemporaine. À cet égard, Amuleto annonce ses œuvres suivantes telles que La Littérature nazie en Amérique, Étoile distante, Nocturne du Chili, où écrivains et poètes jouent souvent un rôle essentiel.
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Roberto Bolaño est né à Santiago du Chili en 1953. Fondateur, au Mexique, de «l'infraréalisme», groupe littéraire d'avant-garde, héritier de Dada et de la Beat Generation, il a déferlé sur la scène littéraire avec La Littérature nazie en Amérique puis Les Détectives sauvages. Il a reçu, entre autres, le Prix Herralde en 1998 et le prix Romulo Gallegos, le plus prestigieux d'Amérique Latine en 1999. Poète et romancier, héritier de Borges, Cortazar, Schwob, il saisit à bras le corps l'histoire de sa génération et est passé maître du brassage des registres, situations et personnages. Roberto Bolaño est mort en 2003 à Barcelone.
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ET MOI, pauvre de moi, j’ai entendu quelque chose de semblable à la rumeur que produit le vent quand il descend courir entre les fleurs de papier, j’ai entendu une vibration d’air et d’eau, et je me suis levée (silencieusement), les pieds comme une ballerine de Renoir, comme si j’allais accoucher (et d’une certaine manière, en effet, j’allais donner naissance à quelque chose et naître moi-même), le slip tenant en menottes mes chevilles maigres, accroché aux chaussures que j’avais alors, des mocassins jaunes très confortables, et pendant que j’attendais que le soldat inspecte les cabinets l’un après l’autre et que je me préparais moralement et physiquement, si nécessaire, à ne pas ouvrir, à défendre le dernier réduit d’autonomie de l’UNAM[1] , moi, une pauvre poète uruguayenne, mais qui aimais le Mexique comme personne d’autre, tandis que j’attendais, comme je disais, un silence particulier s’est produit, un silence spécial pour lequel ni même les dictionnaires musicaux ni les dictionnaires philosophiques n’ont d’entrée, comme si le temps se fracturait et se mettait à courir dans plusieurs directions à la fois, un temps pur, ni verbal ni fait de gestes ni d’actions, et alors je me suis vue moi-même et j’ai vu le soldat qui se regardait béatement dans le miroir, nos deux personnages scellés dans un noir losange ou submergés dans un lac, et j’ai eu un frisson, parce que j’ai perçu que momentanément les lois de la mathématique et celles, tyranniques, du cosmos, qui s’opposent aux lois de la poésie, me protégeaient et j’ai compris que le soldat se regarderait béatement dans le miroir et que je l’entendrais, ou l’imaginerais, souriante aussi, dans l’abri singulier de mon cabinet, et que ces deux facteurs constituaient à partir de cette seconde-là les revers d’une pièce de monnaie atroce comme la mort.
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SITES À CONSULTER
Editions
AMULETO
Christian Bourgois Editeur
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Articles
Le chant d’Auxilio Lacouture
Sur « Amuleto » de Roberto Bolaño
Antonio Werli
In« Cyclocosmia » (revue d’invention et d’observation)
| © Cliquer ICI
POUR UNE HISTOIRE SECRÈTE DU ROMAN CONTEMPORAIN :
2666 DE ROBERTO BOLAÑO
Sur le site d’Enrique Vila-Matas
Emmanuel BOUJU
In« Cyclocosmia » (revue d’invention et d’observation)
| © Cliquer ICI
17:13 Publié dans Christian Bourgois Editeur, Roberto Bolano | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
25/12/2013
Luis Bénitez
LES IMAGINATIONS
(Traduit de l’espagnol par Jean Dif)
Luis Benítez | L'HARMATTAN, Collection « Accent tonique » | 2013
La camera impossible
La caméra impossible est le nom que lui donnent ceux qui connaissent le cinéma,
Parce que l’image y est vue depuis un mur
Ou depuis l’obscurité où il n’y a personne
Et comme le temps nous regarde faire et défaire,
Toujours absorbés dans l’illusion de n’être pas vus,
Toujours prompts à nous perdre dans les cérémonies les plus stupides.
Là, sous la lentille, renaît le monde perdu
Entre les veines déjà dures et les cheveux qui sortent du nez.
Malgré le cœur qui souhaite enfin dormir sous terre,
Les poumons qui ont tant fait qu’ils ne désirent plus d’air ;
La caméra impossible suit la chorégraphie de l’intime
Qui croit avoir échappé un moment au public
Et les vieilles cérémonies se remettent à peupler les recoins
De gens qui n’existent pas, à changer la mise en scène
Pour d’autres décorés voici des années avalées par les jours.
Plus sincères que la masturbation, plus évidents que le rêve,
Les rituels secrets restituent leur sens aux photographies fanées,
Aux souvenirs qui surgissent de ces images avec leur dégaine légère de nains,
Au cauchemar jouisseur de la solitude, finalement,
Avec ce monstre lourd qui passe rapidement par les miroirs.
Et la caméra impossible filme tout cela
Pour les archives incandescentes qu’utilise la mémoire,
Cette escroquerie que brandira demain le passé :
Demain, pour nous faire honte une fois de plus encore une fois et une autre fois
Savoir que nous avons fait ce que nous avons fait et ce que nous sommes finalement
Une autre fois tout ce que nous fûmes et serons quand bien même nous n’aurions pas été,
Comme l’enregistrera la caméra, la caméra impossible.
------------------------- (p.52/53)
NOTICE BIO&BIBLIOGRAPHIQUE
Luis Bénitez, poète, narrateur, essayiste et dramaturge, est né à Buenos Aires le 10 novembre 1956. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes et d’essais.
Les dernières éditions de Luis Bénitez (poésie) : Les imaginations (L’Harmattan, Paris, 2013) Courte anthologie de poésie (The Littoral Press, Angleterre, 2013) Manhattan chanson. Cinq poèmes de l’Ouest (Ars Longa Editura, Roumanie, 2013) Béring et autres poèmes (Siesta Förlag, Suède, 2012) L’éléphant après-midi et autres poèmes (Sentieri Meridiani Edizioni, Italie, 2012) Un héron à Buenos Aires. Poèmes choisis (Ravenna Press, USA, 2011).
L’HARMATTAN
Littérature Poésie Amérique latine
| © Cliquer ICI
recours au poeme
Une lecture de Jean Dif
| © Cliquer ICI
Poèmes choisis
| © Cliquer ICI
LUIS BENÍTEZ
« El poeta contemporáneo será internacional o no será »
| © ICI
16:07 Publié dans Luis Benitez | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Remedios Varo
REMEDIOS VARO
PEINTRE SURRéaliste
…
…
[Extrait]
ROBERTO BOLAÑO
AMULETO
(Traduit de l’espagnol – Chili – par Emile et Nicole Martel)
Christian Bourgois Editeur, 2013
[…]
Il y a très peu de gens qui se souviennent de Remedios Varo. Je ne l’ai pas connue. Sincèrement, j’aimerais bien dire que je l’ai connue mais en vérité je ne l’ai pas connue. J’ai connu des femmes merveilleuses, fortes comme des montagnes, ou comme des courants marins, mais je n’ai pas connu Remedios Varo. Non parce que j’aurais eu honte d’aller lui rendre visite chez elle, non parce que je n’appréciais pas son œuvre (que j’admire de tout cœur), mais parce que Remedios Varo est morte en 1963 et moi, en 1963, j’étais toujours dans mon lointain Montevideo chéri.
[…]
Je lui dis à quel point je l’admire, je lui parle des surréalistes français et des surréalistes catalans, de la guerre civile espagnole, je ne lui parle pas de Benjamin Péret parce qu’ils se sont séparés en 1942 et je ne sais quels souvenirs elle garde de lui, mais je lui parle de Paris et de l’exil, de son arrivée à Mexico et de son amitié avec Leonara Carrington, et je me rends compte alors que je suis en train de raconter à Remedios Varo sa propre vie…
ROBERTO BOLAÑO ...............................................
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14:30 Publié dans Christian Bourgois Editeur, Roberto Bolano | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Julio Cortázar
[…] Pourquoi en littérature – à l’image servile des critères de la vie courante – on incline à croire que la sincérité ne se produit que dans l’éclat dramatique ou lyrique, et que le ludique contient presque toujours artifice ou dissimulation ? Macedonio, Alfred Jarry, Raymond Roussel, Erik Satie, John Cage, ont-ils écrit ou composé avec moins de sincérité que Roberto Arlt ou Beethoven ?
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et ligne après ligne/and line after line
Du côté de chez…
Julio Cortázar
© INTERNET | Julio Cortázar
« Crépuscule d’automne »
José Corti, 2010 – Collection « Ibériques »
Extraits
[Fougère]
pour que tu restes en suspens dans ta nuit
de yeux fermés et de lèvres humides
après cette tâche extrême de la mousse
où mon corps se livre à ses faucons
sous le zénith mystérieux qui déploie
les formes balbutiantes de ta voix
l’écume reprend ses énumérations
et à nouveau la déesse y surgit.
la soif alors s’exalte dans la jonction
des deux rivières blanches qui se croisent
– Diane des ultimes carrefours sans issue,
lune de sang parmi les chiennes noires –
machine de méduse et d’unicorne
où s’emmêle le temps à qui on arrache
le masque sans regard de l’instant
quand on tombe à partir du plus profond
un halètement, le silex d’une plainte,
une chose interminable qui s’effondre
jusqu’à ce que l’aile tourbillonnaire des mouettes
dessine un labyrinthe déjà effacé
contre l’oreiller d’algues et de salive
le gémissement alterné renouvelle
un double crépuscule où pas à pas
défile une lente théorie de panthères
Julio Cortázar ..............
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(p.129/130)
in « Permutations »
13:45 Publié dans Julio Cortazar | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
17/12/2013
Les Carnets d'Eucharis, année 2014 (Abonnement & Souscription)
Les Carnets d’Eucharis
●●●●●●●●●Poésie| Littérature Photographie | Arts plastiques●●●●●●●●● (2014)
Les Carnets d’Eucharis, Année 2014
(≠CARNET 2)
Format : 170 x 250 | 160 pages | ISSN : 2116-5548
ISBN : 978-2-9543788-1-7
France : 17 € (rajouter 4 € frais de port)
En vente : 1er mars 2014
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(COMITÉ DE RÉDACTION)
Nathalie Riera, Claude Darras, Richard Skryzak, Tristan Hordé,
Angèle Paoli, Claude Minière, Sabine Péglion, Gérard Larnac
Sommaire
Les Carnets d’Eucharis [2014]
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AVANT-PROPOS– Nathalie Riera
ÉTIENNE FAURE
[Entretien conduit par Tristan Hordé]
AU PAS DU LAVOIR
20 I Fabrice Farre [NOUS, LES CHOSES…]
23 I Noémie Parant [45 lettres à D. (extrait)]
27 I Corinne Le Lepvrier [liste provisoire de mes derniÈres dÉcouvertes sur ma vie]
30 I Armelle Leclercq [Les Sentinelles des dieux]
36 I Jean-Louis Bernard [POÈMES CHOISIS]
39 I Jean-Marc Gougeon [POÈMES CHOISIS]
44 I Marie de Quatrebarbes [POMME FATALE]
47 I Aurélie Foglia [FINITIFS]
55 I Marie Etienne [UN ENFANT QUI S’ENDORT]
LE CHANTIER DU PHOTOGRAPHE
61 ISur une photographie (extrait de « Mallarmé & les fantômes ») Claude Minière
PORTFOLIO I Cahier visuel & textuel de 16 pages
Photographies : Éric BourretI Texte :François Coadou (L’ivresse des sommets)
EN HAUT DU PRÉI Petite anthologie de textes contemporains & de Paroles d’artistes
66 IPhotos-vidéos &Texte : Richard Skryzak (Les Rêveries d’un vidéaste solitaire)
71 I Claude Minière (Numériques)
76 IPaul Louis Rossi[La Raison Pure]
80 IPierre Petit[Le Collectionneur]
TRADUCTIONS
84 IW.S. GRAHAM & Paul STUBBS Traduits de l'anglais par Blandine Longre
100 IMariangela GUALTIERI Traduit de l'italien par Angèle Paoli
113 IJuan GELMAN Traduit du séfarade-espagnol par Raymond Farina
116 IViviane CIAMPI Traduit de l’italien par Raymond Farina
121 IEva-Maria BERG Traduit de l'allemand par Brigitte Gyr
129 IMina LOY Traduit de l’anglais par Olivier Apert
Portraits – Lectures Critiques
140 I [Portrait biographique] Mina Loy : une cartographe de l’imaginaire, Nathalie Riera
144 I[Portrait critique] La tragédie humaine de René Knapen, Claude Darras
150 I [Lectures] Jacques Moulin, À vol d'oiseaux (L'Atelier contemporain, 2013) Tristan Hordé •151 I Jean-Marie Gilory, Songeries d’un rêveur insulaire (La Botellerie Editeur) Jean-Louis Bernard • 153 I Cécile Oumhani, Tunisie, carnets d’incertitude [Tunis, Editions Elyzad/Collection Sous les remparts, 2013] Sabine Péglion • 155 I Marie Huot, Douceur du cerf (Al Manar/Alain Gorius, 2013) Angèle Paoli • 159 IÉric Sarner, Cœur chronique, (Le Castor Astral, 2013) Brigitte Gyr • 162 I Jacques Laurens, Père éternel (Hermann/Collection Vert Paradis, 2013) Olivier Salazar-Ferrer
*[Année 2014]
●●●
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L'Association L'Atelier des Carnets d'Eucharis
L'Olivier d'Argens - Chemin de l'Iscle - BP 44
83520 ROQUEBRUNE-SUR-ARGENS
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2013-2014 | Revue papier Les Carnets d’Eucharis | ISSN : 2116-5548 |ISBN : 978-2-9543788-1-7
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Roselyne Sibille par Sabine Péglion
ROSELYNE SIBILLE
Roselyne Sibille |Sur le site Terre à Ciel| 2013
Roselyne Sibille
Lecture de Sabine Péglion
________________________________________________________
■■■
Poète, traductrice, géographe de formation, Roselyne Sibille a longtemps été bibliothécaire et enseignante aux Universités d'Aix-en-Provence et d'Avignon. Parallèlement à ses travaux personnels d’écriture, elle poursuit des ateliers « d’éveilleuse » pour reprendre ses termes, en Provence.
Quand on aborde la poésie de Roselyne Sibille, on songe au rôle que Jean Cocteau lui accorde : « Elle dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement. »
Ainsi, dans L’appel muet, le regard de la poète, précis, sensible, « donne à voir » ce quotidien que nous traversons, le plus souvent sans même le remarquer :
Entre la montagne
et les brumes
les corbeaux leur vol leurs cris
l’odeur de la terre et son silence
les racines font signe
Entre
Percevoir le lieu, l’instant, sa plénitude. Mais plus encore, elle nous invite à prendre conscience de notre être au monde, dans l’attention à ce qui nous est donné. Dans ce suspens perçu du temps, savoir questionner notre parcours, aller au-delà de ce que le regard capte et transmet :
Source noire
Seule au milieu
Souffle haletant
Vivre avec
Vivre sans
Sans arrêt
Soif
in Tournoiements Ed. Champ social 2006
Devenant parfois ce passeur,
je lirai sans fin l’indéchiffrable
les autres frontières
in ibid
Avec Roselyne Sibille on arpente le monde, on le redécouvre, au rythme de sa marche,
Quand s’enchevêtrent les mystères
que je ne sais plus rien
je vais chercher
les senteurs d’herbe dans le vent
in L’appel muet Ed. La porte 2012
Ce matin tôt je marche
seule dans la prairie
Etoiles sous la rosée
Le ciel se tait
in ibid
Pouvoir saisir ce qui nous échappe, s’y ressourcer
juste un espace où marcher le vent
[…]
éblouie de vent une aube noire s’est déployée en silence
in Lumière froissée Ed. Voix d’encre 2010
Une attention aux paysages dans ses nuances que l’on retrouve sculptés par les blancs de la page. Ils laissent les mots dérouler leur ampleur sonore, vibrer au gré de la sensibilité du lecteur :
Falaise cabrée
délaissée
lourde longue lente ample
vers l’absence les lointains nains
in Lumière froissée Ed. Voix d’encre 2010
Roselyne Sibille nous incite à saisir cette incandescence
la lumière
hachée
blanc
ces lueurs fragiles car l’ombre est si proche tout tremble et fuit,
le temps abasourdi
trébuche
sur l’épaule immobile des secondes
En dépit de… pourtant… poursuivre. C’est bien une confiance dans la vie que nous livrent ses recueils.
Un miroir
appuyé contre la nuit
voir ce qui demeure
et sourire
in L’appel muet Ed. La porte 2012
La poésie de Roselyne Sibille nous rappelle qu’on ne peut, ni ne doit, ni oublier, ni accepter mais regarder, devant, dans la lumière. ■■■
Décembre 2013 © Sabine péglion
■NOTICE BIOBIBLIOGRAHIQUE
• 2001 - Au chant des transparences, lavis de Bang Hai Ja, Éditions Voix d’encre
• 2002 - Éclats de Corée, Éditions Tarabuste (Anthologie Triages, avec le concours du CNL)
• 2005 - Versants, préface de Jamel Eddine Bencheikh, Éditions Théétète (avec le concours du CNL)
• 2006 - Préludes, fugues et symphonie, Éditions Rapport d’étape (Librairie française de Venise)
• 2007 - Tournoiements, Éditions Champ social
• 2007 - Un sourire de soleil (histoire pour enfants), édition bilingue (franco-japonaise) parue au Japon, traduction de Masami Umeda, photographies d’Hélène Simmen
• 2009 - Par la porte du silence (Through the Door of Silence), recueil trilingue (français-anglais-coréen), coédité par le Musée mémorial Gyeomjae Jeongseon et le Centre Culturel de la Fondation Toji, peintures de Bang Hai Ja. Publié en Corée du Sud. Traductions de Michael Fineberg et Moon Young-Houn.
• 2010 - Lumière froissée, encres de Liliane-Ève Brendel, Éditions Voix d’encre
• 2011 - Implore la lumière, peintures de Sylvie Deparis, Éditions SD
• 2012 - L'appel muet, éditions La porte
Publications dans les revues Culture coréenne, Terres de femmes, Terre à ciel, Pratilipi, Asymptote et Qantara (revue de l'Institut du monde arabe - Paris)
Divers livres d'artistes et autres co-créations : avec Bang Hai Ja - Hélène Baumel - Florence Barberis - Laurence Bourgeois - Liliane-Eve Brendel - Sylvie Deparis - Keun Eun-dol - Youl - Dominique Limon - Christine Le Moigne - Maïté Erra
Expositions personnelles et collectives
Résidences d'écriture (Corée du Sud et Inde)
© D.R. Sabine Péglion, décembre 2013
22:09 Publié dans NOTES DE LECTURES/RECENSIONS, Roselyne Sibille, Sabine Péglion | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Etienne Cendrier
Etienne Cendrier © Opus Manus
Galerie Roy Sfeir |
Galerie Samagra |
21:45 Publié dans CLINS D'OEILS (arts plastiques), Samagra/Roy Sfeir | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Art dans l'air, N°2 (par Claude Darras)
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[Revue de revues]
Art dans l’air,
N°2 – 2013
une autre manière d’ouvrir les fenêtres de l’imaginaire
Par Claude Darras
Dans le domaine des revues, le premier pas est une expérience profonde et décisive : si l’aventure doit continuer, elle dessine déjà les linéaments d’une entreprise future et durable. Directrice de la rédaction et de la publication Art dans l’air, Anne Devailly et son équipe ne se contentent pas de commenter l’actualité artistique en Languedoc-Roussillon ; ils la provoquent en excellents passeurs qu’ils sont. Aussi conviendra-t-il de ne pas tenir pour négligeables les fonctions prospectives des revuistes. Attentifs à souligner la veine populaire du Musée international des arts modestes de Sète, ils sont très inspirés en faisant la courte échelle au jeune peintre montpelliérain Mohamed Lekleti (dans la livraison n° 1). De la même façon, soucieux d’évoquer les vingt ans du Carré d’Art de Nîmes à la faveur d’une exposition de son concepteur et collectionneur, l’architecte britannique Norman Foster, ils s’honorent en révélant la peinture d’un artiste méconnu de grand format, Jean-Baptiste Garon, né à Niort en 1964 et décédé à Montpellier en 2012 (dans le numéro 2).
La planète des arts est inventoriée selon toutes ses facettes : villes d’art (Parcours d’art contemporain à Carcassonne, exposition Mòstra de Mende), galeries (entretiens avec Bernard Brantus à Ganges, Cécile et Gérard Bueno à Nîmes, et Didier Nick à Aubais), photographie (Cécile Mella à Montpellier et Cyril Hatt à Saint-Jean-de-la-Blaquière), design (Julien Gudéa à Nîmes, Ova Design à Montpellier), vitrail (rencontre à Béziers avec le maître-verrier italien Carlo Roccella), artisanat d’art (avec Pierre Armengaud, ébéniste et ancien compagnon du Devoir). Salutaire confrontation et bel échange avec la chronique Regards croisés : entre le sculpteur sétois François Michaud et le dessinateur canadien David Maes résidant à Uzès. Artiste norvégienne vivant et travaillant à Saint-Brès (Hérault), Oddbjørg Reinton confie à Fabienne Durand son amour des animaux qu’elle dessine et peint et ses craintes devant la lente et durable extinction des espèces.
À quoi servent des revues comme Art dans l’air ? Elles sont une manière d’ouvrir l’esprit, de comprendre qu’il y a une communication souterraine entre le passé et le présent, de se convaincre aussi que la longue histoire spirituelle, religieuse, intellectuelle qui s’écrit dans le monde des formes s’inscrit partout, dans les villes et les campagnes, en Languedoc-Roussillon comme ailleurs. Sachons gré aux revuistes de repousser les murs de leurs cimaises de papier afin d’ouvrir plus largement encore les fenêtres de l’imaginaire.
++++++
Les Carnets d’Eucharis N°40 (HIVER 2014) © Claude Darras
■ Art dans l’air, n° 1 février 2013, 98 pages ; n° 2 avril/mai 2013, 98 pages, magazine de l’art & des artistes en Languedoc-Roussillon
21:32 Publié dans Claude Darras, REVUES | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
15/12/2013
Antonio Pizzuto
ANTONIO PIZZUTO
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© Écrivain sicilien
Antonio Pizzuto / 1893-1976
EXTRAIT
LE TRIPORTEUR et autres proses / IL TRICICLO
(traduit de l’italien, présenté et annoté par Madeleine Santschi)
postface de Gianfranco Contini
L’Age d’homme, Lausanne, 1987
…
Erice, odorants la sauge ses paradis, en bas de l’escarpement la mer crêpue immobile[2], essuyées comme vaisselle les routes spirales[3], portes et impostes fermées, y dedans cours où minuscules lunes d’eau dans les très profonds puits en échos, bien rare dans la symétrique citerne[4], au milieu quelque arbre, mur sur mur les liserons, issues secondaires sur candide ruelle parmi vertes persiennes opposées aux principales[5]. Pendaient du blanchi plafond à poutres, par familles, grappes maures nil or s’empergolant, au licou les oblongs fromages, abeilles buridanes tout autour, moucherons en poussière[6]. Les coups de l’heure quarte, pas solitaires violent silence après midi plus lourd dans la générale torpeur[7], et de s’apprêter en son lieu la fanfare, ordre carré, bouches contre anches, cymbales pour entrer en collision, prête la mailloche pour frapper grosse caisse. S’étant faits furibonds les regards et universellement centripètes, levée la main s’abattant pour fendre[8], explosaient les cuivres avec grand éternuement, caverneux parcheminé grondement, d’où frémissements ventraux pour ceux dans le passage ère d’aile[9], dans chaque silence vils les nasillards clairons. Au son de l’énergique marche conventionnelle diffuse dans l’enceinte citadine, demeure par demeure surgissaient les contribuables vers ablutions a cappella[10], contrepointant d’éclaboussements les tymbales, solfiant la laborieuse brosse, il y avait balancement dans les diamantifaires lampadaires. Déposés ensuite les instruments, revenaient les musiciens artisans[11], vers enclumes établis étaux, évident le s’acheminer vers l’ensoleillé de tous ceux auparavant réveillés par le massif souffle[12].
[…]
------------------------------ (p. 35/37)
Erice, odoranti di salvia i suoi paradisi, ingiù dallo scosceso il mare cresputo immobile, terse come stoviglie le strade spirali, ingressi ed imposte chiusi, laddentro cortili dove minuscole lune l’acqua nei profondissimi pozzi in echi, ben scarsa entro cisterna simmetrica, framezzo qualche albero, mura mura convolvoli, secondari usci su candida viuzza tra verdi persiane opposti a quelli maestri. Pendevano da imbiancato soffito a travi, per famiglie, grappoli mori nilo aurei impergolando, in capestro oblunghi formaggi, api buridane intorno, moscerini pulviscolosi. I rintocchi di quarta ora, passi solitari a violar silenzio dopo mezzogiorno più greve nel generale sopore, ed apparecchiarsi in suo luogo la banda, ordine quadrilungo, bocche contro ance, piatti per collidere, pronta mazzuola da picchiare grancassa. Fattisi gli sguardi furibondi e universalmente centripeti, levata mano calando per fendente, esplodevano ottoni con gran sternuto, cavernoso pelliccio rombo, onde ventrali fremiti cui nel passaggio era d’ala, in ogni zittita alacri i clarini nasardi. All’energica Marcia convenzionale diffusa nel circuito cittadino, dimora per dimora sorgevano I contribuenti verso abluzioni accappella, contrappuntando di sbruffi le timballate, solfeggiava operosa spazzola, c’era dondolo in diamantiferi lampadari. Dismessi poi gli strumenti, tornavano I sonatori artigiani, da incudini deschetti morse ovvio l’incamminarsi all’aprico quanti dianzi desti il mazzicato soffio.
■ SITE À CONSULTER :
Madeleine Santschi
[1] Tiré de « Testamento » (Il Sagggiatore di Alberto Mondadori, Milan 1969) : d’une fin de journée à une autre, l’évocation d’une grand-mère, du lieu en Sicile où P. passait ses vacances.
20:23 Publié dans Antonio Pizzuto, ITALIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
12/12/2013
Claude Minière - Barnett Newman - Le Théâtre de verdure
Barnett Newman | MUSEE DES BEAUX-ARTS DU CANADA | (1905-1970)
BARNETT NEWMAN
Retour vers l’Eden
(Tarabuste, 2012)
TARABUSTE EDITEUR
Collection Brèves Rencontres
BARNETT NEWMAN
Retour vers l’Eden
p. 16.
Il est le peintre de ONEMENT, de l’ « expiation » et de la réconciliation, mais bien plus encore celui qui a lutté contre l’idée de Chute, contre la pensée d’une déchéance de l’homme. Il y a vu l’acte d’un dieu jaloux. Le premier homme était un créateur, un artiste. Il cherche ce qui est premier. Il est l’artiste de DAY BEFORE ONE, un « peintre du samedi », du sabbat luxueux. Il s’est posé des questions sur la terreur et la tragédie. La terreur est-elle maintenant derrière nous ? Devant ? En face de nous ? Quand il peint il accomplit un acte de connaissance. Celui qui est connaissant ne se sent-il pas divin ?.. Il se tient dans l’atelier, son œuvre l’accompagne sur son chemin et elle est son chemin. La peinture et lui ça fait deux et ils ne font qu’un. Il se tient dedans et à côté.
***
Claude Minière | Le théâtre de verdure | 2013
MARIE DELARBRE EDITIONS
Les Carnets du Noctambule
LE THEATRE DE VERDURE
p. 12/13.
(…) Quand j’écris, pour franchir les limites de la chambre je cherche le climat et le cadre du Théâtre de verdure, sa fraîcheur, l’ordre et le soleil, le déroulement, les apparitions et disparitions, le bruissement des feuilles, la vue accrue, les voix, le petit orchestre, l’angoisse, les heurts, les résolutions, les lois et la dramaturgie. Et si je pense, imperceptiblement ma pensée s’engage dans ce jeu de ruptures, de répétitions, de progression, d’éclaircies et obscurcissements… C’est dans ce « cadre » (immatériel) que m’apparaissent le fond et la surface des évènements, les paroxysmes et le retour au calme ambigu, incomplet. Si je ferme et ouvre les yeux, si je « ferme les yeux » sur l’actualité, si j’ouvre les yeux sur le réel, je vois, j’entends en arrière-fond, vide, en attente de surprises, de chances et de démons, le « théâtre de verdure ». C’est le lieu rêvé, la place exacte de génération de la pensée et de saisie des sensations.
***
NOTICE BIO&BIBLIOGRAPHIQUE
Claude Minière est né à Paris le 25 octobre 1938, dans le 18ème arrondissement. Il est marié à Margaret Tunstill. D’un premier mariage il a trois enfants. Durant la guerre, il a passé son enfance auprès d’une tante de sa mère, native de Dordogne. En 1955 il a été admis (pensionnat) à l’Ecole normale d’instituteurs de Chartres. Il est encore en poste dans la campagne beauceronne quand paraît son premier livre aux Editions du Seuil en 1968, L’APPLICATION DES LECTRICES AUX CHAMPS. Il entame des études d’histoire de l’art puis de sciences politiques, à Paris, où il fréquente artistes et écrivains. Il collabore aux revues Tel Quel, Critique, Art press, Po&sie,… Aujourd’hui, L’Infini (Sollers, Pleynet) et Les Carnets d’eucharis (N. Riera) sont désormais les deux seules revues avec lesquelles il entretient des relations suivies. Après des hébergements éphémères chez différents éditeurs (Christian Bourgois, Flammarion,…) il a trouvé un « refuge » solide chez Tarabuste, et attentif chez Marie-Delarbre. Il est l’auteur (à succès) d’un PANORAMA DE L’ART EN FRANCE, paru en 1995, et de traductions d’EZRA POUND, en collaboration avec Margaret Tunstill, pour les éditions Tristram. Il a par ailleurs consacré un essai au poète américain (POUND CARACTERE CHINOIS, Gallimard, 2006). Il est actuellement domicilié à Lille, tout proche de la station des « Eurostar » vers l’Angleterre. Derniers ouvrages publiés : BARNETT NEWMAN (Tarabuste) ; LE THEATRE DE VERDURE (Marie-Delarbre). A paraître en 2014 : LE GRAND POEME EN PROSE (Tarabuste).
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Anne Teresa De Keersmaeker
13:46 Publié dans VIDEOS, ANIMATIONS, DOCUMENTAIRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
07/12/2013
Norman Manea, La cinquième impossibilité
NORMAN MANEA
La cinquième impossibilité
(Le Seuil, 2013)
COLLECTION « Fiction & Cie »
Essai traduit du roumain par Marily Le Nir et Odile Serre
SITE DE L’EDITEUR - http://www.seuil.com/auteur-10399.htm
Norman MANEA
Site Bard College | © Cliquer ICI
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Une lecture de Nathalie Riera
« LA MAISON DE L’ESCARGOT ROUMAIN »
« L’impossible n’est pas seulement la négation simpliste, irrévocable, du possible mais plutôt sa blessure faste, enrichissante, qui valide par contraste et par complicité l’extension maladive, nocturne, de disponibilités inexplorées et secrètes »
Norman Manea, La Cinquième impossibilité, p.249
■■■ Norman Manea, né en 1936, est déporté à l’âge de 5 ans, avec toute la population juive de Bucovine. Sa seule langue d’origine, le roumain, sa « langue intérieure », sa « langue-domicile », « la maison et la patrie de l’écrivain », restera unique, malgré sa connaissance et sa pratique du yiddish, de l’ukrainien, de l’allemand, du russe et du français, et malgré ses divers domiciles linguistiques en exil, comme Berlin-Ouest, où il vit en 1987, et plus tard, New York, la ville Dada, « ce frénétique kaléidoscope du monde » (p.244), où il fera sa première apparition publique, à l’automne 1989 ; New York où il continue d’habiter la langue roumaine « comme Paul Celan habitait la langue allemande à Paris. »
« J’avais tout de même emporté avec moi la langue, ma maison, comme un escargot. Elle continuerait de m’être premier et ultime refuge, domicile enfantin et immuable, lieu de survie.» (p.53)
Si l’être apatride ne peut être dépossédé de la langue dans laquelle il a été « formé et déformé », Norman Manea a dans la cartographie de son destin la violence de l’exil, comparable à un no mans’ land vertigineux.
« La cartographie de mon destin inclurait, sans doute, la Bucovine où je suis né, les camps d’extermination de mon enfance au-delà du Dniestr, le camp communiste de Periprava, qui a changé l’identité de mon père, le Bucarest de ma vie d’étudiant et d’adulte, Berlin, début de l’exil et, finalement, New York où mon exil a été naturalisé. » (p.242)
La Cinquième impossibilité rassemble, en douze textes, les amitiés et les affinités de l’écrivain roumain avec les écrivains Ernesto Sabato, Philip Roth, Paul Celan, Benjamin Fondane, Eugène Ionesco, Cioran, Antonio Tabucchi, Saul Bellow, Claudio Magris et Franz Kafka. Parmi eux, Magris et Tabucchi figurent parmi les amitiés les plus fécondes. Les éminents écrivains Manea et Magris (ce dernier né à Trieste, la patrie des apatrides, en avril 1939) se rencontrent vers le milieu des années 90, au Festival International des écrivains de Toronto.
« J’enviai une fois de plus la grâce élégante de son style, son érudition naturelle, sa gentillesse conviviale, sa courtoisie de lettré. » (p.195)
« Un aristocrate de la culture, aussi naturel dans sa relation à la réalité de la vie que dans son rapport à la réalité du livre. » (p.196)
Autre rencontre-cadeau de son exil, l’écrivain italien Antonio Tabucchi, récemment décédé à Lisbonne, sa seconde patrie, et connu aussi comme traducteur et passeur de l’œuvre de Fernando Pessoa.
Manea reconnait en la lecture des grands écrivains son caractère formateur, et pour celui qui a vécu l’expérience de la déportation, « exposer ses vieilles cicatrices à la cosmogonie du nouveau rivage relevait d’une pédagogie bénéfique. » (p.11) La souffrance sauvée par la création « se révèle ainsi d’une paradoxale utilité thérapeutique. » (p.35) Manea se consacre alors, sans répit, à la maladie et à la thérapie de la littérature.
La Cinquième impossibilité renvoie aux 3 « impossibilités » de Kafka. C’est dans une lettre à Max Brod, sur la situation des écrivains juifs de langue allemande, que kafka aborde les impossibilités de langage : « l’impossibilité de ne pas écrire, l’impossibilité d’écrire en allemand, l’impossibilité d’écrire dans une autre langue, à quoi l’on pourrait presque ajouter une quatrième impossibilité : l’impossibilité d’écrire. »
Le possible a ses carences, « l’hospitalité trompeuse et corruptrice du possible », quand l’impossible devient comme un moyen de dédommagement, une réparation, pour Manéa « une sorte de revanche », et que vivre dans l’impossibilité c’est vivre « en tant qu’une des formes paradoxalement vivantes de l’existence. »
Norman Manea propose une cinquième impossibilité omise par Kafka : « On pourrait l’appeler « transfert » ou « radicalisation » ou « carnavalisation de l’impossibilité ». L’exil. L’exil d’avant et d’après l’exil, la perte du chez-soi et ce qui s’ensuit une fois l’allogène expulsé avec tout, y compris sa langue volée, dans un milieu véritablement étranger des points de vue linguistique, géographique, historique et social. » (p.265)
Nathalie Riera, décembre 2013
Les carnets d'eucharis
Les livres constituent un « jeu second » essentiel de la biographie, et la bibliographie une généalogie livresque plus importante, souvent, que celle qui est inscrite dans les archives de l’hérédité.
Les êtres-personnages des rayons de bibliothèque composent une seconde population du monde, qui nous parle de l’esprit et du cœur des recensés de la planète, avec une influence plus durable que le tintamarre quotidien. Ils sont nos indéfectibles « compagnons de route », de désespoir et d’espoir.
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***
Le « trauma privilégié » de l’exil a suscité chez moi d’importantes analyses du monde extérieur et de mon monde intérieur. Je prends acte, aujourd’hui, avec une conscience accrue de l’universalité, de la cacophonie de l’actualité, du vertigineux mercantilisme de la culture et des consciences dans notre époque de transactions et d’ersatz, d’incessante perversion du Logos.
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22:37 Publié dans Nathalie Riera, Norman Manea, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS, ROUMANIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : norman manea, la cinquième impossibilité | Imprimer | | Facebook
Franz Kafka
Franz Kafka
1883-1924
Si l'on pouvait être un Peau-rouge
« Si l'on pouvait être un Peau-rouge, toujours paré, et, sur son cheval fougueux, dressé sur les pattes de derrière, sans cesse vibrer sur le sol vibrant, jusqu'à ce qu'on quitte les éperons, car il n'y avait pas d'éperons, jusqu'à ce qu'on jette les rênes, car il n'y avait pas de rênes, et qu'on voie le terrain devant soi comme une lande tondue, déjà sans encolure et sans tête de cheval. »
(Franz Kafka, in Œuvres Complètes, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1984)
22:29 Publié dans Franz Kafka | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
05/12/2013
Joe Wenderoth - Trois poèmes (traduits par Raymond Farina)
Joe Wenderoth
Trois poèmes
© J. Wenderoth
:- :- :- :- :- :-
Poèmes publiés avec l’aimable autorisation
de Joë Wenderoth
MA VIE
d'après Henri Michaux
Il entra je ne sais comment dans ma chambre.
Je l'y découvris, et il était, naturellement, pris au piège.
Ce n'était rien de plus qu'un animal effarouché.
Alors je le remis debout.
Je le gardais pour moi, le gardais dans ma chambre,
le gardais pour son propre bien.
Je nommais l'animal Ma Vie.
Je lui trouvais sa nourriture et lui la mangeait dans ma main.
Je le laissais entrer dans mon lit, respirer dans mon sommeil.
Et l'animal, dans ma tendresse, mon soin constant,
grandit et devint fort, et capable de maints tours habiles.
Un jour, tout récemment,
en passant ma main sur le flanc de l'animal,
j'ai fini par comprendre
qu'il pouvait me tuer sans peine.
Et je réalisai, aussi, qu'il voulait me tuer.
C'est pour cela qu'il existe, pour cela que je l'ai remis debout.
Dès lors je n'ai plus su que faire.
Je cessai de le nourrir,
seulement pour m'apercevoir que sa croissance
était sans rapport avec la nourriture.
Je cessai de le nettoyer
et je m'aperçus qu'il se nettoyait tout seul.
Je cessai de chanter pour l'endormir
et m'aperçus qu'il s'endormait plus vite sans ma chanson.
Je ne sais que faire.
Je ne fais plus faire à Ma Vie ses tours.
Je laisse seul l'animal, et, à l'heure qu'il est,
il me laisse seul, lui aussi.
Je n'ai rien à dire, rien à faire.
Entre Ma Vie et moi,
un silence s'installe.
Nous ne parviendrons pas à le franchir ensemble.
MY LIFE
After Henri Michaux
Somehow it got into my room.
I found it, and it was, naturally, trapped.
It was nothing more than a frightened animal.
Since then I raised it up.
I kept it for myself, kept it in my room,
kept it for its own good.
I named the animal, My Life.
I found food for it and fed it with my bare hands.
I let it into my bed, let it breathe in my sleep.
And the animal, in my love, my constant care,
grew up to be strong, and capable of many clever tricks.
One day, quite recently,
I was running my hand over the animal’s side
and I came to understand
that it could very easily kill me.
I realized, further, that it would kill me.
This is why it exists, why I raised it.
Since then I have not known what to do.
I stopped feeding it,
only to find that its growth
has nothing to do with food.
I stopped cleaning it
and found that it cleans itself.
I stopped singing it to sleep
and found that it falls asleep faster without my song.
I don’t know what to do.
I no longer make My Life do tricks.
I leave the animal alone and, for now,
it leaves me alone, too.
I have nothing to say, nothing to do.
Between My Life and me,
a silence is coming. Together, we will not get through this.
Traduction de Raymond Farina
© Joe Wenderoth
Les carnetsd'eucharis (décembre 2013)
© (Photo X droits réservés)
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NOTICE BIOBIBLIOGRAPHIQUE
Joë Wenderoth a grandi à Baltimore. Il enseigne à l’Université de Californie.
Ses poèmes ont été accueillis dans des revues comme The American Poetry Review, Granta Magazine, Triquarterly, Seneca Review et Colorado Review et dans de nombreuses anthologies – Poetry 180, The Best American Prose Poems : From Poe to Present, The New American Poets : A Bread Loaf Anthology, American Poetry : Next Generation, Best American Poetry, The Best American Essays 2008.
Il a publié Disfortune aux Editions Wesleyan University Press, en 1995, « It Is If I Speak » , chez le même éditeur, puis Letters to Wendy ( 2000 ), The Holy Spirit of Life : Essays Written for John Ashcroft’s Secret Self (2005), No real Light (2007), Wave Book (2007).
DOSSIER PDF COMPLET (à télécharger)
Joe Wenderoth_traduit par Raymond Farina_LCE_Décembre 2013.pdf
19:59 Publié dans Joe Wenderoth, LES CARNETS D'EUCHARIS (pdf & calaméo), Nathalie Riera, TRADUCTEURS | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Ossip Mandelstam
Lecture Nathalie Riera
Ossip Mandelstam
LE TIMBRE EGYPTIEN
© O. Mandelstam
Traduit du russe par Georges Limbour et D.S. Mirsky
Préface de Ralph Dutli - Postface de Clarence Brown
Editions Le Bruit du temps, 2009
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Avec Le Timbre égyptien, paru en 2009 aux Editions Le Bruit du temps, lire Ossip Mandelstam c’est trouver jubilation au cœur même de la singulière ferveur d’un poète qui se refusait à toute poésie artificieuse, à tout mysticisme scabreux. Créateur de l’Acméisme, mouvement poétique russe du début des années 10, Mandelstam demeurait soucieux de reconquérir le réel et ses figures reconnaissables, un retour au monde et à l’homme dans ce qu’ils ont de « biologique » et de « primitif ».
Chez Mandelstam, ce qui prédomine, c’est cet espace où se meut la parole, espace structuré d’un réseau dynamique de métaphores, une symphonie d’images, telles que :
« Les portées ne caressent pas moins l’œil que la musique elle-même ne flatte l’oreille. Les noires sur leurs échelles montent et descendent comme des allumeurs de réverbères. Chaque mesure est une petite barque chargée de raisins secs et de muscats noirs.
Une page de musique, c’est d’abord une flottille à voiles rangée en bataille, puis un plan selon lequel sombre la nuit organisée en noyaux de prunes ».
Par ce récit de « fiction », Mandelstam nous stimule et nous dessaisit dans sa virtuose pratique de « rendre autre » ce qui nous est familier. Dans Crises de vers, Mallarmé évoquait cette émotion de n’avoir entendu jamais « tel fragment ordinaire d’élocution, en même temps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère ».
Le Timbre égyptien fut rédigé en 1927, avec une première traduction en France, en 1930. La préface de Ralph Dutli, écrite à l’occasion de la présente traduction, précise au sujet de ce texte qu’il était issu de la « période du silence », entre 1925 et 1930, quand Mandelstam n’écrivait plus de poèmes, quand il choisit, en conflit avec son époque, de se taire. Seul le voyage en Arménie de 1930, un des évènements les plus heureux de sa vie, lui fera retrouver sa voix lyrique. Mais Le Timbre égyptien, ce fruit d’une crise, d’une fièvre incontrôlable, est aussi un médicament : « La parole comme l’aspirine laisse un goût de cuivre dans la bouche ». L’amertume de l’amande n’est qu’une étape. Et son fruit est magnifique.
Ossip Mandelstam connaîtra la tragédie de la déportation qui le fera mourir d’épuisement le 27 décembre 1938.
© Nathalie Riera, 19 avril 2009
Parution dans la revue « La Pensée de Midi » octobre 2009
Extrait
p. 59
Messieurs les littérateurs ! Les escarpins de danse conviennent aux ballerines, à vous les caoutchoucs.
Essayez-les, échangez-les : voilà votre danse. Elle s’exécute dans les antichambres sombres, une seule condition étant de rigueur : manquer de respect pour le maître de la maison. Vingt ans de cette danse constituent une époque ; quarante, l’histoire… c’est là votre droit.
Sourires de groseille des ballerines,
balbutiement des escarpins enduits de talc,
complexité martiale et insolente multitude des violons au milieu de l’orchestre caché dans sa fosse lumineuse où les musiciens s’enchevêtrent comme des dryades par leurs branches, leurs racines et leurs archets,
obéissance végétative du corps de ballet,
magnifique dédain de la maternité :
– Avec ce roi et cette reine qui ne dansent pas on vient de jouer à soixante-six.
– Avec son air jeune, la grand-mère de Giselle verse du lait, du lait d’amandes, sans doute.
– Tout ballet est jusqu’à un certain point une institution de servage. Non, non, n’allez pas me contredire sur ce point !
Calendrier de janvier avec ses petites biches, sa laiterie modèle de myriades de mondes, et le craquement du jeu de cartes qu’on décachette…
***
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01/12/2013
Vélimir Khlebnikov
1916
■ Source photo :
C/o http://hlebnikov.com/biography
Vélimir Khlebnikov
Extrait
A Viatcheslav Ivanov
Pétersbourg, 10 juin 1909
Ô jardin des bêtes sauvages !
Où le fer ressemble à un père qui met fin à une joute sanglante en rappelant aux frères qu’ils sont frères.
Où les aigles perchent comme l’éternité sous la couronne d’un jour qui n’a pas encore connu le soir.
Où le cygne est tout semblable à l’hiver, hormis le bec automnal.
Où le cerf est pur effroi, fleuri de rameaux de pierre.
Où un soldat rasé de frais jette de la terre à un tigre parce que le tigre est plus majestueux.
Où un paon abaisse sa queue semblable à la Sibérie vue du haut d’un rocher par un jour de gel précoce, quand l’or des brûlis émaille le vert et le bleu jaspé des forêts sous l’ombre mouvante des nuages errants et quand le rocher lui-même semble être le corps de l’oiseau.
Où les grotesques poissons volants se nettoient les uns des autres de façon aussi touchante que des hobereaux du vieux temps.
Où l’homme et le chien s’assemblent étrangement dans la silhouette d’un babouin.
Où le chameau connaît l’essence du bouddhisme et réprime un sourire chinois.
Où une barbe de neige entoure la face du tigre et ses yeux de vieux musulman, de sorte qu’en honorant en lui le premier disciple du prophète nous nous abreuvons à la beauté de l’Islam.
Où un modeste oiseau traîne dans son sillage l’or du couchant auquel il a appris à prier.
Où les lions se redressent et contemplent le ciel d’un œil morne.
Où nous sentons que la honte nous gagne et où l’idée nous effleure que nous sommes plus vieux et fripés que nous ne l’avions imaginé.
Où les éléphants se contorsionnent comme des montagnes lors d’un tremblement de terre, allongent leur trompe pour demander pâture à un enfant et font écho à l’immémorial refrain : « J’ai faim ! J’ai faim ! » en bougeant leurs paupières de sages et leurs oreilles flottantes et en émettant un râle semblable à celui des pins en automne.
Où l’ours polaire chasse comme un balbuzard, traquant sa proie inexistante.
Où le phoque évoque la géhenne des pécheurs, alors qu’il fend l’eau et gémit en d’inexorables lamentations.
Où les bêtes ont appris à dormir sous nos regards impudents.
Où les chauves-souris somnolentes sont suspendues à l’envers comme le cœur des Russes.
Où une zibeline montre ses oreilles aussi délicates que deux nuits de printemps.
Où je cherche de nouveaux rythmes poétiques dont les cadences seraient des animaux et des hommes.
Où les animaux chatoient dans leurs cages, tout comme la signification dans le langage.
Ö jardin des bêtes sauvages !
D’après « Du domaine de la lumière – Choix de lettres 1909-1922»
------------------------- (p.43/44)
Vélimir Khlebnikov
■ Revue Europe, octobre 2010, n°978
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Conjuration par le rire.
Ö ériez, rieurs !
Ö irriez, rieurs !
Ceux qui rient des rires, ceux qui rièssent rialement
Ö irriez riesquement !
Ö, des diriations surriresques, le rire des riesques rieurs !
Ö, éris-toi diriresquement, rire des rieux surriresques !
Rillasserie, rillasserie
Déris, surris, rirolets, rirolets,
Rirots, rirots !
Ö, ériez, rieurs !
Ö, irriez, rieurs !
------------------------- (p.102/103)
Généralement classé comme figure majeure du Futurisme russe, Vélimir Khlebnikov (1885-1922) peut enjamber avec aisance la clôture des commodes typologies. Éveilleur d'avenir, il fut aussi un aventurier de la «nuit étymologique», comme le nota Mandelstam qui salua en lui un des plus féconds créateurs d'images à l'échelle des siècles. Khlebnikov comparait le langage de l'homme à un sac rempli de papillons. Éternel vagabond, aiguillonné par un intarissable désir d'itinérance, ses amis à leur tour le comparaient à un héron cendré ou à quelque échassier pensif, avec son habitude de rester debout sur une jambe, ses déambulations silencieuses, ses brusques envols pour de longues migrations vers les espaces insoupçonnés du futur ou les forêts ombreuses de l'archaïque. Mais aussi bien, il pérégrina jusqu'à l'épuisement à travers la Russie, promenant partout les eaux claires de son regard et l'audace d'un esprit intrépide…
■ ICI
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Autres sites à consulter
■ Poezibao
19:42 Publié dans Europe, Vélimir Khlebnikov | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Les Assises du roman, 2013
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ASSISES DU ROMAN 2013 - COLLECTIF
CHRISTIAN BOURGOIS EDITEUR
MICHEL PASTOUREAU
Aujourd’hui les historiens ont une devise : le passé change tous les jours, et en effet, le passé change tous les jours. Parce que nous découvrons de nouveaux documents, ou que nous réétudions des documents bien connus mais avec d’autres problématiques, une autre lumière. Et ça va continuer. Le chercheur sait très bien que ce qu’il pense, ce qu’il croit, à un moment donné, n’est pas une vérité, mais un état dans l’histoire des connaissances, et que cet état va continuer de se compléter, de se transformer, de s’inverser parfois…
……………………………………………………………………………………. (p.15)
La recherche en histoire, c’est la rencontre entre une problématique et une documentation. Il y a deux façons de travailler : soit on étudie une question, on s’attaque à un ensemble de documents, et on voit ce qu’ils nous apprennent, ou bien au contraire, on a des idées préconçues, des problématiques diverses, et puis on va voir si les documents confirment ou infirment ce que l’on pense au départ. Quand les documents infirment ce que l’on pensait, on est furieux, on en veut aux documents, et la tentation est assez grande de leur faire dire ce qu’ils ne disent pas, ou plutôt de sélectionner une seule chose dans tout ce qu’ils disent. Je prends un exemple que j’emprunte à l’histoire de l’art, ou à l’histoire littéraire : si on se demande pourquoi, dans ce tableau de Raphaël ou de Poussin, tel personnage est vêtu de rouge, on va trouver dix, douze, quinze hypothèses si l’on est honnête et qu’on poursuit l’enquête jusqu’à ses extrémités. En général, le chercheur a tendance, moi aussi, à ne retenir que les hypothèses qui l’arrangent pour sa démonstration, et à laisser les autres de côté parce qu’elles le dérangent plus ou moins. Ce n’est pas une bonne façon de procéder, mais c’est extrêmement fréquent en histoire littéraire, en histoire de l’art, et dans d’autres formes d’histoires jugées plus solidement ancrées dans la documentation. Donc ce n’est pas que j’aie la tentation de tricher, mais j’ai pleinement conscience de la fragilité d’un certain nombre d’idées que j’avance, ou de résultats ; parfois, cependant, comme vous le dites, je pense que je mets le poing, ou le doigt, sur quelque chose d’important qui serait, sinon la vérité, en tout ca doté d’une certaine exactitude, et c’est presque toujours quelque chose que je n’arrive pas à démontrer.
……………………………………………………………………………………. (p.19/20)
Jón Kalman Stefánsson
Parce que l’écriture ne prend corps qu’au moment où le lecteur approche le texte et le rencontre, accompagné de ses souvenirs, de son expérience, de sa douleur et de sa joie. Ce n’est qu’alors que naît cet étonnant alliage que nous nommons littérature. Et ce n’est qu’alors que peut advenir l’impossible : les mots prennent tout à coup une profondeur qui donne le vertige, les phrases se parent de sens cachés et inattendus. Il semble alors que la littérature puisse accomplir l’impossible. La seule chose nécessaire – et cette seule chose n’est pas rien – c’est un écrivain qui suive le conseil de Faulkner, qui y mette toute son âme, voire plus encore, et qui s’efforce sans relâche de trouver de nouvelles voies formelles, linguistiques et narratives. Il faut ensuite un lecteur en perpétuelle recherche, un lecteur qui veut se confronter à des textes exigeants, qui veut se plonger dans une littérature qui cherche des réponses et tente d’explorer de nouveaux territoires qui refuse de s’arrêter et de demeurer immobile. C’est par l’union d’un auteur en recherche et d’un lecteur en quête que naît une littérature à même de saisir toute la vie – voire un peu plus encore : une littérature apte à créer une vie nouvelle.
……………………………………………………………………………………. (p.96)
Jacques Rancière
La littérature continue à parler du monde. Malgré tout, on a vécu une période historique de reflux des grands élans. La littérature peut difficilement se nourrir du déclin. Quand des écrivains se nourrissent du déclin, ils font des romans un peu fatigués, un peu ironiques, pour décrire tous ces pauvres crétins qui étaient maoïstes il y a trente ans et sont devenus écolos, etc. Si on ne veut pas faire ça, comment parler de la politique ? Il y a un problème. Prenons l’exemple d’un écrivain qui a eu une forte expérience politique, je pense à Olivier Rolin. Son livre le plus inspiré, c’est L’Invention du monde. Il construit ce livre comme une énorme mosaïque. Chaque fois, une sorte de petit poème en prose s’organise autour d’un lieu et traverse toutes les significations portées par ce lieu. Mais lorsqu’il raconte l’histoire de la Gauche prolétarienne, la forme du roman qu’il adopte, c’est quelqu’un qui tourne autour de Paris en racontant son histoire à une petite jeune. On voit bien qu’il n’est pas autant inspiré par son épopée de chef prolétarien que par sa pratique de voyageur.
……………………………………………………………………………………. (p.254)
Antonio Muňoz Molina
Nous savons que la démocratie peut ne pas exister. Nous savons que les droits sociaux peuvent ne pas exister. Nous savons que l’égalité face à la loi peut ne pas exister. Pour être conscient de ce que l’on a maintenant, et qu’on peut le perdre très facilement parce que c’est très fragile, il est important de garder en tête d’où nous venons et ce qu’il s’est passé. Mais aussi, effectivement, il faut commencer ou penser en d’autres termes et il faut se demander pourquoi ce modèle actuel semble fuir de tous les côtés, pourquoi, après plus d’un demi-siècle de démocratie, de justice sociale, d’assistance médicale universelle, d’éducation universelle, nous avons des sociétés aussi fragiles. Des sociétés qui répondent si facilement à la tentation populiste ou autoritaire. L’Union européenne est remplie de prémices racistes, de signes autoritaires, de tentation populistes…
……………………………………………………………………………………. (p.269/270)
Comme chaque année depuis 2007, des écrivains et des intellectuels ont répondu à l'invitation de la Villa Gillet et du journal Le Monde, et se sont retrouvés à Lyon pour une série de rencontres et de débats. Les thèmes n'ont pas manqué, du « sentiment de la vie » au « secret », en passant par « le regard du promeneur » ou « le portrait » - les questions non plus : « comment faire parler ses personnages ? » ou encore « comment raconter le conflit ? ». Ce volume rassemble les textes rédigés par les auteurs pour cet événement, ainsi que la retranscription de certains échanges : de grands entretiens avec Claudio Magris, Martin Amis et Jacques Rancière ; des rencontres étonnantes, entre Bruno Latour et Richard Powers, Antonio Muñoz Molina et Tzvetan Todorov. Sur la littérature et la société, des dialogues rares et des conversations précieuses entre auteurs venus du monde entier.
Jakuta Alikavazovic, Martin Amis, Christine Angot, Paul Ardenne, Jean-Christophe Bailly, Hoda Barakat, A. S. Byatt, Horacio Castellanos Moya, Sylvie Germain, Goldie Goldbloom, Hugo Hamilton, Drago Jančar, Bruno Latour, Claudio Magris, Ronit Matalon, Antonio Muňoz Molina, Christine Montalbetti, Edna O'Brien, Kate O'Riordan, Maxime Ossipov, Michel Pastoureau, Antonin Potoski, Richard Powers, Jacques Rancière, Keith Scribner, Jón Kalman Stefánsson, Alain Claude Sulzer, Tzvetan Todorov, David Vann, Sandro Veronesi, Matthias Zschokke.
2013 | Par www.christianbourgois-editeur.com/ | CHRISTIAN BOURGOIS EDITEUR
17:28 Publié dans Christian Bourgois Editeur | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook