Vélimir Khlebnikov (01/12/2013)
1916
■ Source photo :
C/o http://hlebnikov.com/biography
Vélimir Khlebnikov
Extrait
A Viatcheslav Ivanov
Pétersbourg, 10 juin 1909
Ô jardin des bêtes sauvages !
Où le fer ressemble à un père qui met fin à une joute sanglante en rappelant aux frères qu’ils sont frères.
Où les aigles perchent comme l’éternité sous la couronne d’un jour qui n’a pas encore connu le soir.
Où le cygne est tout semblable à l’hiver, hormis le bec automnal.
Où le cerf est pur effroi, fleuri de rameaux de pierre.
Où un soldat rasé de frais jette de la terre à un tigre parce que le tigre est plus majestueux.
Où un paon abaisse sa queue semblable à la Sibérie vue du haut d’un rocher par un jour de gel précoce, quand l’or des brûlis émaille le vert et le bleu jaspé des forêts sous l’ombre mouvante des nuages errants et quand le rocher lui-même semble être le corps de l’oiseau.
Où les grotesques poissons volants se nettoient les uns des autres de façon aussi touchante que des hobereaux du vieux temps.
Où l’homme et le chien s’assemblent étrangement dans la silhouette d’un babouin.
Où le chameau connaît l’essence du bouddhisme et réprime un sourire chinois.
Où une barbe de neige entoure la face du tigre et ses yeux de vieux musulman, de sorte qu’en honorant en lui le premier disciple du prophète nous nous abreuvons à la beauté de l’Islam.
Où un modeste oiseau traîne dans son sillage l’or du couchant auquel il a appris à prier.
Où les lions se redressent et contemplent le ciel d’un œil morne.
Où nous sentons que la honte nous gagne et où l’idée nous effleure que nous sommes plus vieux et fripés que nous ne l’avions imaginé.
Où les éléphants se contorsionnent comme des montagnes lors d’un tremblement de terre, allongent leur trompe pour demander pâture à un enfant et font écho à l’immémorial refrain : « J’ai faim ! J’ai faim ! » en bougeant leurs paupières de sages et leurs oreilles flottantes et en émettant un râle semblable à celui des pins en automne.
Où l’ours polaire chasse comme un balbuzard, traquant sa proie inexistante.
Où le phoque évoque la géhenne des pécheurs, alors qu’il fend l’eau et gémit en d’inexorables lamentations.
Où les bêtes ont appris à dormir sous nos regards impudents.
Où les chauves-souris somnolentes sont suspendues à l’envers comme le cœur des Russes.
Où une zibeline montre ses oreilles aussi délicates que deux nuits de printemps.
Où je cherche de nouveaux rythmes poétiques dont les cadences seraient des animaux et des hommes.
Où les animaux chatoient dans leurs cages, tout comme la signification dans le langage.
Ö jardin des bêtes sauvages !
D’après « Du domaine de la lumière – Choix de lettres 1909-1922»
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Vélimir Khlebnikov
■ Revue Europe, octobre 2010, n°978
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Conjuration par le rire.
Ö ériez, rieurs !
Ö irriez, rieurs !
Ceux qui rient des rires, ceux qui rièssent rialement
Ö irriez riesquement !
Ö, des diriations surriresques, le rire des riesques rieurs !
Ö, éris-toi diriresquement, rire des rieux surriresques !
Rillasserie, rillasserie
Déris, surris, rirolets, rirolets,
Rirots, rirots !
Ö, ériez, rieurs !
Ö, irriez, rieurs !
------------------------- (p.102/103)
Généralement classé comme figure majeure du Futurisme russe, Vélimir Khlebnikov (1885-1922) peut enjamber avec aisance la clôture des commodes typologies. Éveilleur d'avenir, il fut aussi un aventurier de la «nuit étymologique», comme le nota Mandelstam qui salua en lui un des plus féconds créateurs d'images à l'échelle des siècles. Khlebnikov comparait le langage de l'homme à un sac rempli de papillons. Éternel vagabond, aiguillonné par un intarissable désir d'itinérance, ses amis à leur tour le comparaient à un héron cendré ou à quelque échassier pensif, avec son habitude de rester debout sur une jambe, ses déambulations silencieuses, ses brusques envols pour de longues migrations vers les espaces insoupçonnés du futur ou les forêts ombreuses de l'archaïque. Mais aussi bien, il pérégrina jusqu'à l'épuisement à travers la Russie, promenant partout les eaux claires de son regard et l'audace d'un esprit intrépide…
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