20/07/2022
FEU! CHATTERTON ! (Arthur Teboul) AU CABARET VERT
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17/07/2022
Grisélidis Réal
Grisélidis RÉAL
Revue des Archives Littéraires suisses
Quarto n°50 – 2022
[extraits]
Grisélidis Réal
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Extraits
QUARTO, n° 50 – 2022.
Revue des Archives Littéraires suisses
« […] Ce cinquantième numéro de Quarto aimerait rendre hommage à cette créativité verbale de Grisélidis Réal, d’abord en mettant en avant les documents issus de son fonds aux Archives Littéraires suisses. On s’intéressera notamment à son œuvre la plus connue, Le Noir est une couleur ; à son aventure éditoriale ainsi qu’à ses dimensions éthiques et esthétiques. Il s’agira aussi d’évoquer l’art épistolaire réalien, l’impact philosophique de son fameux Carnet noir, sa place dans les écritures de la prostitution, son exemplarité enfin pour la recherche en sociologie. Nous avons aussi donné la parole à un éditeur, à un écrivain et à une comédienne qui, chacun à sa manière, ont subi le choc de cette lecture. En guise de conclusion, on trouvera un entretien avec Igor Schimek, fils aîné de l’écrivaine. Nous espérons que, par ces différentes approches, ce numéro fera à nouveau résonner cette voix bouleversante, qui nous requiert toutes et tous, au plus intime. »
Extrait de l’éditorial de Fabien Dubosson – p.6.
***
« […] Je me replonge dans mon passé, je revis absolument tout, je retrouve mes anciennes compagnes de tôle, c’est comme si elles étaient ici, dans ma chambre. Je sens les odeurs, j’ai les goûts dans ma bouche. Il me semble à tout moment que je suis enfermée à clé et que dans un grand fracas de ferraille on va m’ouvrir ma porte. C’est hallucinant ! Est-ce que par hasard on perdrait un peu la boule en écrivant ? ça serait comme une seconde vie ? Bizarre… ».
Lettre à Jacques Chessex, 28.10.1970, Fonds Chessex, B-2-REA
***
« […] Enfin, à force de souffrances, de ratures, j’ai eu une lueur, j’ai compris une chose : pas de philosophies inutiles, d’adjectifs superflus, de littérature. Il faut s’en tenir à l’action quotidienne réduite à l’essentiel et c’est tout. De temps en temps, mais vraiment très rarement, on peut s’accorder une petite image, un petit bonbon poétique, mais vraiment il faut les trier sur le volet. Il faut sabrer impitoyablement. La pureté c’est le squelette ! ».
Lettre à Jacqueline Fromenteau, 20.01.1970, Fonds Réal, B-1-FRO
***
■ © Revue QUARTO
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27/06/2022
AMY CLAMPITT
Amy Clampitt
Un silence s’ouvre
[extrait]
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Extrait
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gaëlle Cogan
Préface de Calista McRae
Édition bilingue
Éditions Nous, 2021.
La raiponce cornue
« Chaque jour, de ce terrain
étranger d’un perpendiculaire
enchanteur, fleurissait
quelque chose de nouveau
et, après inspection
détaillée, de merveilleux —
encore une permutation
aromatique-fleurie
de la silène ou de la sauge,
de la scabieuse, de la ciste,
de l’onagre, de la
campanule, que celle-ci,
d’un genre que je n’avais
jamais vu : éperonnée,
avec des ajours en fuseau, sorte de
baldaquin sur tige,
rareté solitaire, élégante,
suspendue, d’une teinte
à mi-chemin entre l’azur
clair du romarin
et le violet plus
sombre de l’ancolie,
qui s’avéra être
nommée raiponce cornue.
Le lendemain elle n’était plus
singulière mais plurielle ;
le jour suivant, multiple.
En une semaine elle était
partout, devenue
simple raiponce cornue,
si familière que
je l’oubliai, et n’y
pensai plus, semble-t-il,
jusqu’au moment où
un volume de l’Encyclopaedia
Britannica, pris sur l’étagère
à une fin quelconque, s’ouvrit
au hasard, sur la raiponce
cornue, nommée,
dépeinte, étonnante
en mémoire tandis que l’amour ancien
refleurissait, encore vibrant. »
[pp.55-56]
■ © Éditions NOUS/NOW
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20/06/2022
Monologue sur un portrait - par Nathalie Riera
NATHALIE RIERA
Monologue sur un portrait
[Samuel B.]
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Extrait
Texte inédit
« Que sait-on de toi, Samuel B. ? Tu es de ceux qui ont toujours pensé qu’un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous, fallait sentir quelque chose en soi se pourfendre, pas de théorie, jamais, tout commence avec le corps, dirait ton ami Paul A. Ton regard ressemble à une mer gelée, et avec tes yeux d’un bleu clair un peu glacial, une sorte d’angoisse transparait, qui a marqué ton visage taillé à coups de serpe. Comment ne pas s’intéresser à toi ? Il y en a un qui a cherché à te connaître. Tu te souviens, c’était en 1968, ta rencontre avec Charles J, un an avant qu’on te décerne le prix Nobel de littérature. Tu te souviens à quel point tu l’intimidais, impressionné par ce qui se dégageait de ta personne. Il y aura plusieurs rencontres entre vous. On peut se retrouver en face de toi sans que tu n’émettes un seul mot, et ça peut durer un long moment ce temps sans parole, ce mutisme malaisant, mais en même temps, paradoxe, ce silence ouvre des perspectives de dialogue. Charles J. était si jeune à l’époque de votre première rencontre, mais c’est peut-être celui qui aura le mieux saisi ton étrangeté. On vous dirait tous deux unis, scellés par un curieux conciliabule, mais Samuel B. tu n’es pas homme à t’épancher. Que s’est-il passé ce jour-là, quand cet homme s’est jeté sur toi, on a parlé d’un clochard avec un poignard, ce coup aurait pu t’être fatal ! Tu souffriras néanmoins d’une fragilité pulmonaire. Austère, minimaliste, monacal, des vocables qui te vont bien. Tu te souviens ces années à Montparnasse, désorienté, perdu, sans ressources, et le tunnel dans ta tête. Presque te plaisais-tu à dire que tu n’es jamais né, drôle de révélation que n’être finalement jamais né, tu l’as écrit dans Tous ceux qui tombent. Samuel B. ta littérature ressemble presque à ta vie, l’écart est très mince entre l’une et l’autre, deux champs qui ne se contredisent même pas… Tu as été profondément marqué par la littérature de Joyce et parmi les artistes, notamment les peintres, ta complicité sera grande avec les Bram et Geer Van Velde, les « peintres de l’empêchement », selon ton expression. D’ailleurs, Charles J. écrira aussi sur ses rencontres avec Bram, comme il a pu le faire à l’occasion de ses rencontres avec toi. Il y a un fait de toi que j’aimerais évoquer, à l’époque où tu recevras ta première distinction, et pas des moindres. Nous sommes en mars 1945 quand tu te vois récompensé d’une croix de guerre et d’une Médaille de la Résistance. Ce prix te semble plus acceptable, voire même moins humiliant que celui du Nobel, qui sera vécu comme une « catastrophe »… Toi et les mondanités, ce n’était pas ton fort, tu me fais penser à cet autre écrivain autrichien Thomas B. et ses fameux Mes prix littéraires, neuf petits récits aux discours assassins face à la vanité de l’industrie littéraire. Samuel B. : si la solitude n’est pas toujours ou forcément un écrin du bonheur, pour toi ce sera surtout l’écriture et son appel infini à la transgression, l’écriture comme l’affirmation d’une expérience extrême, ainsi que le disait Rilke au sujet de l’œuvre d’art, laquelle était pour lui toujours liée à un risque. Avec toi, Samuel B. ce sera l’écriture toujours à l’ombre du silence, à l’ombre du silence, l’écriture, toujours à l’ombre, l’écriture du silence, du silence l’écriture toujours à l’ombre, à l’ombre l’écriture toujours du silence. »
(c) Juillet 2021
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12/03/2022
Les Carnets d'Eucharis - "Sur les routes du monde, vol. 3" - Une lecture de Mazrim Ohrti (Poezibao)
par Mazrim Ohrti – POEZIBAO
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[Les Carnets d’Eucharis – Sur les routes du monde #3 – 2021]
Une fois de plus, explorons la magnifique revue toute en nuances de Nathalie Riera et de ses complices dont le sous-titre promet une pérégrination « tous azimuts ». Confrontons-nous à une mondialité affranchie des affres du mondialisme. L’édito convoque les écrivains-voyageurs, d’Homère à Sylvain Tesson en passant par Chateaubriand, Jack London, Nicolas Bouvier, Kerouac, Jacques Lacarrière. Peinture, arts visuels, danses des mots et des corps nous invitent à suivre ce mouvement perpétuel dans les pas de Pina Bausch avec son Tanztheater, de Pippo Delbono, ce « poète intranquille de la scène » ou d’Ilse Garnier à laquelle se rattache d’emblée le nom de spatialisme. On apprend combien l’Afrique lui fut source d’inspiration autrement qu’à travers « un monde exotique ou un réservoir de motifs pittoresques ».
Il y en a comme à l’accoutumée pour la détente et l’érudition, dans l’idée que l’un ne va pas sans l’autre pour peu qu’on veuille se refaire une santé culturelle par les temps qui courent sans se retourner. Rythme et mesure et liberté créatrice extatique ne s’opposent pas, bien au contraire. ▪ LIRE LA SUITE
18:45 Publié dans Les Carnets d'Eucharis, Nathalie Riera, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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Les Carnets d'Eucharis - "Sur les routes du monde, vol. 3" - Une lecture de Jean-Pierre Longre
par Jean-Pierre Longre
___________________________________
L’art en mouvement
[Les Carnets d’Eucharis – Sur les routes du monde #3 – 2021]
Les Carnets d’Eucharis, c’est une belle revue à lire comme voyageait Montaigne, sur des modes divers et par étapes curieuses. Montaigne dont il est question avec d’autres, (Chateaubriand, Lamartine, Nerval, Flaubert…) sous la plume de Patrick Boccard, Montaigne, l’un des premiers à pratiquer l’écriture « nomadisée » qui forme le thème du premier dossier de ce numéro. « Sur les routes du monde », nous rencontrons Nicolas Bouvier (avec Jean-Marcel Morlat), Lorenzo Postelli (avec Zoé Balthus), Homère, Kerouac, Lacarrière, Tesson etc. (avec P. Boccard), et nous suivons les itinéraires poétiques, descriptifs, narratifs, souvent illustrés, de Nicolas Boldych (à « Rome-en-Médoc »), Jean-Paul Bota (à Lisbonne), Zoé Balthus (au Japon), Jean-Paul Lerouge (en Ouzbékistan) – et nous nous imprégnons des pages que l’on découvre comme les écrivains-voyageurs se sont imprégnés des lieux qu’ils ont explorés..
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Anne-Emmanuelle Fournier "La part d'errance" - Une lecture de Rodolphe Houllé
Anne-Emmanuelle Fournier
LA PART D’ERRANCE
[Editions Unicité, Coll. « Le Vrai Lieu », 2021]
■ © Anne-Emmanuelle Fournier (sur sa page Facebook)
par Rodolphe Houllé
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Maurice G. Dantec disait qu'une bibliothèque est un arsenal. Si cela est vrai, alors ce livre serait une arme de précision dotée d'un silencieux. Mais une bibliothèque est aussi un bunker et l'on a effectivement le sentiment que ce recueil est écrit alors qu'une catastrophe s'est produite – et continue à se produire. Il témoigne de l'état actuel du monde. Si quelqu'un du futur le lisait, il penserait : alors c'était ainsi, ce monde était ainsi. Car il n'y a pas, en le lisant, de quoi douter de cet état.
Le monde est fracturé. L'homme debout, le dieu et l'animal couchés. Couchés aussi l'air du soir, la lumière et le cadavre. Arrogance de la verticalité, surtout quand elle est immobile.
Cueillir, marcher, passer, traverser, tanguer, ployer, s'incliner, s'écouler.
La fission atomique symbolise cette fracture. L'autoroute, l'usine à porcs, la centrale nucléaire, dans ce triangle où l'homme sain ne peut que perdre la raison se joue quelque chose d'essentiel. Et qu'a-t-il à nous dire, ce « prométhée cafardeux » qui erre de nuit entre le « feu dérobé aux étoiles » et les « animaux concentrationnaires » ? Rien, ou si peu. Devant l'énormité du crime il ne peut que « psalmodier » et « sangloter doucement », abandonner seulement la camisole de la parole technocratique qui catalogue, classe et dissèque, s'identifiant ainsi à l'homme hypothétique évoqué par Paul Celan dans Tübingen qui, « s'il venait […] au monde, aujourd'hui, avec / la barbe de clarté / des patriarches : il devrait / s'il parlait de ce / temps, il / devrait bégayer seulement, bégayer, / toutoutoujours / bégayer ».
C'est que la fracture du monde matériel conduit inévitablement à celle de l'être. La séparation est une autre manière de nommer la fracture. A ce point radical que, même si « Voilà plus de mille ans que nous marchons / sans trouver l'eau », nous ne savons même plus « si nous saurons encore la reconnaître ».
La droite et l'angle dessinent la ligne de fracture qui traverse de part en part l'homme mutilé, « rogné ». Il n'y a pas de ligne droite dans la nature, la forme géométrique apparaît dans l'infinitésimal qui nous a engloutis, nous qui avons consommé le « fruit anguleux de la connaissance » et, munis de l'horloge atomique, disséqué le temps même, abandonnant « le cœur dilaté de ce présent » que rien ne saurait mesurer, sinon « la main pleine de son propre pouls », la « pendule arrêtée » dans le « fond animal des jours ».
Mais ce n'est pas du tout un livre politique, même si à défaut d'une politique, une manière d'envisager l'humain pourrait s'en dégager. Ce n'est pas non plus un livre de colère, même si l'un de ses piliers est la colère, car la colère ne convient pas. Et encore moins un manifeste, car nous avons déjà bien trop pensé (c'est-à-dire, pensé de cette manière voracement tendue vers l'avenir) et que cent-cinquante ans après Rimbaud, plus terrifiant encore, on voit toujours « roulant comme une digue au-delà de la route hydraulique motrice, / Monstrueux, s'éclairant sans fin, — leur stock d'études ».
Assez d'idées. Assez de choses. Assez d'avenir. La Que Sabe chante au-dessus des os, elle sait, que comprendre n'est rien.
Main : « crevassée ». Rumeur : « obscure ». Vent : « aride ». C'est ainsi qu'est le monde, parfaitement inintelligible. Pourquoi donc chercher à comprendre ? Et que comprendre ?
Que faire ? Rien. Cueillir, marcher, passer, traverser, tanguer, ployer, s'incliner, s'écouler.
Errer. Errer sous la force de gravité, « mère de toutes les forces ».
Marcher à côté du cheval et l'abreuver. Le cheval sait, lui aussi. Sa « mâchoire d'ombre », « sa sueur et ses muscles ». Rien d'autre, « dans le soir qui respire / à peine ». C'est le compagnon du lecteur, qu'il marche sous la steppe chamanique ou attende la nuit. Regarder son « visage ».
Regarder les insectes venus « manger aux pieds » de celle « qui ne vieillit plus depuis longtemps » et le moucheron qui « tournoie au-dessus de la table / […] sans doute plus proche que moi / de ce que serait Dieu ». Regarder ce qui est, regarder ce qui vit, c'est-à-dire tout. Brûler le vêtement de cette pensée mortellement civilisée devant le « dieu à tête de buffle » afin de se présenter nu devant « le dieu à quatre pattes ».
Ne plus être séparé.
Nous avons oublié ce que « vivre a de terriblement élémentaire » notait Jean Grosjean dans sa magnifique préface au Journal du manœuvre de Thierry Metz. Anne-Emmanuelle Fournier relève que cet oubli ne saurait cependant être complet et – c'est là sans doute l'un des aspects les plus troublants et les plus dérangeants de son livre – parvient à nous faire ressentir à quel point notre époque, comme toute époque, n'est qu'une pellicule dérisoire immergée dans un temps immémorial où presque rien de ce que nous imaginons connaître n'a de valeur et qui parfois, à la faveur d'un relâchement de l'attention, dissout toute certitude pour nous plonger dans le mystère fondamental et éternel du monde. Le poème qui débute par « Murmurée à l'après-midi / dans la stase d'une saison jaune » réussit de manière admirable à évoquer le malaise, l'étrangeté et la fascination dans lesquels nous emporte irrésistiblement cette lame de temps venue d'un passé vertigineusement lointain submerger le présent.
La « Méditation terrestre » qui clôt l'ouvrage évoque aussi ce glissement, d'une manière peut-être moins inquiétante, mais l'on ne peut s'empêcher de penser que « le son d'une voix » qui « de loin en loin » « perce mollement la canicule », « comme engourdie » et que nous avons « peut-être rêvée / dans cette journée ou dans une autre » n'est autre, incertaine, chancelante, que celle de l'homme, qu'une simple promenade par un après-midi d'été aura suffi à effacer presque entièrement du monde.
Livre compact, sec et lourd comme une pierre. Livre liquide, livre aérien.
Très grande maîtrise du silence. Livre silencieux. Livre qu'on écoute plus qu'on ne le lit qui, refermé, continue à vibrer longtemps dans la mémoire, comme planté dans le mille d'une cible inconnue par une magicienne inquiète. Souhaitons que sa parole soit entendue.
18:21 Publié dans Anne-Emmanuelle Fournier, Les Carnets d'Eucharis, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (5) | Imprimer | |
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07/11/2021
Les Carnets d'Eucharis 2021 - En livraison dès le 08 novembre 2021
LES CARNETS D’EUCHARIS
(SUR LES ROUTES DU MONDE – VOL. III]
[LIVRAISON LE 08 NOVEMBRE 2021]
avec le soutien de la Fondation Jan Michalski
Jean-Marcel Morlat Zoé Balthus Patrick Boccard Nicolas Boldych Jean-Paul Bota Jean-Paul Lerouge Zagros Mehrkian Estelle Ladoux Nathalie Riera Alain Fabre-Catalan Martine Konorski Claude Darras Marianne Simon-Oikawa Michèle Duclos Camille Loivier Armelle Leclercq Christophe Lamiot Enos Irina Bretenstein Gérard Cartier Geneviève Liautard Jennifer Grousselas Michèle Kupélian Richard Skryzak Dominique Pautre Jean-Paul Thibeau Barbara Bourchenin Jean-Charles Vegliante Patrizia Valduga Naomi Shihab Nye Angèle Paoli
La route d’Anatolie
[Puis la glaise et la boue s’allument de mille feux et le soleil d’automne se lève sur les six horizons qui nous séparent encore de la mer. Tous les chemins autour de la ville sont tapissés de feuilles de saule que les attelages écrasent en silence et qui sentent bon. Ces grandes terres, ces odeurs remuantes, le sentiment d’avoir encore devant soi ses meilleures années multiplient le plaisir de vivre comme le fait l’amour.]
Nicolas Bouvier L’Usage du monde – éditions Quarto Gallimard
Format : 16 cm x 24 cm | 230 pages (dont un Cahier visuel de 8 pages)
| France : 26 € (frais de port compris)
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17:08 Publié dans Les Carnets d'Eucharis, Nathalie Riera | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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20/10/2021
Les Carnets d'Eucharis au Marché de la Poésie - sur le stand 110-114 du CipM
38ème bis Marché de la Poésie Du mercredi 20 au dimanche 24 octobre Place Saint-Sulpice, Paris 6e
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Le Cipm est au Marché de la poésie, où il accueille un ensemble d’éditeurs et de revues de la Région Sud : Caméras animales, Fidel Anthelme X, Journaud, La Nerthe, L’Ollave, Plaine Page, Vanloo ; Art Matin / GPS, Bébé, Cri-Cri, Fondcommun, GPU, If, Les Carnets d’Eucharis, Muscle, Nioques, Pavillon Critiqvue, Phœnix, Teste. Présentation des livres, des revues, des actions, des projets…
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23:54 Publié dans Les Carnets d'Eucharis, Nathalie Riera | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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09/09/2021
ANNA MILANI - Incantation pour nous toutes (extrait lecture audio 3'54)
ANNA MILANI.
INCANTATION POUR NOUS TOUTES
Lecture d’un extrait par Nathalie Riera
___________________________________
[■ © ISABELLE SAUVAGE EDITIONS, 2021]
13:22 Publié dans Anna Milani, Isabelle Sauvage | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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03/06/2021
Pascal Quignard à livre ouvert - avec Olivia Gesbert
22:38 Publié dans Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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08/05/2021
Nicolas Bouvier - Du coin de l'oeil
Nicolas Bouvier
Du coin de l’œil
Écrits sur la photographie
[extrait]
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Extrait
de Nicolas Bouvier, Du coin de l’œil,
in « Un voyageur qui écrit et non un écrivain qui voyage »
Éditions Héros-Limite, 2019.
« […] Lorsque je me mets en route, je n’ai aucune spécialité, je suis dilettante en tout ; j’aime la musique sans être véritablement musicologue, je fais des photographies sans être photographe, et j’écris de temps en temps sans être véritablement écrivain. Je crois que si je devais me prévaloir d’une spécialité, j’opterais pour celle de voyageur. Être l’œil ou l’esprit qui se promène, observe, compare et ensuite relate, une sorte de témoin.
Pour moi, l’écriture, c’est avant tout une façon de rendre compte de l’extraordinaire richesse que la réalité du voyage vous propose, réalité humaine, géographique. Le voyage favorise également l’introspection. Grâce à cette vie errante, on sent les changements qui s’opèrent en soi-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. Écrire après un voyage, au sujet d’un voyage, c’est une façon de payer une dette. C’est une opération très exigeante de bonne foi et de précision.
Je réfléchis seulement quand j’écris, c’est ma méthode de pensée. L’écriture étant une occasion de réflexion totale, c’est un exercice périlleux. En écrivant, on se trouve confronté, d’une part avec la magnificence, la misère, le côté profondément comique et sarcastique de la réalité que l’on veut décrire et, d’autre part, avec l’insuffisance de ses propres instruments, l’immense océan de sa propre niaiserie, de sa propre indigence mentale. C’est donc une confrontation extrêmement humiliante, extrêmement ardue, qui fait de l’écriture un exercice que je redoute parfois, et devant lequel je jette l’éponge, je baisse les bras, je trouve des prétextes pour m’occuper ailleurs. […] » [pp.42-43]
■ © Éditions HÉROS-LIMITE
21:37 Publié dans Héros-Limite, Nicolas Bouvier | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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"Ella Maillart ou la vie immédiate" par Nicolas Bouvier
Ella Maillart
Vue par Nicolas Bouvier
[extrait de « Ella Maillart ou la vie immédiate »]
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Extrait
de Nicolas Bouvier, Du coin de l’œil, Éditions Héros-Limite, 2019.
« Depuis ses premiers exploits de « marin d’eau douce » et la lecture consternante des livres de Barbusse ou de Georges Duhamel sur l’imbécillité et la cruauté de la Première Guerre mondiale, Ella Maillart a cherché partout un peuple « vierge » que l’Occident n’aurait pas encore infecté.
L’a-t-elle trouvé au Gilgit ou au Hunza en 1935, au terme de sa longue équipée chinoise ?
L’a-t-elle trouvé bien plus tard au Népal ?
Je ne connais pas l’Inde Himalayenne, mais les photos qu’elle en a rapportées pourraient bien répondre « oui » à sa place. Ce sont surtout les visages : beaucoup expriment une chose qu’on ne trouve pas souvent en Inde : l’espièglerie, une sorte d’optimisme amusé qui suggérerait que les menaces des Dieux ne sont pas à prendre aussi au sérieux que dans le dur Tibet, ou la brûlante Inde du sud. Des effigies – le démon Râvana à dix têtes – qui devraient faire trembler ont un air bonasse et repu, avec leurs moustaches en croc qui évoquent, plutôt qu’un puissant destructeur, un coiffeur niçois ou le boucher d’une pièce de Marcel Aymé. Je trouve dans l’art népalais un côté plaisantin et rasta qui semble me dire « allons, tous ces karmas… ce n’est finalement pas si grave. »
Cet apparent manque de sérieux n’empêche d’ailleurs pas du tout les Népalais d’être de grands professionnels : de l’avis unanime des Occidentaux, leurs « sherpas » sont les meilleurs porteurs du monde, et leurs « gurkhas », malgré leur mine affable, les seuls guerriers de métier à avoir donné des cauchemars à la redoutable infanterie japonaise. Pendant la campagne de Birmanie, ils se dissimulaient la nuit, avec leur carabine de précision, dans la plus haute fourche des arbres et sifflaient. Chaque sifflement était menace et source de mort. Les Japonais en étaient malades. Pourtant les « gurkhas » ne sont ni cruels, ni sanguinaires, ils sont joviaux et d’excellente compagnie. Ils font extrêmement bien le travail qu’on leur confie ; en l’occurrence : monter dans un arbre et tirer les Japonais comme des grives.
Au Népal, Henri Michaux, cet angoissé de la précision et de la justesse, a trouvé les sourires les plus « justes » d’Asie, ni trop, ni trop peu, pas à la ronde, très précisément destinés à une seule personne. Qui dit mieux ? »
■ © Éditions HÉROS-LIMITE
21:30 Publié dans Ella Maillart, Héros-Limite, Nicolas Bouvier | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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02/05/2021
Sarah Kirsch
SARAH KIRSCH
amour de terre/erdenliebe
[Extraits]
[1935-2013]
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Extraits
[Sarah Kirsch, amour de terre
(édition bilingue)
Atelier des livres, 2020]
Amour de terre est une anthologie qui rassemble quelques textes en prose et quelques poèmes de Sarah Kirsch, une grande voix poétique d'Allemagne, d'Est en Ouest, et de la planète en chute, née Ingrid Bernstein en 1935 dans le Harz. Les textes présentés et traduits par Marga Wolf-Gentile sont issus des recueils Étoile errante (Irrstern) et Sol mouvant (Schwingrasen). « Poète des deux Allemagnes », peut-on lire en introduction du recueil, Sarah Kirsch se définit comme « réfractaire à toute récupération et fuyant la médiatisation » : « se trouvant, après son passage à l’Ouest, au centre de l’attention sur le plan littéraire, comme public, Sarah Kirsch a montré sobriété et retenue – de la méfiance presque face à un monde qui ne lui était pas familier. Monde multiple, commercialisé, médiatisé, pressé qu’elle peut ressentir comme aliénant ».
Concernant l’édition en français de l’œuvre de la poète, on retient les publications suivantes : Terre / Erdreich, poèmes traduits et présentés par Jean-Paul Barbe, éd. Le Dé bleu, 1988. Chaleur de la neige / Schneewärme, poèmes traduits et présentés par Jean-Paul Barbe, éd. Le Dé bleu, 1993. Choix de poèmes et de prose poétique traduits et présentés par Marga Wolf-Gentile dans diverses revues littéraires dont PO&SIE (n°54, 90, 126, 165-166), Revue Alsacienne de Littérature (n°90), Les Carnets d’Eucharis (2019), Recours au Poème, Terres de femmes.
[VOYAGE II]
1
Mais je préfère aller en chemin de fer
à travers mon petit pays réchauffant
en toute saison : l’hiver me lance
des traces de lièvres des plantations de choux oubliées
par la fenêtre, je vois les ourlets des arbres nus
fin contour du branchage ils approchent
se tournent et s’éloignent de moi
2
En printemps je vois marcher le faisan
ses plumes de dent-de-lion dorées
le rendent précieux je crains pour lui
le voilà déjà disparu, terre éventrée
exhibée, obscène sur le remblai et puis
près de la maisonnette du garde-barrière, lissée
par des pensées pivoines en touffes des violettes
je vois déjà venir l’été, alors
la roue ailée sera peinte en rouge
le garde-barrière composera en pierres
de bons souhaits pour les voyageurs
3
Pauvre terre noire de suie et farineuse
belle couleur contrastée des iris qui bleus
et avec des pétales de soie veinées
se dressent au dernier soleil, cela passe
d’autres images tournent le train est si lent
que je peux désigner les plantes par leurs noms
des robiniers ici du blanc et vert vaporeux
ou est-ce sur les feuilles-monnaie posée la poussière de l’usine à chaux
4
Le voyage s’accélère vers le bord de mon pays
je vais à la rencontre de la mer des montagnes ou
que d’un fil de fer blessant qui traverse la forêt, là-derrière
les gens parlent bien ma langue, connaissent
les complaintes de Gryphius comme moi
ont les mêmes images dans leur télévision
mais les mots
qu’ils entendent, qu’ils lisent, les mêmes images
seront à l’encontre des miens, je ne sais ni vois
de chemin qui puisse mener mon train haletant
à travers le fil de fer
tout devant bleue la locomotive Diesel
---------------------------
[UNE PRUNELLE DANS LA BOUCHE JE PASSE PAR LE CHAMP]
Une prunelle dans la bouche je passe par le champ
Elle roule sur la langue bute contre les dents quand je marche
Ma tête un grelot résonne et fait
Une triste bouche
la mienne avec une prunelle
La tienne sable déjà et galet
Moi dessus toi dessous
Grains de sorbier sur le chemin, rouge sang rouge velours
Mangez les grives mangez
Faites de la graisse tout le long de l’automne
2/9/66
---------------------------
[FUMETERRE]
Et à certains moments il arrive
Que très heureux de
Quelque chose une nouvelle
Le nouvel amant l’enfant
Nous déambulons prenant alors plaisir
Au travail le plus monotone nous cuisinons
Des plats merveilleux nettoyons les fenêtres
En chantant embrassons la fleur
Qui vient juste d’éclore
Sur le buisson devant notre porte parlons
À des inconnus de l’autre côté de la rue
Sans nous occuper du soleil
De la neige légère qui danse
Tout est connu et familier
Ce sera toujours ainsi croyons-nous
Et même les affreuses images
Dans les postes de télévision nous confirment
Qu’ici au moins ça restera toujours ainsi nous entassons
Les journaux qui nous laissent dormir tranquilles
Soigneusement jusqu’à ce qu’on vienne les prendre
Nous sommes tous vivants sautons et dansons
Dans les demeures meublées de la mort.*
* Allusion à un titre du recueil de Nelly Sachs In den Wohnungen des Todes (Dans les demeures de la mort) apparu en 1947 en souvenir et hommage à ses congénères exterminés.
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Sophie Brassart
Ardentes patiences
[Extraits]
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Extraits
[Sophie Brassart, Ardentes patiences
Éditions du Cygne, 2021]
Chant circulaire de la tourterelle
Pareil à ce rire
jeté de femme en femme
Maintenu à la frondaison du lavoir
Suspendu à sa propre nudité
Calme de l’haleine
Au milieu du temps immobile
Sur les dalles de la voie romaine
Sur les herbes et cailloux aveuglants
Que faisons-nous
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Ceci je veux le partager :
Gorge
Vierge dans la chaleur des mûres
Velue la patte de l’insecte
Doigt d’une genèse invisible
Percée du ciel en crêtes de fer,
fifres noirs
Voici que la montagne se couvre d’ombre
Couvre notre existence
d’une aura sans finir
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Un bosquet s’élance – à même l’ombre
Le bleu immense – depuis quelque temps
J’écoute le revers des feuilles
C’est maintenant que je connais l’indicible
Un bosquet s’élance et tresse
les liens du corps avec l’esprit
& nous saluons le vin
Pour éluder la mélancolie nouvelle
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Je me suis assoupie, comme gorge tremblée
Le lilas de ma naissance, toute trace
Majestueuse par la zébrure du fleuve
Est-ce le rêve qui enseigne l’ombre
Mon regard se découd :
Libre de l’air et des insectes,
Venus pour qu’il devienne
air, insectes
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| BIO-BIBLIOGRAPHIE : Sophie Brassart, poète et plasticienne, vit à Montreuil. Elle a publié un premier recueil en 2018, Combe, aux éditions Tarmac, puis en 2019, Je vais, à la mesure du ciel, aux éditions du Cygne. Elle a réalisé une fresque regroupant vingt visages de poètes contemporains exposée de manière pérenne à l’Université de Caen.
■ © Éditions du Cygne
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01/05/2021
Julien Gracq
JULIEN GRACQ
Carnets du grand chemin
[Extraits]
[1910-2007]
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Extraits
[Julien Gracq,
Carnets du grand chemin
José Corti, 1992]
« Route de Sallertaine à Soullans, bordée, le long de ses fossés, d’un liseré continu de saules et de tamaris au léger et tremblant plumage. Un frais et fort coup de vent de mer les met en émoi, fouaille et fait écumer la masse mobile, verte, rose et argenté ; c’est l’heure de la marée haute sur la côte toute proche, il est six heures du soir ; un soleil neuf, dans le ciel décapé par le coup de vent, étincelle sur les charrauds, les bourrines blanches et vertes, le feutrage fauve du marais rissolé : tout est lumière et mouvement, limpidité saline, entrain rustaud, bousculade allègre, crinières secouées à plein poing et retroussis de linges. C’est canonnade de fête tout le long de la côte, et toute la campagne, rubans au vent et feuilles à l’envers, l’accompagne à cœur joie de ses danses pataudes, et jette son bonnet par-dessus les moulins.
Je me sens toujours animé d’une espèce d’allégresse, quand je me trouve sur la route à la fin d’un de ces grands coups de vent d’ouest criblés de soleil qui marquent de leur signe sur toute une province la journée époumonée, et auxquels chaque canton, chaque paysage, imprime son timbre et son orchestration singulière, fastueuse ou modeste : on traverse ces jours-là la campagne comme on traverse les villages un jour de quatorze juillet. » [pp.24-25]
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« Le parc de Saint-Cloud, veuf de son château, avec ses avenues convergeant vers le vide, sa perspective étagée qui cascade avec ampleur de palier en palier jusqu’à la balustrade suspendue au-dessus de la Seine, rameute à lui seul dans mon imagination toutes les étoiles de routes désaffectées qui, toujours, m’ont parlé dans la langue même des Sirènes. Routes qui ne mènent nulle part, perspectives inhabitées qui ne donnent sur rien, comment ne pas voir qu’elles sont sœurs de ces pièces vides, pleines de gestes fantômes et de regards que nul ne renvoie, dont la vacuité centrale a trouvé place malgré moi presque dans chacun de mes livres ? Il peut se rencontrer pourtant une singularité paysagiste plus rare encore. Dans le site peu connu de la Folie Siffait, proche de la Loire et du petit village du Cellier, site que Stendhal, et, je crois bien, George Sand ont visité au siècle dernier, partout des escaliers en impasse, des échauguettes, des belvédères sans panorama, des pans de courtine isolés, des soutènements pour jardins suspendus, des contreforts qui semblent épauler au-dessus du vide le mur de fond d’un théâtre antique, renvoient, sous l’invasion des arbres, à l’image d’un château non pas ruiné, mais éclaté dans la forêt qu’il peuple partout de ses fragments : si jamais l’architecture s’est manifestée sous la forme convulsive, c’est bien ici. Pourtant, tant de préméditation dans l’étrange rebute un peu : il manque, dans cette matérialisation coûteuse et un peu frigide — sur plans et sur devis — de la lubie d’un riche propriétaire désaxé, la pression du désir et la nécessité du rêve qui nous émeuvent dans le palais du facteur Cheval. Ce qui me ramène quelquefois sous les ombrages aujourd’hui très ensauvagés de la Folie-Siffait, c’est plutôt une projection imaginative terminale : j’y vois le prolongement en pointillé et comme le point ultime de la courbe que dessine, depuis la fin du Moyen Âge, l’alliance de plus en plus étroite nouée avec la pelouse, le bosquet, l’étang et l’arbre, par l’art de bâtir : j’y déchiffre comme le mythe de l’Architecture enfin livrée en pâture au Paysage. » [pp.58-59]
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« […] L’arbre… Il n’apparaissait d’abord qu’au fond des vallées, dans les files de peupliers qui pacageaient leurs prairies molles, ou bien par intervalles, dans le lointain du plateau, un bouquet de noyers appuyant leurs branches basses sur les clôtures de pierres sèches d’une cour de métairie. Maintenant — comme une foule sortie on ne sait d’où qui s’agglomère en grappes — d’abord posté de loin en loin en sentinelle, il accourt de partout vers la route que vient reborder peu à peu de chaque côté une fourrure luxuriante d’herbe verte. Non plus le noyer grêle aux feuilles claires, mais le châtaignier vert sombre, piqué de rosettes d’un vert plus jaune, dont l’ombrage est si lourd, et le massif de feuillage si compact. Et, de toutes parts, gardés par ces hautes tours vertes, s’étalent non plus les chaumes secs et les éteules roussies du Poitou, mais de profonds étangs d’herbe, enclos entre les berges des haies, chambres de verdure secrètes qui s’imbriquent et s’entr’rouvrent indéfiniment l’une sur l’autre, pelucheuses, moelleuses, encourtinées, et d’où l’haleine des plantes confinées déferle sur la route aussi intime et entêtante que la touffeur d’une alcôve. Ce n’est pas la forêt, clairement délimitée, avec l’aplomb de sa muraille nette et l’avalement brutal, en coup de vent, de la route par sa haute tranchée noire — ce n’est pas le bocage aux haies de ronciers plus épaisses et plus maigres — c’est un enfièvrement congestif du monde des plantes, qui monte, gonfle et s’amasse peu à peu des deux côtés de la route comme un orage vert. Les branches s’avancent au-dessus de la chaussée et y dégorgent lentement, goutte à goutte, l’eau lourde de la dernière averse : au-dessous d’elles, le long des bas-côtés où s’épaissit l’herbe vorace, les paravents des haies ferment toute issue au regard ; le bourrelet tremblant des fougères vient onduler jusqu’à l’asphalte. On se laisse couler comme au cœur d’une eau verte et lustrale dans l’énorme respiration calme : nulle forêt noire, dans sa plantation ligneuse, son odeur de cave et de fagot, ne se referme sur le promeneur aussi voluptueusement que ce bain de plantes fermé comme une voûte, duveteux comme une mousse, qui comble et étanche en nous quelque chose de plus ancien que la soif. Très loin au-delà de cette déflagration de verdure qui monte sur la terre et gonfle ses ombrelles vertes, il y a une grande ville, mais son existence même s’embrume, et ce n’est pas vers elle qu’on marche : on monte, on voudrait continuer à monter interminablement vers ce haut pays de la verdure arborescente, à travers laquelle filtrent maintenant les barreaux horizontaux du soleil, où rien ne frappe plus l’oreille que le craquement solennel des branches chauffées, et où on croit entendre quelquefois l’arbre respirer. […] » [pp.67-69]
■ © José Corti
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Pascal Boulanger
L’intime dense
[Extraits]
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Extraits
[Pascal Boulanger, L’intime dense
Éditions du Cygne, 2021]
Le savoir où l’on meurt
mais la ferveur qui vaut de l’or ?
& la rivière sur le chemin du soleil ?
& l’esprit d’enfance dans la chevelure forêt ?
Le promeneur qui marche sur la baie
tient la main de l’aimée
même absente.
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Proche
insaisissable
en épiphanies qui brûlent.
La présence d’un ciel
dans l’éclat de ces yeux
fera-t-elle retour ?
Dans l’attente parmi
les oiseaux bavards de l’aube
qui signe & veille
sur les montagnes du temps
chose nouvelle ; amour ?
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Comment se vivre autrement
au soleil couchant
quand l’écart assaille.
Sans sommeil
l’effrayant désir
entre l’herbe & le ciel
vers les yeux
commence à voir
& glisse
jupe cambrée
à la courbe,
une fenêtre, l’univers
dans la main.
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Franchissement plein amour
qui fait présence ne manque
aux roses qui se tiennent nues.
Au toucher doux rêche
la chair des fruits ruisselle
sur une table.
Désir présume comme
un enfant joue seul
sans souci de rien
& goûte à la volupté
nouvelle du monde.
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| BIO-BIBLIOGRAPHIE : Pascal Boulanger, né en 1957, a été bibliothécaire en banlieue parisienne. Il vit en Bretagne, près du Mont Saint Michel, depuis mars 2019. Il a publié des articles et des chroniques dans de nombreuses revues littéraires. Parmi ses derniers livres – recueils ou essais – Guerre perdue (Passage d’encre), Mourir ne me suffit pas (Corlevour), Jusqu’à présent je suis en chemin, carnets 2016-2018 (Tituli), Trame : anthologie 1991-2018 suivie de L’amour là (Tinbad).
■ © Éditions du Cygne
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ANNE-EMMANUELLE FOURNIER
La part d’errance
avec six gravures de l'artiste Régis Rizzo
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Extrait
[Préface de Jean-Yves Masson]
Dans une célèbre conférence sur la poésie, Hofmannsthal compare le poète à un sismographe. Ce texte de 1907 s’intitule « Le poète et l’époque présente » et j’y ai songé en lisant La part d’errance d’Anne-Emmanuelle Fournier, où s’exprime avec une sensibilité vibratoire l’inquiétude de notre temps face à la coupure de plus en plus prononcée entre l’homme moderne et la nature, en même temps que s’y donne à lire une quête pour retrouver les chemins perdus de la transhumance vécue comme expérience spirituelle, ce ressourcement périodique au sein des forces naturelles.
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Extrait
[Anne-Emmanuelle Fournier, La part d’errance
Éditions Unicité, 2021]
Regarde
regarde encore dans le visage du cheval
entends venir l’orage de très loin
et retrouve
ce consentement sans réserve à la loi du monde
de celui qui n’a pas mangé le fruit anguleux
de la connaissance
De celui qui n’a pas déserté les liens
ne s’est pas contemplé nu
dans une mortalité que plus rien ne rachète
Si les étoiles refusent de répondre
si Dieu même est béance
dans les eaux renversées du ciel
Comment croire à ce sol où nous tentons de planter
un chemin ?
Il faudrait bien oser une sorte de foi…
Quelque chose comme l’espérance des chats
qui attendent postés sur les seuils
dans l’ascèse de l’aurore
Et la voix pleine des vivants
où réchauffer nos mains.
Ceux qui mènent les chevaux boire
comme à une très ancienne offrande
en surplomb de ces tours
— qui sont pour les oiseaux
ce que sont pour nous les cités d’insectes
excavées dans les flancs de la terre —
Ceux-là qui se tiennent même cernés de béton et d’acier
tout contre la pulsation des troupeaux
sont-ils encore porteurs de la promesse
d’une alliance possible
avec tout ce qui naît puis s’érode
dans l’entropie des particules ?
■ © Éditions Unicité
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27/04/2021
Une lecture de "Siascia - Portrait sur mesure"
Nathalie Riera
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[Leonardo Sciascia. Une « expérience d’écrivain en province »]
Leonardo Sciascia | Editions Nous, 2021
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Leonardo Sciascia (1921-1989) ne saurait être vu sous le prisme réducteur d’un écrivain provincial, mais bel et bien un écrivain enraciné dans sa Sicile natale jamais quittée, ou si peu, la Sicile soufrière – l’écrivain est fils et petit-fils de mineurs de souffre –, précisément Racalmuto, dans la province d’Agrigente, sur la côte sud-ouest. Autre lieu tout aussi mémorable dès la plus tendre enfance, loin de « l’âcre exhalaison du soufre en combustion », celui du lieu-dit La Noix, où Sciascia passera ses plus belles vacances ; un lieu de villégiature mais aussi de prédilection pour l’écriture, « tous mes livres ont été écrits dans ce lieu », livres que l’écrivain estime « consubstantiels : aux paysages, aux gens, aux souvenirs, aux affections. » Sur la question de son profond enracinement en province, à l’occasion d’un entretien, il répondra qu’« il est tout à fait de bon sens que l’écrivain vive dans l’environnement humain qu’il connaît le mieux, qu’il donne témoignage d’une réalité à laquelle il est lié par le sentiment, la langue, les habitudes, et dont aucun mouvement, aucun pli, aucune nuance ne lui échappe. »
Sciascia, « une des figures centrales de la littérature “engagée” en Italie – et l’une de ses voix polémiques les plus lucides et précieuses », peut-on lire sur la quatrième de couverture du tout récent Portrait sur mesure paru aux éditions Nous. La traduction des textes et la présentation de l’ensemble assurées par Frédéric Lefebvre, l’ouvrage rassemble un bouquet d’articles et d’essais, dont la plupart ont été écrits pour le journal L’Ora. Si certains textes relèvent de l’autobiographie, d’autres ont particulièrement trait à la Sicile, à son histoire, à ses traditions religieuses, à son immanquable mafia – sujet dont Sciascia a consacré une série de textes, tout en soulignant la complexité du phénomène. Il faut savoir que l’île aura été marquée par plusieurs événements insurrectionnels depuis le XIIIe siècle jusqu’à l’unification italienne (le Risorgimento en 1861), où aurait émergé la mafia.
Avec son texte « La grande soif », écrit à l’occasion du film documentaire de Massimo Mida, l’écrivain rend compte de cette Sicile devenue aride, en proie à la technique et au rêve de l’industrialisation : « L’île a tellement de problèmes. Mais ils sont presque tous liés au problème de l’eau. L’eau disputée jusqu’à la violence et au crime. L’eau qui se perd dans les méandres de la bureaucratie et de la mafia. » … « Le manque complet d’eau a presque vidé de ses habitants le village de Capparini… » … « Licata est la ville la plus assoiffée d’Italie » … « L’eau manque parfois jusqu’à 30 jours de suite. » … « Et voici Palerme, une ville qui était suffisamment approvisionnée […] par l’aqueduc de Scillato et qui manque aujourd’hui terriblement d’eau, en particulier dans les quartiers populaires. » … « Le peu d’eau qui existe est hypothéqué par la spéculation, la violence, le jeu profitable de la revente. Un bien public parmi les plus indispensables est soumis à l’abus, à l’affairisme, au caprice, à la mafia […] ».
En 2003, l’île continue encore à pâtir de cette pénurie, « pénurie d’eau chronique » relate l’hebdomadaire italien L’Espresso, célèbre pour ses enquêtes et ses dossiers sur les scandales économiques et politiques. « Une situation qui profite aux “porteurs d’eau” comme à Cosa Nostra. » Insuffisance des réserves d’eau pour lutter contre les incendies, c’est souvent qu’on laisse alors brûler les forêts ! En 2005, une vaste campagne de sensibilisation a été lancée, avec pour slogan emblématique Chi ama la vita, non spreca l’acqua (qui aime la vie, ne gaspille pas l’eau). Prise de conscience des habitants sur les problèmes de leur environnement ? Certainement, car depuis ces cinquante dernières années diverses réflexions et actions sont menées, en partie par les mouvements écologistes et les associations syndicales, l’opinion publique se montrant de plus en plus soucieuse des enjeux environnementaux. Mais tout comme Leonardo Sciascia ne faut-il pas s’interroger plus justement sur le « système social sicilien »[1] et ses dysfonctionnements, ainsi que sur l’impuissance des pouvoirs publics, et tenir compte également des mutations culturelles, économiques et sociales.
Parmi les autres sujets de Portrait sur mesure, dans « Le Sicilien Ibn Hamdis », si Sciascia revendique d’être Sicilien, il ne supporte guère ce stupide distinguo qui sépare la Sicile de l’Italie, cette démarcation entre être Sicilien et être Italien, « nous sommes des italiens d’une île qui a une histoire en partie différente de celle de la péninsule italienne ». De surcroît, Sciascia a toujours été soucieux de l’apport de la civilisation des Grecs et des Arabes en Sicile. La Sicile au Moyen Âge sous la domination musulmane est un fait civilisationnel qui tient à cœur l’écrivain, nous rappelant qu’au temps de l’Antiquité « les Grecs ont été comme chez eux en Sicile […] et de même, plus tard, les Arabes ([…] Et les Grecs et les Arabes […] sont encore dans le sang et dans les pensées des Siciliens. » Racalmuto vient de l'arabe Rahl al-mudd.
Hommage est aussi rendu au géographe et cartographe marocain Al Idrissi qui s’installe à Palerme où il rejoint la cour du souverain normand Roger II de Sicile, pour lequel il va travailler sur la réalisation d’un ouvrage connu sous le nom de Livre de Roger. L’ouvrage, composé de plus de 70 cartes qui représentent le monde, est reconnu selon Sciassia comme « une des œuvres géographiques les plus scrupuleuses et relativement fiables du Moyen Âge, et peut-être la plus aboutie ».
Autre moment clé de Portrait sur mesure, celui du texte « Un aveugle demande la lumière électrique », écrit à la suite d’un congrès qui s’est tenu sur trois journées en avril 1960 à Palma di Montechiaro, sous la direction du sociologue militant Danilo Dolci ; un évènement de toute importance, essentiellement centré « sur les conditions de vie et de santé dans les zones sous-développées de la Sicile occidentale ». Parmi les communications du congrès, Sciascia souligne celles de l’écrivain Carlo Levi, du professeur Ettore Biocca, du sénateur Simone Gatto… tous mobilisés, « parmi les paysans et les mineurs de soufre de Palma », à prendre fait et cause contre les conditions hygiéniques et sanitaires des plus déplorables. Sciascia retranscrit l’enquête du professeur Silvio Pampiglione qu’il juge comme « la plus importante contribution de la science médicale aux travaux du congrès ». À la même époque, Robert Guillain[2], dans son article paru dans le journal Le Monde, avait comparé Palma di Montechiaro à la Chine d’avant Mao Tse-Toung.
Palma di Montechiaro, c’est aussi la ville du Prince de Lampédusa, Giuseppe Tomasi, celui qui dans son célèbre roman Le Guépard, publié à titre posthume, dépeint en observateur avisé la Sicile des années 1860. Le livre est jugé par Sciascia comme « une sorte de 18 avril 1948 », une date en référence à la victoire de la Démocratie Chrétienne lors des premières élections générales de la jeune République italienne. Le Guépard « marque la fin du néo-réalisme, de cette littérature d’opposition, et la victoire de valeurs purement littéraires sur des valeurs idéologiques et d’opposition, auxquelles nous croyons que l’art de notre temps est voué, en particulier dans la situation actuelle de l’Italie : c’est pourquoi il représenterait la fin d’un pacte, hérité de l’histoire, entre les intellectuels et les classes populaires. »
Le néo-réalisme italien, né dès la fin du fascisme, est « une façon nouvelle d’intégrer la réalité dans l’art », « est donc la forme de l’opposition dans l’art ». Ce phénomène d’avant-garde culturelle est fortement ressenti par les artistes et les écrivains de l’époque. Sciascia écrit à ce propos : « En 1945, à la libération de l’Italie, une nouvelle génération d’écrivains eut la révélation de ce que l’Italie était en vérité : pas seulement un pays blessé par vingt ans de dictature puis dévasté par une guerre, mais un pays de pauvres trop pauvres et de riches trop riches, un pays de malins trop malins, d’hypocrites trop hypocrites ; un pays d’analphabètes, de conformistes, de soit-disant hommes d’ordre ; un pays arriéré techniquement et moralement, tenu à l’écart des grands courants de la pensée humaine et du progrès civil. Un pays qui déjà avec Francesco Crispi, un homme d’État qui venait d’un bourg comme Ribera, où on comptait alors plus de morts de la malaria que de fraises ; qui déjà avec Francesco Crispi avait entamé ses aventures coloniales coûteuses et tragiques, en laissant derrière lui les problèmes de l’Italie du sud, bien plus urgents et pesants. Cette Italie qui se cachait et se cache encore derrière les écrans de fumée de la rhétorique ; cette Italie que les imbéciles et les fourbes s’efforcent encore de cacher (et à ce propos : quand une alliance se forme entre les imbéciles et les fourbes, faites bien attention que le fascisme est aux portes). Cette Italie, les jeunes écrivains et artistes voulurent la porter à la conscience de la nation, avec toutes les souffrances, les misères, les injustices, les aveuglements dont elle était prisonnière. »
« Découvrir ou redécouvrir Sciascia » finalise le recueil Portrait sur mesure, en retraçant le parcours d’un écrivain qui, après la mort de Pasolini, est devenu « un des intellectuels les plus observés en Italie. »
© Nathalie Riera
Les Carnets d’Eucharis, 26 avril 2021.
[1] « L'aggravation des problèmes d'environnement dans les pays méditerranéens : l'exemple de la Sicile » par Gérard Hugonie, Sedes, Paris – L’information géographique n°5, 1999. https://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_1999_num_63_5_2667
[2] « Palma di Montechiaro, ou la ville pourrie » par Robert Guillain, Le Monde, 15 septembre 1960.
23:02 Publié dans Leonardo Sciascia, Nathalie Riera, Nous | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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11/04/2021
Instantanés des géographies de l'amour - Une lecture d'Alain Fabre-Catalan
Instantanés des géographies de l’amour (2014-2016)
collection « Au pas du lavoir »
[L’Atelier des Carnets d’Eucharis, 2020]
●●●
par Alain Fabre-Catalan
___________________________________
Comme l’écrit Pierre Reverdy, « les mots sont à tout le monde » et s’adressant aux apprentis que nous sommes lorsque nous nous risquons à les fixer sur le papier, il nous rappelle la seule exigence à laquelle nous sommes tenus, « faire des mots ce que personne n’en a fait ». C’est avec cette exigence accordée à l’écriture et le souci de retenir des « instantanés » de vie que se dessinent les « géographies de l’amour », entre les pages de ce premier opus d’une nouvelle collection initiée par Nathalie Riera.
Véritable libretto à la mesure des mains auxquelles il se destine, dans ces trente-quatre pages se présente un choix de textes comme autant de strates poétiques, de coupes franches à la fois graphiques et autobiographiques qui disent en somme ce que « le cœur pépie d’un Printemps sans guerre ». Comme une mise à l’épreuve de l’écriture dans le temps, ce qui sans doute en constitue la véritable trame, les poèmes ici réunis en trois brèves séquences ont été écrits de 2014 à 2016. Ce sont autant d’« instantanés » offerts à la lecture.
Ainsi s’adresse Nathalie Riera dans le courant des mots qui irriguent les pages tantôt en colonnes serrées, tantôt en lignes brisées, donnant voix aux « perlières des sables contre la sentence des granits » afin que succèdent « aux rivières lentes » les lieux même où le désir n’a cessé de battre. On le comprend dès l’ouverture du recueil, il s’agit de saisir l’inoubliable en forme de ressac, « du noir nous désœuvrons », nous prévient-elle. Et le motif se dévoile dans l’ajustement des mots : « Salmonidé le rêve sans écaille. Saut de carpe, te conter toutes figures détachées des nerfs de l’abîme, tous feuillages ouvragés d’air, toutes ces lignes en italique, balbutiements de pensées, effleurements des fêlures cachées. Bouquet de syringa. Lagerose ou roseau du courage. Le cœur a ses graines de luzerne. »
Laissons au lecteur la promesse de cette géographie intime menant ses pas « au pied du Rastel d’Agay », guidé par « l’amour » en « terre d’Estérel », du « Pic de l’Ours » au « Cap Roux », afin de retrouver sous le ciel de Turin « ceci que j’écris dans l’alchimie de ce que nous sommes de toujours ce même pourpre / des demains et lendemains d’eau douce et le soleil besant d’or ». Le sésame d’un tel voyage dans une mémoire à fleur de peau sera délivré à la dernière ligne de ces « proses de chair » avec cette supplique pour ultime horizon : « dis-moi encore le corps aimé fusion de soie et de feu la calligraphie de l’amour ».
Cette note est publiée dans la Revue Alsacienne de Littérature.
ǀ REVUE : Revue Alsacienne de Littérature n°133 - Septembre 2020
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[BIOGRAPHIE & Lectures complémentaires]
Nathalie Riera est auteure d’un essai : La parole derrière les verrous (L’Amandier, 2007), et de plusieurs recueils de poésie : ClairVision (Publie net, 2009), Puisque Beauté il y a (Lanskine, 2010), Feeling is first/Senso é primo (Le Réalgar, 2011), Variations d’herbes (Petit Pois, 2012), Paysages d’été (Lanskine, 2013). Elle a fondé en 2008 la revue numérique Les Carnets d’Eucharis et dirige depuis 2013 un numéro annuel dans une version imprimée. À ce jour, 9 numéros des Carnets d’Eucharis, parmi lesquels : Susan Sontag (2013), Paul Auster (2015), Charles Racine (2016-2017), Gustave Roud (2018), Claude Dourguin (2019) et Yves Bonnefoy (2020). Sous son initiative, un hors-série a vu le jour en 2017, La Traverse du Tigre (Poésie Suisse romande) et une édition spéciale en 2018, Charles Racine : dans la nuit du papier (monographie sur le poète suisse Charles Racine). Vient de paraître : Instantanés… des géographies de l’amour (L’Atelier Les Carnets d’Eucharis, « Coll. Au Pas du Lavoir », 2020).
19:50 Publié dans Alain Fabre-Catalan, Nathalie Riera | Lien permanent | Commentaires (1) | Imprimer | |
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