17/01/2009
René Daumal
Le Mont Analogue
roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques
Version définitive, Ed. Gallimard, 1981
Après avoir ainsi fait le tour des mythologies les plus connues, je passais à des considérations générales sur les symboles, que je rangeais en deux classes : ceux qui sont soumis à des règles de « proportion » seulement, et ceux qui sont soumis, en plus, à des règles d’«échelle ». Cette distinction a souvent était faite. Je la rappelle pourtant : la « proportion » concerne les rapports entre la dimension du monument, l’ « échelle » les rapports entre ces dimensions et celles du corps humain. Un triangle équilatéral, symbole de la Trinité, a exactement la même valeur quelle que soit sa dimension ; il n’a pas d’ « échelle ». Par contre, prenez une cathédrale, et faites-en une réduction exacte de quelques décimètres de haut ; cet objet transmettra toujours, par sa figure et ses proportions, le sens intellectuel du monument, même s’il faut en examiner à la loupe certains détails ; mais il ne produira plus du tout la même émotion, ne provoquera plus les mêmes attitudes ; il ne sera plus « à l’échelle ». Et ce qui définit l’échelle de la montagne symbolique par excellence – celle que je proposais de nommer le Mont Analogue-, c’est son inaccessibilité par les moyens humains ordinaires. Or, les Sinaï, Nebo et même Olympe sont devenus depuis longtemps ce que les alpinistes appellent des « montagnes à vaches » ; et même les plus hautes cimes de l’Himalaya ne sont plus regardées aujourd’hui comme inaccessibles. Tous ces sommets ont donc perdu leur puissance analogique. Le symbole a dû se réfugier en des montagnes tout à fait mythiques, telles que le Mérou des Hindous. Mais le Mérou – pour prendre cet unique exemple –, s’il n’est plus situé géographiquement, ne peut plus conserver son sens émouvant de voie unissant la Terre au Ciel ; il peut encore signifier le centre ou l’axe de notre système planétaire, mais non plus le moyen pour l’homme d’y accéder.
« Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogue, concluais-je, il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible. »
(p.17/19)
René Daumal
Biographie
Né à Boulzicourt dans les Ardennes le 16 mars 1908, René Daumal fait ses études secondaires à Reims où il fait partie avec Roger Gilbert-Lecomte et Roger Vailland d'une sorte de communauté « initiatique » qu'ils appellent les « Simplistes ». Il fonde la revue Le Grand Jeu avec Gilbert-Lecomte en 1928. Atteint de tuberculose, il meurt à Paris le 21 mai 1944.
Autre extrait
Je me souviens qu’un soir nous parlions des légendes relatives aux montagnes. Il me semblait, disais-je, que la haute montagne était beaucoup plus pauvre en légendes fantastiques que la mer ou la forêt, par exemple. Karl expliquait cela à sa façon :
- Il n’y a pas de place dans la haute montagne, disait-il, pour le fantastique, parce que la réalité y est par elle-même plus merveilleuse que tout ce que l’homme pourrait imaginer.
(p.95)
& autres ouvrages de l’auteur :
Le Contre-ciel (suivi de) Les dernières paroles du poète
René Daumal , Claudio Rugafiori
Ed. Gallimard, octobre 1998
12:07 Publié dans René Daumal | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
16/01/2009
Petit traité d'ontologie nomade
Gérard LARNAC
Ecrivain
(Né en 1960 à Fleurance, Gers)
L a t e n t a t i o n d e s
d e h o r s
©Photo privée
Peut-être que pousser et reverdir chaque année, pour un arbre, est sa façon de s’interroger sur son être profond. L’homme, lui, a toujours besoin de s’écarter, d’entrer dans la distance pour se demander : « Qu’est-ce que mon être ? » On aurait envie de lui dire : « Contentes-toi donc de pousser ! »
La ligne du dehors : pour une ontologie nomade
LA TENTATION DES DEHORS
Petit traité d’ontologie nomade
Quelques mots de l’auteur :
Vis-à-vis du cirque littéraire-universitaire-médiatique, j'ai pris la clef des champs il y a fort longtemps et je suis bien décidé à ne pas la rendre ! Si mon chemin passe par la littérature, très bien; mais s'il n'y passe pas, tant pis : l'important pour moi est de faire chemin.
J'aime souvent rendre hommage à des "amis" en pensée, que j'appelle pour rire mes Maîtres (pour rire car je suis assez peu déférent dans la vie!) : Jack Kerouac, Gary Snyder, Kenneth White, Jacques Lacarrière, Edgar Morin, Michel Serres. Très influencé par André Breton, ce qui n'est pas du tout dans l'air du temps, et par René Char (ce qui est plus convenu). Mais plus encore par les horaires des chemins de fer...
Bio/Biblio :
Membre fondateur des Cahiers de Géopoétique dirigés par Kenneth White (1989), Gérard Larnac a publié ses premiers récits dans les pages de la Nouvelle Revue Française (Gallimard), alors dirigée par Jacques Réda. Il est l’auteur de plusieurs essais philosophiques : Après la Shoah (Ellipses, 1997) ; La Tentation des Dehors (Ellipses, 1999) ; La Police de la Pensée (L’Harmattan, 2001) ; L’Eblouissement moderniste (CLM, 2004) ; Le Regard échangé – une histoire culturelle du visible (Mare & Martin, 2007).
Et d'autres, publiés, chez des éditeurs épisodiques ou peu diffusés.
Le voyageur français, à paraître aux Editions de l’Aube fin janvier 2009, est son premier roman.
La Tentation des dehors
Édition Ellipses - Polis
1999
Un Bivouac Littéraire dans l’Air Vif
Note de lecture (Nathalie Riera) :
En guise de prologue, voici ce qu’on peut lire :
Nous quittons un siècle ivre de carnages indifférents, d’affairement cynique, d’hébétude festive ; un siècle qui aura su faire passer ses plus hautes violences pour l’expression de sa légitimité, ses rapines pour de l’équité, ses démissions pour du courage, son agitation pour un élan vital.
Notre temps aura constitué le moment panique de la raison.
Pour autant, avancer la moindre critique à l’encontre de la rationalité instrumentale qui le constitue en propre passe pour une triste banalité. Elle est sinon tenue pour un archaïsme douteux, quand ce n’est pas pour un masochisme pur et simple !
Comme l’écrit si bien son auteur, ce petit traité n’envisage pas de « s’enfermer dans une thèse », mais de préférence opter pour « une certaine légèreté » où il n’est d’ailleurs jamais question que d’ aller sentir le vent (…) Aller au contact. Toucher le vif. Sentir le cru (…) Moins prouver qu’éprouver.
Nous quittons le prologue pour une promenade à travers champs et routes où l’air se fait vif.
(…) comment accepter qu’à des siècles d’humanisme succède une barbarie jamais vue, barbarie que cet humanisme s’était précisément donné pour tâche d’éradiquer ? De quelle faillite de la pensée occidentale les camps d’extermination sont-ils l’indélébile preuve ?
Invitation d’un auteur qui demeure dans le profond souci du cohérent, de l’aguerri et de ce qui peut sans cesse nous certifier que le réel a encore un lieu, son propre lieu. Mais pour Gérard Larnac, indiscutablement :
L’être s’est fondu dans une vaste et molle phénoménologie planétaire qui impose sa domination sous forme (hystérique, loufoque) de logique du marché : celle-là même qui prétend à présent incarner à elle seule la totalité de l’histoire et l’entier de notre destin commun. Le « temps réel » n’est que la vitesse de notre propre soumission à l’incurie, à l’absolue indifférence envers les êtres et les choses. Le réel n’a plus de lieu. Le dur, le cru, le vrai ne sont plus de saison.
Ce livre n’est nullement figé dans la forme d’un essai. Livre nomade, à la manière des œuvres buissonnières qui sont des objets à faire voyager, Gérard Larnac n’oublie pas de citer son fidèle ami Kenneth White, ce dernier rappelant ces mots de Ralph Waldo Emerson :
« Le nomadisme intellectuel est la faculté d’objectivité, les yeux qui partout se nourrissent. Qui possède de tels yeux entre de tous côtés en relations justes avec ses semblables. »
Ce qui fait écrire Gérard Larnac n’est-ce pas aussi et surtout la nécessité de reprendre sa juste place dans le monde, citant pour cela Gary Snyder qui, en référence aux cultures indiennes en Amérique, préconise pour chaque individu qu’il quitte la société au moins une fois dans sa vie, qu’il sorte du réseau humain, qu’il « sorte de sa tête ». Il revient ensuite de sa quête solitaire et visionnaire avec un nom secret, un esprit animal qui le protège, un chant secret. C’est son « pouvoir ». La culture honore l’homme qui a visité d’autres royaumes… » (Le Retour des tribus, 1972).
Gérard Larnac nous rappelle par ailleurs que pour la pensée indienne ce qui compte ce n’est pas tant de « s’exprimer », mais seulement l’acceptation du tout-autre, du non-humain en sa radicale étrangeté.
Nathalie Riera
Janvier 2009
Citations :
Un monde est en train de s’achever sous nos yeux sans que nous ayons encore élaboré les concepts susceptibles de nous réorienter dans le paysage émergent. Moment difficile, flottant, où à la fracture de deux mondes la nostalgie d’un passé proche mais pourtant irrémédiablement révolu se double de l’angoisse d’un avenir dont on ne discerne pas encore les codes ni les principes ; où destruction et recomposition coïncident à tel point qu’il devient impossible de les démêler. Qu’est-ce qui commence ? Qu’est-ce qui s’achève ? Qu’est-ce qui se continue ? Questions bien embarrassantes…
(Passage, dépassement – p. 32)
Médiocre révolution que celle qui accouche d’un capitalisme triomphant. Médiocres droits de l’homme que ceux qui entérinent la domination au nom de l’idéologie de progrès.
(Un anthropocentrisme mal tempéré – p.39)
Retour à la conscience. Aux combats vrais, aux combats durs des consciences.
(Conclusion temporaire – p.55)
Taillés et retaillés à la dimension du pouvoir, Etat, Entreprise, Marché financier, les individus ne sont plus, ô Emmanuel Kant, libres et autonomes par le libre usage de leur raison – ils suivent désormais la logique implacable des fluides, dans la très sombre plomberie planétaire… Il suffit de créer des vides, des siphons, et tout à coup le million d’individus supposés libres se dirige comme un seul homme dans la direction qui lui est assignée par telle ou telle instance plus ou moins légitime de commandement.
(La machine à consensus – p.65)
Une possibilité plus haute de vie.
Nomadisme : un mode particulier d’occupation du territoire. Dans ce qu’il a de plus difficile, c’est-à-dire de plus décisif. Le nomade a délaissé les habitats massifs, ostentatoires, concentrationnaires et défensifs, au profit d’une tente légère faite de peau fragile comme une onde. Architecture où le vent a encore son mot à dire. Fondue au territoire, à la limite du visible. Exposée à cela : l’Ouvert.
(Nomadisme et postmodernité – p. 73)
Après le deuil de la raison triomphante (deuil du progrès dans l’horreur d’Hiroshima, de l’homme nouveau dans la catastrophe d’Auschwitz et le désastre stalinien), l’intellectuel est face à une alternative claire : ou bien se figer en de vaines ratiocinations, ou bien prendre, en effet, le parti de la vague et du vent - (p.94)
Prendre le large, donc.
Retrouver le plein champ du monde et de l’esprit – là où « ça souffle » - (p.97)
A l’instar des grandes douleurs, les vraies révolutions sont muettes. Elles ont l’éternité devant elles : c’est pourquoi elles n’ont pas besoin de recourir à la violence, aux slogans ni aux dogmes.
Etudier, exister, méditer, éprouver… Et toujours ce même désir : répondre présent, être avec, participer, accompagner ce monde, pénétrer ce tel quel, sentir battre l’immédiat de tant de choses en cours…
Non pas changer la vie : l’augmenter.
… réintégrer le quotidien à un niveau supérieur de conscience. Instant d’élection où profane et sacré communiquent et se mêlent – au gué au milieu du fleuve où, arrêté en pleine lumière, l’être prend soudainement conscience de lui-même et renouvelle, comme en un solennel engagement, son acte de présence au monde :
là-bas c’est l’aube qui doucement avance
quelque chose sans bruit se dénoue
- la piste du monde caché !
Encore un fois nous vivons
toujours plus haut, toujours plus haut !
Ainsi vivait l’Indien au temps de la Grande Prairie. Lorsque le Verbe possédait encore tout le pouvoir d’une formule magique, l’esprit la vigueur claire d’une flèche en plein vol. Une Parole pour faire tomber la pluie.
(Dire le monde, trouver une langue – p.148)
Tout prochainement
UNE ETAPE DANS LA CLAIRIERE N°30
Pour la recevoir (gratuit) : voyelles.aeiou@free.fr
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Le photographe REZA
Luttes & grâces d’enfance
Reza est né il y a 50 ans en Iran. A l’ère des dictatures – celle du Shah d’abord, du régime islamiste ensuite – il ne fait pas bon être rebelle. Reza connaît la prison, la torture, l’exil.
Depuis 1981, date de son départ du pays natal, il habite de ce côté-ci du monde, celui de l’Occident. Mais régulièrement, il refait sa valise, visse son objectif et repart de l’autre côté, vers ceux qui vivent la lutte et la douleur.
Du Maghreb à l’Asie, de l’Afrique aux Balkans, Reza arpente le monde, ou plutôt son monde.
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13/01/2009
Anne Slacik
Anne SLACIK
(Né en 1959)
A R T S P L A S T I Q U E S
Piero peinture 15 – Huile sur toile
Anne Slacik est née à Narbonne (France) en 1959. Elle vit et travaille en région parisienne et dans le Gard
Etudes en Arts Plastiques à l'Université de Provence, puis à l'Université de Paris I. Diplôme de troisième cycle et agrégation en Arts plastiques (1984).
Enseigne les arts plastiques de 1982 à 1990.
Prix de peinture, fondation Fénéon 1991.
JARDIN VERTICAL aux Editions de l’Ariane
©Photo : Catherine James
La toile est du lin brut, sans apprêt. Les couleurs sont des pigments mêlés à un liant acrylique. Ainsi la terre redevient-elle une pâte primitive, qui doit sa consistance à un matériau du présent.
BERNARD NOEL - Roman de la fluidité
Anne Slacik s'exprime dans le glissement poétique de ses tableaux, mais aussi en lithographie et également en illustrant les livres de poèmes d'auteurs comme Bernard Noël, Jacques Ancet, Claire Malroux, Joe Bousquet, Gérard de Nerval, René Pons, Bernard Vargaftig, Gaston Puel, Guillevic, Adonis ... dont les mots nous sont si proches.
Gil Pressnitzer
14:20 Publié dans CLINS D'OEILS (arts plastiques) | Lien permanent | Commentaires (1) | Imprimer | | Facebook
Cultura animi
HANNAH ARENDT
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© Philosophe allemande
1906 - 1975
EXTRAIT
La crise de la culture
1954
…
… si la culture et l’art sont étroitement liés, ils ne sont en aucun cas la même chose. La distinction entre eux n’est pas très importante pour ce qui advient à la culture dans les conditions de la société et de la société de masse ; mais elle entre en jeu dès qu’on s’interroge sur l’essence et la culture et sur son rapport au domaine politique.
La culture, mot et concept, est d’origine romaine. Le mot « culture » dérive de colere – cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir, préserver – et renvoie primitivement au commerce de l’homme avec la nature, au sens de culture et d’entretien de la nature en vue de la rendre propre à l’habitation humaine. En tant que tel, il indique une attitude de tendre souci, et se tient en contraste marqué avec tous les efforts pour soumettre la nature à la domination de l’homme. C’est pourquoi il ne s’applique pas seulement à l’agriculture mais peut aussi désigner le « culte » des dieux, le soin donné à ce qui leur appartient en propre. Il semble que le premier à utiliser le mot pour les choses de l’esprit et de l’intelligence soit Cicéron. Il parle de excolere animum, de cultiver l’esprit, et de cultura animi au sens où nous parlons aujourd’hui encore d’un esprit cultivé, avec cette différence que nous avons oublié le contenu complètement métaphorique de cet usage. (*) Car, pour les Romains, le point essentiel fut toujours la connexion de la culture avec la nature ; culture signifiant originellement agriculture, laquelle était hautement considérée à Rome, au contraire des arts poétiques et de fabrication (…) Ce fut au milieu d’un peuple essentiellement agricole que le concept de culture fit son apparition, et les connotations artistiques qui peuvent avoir été attachées à cette culture concernaient la relation incomparablement étroite du peuple latin à la nature, la création du célèbre paysage italien. Selon les Romains, l’art devait naître aussi naturellement que la campagne ; il devait être de la nature cultivée ; et la source de toute poésie était vue dans « le chant que les feuilles se chantent à elles-mêmes dans la verte solitude des bois » …
(*) Cicéron dans les Tusculanes, 1, 13, dit explicitement que l’esprit est comme un champ qui ne peut produire sans être convenablement cultivé – et déclare alors : cultura autern animi philosophia est.
13:39 Publié dans ALLEMAGNE/AUTRICHE, Hannah Arendt | Lien permanent | Commentaires (2) | Imprimer | | Facebook
12/01/2009
la huitième écorce - Gil Pressnitzer
Dans le cercle de l’arbre
(note de lecture)
« les éclairs se sont cachés dans l’arbre
et attendent que le tonnerre ait fini de compter
en bas dans un courant d’air les visages des hommes
ils entourent l’arbre
ils maudissent celui qui est dans l’écorce
où je vis à double tranchant… »
Cathy Garcia
« la huitième écorce »
Gil Pressnitzer
Trident neuf éditeur, 2005
Peau de l’arbre dans l’expression la plus courante, dont la transparence se perd au fil du vieillissement des cellules, rhytidome chez les botanistes pour désigner la partie morte de l’écorce… écorces à épines, fleurs, fruits, écorces papyrifées… écorces aux couleurs et aux textures multiples, dont les rôles ne nous sont pas totalement inconnus même si notre méconnaissance nous fait oublier leur fonction fondamentale, entre autre celle de nourrir protéger purifier.
Les blessures de l’écorce sont fréquentes. Dans la huitième écorce de Gil Pressnitzer, il est question de dire que nous ne vivons pas que de nos blessures mais aussi de nos échappées hors des blessures. Dire aussi ce trop de nuit pour dire nos blessures, ce pas assez de jour, des mots qui vous prennent la gorge, des mots tus qui suffoquent en moi et ne trouvent pas la sortie (…) attention s’ils ressortent sauvages ils maudiraient les herbes. Mais autant d’échappées qui consistent à nous défaire de quelle écorce ? et de combien de peaux mortes ?
L’arbre et ses écorces comme autant de pages tournées, consumées.
Chez Gil Pressnitzer il y a aussi la violence de l’Histoire : des cendres ne restent que les insomnies, et plus loin : il se love dans la peur des champs de barbelés.
je suis le témoin interne de l’arbre
j’écris son journal intime sur la huitième écorce
nul n’y lira rien
moi-même on va me crever les yeux au dernier mot
(…)
la huitième écorce
vous rentre la vie au fond de la gorge
le rouge à lèvres du sang déteint sur nos bouches
La vie avec ses écorces noirâtres, ses écorces brun-rougeâtres. Nos vies à ne pas être en dehors de l’écorce, à vouloir (ou aspirer) sortir de l’écorce. Pour quel savoir ? Pour quelle vérité ? ah sortir de l’écorce/pour enfin savoir/comment les feuilles tremblent/d’être simplement dans l’air.
Du vert chlorophylle vient se loger dans l’évidence de ce qu’il a bien fallu vivre/au nom de la parole.
j’entasse dans la huitième écorce
en plein mitan
tous les noms de mes morts
bien rangés
au frais de l’oubli à venir
l’écorce jette un cri
la haine de la nostalgie
entrer dans le cercle de l’arbre… de la première écorce à la huitième écorce… dans l’écorce où doigt et âme se laissent prendre.
Mots à la rugosité des écorces, à la fragilité de ce qui est sur le point de se détacher par plaques, écorces de mots qui s’effritent (poussière, sciure, usure) … mots des éclats de bois… mots des lichens qui envahissent les bois mort…
à vif.
Nathalie Riera
12 janvier 2009
« un jour un jour
nous serons l’un contre l’autre
dans la même goutte d’eau
(…)
un jour un jour nous vivrons ensemble dans
cette goutte d’eau
la vie vue de ce vitrail sera jeune
et fera trembler nos peaux… »
la bouche d’où sort la nuit
nous étions là avant l’histoire
toi qui t’étends sur l’arbre comme texte de mémoire
tatouage de prières sur rumeurs du jadis
moi enlisé dans tous mes noms
qui me creuse en bas dans la chair
les larmes sont souffles quand la terre se tourne
nous nous guettons chacun dans ses insomnies
nous épions le commencement de l’autre
la bouche d’où sort la nuit nous dénonce
nous pousse à faire amitié comme fougères
à devenir lien pour la complicité des tueurs d’oubli
tes conquêtes montent haut au-delà du bruit
toi la huitième écorce tu auras fait de moi une rumeur
mes écritures me rejettent jusqu’à l’absence
me frotter sang contre mousse a fait de moi ton ombre portée
tu te suffis à toi-même
avec moi enclos dans mes tremblements
depuis longtemps
nous étions là avant l’histoire
qui va céder le premier
qui va commencer l’oubli
qui va lire l’autre jusqu’au blanc
la confiance s’est perdue dans les météores
le premier qui s’endort est mort
nous partageons un seul miroir
une seule peau
vieux couple lié par la ténèbre
dans le même lieu
par le seul mot
la même patrie de ciel
à quelle distance intérieure dois-je me tenir de toi ?
rends-moi l’ombre d’où je viens
laisse-moi instant de passage
je ne veux plus être durable
meurs avant moi
22:33 Publié dans Gil Pressnitzer, Nathalie Riera, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Nicolas Lavarenne
Nicolas LAVARENNE
Sculpteur autodidacte
(Né en 1953)
A R T S P L A S T I Q U E S
Arc Boutant – Bronze, 3m
Exulteur – Bronze, 90 cm
&
Moyenne Enigme 2 – Bronze, 2,40m
JAS DE LA RIMADE – 83570 CARCES
04 94 59 55 11
12:20 Publié dans CLINS D'OEILS (arts plastiques) | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
11/01/2009
Christophe Tarkos "Ecrits poétiques"
Christophe TARKOS
Poète
(1963-2004)
E c r i t s P o é t i q u e s
Photo Internet
Ça ne peut plus durer comme ça. Il y a quelque chose qui ne va
pas. Dans l’utilisation faite du mot poésie, dans l’utilisation qui est
faite du mot. Ce n’est pas possible. Il faut faire quelque chose. On se
retrouve dans n’importe quoi, la divagation, on sait plus où on met
les pieds, il y a tout et rien, personne ne sait plus ce qu’il fait, ça ne
veut plus rien dire. La pensée créatrice, la beauté verbale sont
réduites à des frivolités municipales, à des claquements de mains,
s’engluent dans la bande sonore du championnat américain de basket,
dans le chuchotement de phonèmes murmurés, ça tourne, ça
peut tourner longtemps, occupe, occupe le terrain, lissé, bruisse,
chauffe.
Manifeste chou
Écrits poétiques
Préface de Christian Prigent
Édition établie et annotée
par Katalin Molnár et Valérie Tarkos
Ce premier livre intitulé Écrits poétiques est une réédition de textes majeurs de Christophe Tarkos.
Écrits poétiques comble un trou béant en complétant les quatre autres livres publiés aux éditions P.O.L : Caisses, Le Signe =, Pan et Anachronisme. Désormais, l'essentiel de l'œuvre de Christophe Tarkos sera accessible.
Écrits poétiques contient beaucoup de textes publiés aux éditions Al Dante dont le directeur, Laurent Cauwet, était à la fois un ami et un défenseur du travail de Christophe Tarkos, mais à la suite d'une liquidation, ils étaient devenus introuvables. Et d'autres, publiés, chez des éditeurs épisodiques ou peu diffusés.
Novembre 2008
432 pages, 20 €
ISBN : 978-284682-283-1
Ma langue est poétique. Elle n’est pas un mécanisme
ferroviaire installé devant la maison du garde-barrière
aux côtés des deux manettes d’aiguillage. Elle ne subit
pas la logique thermodynamique de la machine à vapeur,
elle n’est pas électrifiée, elle ne possède pas de plan de
montage et de démontage annuel pour la huiler. Elle ne
se dirige pas par va-et-vient et par rotation. Elle est
fluide. Comme un ruisseau de montagne. Elle court, elle
descend, elle se retourne et continue, elle court dans les
pierres.
(…)
Ma langue est poétique et musicale, ma langue est
imagée et musicale, ma langue est souple, étincelante et
merveilleuse, ma langue aime jouer de la musique, elle
vibre et fait vibrer chacun de ses mots qui rayonnent de
leurs contours et qui viennent s’enchevêtrer si précisément
qu’il ne reste aucune tache à son brillant poli. Elle
fait le bruit de tous les sons des instruments de musique,
elle fait le bruit de tous les sons des animaux et des phénomènes
naturels. Ma langue est musicale. Ma langue est poétique.
Ma langue est poétique
"Les premières pages" sur le site de P.O.L., Editeur
Tout prochainement
UN HOMMAGE A CHRISTOPHE TARKOS
...………..je ne comprends rien à ce que je dis
de Christine Bauer
Une étape dans la clairière N°30 - 19 janvier 2009
22:09 Publié dans Christophe Tarkos | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Bruno Fromentière
11:17 Publié dans CLINS D'OEILS (arts plastiques) | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
10/01/2009
Michel Deguy
Michel DEGUY
Poète&Ecrivain
(Né à Paris en 1930)
P o i n t d e v u e
Photo Internet
A quel âge de la vérité en sommes-nous ? Ou du nihilisme ?
L’Impair.
2001, Farrago/Léo Scheer
" … le contre-courant funèbre, le complot du destin, affliction et nuisance, la conspiration de la perte, voici la morition des proches, la contagion des maux, l'acerbe érosion, la calomnie générale, l'abréviation de la vie, l'encombre, la terre périmée, l'extermination du passé, le périr. " Questionnements pour Michel Deguy sur "la raison poétique"
Dans l’emportement actuel pour le mélange de tout avec n’importe quoi, il y a un risque très fort pour la pensée. C’est le n’importe quoi qui menace toujours. Comme si le mélange avait plus de valeur que les ingrédients.
http://www.maulpoix.net/Deguyentretien.html
Quelle hypothétique fonction assigner encore au poète, en un temps où « la poésie n'est plus l'institutrice de l'humanité» ? Ni prêtre ni berger, ni Messie ni prophète, il n'est pourtant pas disposé à donner son congé, ni ne montre de goût pour la malédiction (…) Michel Deguy : Pourquoi la poésie ?
De l’écologie.
Un géocide est en cours. Il ne pourra pas y en avoir deux. Si « l’habitation poétique » du terrestre - pour reprendre encore une fois, malgré l’épuisement, les mots de Hölderlin - a encore du sens (de la glose, de la paraphrase, devant elle), alors n’est-ce pas avec l’écologie fondamentale qu’une poétique futuriste pourrait (devrait) s’allier ? La poésie peut-elle jouer un rôle d’alarme écologique, d’auxiliaire de la pensée écologique ? Michel Deguy et la revue Po&sie
Sur le site de François Bon, voir et entendre Michel Deguy filmé par Métropolis (au Centre dramatique national Nouveau Théâtre de Montreuil)
Quelque chose m'irrite souvent dans les lectures, qui ont lieu partout. Comme si ça allait de soi que ce soit bien qu'il y ait un auditoire, des gens qui s'appellent poètes ou écrivains et qui disent : ce soir on va lire ! Mais qu'est-ce qui se passe ? Ça peut bien ne rien être du tout. J'essaie de tenir deux choses. Je crois que le poème a lieu en vue de la citation, c'est-à-dire du moment de rencontre où une circonstance prend du sens à la lumière de ce qui est dit d'elle par quelque chose qu'on lit, qui peut être un texte ancien. Donc c'est une rencontre, mais il ne suffit pas que mécaniquement il y ait une lecture, au sens où un tel, auteur ou non, ouvre un livre et fasse entendre des phrases devant un auditoire et dans une salle pour qu'il y ait la chose que veut provoquer l'oeuvre d'art. Ça serait trop facile. Evidemment, c'est presque tout le temps comme ça que ça se passe puisque, quand je vais dans un musée, circulant devant les toiles, d'une certaine manière, je ne les vois pas. La poésie a lieu, en tant que poème, en vue de la citation. Par citation, j'entends la rencontre de la formule et du lieu. Prétexte Hors-Série 9
22:18 Publié dans Michel Deguy | Lien permanent | Commentaires (3) | Imprimer | | Facebook
09/01/2009
Etreinte à l'extrême
-I-
Pour une poésie proche de la peau, étreinte à l’extrême.
Vers ce qui est le plus fertile, à l’état de vivant, à recevoir nos éblouissements.
Sous les querelles des vents, se donner le droit de penser ou de croire que la poésie est « leçon de lumière » pour et contre toutes nos apories et contre ce qui fait dilemme.
Mottes d’herbes les mots, la page blanche est air pur.
Ecrire parce que plus que jamais solidaire de l’instant.
-II-
Poème qui est élargir rendre intense ne pouvoir s’en tenir au lieu qui aurait perdu tout mouvement à croupir se tenir accroupi Poème parce que toujours plus proche les saveurs la peau troublée qu’on ne sait quoi écrire mais gémir que vous aimez
Plus profond l’air plus présent que vous savez le manque
L’élan à ne pas ployer me toucher au plus près que vous me pensez en primitive le réel sa terre son eau qui nous rassemblent le feu pour le maintenir la guerre c'est-à-dire ?
©Nathalie Riera, janvier 2009
"Femme accroupie" - (terre cuite 40x36x23 cm)
cliquer ci-dessous :
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Patrick Sainton à la Galerie la Non-Maison
Stes
Patrick Sainton
« la ste, matin, face boisée, verte et la montée du violet,
brouillard, assis. attendre l’ouverture du ciel, des
volets, portes, boîtes. comment peindre ça, sans barbouille,
papier et ligne de crête. faudrait être chinois,
respirer a minima. c’est en 2003, un peu avant tout à
l’heure, envie de creuser des marches en terre,
descending steps (1973), sans le droit de comprendre.
j’y songerai plus tard (1975), dans la chambre rose en
sous-sol, l’oeil de boeuf au ras du sol, barreaux,
graviers, géraniums, ces marches marques de malheur,
la fin, rejoindre, creuser. il faut creuser, émeraude
installée, dressée au mur. »
Extrait de ce soir j’aperçois ma tête d’otage
à paraître aux Editions Contre-Pied en 2009.
Galerie la Non-Maison
VERNISSAGE 17 janvier 2009 à 18 H
22 rue Pavillon 13100 Aix en Provence
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04/01/2009
Levée d'écrou (la parole éveillée)
On ne voit en général pas leur nom dans les gazettes, certains jouissent d’une certaine notoriété, d’autres pas. Je les appelle les passeurs magnifiques, les « beautiful people » de la culture : conteurs, lecteurs publics, animateurs d’atelier d’écriture, de théâtre, de soirées poétiques, éditeurs risquant leurs tout derniers ronds pour faire connaître des textes…
LIRE LA SUITE sur le blog de Gérard Larnac
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02/01/2009
Un billet de Patrice Beray - Mediapart
Pour une année-lumière avec Nathalie Riera
"Des Voeux en c(h)oeur" (Nathalie Riera)
Expression conventionnelle s'il en est du jour de l'an que celle de «former des vœux» que commande une courtoisie d'usage consistant à adresser formellement des souhaits (des vœux) à l'intention de destinataires qui seront ainsi libres de les remplir à leur guise, autrement dit de leur donner un contenu, une teneur de leur choix.
C'est du moins ainsi, sans mal y penser, que l'on peut comprendre ce «former» si terriblement... formel.
Mais à bien y penser que peut receler une forme qui se soucie si peu de son contenu, qui est pur «habillage» ? Recouvre-t-elle en fait un abîme d'indifférence pour autrui, au point de ne prendre aucunement part à ses vœux ? N'est-ce pas dire, sous quelques espèces de politesse, que l'on n'a rien à faire des aspirations, des préoccupations, des désirs aussi, du destinataire ? «Je forme des vœux pour vous en cette nouvelle année...» De santé, de réussite peut-être. Des vœux exclusifs, au sens propre du terme, qui ne concernent que la personne, mais n'impliquent en rien celui qui les formule.
Certes, chacun est libre de déformer une formule, de lui prêter une tout autre signification. Il n'en demeure pas moins que la formulation reste, immuable, fixée une fois pour toutes, comme la syntaxe (essayez de la tordre, vous serez toujours dans l'erreur, sauf à passer par-dessus, c'est-à-dire à vous en passer, mot à mot-image, comme les poètes).
C'est donc ainsi, je ne «formerai de vœux» pour personne au moment de ce passage vers une année nouvelle. Vous avez... ma parole :
« je pense à la chaleur que tisse la parole
autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous » (Tristan Tzara).
Conjointement aux mots du poète, Rolland de Renéville avait toutes les raisons de penser que l'Univers de la parole (le titre d'un essai publié dans les années 40) est le seul monde qui nous contient, qui nous entoure.
En lisant ces derniers jours (de l'année) La Parole derrière les verrous de Nathalie Riera m'est ainsi apparu, par contraste avec cette intuition de Renéville, combien est incroyablement chargée, plombée une autre expression, celle d'univers carcéral. Sans doute faut-il se faire à cette idée que les expressions sont à la langue ce que les définitions sont à la pensée critique, selon Adorno : un stade pré-critique (pré-conceptuel). Tant il est vrai que la langue n'est rien (qu'un code) sans la parole.
Du théâtre, Nathalie Riera dans son essai dit : «Même l'univers est jeu, ainsi que notre volonté de maintenir la relation humaine.» Elle parle de son expérience d'animatrice d'activités artistiques en univers carcéral. Où il lui apparaît «vital, tant pour les prisonniers que pour la société, que le lien avec le monde du dehors fût constamment maintenu, essentiellement par la parole...». De ce lieu, elle dit aussi : «Ici, personne ne vous attend vraiment.» Son constat vaut témoignage : «J'ai souvent entendu dire que la prison était un passage. L'événement de l'incarcération pourrait-il donc être organisé comme un rituel d'intégration, afin que l'anéantissement physique et mental ne devienne plus une habitude ou un rite ?»
Instigatrice d'un beau site sur la toile, Les Carnets d'Eucharis, Nathalie Riera après une parenthèse vient de reprendre son activité d'animatrice en prison, qu'elle va cette fois axer sur la poésie sonore.
AFFICHE Virgules de pollen.doc
Nathalie Riera, La Parole sous les verrous, Editions de l'Amandier, 78 p./12€.
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