13/01/2009
Cultura animi
HANNAH ARENDT
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© Philosophe allemande
1906 - 1975
EXTRAIT
La crise de la culture
1954
…
… si la culture et l’art sont étroitement liés, ils ne sont en aucun cas la même chose. La distinction entre eux n’est pas très importante pour ce qui advient à la culture dans les conditions de la société et de la société de masse ; mais elle entre en jeu dès qu’on s’interroge sur l’essence et la culture et sur son rapport au domaine politique.
La culture, mot et concept, est d’origine romaine. Le mot « culture » dérive de colere – cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir, préserver – et renvoie primitivement au commerce de l’homme avec la nature, au sens de culture et d’entretien de la nature en vue de la rendre propre à l’habitation humaine. En tant que tel, il indique une attitude de tendre souci, et se tient en contraste marqué avec tous les efforts pour soumettre la nature à la domination de l’homme. C’est pourquoi il ne s’applique pas seulement à l’agriculture mais peut aussi désigner le « culte » des dieux, le soin donné à ce qui leur appartient en propre. Il semble que le premier à utiliser le mot pour les choses de l’esprit et de l’intelligence soit Cicéron. Il parle de excolere animum, de cultiver l’esprit, et de cultura animi au sens où nous parlons aujourd’hui encore d’un esprit cultivé, avec cette différence que nous avons oublié le contenu complètement métaphorique de cet usage. (*) Car, pour les Romains, le point essentiel fut toujours la connexion de la culture avec la nature ; culture signifiant originellement agriculture, laquelle était hautement considérée à Rome, au contraire des arts poétiques et de fabrication (…) Ce fut au milieu d’un peuple essentiellement agricole que le concept de culture fit son apparition, et les connotations artistiques qui peuvent avoir été attachées à cette culture concernaient la relation incomparablement étroite du peuple latin à la nature, la création du célèbre paysage italien. Selon les Romains, l’art devait naître aussi naturellement que la campagne ; il devait être de la nature cultivée ; et la source de toute poésie était vue dans « le chant que les feuilles se chantent à elles-mêmes dans la verte solitude des bois » …
(*) Cicéron dans les Tusculanes, 1, 13, dit explicitement que l’esprit est comme un champ qui ne peut produire sans être convenablement cultivé – et déclare alors : cultura autern animi philosophia est.
13:39 Publié dans ALLEMAGNE/AUTRICHE, Hannah Arendt | Lien permanent | Commentaires (2) | Imprimer | | Facebook
Commentaires
Quel éclairage! je ne connaissais pas ce texte qui fut écrit l'année même de ma naissance. Je le découvre, croyez-moi, juste après avoir rédigé une "réflexion" sur le même thème destinée à un poète avec lequel j'essaie de clarifier certaines notions paraissant couler de source et qui bien souvent nous abusent. Je dois reconnaître que sur ce sujet Hannah Arendt déborde amplement. Je me souviendrais "du chant des feuilles dans la verte solitude des bois". Un précieux cadeau.
Écrit par : André Chenet | 14/01/2009
Bonjour,
L’intérêt que vous portez à Hannah Arendt me détermine à vous indiquer l’étonnement qui a été le mien à lire, avec la plus grande attention, « Les origines du totalitarisme ». Vous en trouverez la marque dans :
http://crimesdestaline.canalblog.com
Très cordialement à vous,
Michel J. Cuny
Écrit par : Michel J. Cuny | 29/04/2013
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