René Daumal (17/01/2009)

Le Mont Analogue

roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques

Version définitive,  Ed. Gallimard, 1981

 

Après avoir ainsi fait le tour des mythologies les plus connues, je passais à des considérations générales sur les symboles, que je rangeais en deux classes : ceux qui sont soumis à des règles de « proportion » seulement, et ceux qui sont soumis, en plus, à des règles d’«échelle ». Cette distinction a souvent était faite. Je la rappelle pourtant : la « proportion » concerne les rapports entre la dimension du monument, l’ « échelle » les rapports entre ces dimensions et celles du corps humain. Un triangle équilatéral, symbole de la Trinité, a exactement la même valeur quelle que soit sa dimension ; il n’a pas d’ « échelle ». Par contre, prenez une cathédrale, et faites-en une réduction exacte de quelques décimètres de haut ; cet objet transmettra toujours, par sa figure et ses proportions, le sens intellectuel du monument, même s’il faut en examiner à la loupe certains détails ; mais il ne produira plus du tout la même émotion, ne provoquera plus les mêmes attitudes ; il ne sera plus « à l’échelle ». Et ce qui définit l’échelle de la montagne symbolique par excellence – celle que je proposais de nommer le Mont Analogue-, c’est son inaccessibilité par les moyens humains ordinaires. Or, les Sinaï, Nebo et même Olympe sont devenus depuis longtemps ce que les alpinistes appellent des « montagnes à vaches » ; et même les plus hautes cimes de l’Himalaya ne sont plus regardées aujourd’hui comme inaccessibles. Tous ces sommets ont donc perdu leur puissance analogique. Le symbole a dû se réfugier en des montagnes tout à fait mythiques, telles que le Mérou des Hindous. Mais le Mérou – pour prendre cet unique exemple –, s’il n’est plus situé géographiquement, ne peut plus conserver son sens émouvant de voie unissant la Terre au Ciel ; il peut encore signifier le centre ou l’axe de notre système planétaire, mais non plus le moyen pour l’homme d’y accéder.

« Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogue, concluais-je, il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible. »

(p.17/19)

 

René Daumal

 

daumal.gifBiographie

Né à Boulzicourt dans les Ardennes le 16 mars 1908, René Daumal fait ses études secondaires à Reims où il fait partie avec Roger Gilbert-Lecomte et Roger Vailland d'une sorte de communauté « initiatique » qu'ils appellent les « Simplistes ». Il fonde la revue Le Grand Jeu avec Gilbert-Lecomte en 1928. Atteint de tuberculose, il meurt à Paris le 21 mai 1944.

 

Autre extrait

Je me souviens qu’un soir nous parlions des légendes relatives aux montagnes. Il me semblait, disais-je, que la haute montagne était beaucoup plus pauvre en légendes fantastiques que la mer ou la forêt, par exemple. Karl expliquait cela à sa façon :

- Il n’y a pas de place dans la haute montagne, disait-il, pour le fantastique, parce que la réalité y est par elle-même plus merveilleuse que tout ce que l’homme pourrait imaginer.

(p.95)

 

& autres ouvrages de l’auteur :

Le Contre-ciel (suivi de) Les dernières paroles du poète

René Daumal , Claudio Rugafiori

Ed. Gallimard, octobre 1998

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