22/05/2014
Susanne Dubroff
SUSANNE DUBROFF CINQ POEMES / FIVE POEMS
Poèmes traduits par Raymond Farina
***
(Ingmar)
Gestes en accord avec ce qui a été donné
Tous les coups pris pendant l'enfance
Quelque chose qui lui dit :
Vas-y C'était bien sûr plus
qu'un homme qui veut vaincre.
Une fidélité ?
Acte après acte, peut-être calcula-t-il
prenant des risques comme les acrobates
Même au cours des premières années à Stockholm quand
tout ce qu'il pouvait faire c'était crier et insulter
mais assez longtemps et assez bruyamment pour que
quand les acteurs ne voulaient pas écouter le regardaient de haut
Victor Sjöström les saisît par la nuque
fît avec eux les cent pas devant le studio
silencieux la plupart du temps, mais en leur adressant
de temps en temps de claires de simples suggestions...
L'action, qui est après tout
une sorte de divine résistance est le rôle qu’on doit jouer
Assez disait-il de ce non-sens
les choses ont à faire sens
et à l’intérieur du petit cabinet blanc
l'enfant criant pour lui
persistait dans sa secrète terreur
de l'existence jusqu'à ce que prît forme
une Samothrace et que personne n'en fût
plus étonné que lui.
-------------------------
(Ingmar)
Gestures in accord with what has been given
All the knocks he took as a child
something telling him
Go on It was of course more
than a man wanting to win.
A faithfulness?
Acte after act perhaps calculated
the way acrobats shoulder the risk
Even in the early years in Stockholm when
all he could do was scream and curse
but long enough and loud enough so that
when the actors wouldn’t listen looked down on him
Victor Sjostrom grabbed him by the nape of the neck,
walked him up and down in front of the studio
silent for the the most part but now and then
giving him clear simple suggestions
Action which is after all
a kind of divine resistance is our part
Enough he said of this nonsense
things having to make sense
and inside the thin white closet
the child screaming to himself
persisted in the locked terror
of existence until it took form
a Samothrace and no one
was more surprised than he
-------------------------
(LES CHASES)
Ceux, dans les bus,
qui s'accrochaient à la courroie,
la femme de Jack Chase aimait les peindre.
Elle était, je pense, une sorte
d'Orozco des villes dortoirs des Etats-Unis.
Etait-ce à Quincy, après qu'ils aient quitté le Vermont
parce qu'il était trop vert - ces tableaux,
qui avaient chacun des couleurs insupportablement originales!
Petite dame, dodue, trapue, à la tignasse noire,
avec des socquettes et des chaussures à lacets, la cigarette
au coin de son sourire,
elle croyait à chaque pli et fossette
chaque soigneuse caresse d'étoffe. Où sont-ils aujourd'hui ?
Désaxés sur les roues du voyage ?
Offrant des miettes d'amour absurde, dont
le poète a dit que nous en avions ensuite la charge
même si nous n'en pouvions plus.
-------------------------
(The Chases)
The ones on buses,
who’d hang on by the strap,
Jack Chase’s wife, I think, a sort of
Orozco of the U.S. bedroom town.
Was it in Quincy, after they left Vermont
because it was too green – those paintings,
each unbearably colorful individual!
Small, plump, stumpy lady, shock of black hair,
oxfords and bobby socks, cigarette
in one corner of her smile,
she believed each crease and dimple,
Careful caress of cloth. Where are they now?
Splayed over the wheels of the journey?
Holding out bits of absurd love, for which,
the poet said we’re charged afterwards
even though we couldn’t possibly?
-------------------------
(FAIM)
I.
La faim est foi.
Cela se voit dans les yeux noirs
des enfants
dans Brot* de Käthe Kollwitz.
Ils croient en elle,
lèvent leurs assiettes,
tirent sur sa jupe,
qui couvre un corps
défait ;
II.
Selbst-bildnis*,
le regard las, déconcerté:
« Refuserai-je de prêcher ?
Plus de Nie wieder Krieg*
est-ce bien ce qu'ils veulent »
* Pain, 1924, lithographie de Käthe Kollwitz.
* Auto-portait, 1934, tableau de Käthe Kollwitz.
* Tu ne feras point
-------------------------
(HAMLET)
Un éclat
de ces rivières noires
sur lesquelles Ophélie
flotte comme la vérité.
Et ce jeune homme rendu fou, son vieux
couteau entre les dents,
regarde ! il attrape tous les verbes ;
Gertrude quitte indignée la scène.
-------------------------
(Hamlet)
A flash
of those dark rivers
on which Ophelia
floats like the truth.
And that maddened boy, the old
knife in his teeth
look ! He’s taking all the verbs ;
Gertrude’s flouncing off the stage.
-------------------------
(Djuna Barnes)
Aucune bravoure n'est jamais applaudie
et vous le saviez.
Moins que toutes les autres la bravoure
de la présence.
Elle s'est appuyée sur vous
et vous l'avez laissé faire;
ce fut tout.
Comme une vieille statue
qu'on n'a pas nettoyée,
avec ses pigeons, ses pigeons.
-------------------------
(Djuna Barnes)
No bravery is ever applauded
and you knew it.
Least of all the bravery
of presence.
She leaned into you
and you let her;
that was all.
Like some old, unwashed
Statue,
its pigeons, pigeons.
■■■Susanne Dubroff est née à Berlin en 1930. Elle a quitté l’Allemagne avec sa famille à l’âge de huit ans pour les USA. Elle vit dans le New Hampshire. Elève de Denise Levertov, elle a collaboré à de nombreuses revues telles que Tendril, Sou’wester, Southern Illinois University, Sonora Review (University of Arizona),The Christian Science Monitor, International Review of Poetry (University of North Carolina),The Bitter Oleander ( New York ), The Hampden-Sydney Poetry Review, The Mid-American Review, Luna (The University of Minnesota), Poetry, The Paris Review (New York), Circumference (University of Columbia). Ses poèmes ont été traduits en français et publiés dans les revues Arpa, La Barbacane, Lieux d’Etre et Le Journal des Poètes. Elle a participé à de nombreuses manifestations poétiques et a traduit des poèmes de Rilke, de Goethe, de Mallarmé et de Gustavo Adolfo Bécquer. Elle est également l’auteure des traductions de deux anthologies de poèmes de René Char : « Nothing Shipwrecks Itself » (Mid-American Review Press) et, plus récemment, « René Char, This smoke that carried us » (White Pine Press, New York, 2004). Parmi ses recueils récents figurent : « You & I » ( Kinsman Press,Franconia,1994 ), « The One Remaining Star » (WordTech Editions, Cincinnati, 2008) et “Saxophones Were Banned in Albania” (CreateSpace Independent Publishing Platform, 2012).
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18/09/2013
Wallace Stevens - Choix de poèmes traduits par Raymond Farina
WALLACE STEVENS
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©Poésie
© Photo : Bettmann/Corbis | http://www.nybooks.com/
Wallace Stevens, early 1950s
POÈMES CHOISIS
BOURGEOIS DE LA PETITE MORT / BURGHERS OF PETTY DEATH
ANGLAIS MORT A FLORENCE
ESTHÉTIQUE DU MAL (extrait) / ESTHÉTIQUE DU MAL (Excerpt)
LE VENT TOURNE / THE WIND SHIFTS
CARTE POSTALE DU VOLCAN / A POSTCARD FROM THE VOLCANO
LE MONDE COMME MEDITATION / THE WORLD AS MEDITATION
DE LA POESIE MODERNE / OF MODERN POETRY
UN PLAT DE PECHES EN RUSSIE / A DISH OF PEACHES IN RUSSIA
CHATEAU GALANT / GALLANT CHATEAU
CONNOISEUR DU CHAOS / CONNOISSEUR OF CHAOS
CHRONIQUE DE L'HOMME QUELCONQUE / PAISANT CHRONICLE
…
Traduit de l’anglais par Raymond Farina
■
■ Sur le site Les Carnets d’Eucharis
Wallace Stevens
Poèmes traduits par Raymond Farina
**
(BOURGEOIS DE LA PETITE MORT)
Ces deux là près du mur de pierre
Sont un léger fragment de mort.
L’herbe est encore verte.
Mais c’est une mort totale,
Une dévastation, une mort vraiment haute
Et profonde, couvrant toute surface,
Envahissant l’esprit.
Les voilà les petits citadins de la mort,
Un homme et une femme,
Semblables à deux feuilles
Qui restent attachées à l’arbre,
Avant que l’hiver gèle et qu’il devienne noir –
Vraiment haute et profonde
Sans aucune émotion, un empire de calme,
dans lequel une ombre épuisée,
Portant un instrument,
Propose, pour finir, une musique blanche.
-------------------------
(BURGHERS OF PETTY DEATH)
These two by the stone wall
Are a slight part of death.
The grass is still green.
But there is a total death,
A devastation, a death of great height
And depth, covering all surfaces,
Filling the mind.
These are the small townsmen of death,
A man and a woman, like two leaves
That keep clinging to a tree,
Before winter freezes and grows black-
Of great height and depth
Without any feeling, an imperium of quiet,
In which a wasted figure, with an instrument,
Propounds blank final music.
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(ANGLAIS MORT A FLORENCE)
**
Il se retrouvait un peu moins chaque printemps.
La musique déjà lui faisait défaut. Même Brahms,
Son grave démon familier, marchait souvent à l’écart.
Son esprit devenait incertain de la joie
Certain de son incertitude, dans laquelle
Ce grave compagnon le laissait inconsolé
A des souvenirs qui le rendaient presque toujours à lui-même.
Ce n’est que la dernière année qu’il dit que la lune nue
N’était pas celle qu’il avait l’habitude de voir, de sentir
(Dans les pâles harmonies de lune et d’humeurs
Quand il était jeune), la lune nue et lointaine,
Brillant plus faiblement au fond d’un ciel plus sec.
Sa pâleur colorée devenait cadavérique.
Il cultivait sa raison, exerçait sa volonté,
Avait parfois recours à Brahms à la place
De la parole. Il était cette musique et lui-même.
Ils étaient parcelles d’ordre, une unique majesté.
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul.
A la fin il se levait avec l’aide de Dieu et de la police,
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul.
Il se soumettait à cette unique majesté;
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul,
Lorsque être et jouir d’être semblaient ne faire qu’un,
Avant que les couleurs ternissent et rapetissent.
-------------------------
(ANGLAIS MORT A FLORENCE)
A little less returned for him each spring.
Music began to fail him. Brahms, although
His dark familiar, often walked apart.
His spirit grew uncertain of delight,
Certain of its uncertainty, in which
That dark companion left him unconsoled
For a self returning mostly memory.
Only last year he said that the naked moon
Was not the moon he used to see, to feel
(In the pale coherences of moon and mood
When he was young), naked and alien,
More leanly shining from a lankier sky.
Its ruddy pallor had grown cadaverous.
He used his reason, exercised his will,
Turning in time to Brahms as alternate
In speech. He was that music and himself.
They were particles of order, a single majesty:
But he remembered the time when he stood alone.
He stood at last by God’s help and the police;
But he remembered the time when he stood alone.
He yielded himself to that single majesty;
But he remembered the time when he stood alone,
When to be and delight to be seemed to be one, Before the colors deepened and grew small.
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(ESTHÉTIQUE DU MAL)
extrait
XII
Il ordonne le monde en deux catégories :
Celui qui est peuplé, celui qui ne l’est pas.
Dans les deux, il est seul.
Mais il y a, dans le peuplé,
Outre ses habitants, le savoir qu’il a d’eux.
Et dans le dépeuplé, ce qu’il sait de lui-même.
Quel est le plus désespéré dans les moments
Où son vouloir exige que ce qu’il pense soit vrai ?
Est-ce lui-même en eux qu’il connaît ou bien eux
En lui-même ? Si c’est lui-même en eux, ils n’ont
Point de secret pour lui. Et si c’est eux en lui,
Il n’a point de secret pour eux. Car ce qu’il sait
D’eux et de lui détruit chacun de ces deux mondes,
Sauf quand il s’en évade. Etre seul c’est pour lui
Etre dans l’ignorance et d’eux et de lui-même.
Cela en crée un troisième sans connaissance,
Où personne ne cherche, où le vouloir n’exige
Rien et accepte tout ce qui passe pour vrai,
Y compris la douleur, qui, autrement est feinte.
Dans le troisième monde, alors, pas de douleur. Oui, mais,
Quel amant en ressent dans de tels rocs, quelle femme,
Même si on la connaît, tout au fond de son cœur ?
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(ESTHÉTIQUE DU MAL)
Excerpt
XII
He disposes the world in categories, thus :
The peopled and the unpeopled. In both, he is
Alone. But in the peopled world, there is,
Besides the people, his knowledge of them. In
The unpeopled, there is his knowledge of himself.
Which is more desperate in the moments when
The will demands that what he thinks be true?
It is himself in them that he knows or they
In him? If it is himself in them, they have
No secret from him. If it is they in him,
He has no secret from them. This knowledge
Of them and of himself destroys both worlds,
Except when he escapes from it. To be
Alone is not to know them or himself.
This creates a third world without knowledge,
In which no one peers, in which the will makes no
Demands. It accepts whatever is as true,
Including pain, which, otherwise, is false.
In the third world, then, there is no pain. Yes, but
What lover has one in such rocks, what woman,
However known, at the centre of the heart ?
-------------------------
XIII
Il se peut qu’une vie soit la sanction d’une autre
Comme celle d’un fils pour celle de son père.
Mais cela ne concerne que les seconds rôles.
C’est une tragédie fragmentaire
Au sein du tout universel. Le fils,
Le père aussi, ont fait leur temps, pareillement,
L’un et l’autre, en vertu de la nécessité d’être
Soi-même, de l’inaltérable nécessité
D’être cet inaltérable animal.
Cette puissance de la nature en action est la tragédie
Majeure. C’est le destin sûr de lui,
Le plus jubilant ennemi. Et il se peut
Que, dans son cloître méditerranéen, un homme
étendu, libéré du désir, établisse
Le visible, une zone de bleu et d’orange
Dont changent les couleurs, établisse un moment
Pour contempler la mer, simulacre du feu, et l’appelle le bien,
Le bien suprême, sûr de la réalité
De la plus longue méditation, du maximum,
De la scène de l’assassin. Le mal dans le mal est
Relatif. L’assassin se dévoile lui-même,
la force qui nous détruit est dévoilée dans
Ce maximum, une aventure à endurer
Dans l’impuissance la plus polie. Mais oui !
On sent son action circuler dans nos veines.
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XIII
It may be that one life is a punishment
For another, as the son’s life for the father’s.
But that concerns the secondary characters.
It is a fragmentary tragedy
Within the universal whole. The son
And the father alike and equally are spent,
Each one, by the necessity of being
Himself, the unalterable necessity
Of being this unalterable animal.
This force of nature in action is the major
Tragedy. This is destiny unperplexed,
The happiest enemy. And it may be
That in his Mediterranean cloister a man,
Reclining, eased of desire, establishes
The visible, a zone of blue and orange
Versicolorings, establishes a time
To watch the fire-feinting sea and calls it good,
The ultimate good, sure of a reality
Of the longest meditation, the maximum,
The assassin’s scene. Evil in evil is
Comparative. The assassin discloses himself,
The force that destroys us is disclosed, within
This maximum, an adventure to be endured
With the politest helplessness. Ay-mi!
One feels its action moving in the blood.
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Wallace Stevens traduit par Raymond Farina_LCE 2013.pdf
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16/09/2012
Theodor Roethke par Raymond Farina
THEODOR ROETHKE
Poète américain
(1908-1963)
"Sur le poète et son œuvre"
Theodor Roethke
Un poète américain se présente et présente son œuvre
Comme chacun sait l'Amérique est un continent, mais peu d'Européens connaissent, dans leur diversité et leur variété, les régions de ce pays. La vallée Saginan, où je suis né, a été la région où l'on a le plus exploité le bois aux alentours de 1880. C'est une région très plate et très fertile du Michigan, dont les villes principales, Saginan et Flint, se trouvent à l'extrémité nord de ce qui est à présent la principale région industrielle des Etats-Unis.
C'est dans cette région, qu'en 1870, mon grand-père arriva de Prusse où il avait été forestier en chef de Bismarck. Ses fils et lui ont crée et exploité quelques serres qui devinrent les plus importantes de cette partie des Etats-Unis.
C'était un merveilleux endroit où grandir pour un enfant. Il n'y avait pas seulement vingt cinq acres en ville, principalement sous serre et cultivées intensivement mais, plus loin dans la campagne, la dernière parcelle de bois vierge de la vallée Saginan et, plus loin, une vaste zone d'exploitation forestière laissée l'abandon, dont les arbres repoussaient pour la première fois, que mon père et mon oncle avaient transformé en petit terrain de jeu.
Enfant, alors, j'avais plusieurs mondes où vivre que je ressentais comme miens. J'aimais particulièrement un coin marécageux du sanctuaire où les hérons nichaient toujours. J'ai utilisé un de mes souvenirs les plus anciens dans un poème que je leur ai consacré (...)
J'ai essayé d'indiquer dans mon second livre "The lost son and other poems", publié en Angleterre en 1941, ce que représentaient pour moi les serres.
Elles représentaient pour moi, je m'en rends compte aujourd'hui, à la fois le paradis et l'enfer, une sorte de tropiques créés dans le climat sauvage du Michigan, où d'austères américains d'origine allemande transformaient leur amour de l'ordre et leur terrible efficacité en quelque chose de vraiment beau.
C'était un univers -plusieurs mondes- à propos duquel, même enfant, on s'inquiétait, et qui luttait pour rester en vie, comme dans le poème "Big wind" (...)
Dans ces premiers poèmes j'avais commencé, comme un enfant, avec de petites choses, et j'avais essayé de ne m'exprimer qu'en utilisant des mots simples. Un peu plus tard, en 1945, j'ai commencé une suite de poèmes plus longs qui tentent, par leur rythme, de saisir le mouvement même de l'esprit, de suivre l'histoire spirituelle d'un protagoniste (pas "moi" personnellement mais tout homme hanté et harcelé), qui cherchent à faire de ce mouvement un ensemble réel et non arbitrairement ordonné, autorisant toute une gamme de sentiments incluant l'humour.
Comment créer une réalité, une vraisemblance, le "comme si" de l'enfant , dans la langue qu'un enfant utiliserait, c'était pour moi extrêmement difficile. Par exemple le second poème "I need, I need" s'ouvre par une imagerie très orale, par le monde de l'enfant qui suce et lèche. Puis on glisse vers un passage où deux enfants sautent à la corde. On ne dit pas au lecteur que les enfants sautent à la corde, mais celui-ci les entend simplement tous les deux se réciter, tour à tour, des comptines l'un à l'autre; puis cette expectative mitigée et cette agressivité se changent dans le passage suivant en un sentiment d’amour, vaguement ressenti, mais net, chez l'un des enfants (...)
Dans les poèmes suivants nous entendons le jeune adolescent, encore à demi enfant, puis le jeune homme se vanter et miauler; et on finit par des passages plus difficiles dans lesquels l'esprit, soumis à une grande tension, erre loin dans le subconscient, pour émerger plus tard dans la "lumière" de passages plus sereins ou euphoriques au terme de chaque phase d'expérience.
Parfois, bien sûr, il y a régression. Je crois que l'être spirituel doit revenir en arrière pour pouvoir avancer. La voie est cyclique, et parfois on la perd, mais on la retrouve invariablement. Quelques uns des artifices techniques caractéristiques de ce mouvement - la métaphore glissant rapidement, le questionnement rhétorique et d'autres semblables - réapparaissent dans des poèmes plus formels achevés récemment, "Four for Sir John Davies" qui sont, entre autres choses, un hommage à l'auteur élisabéthain de "Orchestra" et à feu W.B. Yeats.
Extrait de « ON THE POET AND HIS CRAFT »
University of Washington Press, 1965
Choix de poèmes
Traduits par Raymond Farina
LES FOLIES D’ADAM
1
Viens me lire Euripide,
Ou quelque rustre ancien capable
De rappeler ce que c’était
Que sortir de sa peau.
Des choses me parlent, c’est sûr ;
Mais pourquoi rester à gémir ici,
Sans être même à bout de souffle ?
2
Que sont le sceptre et la couronne ?
Rien de plus que ce que soulève
La tige nue : la rose
Jaillit vers cette jeune fille ;
Le terrestre demeure en elle ;
Une épine dans le vent pousse,
Calme devant ce qui s’écoule.
3
Je parlerais à une racine rabougrie ;
Ah, qu’elle riait de me voir
Regarder fixement en avant de mon pied,
Un orteil dans l’éternité ;
Mais quand répondait la racine,
Elle frissonnait dans sa peau,
Et regardait au loin.
4
Père et fils de cette mort,
L’esprit meurt chaque nuit ;
Dans le blanc vaste, les espaces
Connus du jour commun,
Quel aigle exige un arbre ?
La chair engendre un rêve ;
Tout os vrai chante seul.
THE FOLLIES OF ADAM
1
Read me Euripides,
Or some old lout who can
Remember what it was
To jump out of his skin.
Things speak to me, I swear;
But why am I groaning here,
Not even out of breath?
2
What are scepter and crown?
No more than what is raised
By a naked stem:
The rose leaps to this girl;
The earthly lives in her;
A thorn does well in the wind,
At ease with all that flows.
3
I talked to a shrunken root;
Ah, how she laughed to see
Me staring past my foot,
One toe in eternity;
But when the root replied,
She shivered in her skin,
And looked away.
4
Father and son of this death,
The soul dies every night;
in the wide white, the known
Reaches of common day,
What eagle needs a tree?
The flesh fathers a dream;
All true bones sing alone.
LE MOUVEMENT
L’âme a des mouvements divers, mais le corps n’en a qu’un.
Un vieux papillon, lacéré par le vent, se posa,
Battit des ailes sur la poussière du sol –
Se déployant ainsi l’esprit n’est pas bruyant.
Le désir seulement vivifie notre esprit,
Et nous nous affligeons dans la certitude d’aimer.
2
De l’amour naît l’amour. Ce tourment est ma joie.
J’observe une rivière : elle serpente au loin ;
Pour rencontrer le monde, en mon âme je monte ;
Et ce cri que j’entends je le laisse sur le vent.
Ce que nous déposons devons-nous le reprendre ?
J’ose un embrassement. Avançant, je demeure.
3
Qui d’autre que l’aimé sait l’élan de l’amour ?
Qui donc est assez vieux pour vivre ? Une chose de terre
Sachant combien toute chose change dans la semence
Avant qu’elle ait atteint l’ultime certitude,
Cet espace au-delà de la mort, cet acte d’amour
Auquel tout être participe, et doit la vie.
4
Des ailes déplumées qui crissent au soleil,
Sur une pierre sans soleil la danse de la crasse épaisse
Le jour et la nuit de Dieu : sous cet espace Lui souriait,
L’espoir a son silence et nous allons dans son jour vaste, -
O qui emprunterait à l’enfant son regard ? –
Oh, mouvement oh, notre chance est d’exister encore !
THE MOTION
1
The soul has many motions, body one.
And old wind-tattered butterfly flew down
And pulsed its wings upon the dusty ground-
Such stretchings of the spirit make no sound.
By lust alone we keep the mind alive,
And grieve into the certainty of love.
2
Love begets love. This torment is my joy.
I watch a river wind itself away;
To meet the world, I rise up in my mind;
I hear a cry and lose it on the wind.
What we put down, must we take up again?
I dare embrace. By striding, I remain.
3
Who but the loved know love’s a faring-forth?
Who’s old enough to live?-a thing of earth
Knowing how all things alter in the seed
Until they reach this final certitude,
This reach beyond this death, this act of love
In which all creatures share, and thereby live,
4
Wings without feathers creaking in the sun,
The close dirt dancing on a sunless stone
God’s night and day: down this space He has smiled,
Hope has its hush: we move through its broad day,-
O who would take the vision from the child?-
O, motion O, our chance is still to be!
DANS L’AIR DU SOIR
1
Un mode grave me saisit ici,
Bien que l’été flamboie dans l’œil du viréon.
Qui pourrait n’être possédé
Qu’à moitié par sa nudité ?
De veille est mon souci –
Je créerai ma musique brisée, ou mourrai.
2
Petits, rapprochez-vous !
Fais-moi, Seigneur, ultime, simple chose
Que le temps ne peut accabler
Un jour j’ai transcendé le temps :
D’un bouton éclaté une rose jaillit,
Et moi je jaillis d’un dernier decrescendo.
3
Je regarde au-dessous la lumière lointaine
Et je contemple la face sombre d’un arbre
Au fond d’une plaine ondoyante,
Et quand de nouveau je regarde,
Elle s’est perdue sur la nuit –
Nuit que j’embrasse, tendre proximité.
4
Je suis près d’un feu bas
Comptant les mèches de la flamme, et je remarque
Comme est changeante la lumière sur le mur.
J’ordonne au calme d’être calme.
Je vois, dans l’air du soir,
Comme est lente la nuit qui descend sur nos actes.
IN EVENING AIR
1
A dark theme keeps me here,
Though summer blazes in the vireo's eye.
Who would be half possessed
By his own nakedness?
Waking's my care --
I'll make a broken music, or I'll die.
2
Ye littles, lie more close!
Make me, O Lord, a last, a simple thing
Time cannot overwhelm.
Once I transcended time :
A bud broke to a rose,
And I rose from a last diminishing.
3
I look down the far light
And I behold the dark side of a tree
Far down a billowing plain,
And when I look again,
It's lost upon the night --
Night I embrace, a dear proximity.
4
I stand by a low fire
Counting the wisps of flame, and I watch how
Light shifts upon the wall.
I bid stillness be still.
I see, in evening air,
How slowly dark comes down on what we do.
DANS UN SOMBRE MOMENT
Dans un sombre moment, mon œil commence à voir,
Je rencontre mon ombre au plus profond de l’ombre ;
J’écoute mon écho dans l’écho de ce bois –
Seigneur de la nature pleurant la mort d’un arbre.
Je vis entre le troglodyte et le héron,
Les bêtes des collines et les serpents des grottes.
Qu’est la folie sinon la noblesse de l’âme
Brouillée avec les circonstances ? Le jour brûle !
Je sais la pureté du plus pur désespoir,
Mon ombre épinglée sur un mur tout suintant.
Ce lieu dans les rochers – est-ce bien une grotte ?
Un sentier sinueux ? La marge est mon domaine.
Tenace une tempête de correspondances !
Un flot d’oiseaux la nuit, une lune en lambeaux,
Et dans le vaste jour le retour de minuit !
Un homme s’en va loin découvrir ce qu’il est –
Le moi qui meurt au fond d’une longue nuit sans larmes,
La nature s’embrasant d’un feu non-naturel.
Sombre, sombre mon jour, plus sombre mon désir.
Mouche d’été qu’affole la chaleur, mon âme
Bourdonne sur le seuil. Lequel de mes moi suis-je ?
Homme tombé, je me redresse hors de ma peur.
L’esprit entre en lui-même, et Dieu entre en l’esprit,
Alors un devient l’Un, libre au vent qui déchire.
IN A DARK TIME
In a dark time, the eye begins to see,
I meet my shadow in the deepening shade;
I hear my echo in the echoing wood--
A lord of nature weeping to a tree,
I live between the heron and the wren,
Beasts of the hill and serpents of the den.
What's madness but nobility of soul
At odds with circumstance? The day's on fire!
I know the purity of pure despair,
My shadow pinned against a sweating wall,
That place among the rocks--is it a cave,
Or winding path? The edge is what I have.
A steady storm of correspondences!
A night flowing with birds, a ragged moon,
And in broad day the midnight come again!
A man goes far to find out what he is--
Death of the self in a long, tearless night,
All natural shapes blazing unnatural light.
Dark, dark my light, and darker my desire.
My soul, like some heat-maddened summer fly,
Keeps buzzing at the sill. Which I is I?
A fallen man, I climb out of my fear.
The mind enters itself, and God the mind,
And one is One, free in the tearing wind.
UNE FOIS DE PLUS, LE CERCLE
Qu’est-ce qui est le plus grand, l’étang ou le caillou ?
Qu’est-il possible de connaître ? l’inconnu.
Mon vrai moi file vers une colline
Plus ! O plus visible.
Maintenant j’adore ma vie
Avec l’Oiseau, la Feuille persistante,
Avec le Poisson, l’Escargot qui furète,
Et l’œil qui change tout ;
Et je danse avec William Blake
Par amour, par amour de l’Amour ;
Et tout s’achemine vers l’Un,
Tandis que nous dansons encore, encore, encore.
ONCE MORE, THE ROUND
What's greater, Pebble or Pond?
What can be known? The Unknown.
My true self runs toward a Hill
More! O More! visible.
Now I adore my life
With the Bird, the abiding Leaf,
With the Fish, the questing Snail,
And the Eye altering All;
And I dance with William Blake
For love, for Love's sake;
And everything comes to One,
As we dance on, dance on, dance on.
J’ATTENDAIS
J'attendais que le vent émeuve la poussière;
Mais aucun vent ne vint.
Je semblais manger l'air.
Les insectes bruissant nivelaient l'air du pré.
Je surplombais, lourd et massif, le champ.
C'était comme si j'essayais de marcher dans le foin,
De m'enfoncer dans la moisson, à chaque pas un peu plus loin,
Ou je flottais à la surface d'un étang,
Longues lentes ondulations clignotant dans mes yeux.
Je voyais à travers l'eau toutes sortes de choses, agrandies,
Miroitantes. Le soleil brûlait à travers une brume légère.
Et moi je devenais tout ce que je voyais.
J'éblouissais dans une éblouissante pierre.
Alors un âne se mit à braire. Un lézard me fila sous le pied.
Lentement je revins vers la route poudreuse;
Il me semblait, quand je marchais, que je m'ensablais.
J'avançais comme un animal lassé de la chaleur.
J'allais sans me retourner. J'avais peur.
Le chemin se faisait plus raide entre les murs de pierre,
Puis se perdait au fond d'une gorge rocheuse.
Un sentier menait à un petit plateau.
En bas, claire, la mer, les vagues régulières,
Et tous les vents venaient vers moi. (J'étais heureux.)
I WAITED
I waited for the wind to move the dust;
But no wind came.
I seemed to eat the air;
The meadow insects made a level noise.
I rose, a heavy bulk, above the field.
It was as if I tried to walk in hay,
Deep in the mow, and each step deeper down,
Or floated on the surface of a pond,
The slow long ripples winking in my eyes.
I saw all things through water magnified,
And shimmering. The sun burned through a haze,
And I became all that I looked upon.
I dazzled in the dazzle of a stone.
And then a jackass brayed. A lizard leaped my foot.
Slowly I came back to the dusty road;
And when I walked, my feet seemed deep in sand.
I moved like some heat-weary animal.
I went, not looking back. [I was afraid.]
The way grew steeper between stony walls,
Then lost itself down through a rocky gorge.
A donkey path led to a small plateau.
Below, the bright sea was, the level waves,
And all the winds came toward me. [I was glad.]
RÉGÉNÉRÉ
Dans une main comme une coupe
Mon âme à moi dansait,
Petite comme une elfe,
A côté d'elle-même.
Quand elle pensait je pensais
Elle tombait comme blessée par une balle.
"Je n'ai qu'une aile", disait-elle,
"L'autre est morte",
"Mutilée, je ne peux voler,
Je suis comme mourir",
Criait l'âme
Depuis ma main comme une coupe.
Quand je fulminais, quand je me plaignais,
Et que ma raison faiblissait,
A cette chose délicate
Il poussait une aile nouvelle,
Et elle dansait, au milieu du jour,
Sur la poussière chaude d'une pierre,
Dans le point fixe de la lumière
De mon dernier minuit.
THE RESTORED
In a hand like a bow !
Danced my own soul,
Small as an elf,
All by itself.
When she thought I thought
She dropped as if shot.
“I’ve only one wing.”she said,
“The other’s gone dead.”
“I’m maimed; I can’t fly;
I’m like to die.”
Cried the soul
From my hand like a bowl.
When I raged, when I wailed,
And my reason failed,
That delicate thing
Grew back a new wing.
And danced, at high noon,
On a hot, dusty stone.
In the still point of light
Of my last midnight.
Traduction de Raymond Farina
Poèmes extraits de “The Collected Poems of Theodore Roethke”,
The Anchor Book edition, New York, 1975, pages 231, 232, 235,
239, 241, 243,254.
Traduction publiée avec l’aimable autorisation de la revue « Arpa »
qui l’a accueillie dans son numéro 59 de l’année 1996.
Theodor Roethke est né à Saginaw, dans le Michigan, en 1908. Il fait ses études à l’Université du Michigan et à celle d’Harvard. Il commence sa carrière au Lafayette Collège, avant d’enseigner, en 1935, au Michigan College. C’est au cours de cette année qu’il commence à souffrir d’une psychose maniaco-dépressive. De 1936 à 1943, il obtient un poste à l’Université de Pennsylvanie. C’est une période féconde, marquée par la publication de ses poèmes dans des revues prestigieuses comme Poetry, The New Republic, The Sewanee Review, the Saturday Review et par celle de son premier recueil Open House qui reçoit un accueil favorable de la critique. Nommé ensuite au Bennington College puis, à partir de 1947, à l’Université de Washington. Il épouse, en 1953, Beatrice O’Connell, une ancienne étudiante. Tous deux passent le printemps à Ischia, en Italie, dans la villa d’Auden. Puis au cours des années 55 et 56, ils voyagent à travers l’Europe, notamment en Angleterre et en Italie.
Parmi ses recueils figurent : The Lost Son and Other Poems (1948), The Long and Twisty Road (1950), The Waking pour lequel il obtient le Pulitzer, The Far Field dont son épouse assurera la publication posthume.
Outre le Pulitzer Price, il a reçu le Bollingen et deux National Book Award.
Il est mort en 1963 à l’île de Bainbridge, dans l’Etat de Washington.
21:40 Publié dans Raymond Farina, Theodore Roethke | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
14/07/2012
Francesco Marotta
Francesco
MAROTTA
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© Site Les Carnets d’Eucharis
© SOURCE PHOTO | PRIVEE
EXTRAITS
Il verbo dei silenzi
Francesco Marotta, Il verbo dei silenzi
Edizioni del Leone
Traduction de Raymond Farina
(Entre pupille et langue)
Tra pupilla e lingua
**
Erodée par l’infinité du feu
la pierre que je chante.
Seuil où s’enfonce un cri.
Eboulis d’alphabets par l’aube recueillis
dans ses silences de lumière.
Signes de fièvre
sur l’unique miroir sauvé
de l’incendie de l’ombre.
La mémoire parfois s’illumine
de ces fragiles voix
que gemme une errance de sable.
-------------------------
Erosa da infinità di fuoco
la pietra che canto.
Soglia dove si addensa un grido.
Alfabeti franati l’alba raccoglie
nei suoi silenzi di luce.
Segni di febbre
sull’unico specchio scampato
all’incendio del buio.
La memoria talvolta si illumina
di queste fragili voci
gemmate da un vagare di sabbia.
-------------------------
Paroles de sel
sur la pierre silencieuse des jours.
Un chant que remue le ressac
parmi des vagues semées d’écumes.
Parmi des lueurs incertaines.
Ici où un vers
vaut ce qu’il vit de temps
à l’insu de l’ombre
(une fleur d’aubes brûlées
façonnée sur la crête d’échos
absents)
inventer les lumières de la sentence.
La flamme est une voix en quête de demeure.
Obscur accent qui plie les cartes
de routes indéchiffrables.
-------------------------
Parole di sale
sulla pietra silenziosa dei giorni.
Un canto che muove la risacca
tra onde seminate di spume.
Tra chiarori incerti.
Qui dove un verso
è quanto del tempo vive
all’insaputa del buio
(un fiore di albe bruciate
plasmato nella creta di echi
assenti)
inventare lumi di condanna.
La fiamma è voce in cerca di dimora.
Oscuro accento che curva le mappe
di rotte indecifrabili.
-------------------------
Couleurs des syllabes
fêlées par le ressac du vent.
La mer aussi se nourrit des floraisons absentes.
Retourne à son lieu d’origine
la vague qui murmure
pétrifiée dans l’écho
comme flamme de vols déjà éteints.
Et la parole est air endurci dans les profondeurs.
-------------------------
Colori di sillabe
incrinate da risacche di vento.
Anche il mare si nutre di fioriture assenti.
Ritorna al luogo d’origine
l’onda che sussurra
pietrificata nell’eco
come fiamma di voli ormai spenti.
La parola è aria indurita nei fondali.
-------------------------
Eclats de vie
dans des livres brûlés.
Je disperse sur le sol des semences de cendres
pour que mes yeux puissent entendre.
Mes lèvres voir.
Dès que les ombres vont décroître
j’enlèverai mes mains du feu.
-------------------------
Schegge di vita
nei libri bruciati.
Spargo semi di cenere al suolo
per avere occhi che sentono.
Labbra che vedono.
A ombre appena calate
ritirerò le mani dal fuoco.
-------------------------
Fièvre subtile de la métamorphose.
Allumée sur la frontière
qui entre pupille et langue
rappelle le temps corrodé
ramifié en cercles de flamme.
L’éclair surgit de la blessure.
Parole qui devient obscure
si quand elle donne un nom au monde
toutes les choses révélées
ont déjà consumé leur plus secret visage.
-------------------------
Febbre sottile della metamorfosi.
Accesa sul confine
che tra pupilla e lingua
ricorda l’età corrosa
ramificata in circoli di fiamma.
Il lampo è sorgente di ferita.
Parola che si oscura
se nominando il mondo
alle cose rivelate
ha già bruciato il volto più segreto.
-------------------------
Le temps où demeurent les cris
est constellé de lumières
qu’assiège le silence.
Dans ce grumeau d’éclairs tourmentés
par des étoiles ayant erré sur des orbites inconnues
force ton regard
à combler l’air usurpé
afin qu’il se déploie
pour dépouiller les images
de la blanche superficie de la mort.
-------------------------
Il tempo dove dimorano grida
è costellato di luci
assediate di silenzio.
In quel grumo di lampi tormentati
di stelle erranti per orbite ignote
costringi gli occhi
a colmare l’aria usurpata
affinché si spandano
a predare di immagini
la bianca superficie della morte.
■ Fiche bio-bibliographique :
Francesco Marotta est né à Nocera Inferiore, dans la province de Salerne en 1954. Il a fait des études classiques, est titulaire d’une licence de philosophie et de lettres modernes et vit dans la province de Milan, où il enseigne la philosophie et l’histoire. Ses textes et ses traductions ont été publiés dans les revues : Alla Bottega, Portofranco, Anterem, Convergenze, Il Segnale. Parmi ses recueils figurent Le Guide del Tramonto (Firenze, 1986) ; Memoria delle Meridiane (Brindisi, 1988) ; Giorni come pietre (Ragusa, 1989) ; Alfabeti di Esilio (Torino,1990) ; Il Verbo dei Silenzi (Venezia, 1991) ; Postludium (Verona, 2003) ; Per soglie d’increato (Bologna, 2006) ; Hairesis (Milano, 2007) ; Inpronte sull’acqua (Sasso Marconi, 2008) ; Esilio di voce (Messina, 2011).
En anthologies, il a fait paraître Creature di rogo (1995) et Notizie della Fenice (1996).
Ses textes ont été traduits en allemand, par Stefanie Golisch, en albanais, par Gezim Hajdari, en français et en espagnol. Ses contributions critiques (notes, recensions, préfaces, essais) sur des auteurs contemporains (Bonnefoy, Neri, Cepollaro etc.) figurent sur la toile ou sur son blog.
Il gère l’espace web : http://rebstein.wordpress.com
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15/04/2012
Viviane Ciampi
VIVIANE CIAMPI
---------------------------------
© Les Carnets d’eucharis
EXTRAITS
Inciampi
…
CHOIX DE POEMES
Traduits de l’italien par Raymond Farina
Editions Fonopoli, 2008
(p.19,22,24,25,27,60)
6 POEMES
*
Les prés. La surprise de les voir fleuris
et l’herbe si belle
et si astucieux le désir.
Dans une rapide séquence
passe le monde entre nos doigts.
-------------------------
I prati. La sorpresa di vederli fioriti
e l’erba così bella
e così astuto il desiderio.
In rapida sequenza
Passa il mondo tra le dita.
*
Nous portons en nous l’éphémère
Le trait imprécis
les humeurs
l’amour
le choix lexical
l’implication cérébrale.
La question serait
où allons-nous maintenant, où
avec nos yeux privés des couleurs ?
Mais nous voici déjà pensant au lendemain
d’un temps post-humain
à la formule secrète
pour y entrer.
-------------------------
Portiamo in noi l’effimero
il tratto impreciso
gli umori
l’amore
la scelta lessicale
l’implicazione cerebrale.
la domanda sarebbe
dove andiamo ora, dove
tolti gli occhi dal colore ?
Ma ecco che già pensiamo al domani
del tempo post-umano
alla formula segreta
per entrarvi.
*
Dans la musique des répétitions
chaque action nourrit
l’action qui la suit.
Le monde paraît bon.
Le monde paraît chargé de sens.
On met la main sur le feu
pour éteindre la violence.
L’espérance s’allume
prend racine comme une plante
peu importe si c’est maintenant
demain ou dans une autre ère.
-------------------------
Nella musica delle repetizioni
Ogni azione nutre
l’azione seguente.
Il mondo appare buonpo.
Il mondo appare carico di senso.
Si mette la mano sul fuoco
per spegnere la prepotenza.
La speranza s’accende
mette radici come una pianta
non importa se ora
domani o in altra era.
*
Dans le silence
une main se pose sur notre épaule
à moins qu’il ne s’agisse
d’une erreur de perception.
Inutile de se tourner pour voir
le soleil nous aveugle.
La blancheur des marbres nous étourdit.
-------------------------
Nel silenzio
Una mano si posa sulla spalla
o forse trattasi
d’un errore di percezione.
Inutile voltarsi a guardare
Il sole acceca.
Il biancore dei marmi stordisce.
*
Comment se soustraire aux évènements
au gris qui transparaît
dans le temps de l’histoire ?
Lui ne craint rien
il sait bien
que nous arrivons.
Un pas. Un autre.
S’inclinent les peupliers
dans le jeu de les compter.
L’ongle
des jours
se décompose
à une telle vitesse.
-------------------------
Come sottrarsi agli eventi
al grigio che traspare
nei tempi della storia ?
Lui non teme niente
lo sa
che arriviamo.
Un passo. Un altro.
Si flettono i pioppi
nel giocco di contarli.
L’unghia
dei giorni
si decompone
a una tale velocità.
*
Dans les pensées abyssales
dans le ciel intérieur
on joue aux dés
avec l’ange de l’ironie
puisque la grâce
se met à vivre chaque jour
au-dedans au dehors du murmure.
La grâce chaque jour
par principe
d’une montagne tombe
et puis renaît.
-------------------------
Nei pensieri abissali
nel cielo interno
si gioca a dadi
con l’angelo dell’ironia
poiché la grazia ogni giorno
si fa viva
dentro fuori il mormorio.
La grazia ogni giorno
per principio
da una montagna cade
e poi rinasce.
■ ■ ■ Née à Lyon, en 1946, Viviane Ciampi vit et travaille à Gênes. Auteur de plusieurs recueils :
Domande Minime Riposte (Ed. Le Mani-Microart’s, 2001), La Quercia e la Memoria (Ed. Il Ponte vecchio- Faenza, 2004), Pareti e famiglie (Ed. liberodiscrivere, 2006), Inciampi (Ed.Fonopoli, 2008), Le ombre di Manosque (Ed. Internos, 2011)
Elle a également traduit des essais de Bernard Noël et prochainement un article critique sur l'œuvre de la grande poète ligurienne Elena Bono dans Poesia e Spritualità, la revue internationale de Donatella Bisutti ; une anthologie des poèmes d’Alda Merini dans la revue annuelle Inuits dans la Jungle (Ed. Le Castor Astral) ; et, plus récemment, l’anthologie Poeti del Québec (Edizioni Fili d’aquilone, 2011).
Anterem, Vernice, Poesia e natura, Marea, Issimo, Nuovo Contrappunto, L’Agave, Il Grande Vetro, Aprile, Corrente Alternata, Almanacco del ramo d’oro, Poeti e Poesia -, ils ont été traduits en français et accueillis dans des revues françaises et canadiennes telles que Poésie première, Rehauts, Recueils, Aujourd’hui Poème, Autre Sud, Estuaire, Arcade.
Rédactrice des revues Icare et Fili d’aquilone et co-fondatrice de la revue d’art et de culture en ligne Progetto Geum, elle collabore depuis 1998, comme traductrice, interprète et lectrice au Festival International de Poésie de Gênes.
■ Sites
■
■ AUTRES SITES A CONSULTER
MOUVANCES (Revue Art&Littérature de Claudine Bertand)
Extraits de :
&
VDBD – Viadellebelledonne
http://viadellebelledonne.wordpress.com
17:16 Publié dans Raymond Farina, Viviane Ciampi | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
02/02/2012
Mariella Bettarini
MARIELLA BETTARINI
---------------------------------
© Les Carnets d’eucharis
EXTRAITS
La paix/La pace
L’amour/L’amore
…
CHOIX DE POEMES
Traduits par Raymond Farina
■ TELECHARGER
MARIELLA BETTARINI_Les carnets d'eucharis.pdf
asimmetria
Editions Gazebo, 1994
blanche
légère
blanche
o toi visiteuse lasse jamais lasse de tomber
légère dentelle
givre gelé sur la tête
o toi vieille enfant qui discours en silence
qui files des fables gelant
les pointes des géraniums
des fleuves mettant des glaçons
à la queue des bergeronnettes
aux pupilles des cygnes blancs
toi grâce à qui lève le pain
qui élèves tous ces petits bonshommes hérissés
à l'air interrogateur
délivres des clameurs (muette)
me sembles silencieuse
parente de la lune
éteignant splendide les feux
toi qui n'as ni pieds ( ni habits )
toi qui fais taire excites changes
resplendis effraies réjouis
neige
tu t'appelles c'est bien légèreté
on devrait t'appeler
blancheur gracieuse pureté
grâce et douleur
infiniment blanche disgrâce
sorcière aux jambes de verre
souveraine
de l'hiver et - ce matin - prodigue prodige
et funérailles des petits moineaux.
-------------------------
Bianca
leggerra
bianca
o tu stanca visitatrice mai stanca di cadere
leggera trina
ghiacciata brina sul capo
o tu vecchia bambina che discorri in silenzio
che fili fole che gelano
le punte dei gerani
fiumi che mettono ghiaccioli
alle code delle cutrettole
alle pupille dei bianchi cigni
tu che lieviti pane
che allevi tanti piccoli ometti irti
interrogativi
che allevii dai clamori (zitta)
silenziosa mia parvente
parente della luna
splendida spegnitrice di fuochi
tu che non hai piedi (non hai vesti)
tu che zittisci accendi muti
risplendi sbigottisci rallieti
neve
tu chiami ma bene levità
dovrebbero chiamarti
candidezza nitore gratuità
grazia e dolore
bianchissima disgrazia
strega con le gambe di vetro
padrona
dell'inverno e – stamani – pròdigo prodigio
e funerale di passerotti
la scelta/la sorte
Editions gazebo, 2001
LA PAIX
**
si tu ne te soucies pas de l'alpha et n'aspires pas
à l'oméga
si tu couves une anxiété mais en semblant
léger - rieur
si tu vis dans l'inquiétude
le jour et dans la quiétude la nuit
si un conflit t'enflamme
(pourpre) et si un principe
t'éteint
si d'une dispute tu t'inondes
mais sans paraître préoccupé
et saisi de frayeur.
Si une dissension - un tourment
agacent sans agacer - mordent sans coup férir
peut-être que la paix va s'installer au fond de l'oeil -
à l'intérieur du corps du corps - la grande paix (oui - celle-là)
s'est déjà installée - s'installe
-------------------------
LA PACE
**
se non curi l'alfa e non ambisci
all'omega
se covi ansia ma come
leggero – ridente
se dimori in un'inquietudine
solare e in una quiete notturna
se un conflitto t'accende
(purpureo) e un principio
ti spenge
se d'una disputa t'allaghi
ma non come preso
e in spavento
se un dissidio – un tormento
alterano senza alterare – mordono senza colpo ferire
forse la pace s'installerà nell'oculo fondo -
entro il corpo del corpo – la grande pace ( sì – quella)
s'è già installata - s'installa
L'AMOUR
**
c'est une rose des vents: depuis un centre immobile
irradient toutes (et chacune) les possibles déjections
des bouffées de vent - de la brise - des mistrals -
dispersion est le long sommeil dont les amants
dorment éternels dans leurs bras
(dans les bras des vents) portant les évènements sur leurs bras
comme ces enfants que nous avons été
et que nous confions aux bras de l'amour
pour que ce soit lui qui les allaite - lui qui les endorme
(les allaite - les endorme) maintenant que les mères
sont de vieux oisillons - petits oiseaux ridés - effrayés
déchirés que nous devons bercer
c'est d'autre part (l'amour)
une large roue - une feuille ronde qui tourne comme un manège
où nous regardons étonnés le monde:
aimant est celui qui tourne dans ce joyeux panorama - qui ne change pas
d'aspect comme les lamelles
d'un kaléidoscope
c'est (l'amour) une pie en liberté
un volatile estropié
il a la forme d'une faux
(et coupe l'herbe maternelle) et la forme d'un faucon
auquel on donne (pour avoir la vie sauve) de petits miroirs
amulettes échangées
puisque l'amour
est un autre ciel où personne ne boit ni mange - personne
ne dort - personne ne reconnaît personne - les yeux
sont des instruments pour marcher - les jambes regardent - les mains
sourient - le muscle strié pense - le cerveau est sensible
à certaines musiques qui le font flotter dans l'humidité des feuillages
pendant que le cortex lance ses éclairs - fertiles omissions
rendements opulents - pauses à effrayer les oiseaux
puisque l'amour est
un toucan mécanique - un pélican gras -
un koala laconique - une petite aigrette huppée
foin
et semailles
maître farouche et affranchi solennel -
champs et encore champs d'herbe -
latence sourde et rareté aveugle - parole muette
et déambulation boiteuse - toujours
trop d'un trop - toujours "au delà"...
-------------------------
L'AMORE
è una rosa dei venti : da un centro immobile
irradiano tutte (e ognuna) le possibili deiezioni
dei refoli – della brezza – dei maestrali -
disseminante è il lungo sonno per cui gli amanti
dormono perenni nelle braccia di sé
(in braccio ai vènti) sostenendo eventi sulle braccia
e che diamo in braccio all'amore
perché li allatti lui – perché li addorma
(li allati – li addorma) ora che le madri
sono vecchi spaventi – uccellini rugosi – dimidiati
nidiacei da noi cullare
è poi (l'amore)
una larga ruota – una foglia rotonda che gira come giostra
dove stiamo il mondo a rimimare :
amante è colui che gira il lieto panorama – che ne muta
il sembiante come vetrini
d'un caleidoscopio
è (l'amore) una gazza libera
un attrato volatile
ha una forma di falce
(e sega tutta l'erba maternale) e una forma di falco
cui donare (per la vita salvata) specchietti -
amuleti da scambio
poiché l'amore
è un altro cielo dove nessuno mangia e beve – nessuno
dorme – nessuno riconosce nessuno – gli occhi
sono strumenti per camminare – le gambe guardano – le mani
sorridono – il muscolo striato pensa – il cerebro avverte
certe musiche che lo fanno galleggiare nell'umido del fogliame
mentre la corteccia manda lampi – omissioni feraci
opulente rese – pause da spaventare gli uccelli
poiché l'amore è
un tucano meccanico – un pellicano grasso -
un koala laconico – una garzetta col ciuffo
fieno
e seminagione
bieco padrone e solenne liberto -
campi e poi campi d'erba -
latenza sorda e cieca rarità – muto loquire
e deambulare zoppo – sempre
troppo d'un troppo – sempre « in là »...
Traduit de l’italien par Raymond Farina
■ ■ ■
Mariella Bettarini est née en 1942 à Florence, où elle vit et travaille. Collaborant à des revues et des journaux, elle participe au débat culturel sur le rapport de la culture à la société. Elle est l’auteur de nombreux recueils publiés et traduits dans plusieurs langues, ainsi que d’ouvrages en prose :
"Storie d'Ortensia" (Ed.delle Donne,Rome,1978), "Psycographia" ( Gammalibri, Milan, 1982 ), "Amorosa persona" ( Gazebo, Florence,1989, Lettera agli alberi. (Lietocolle,Faloppio,1997), "L'albero che faceva l'uva" ( Gazebo, Florence, 2000) et de plusieurs essais parmi lesquels figurent "Pasolini tra la cultura e le culture"(Gammalibri,Milan,1976),"Donne e poesia" in "Poesia femminista italiana"(Savelli, Roma,1978),"Felice di essere"(Gammalibri,Milan,1978) et "Chi è il poeta?" (en collaboration avec Silvia Batisti,Gammalibri, Milan 1980).
Elle est rédactrice en chef de la revue florentine L'area di broca.
■ Site officiel de Mariella Bettarini
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01/09/2011
Raymond Farina - Présentation de son oeuvre poétique
Raymond Farina
---------------------------------
© Les Carnets d’eucharis
EXTRAITS
Virgilianes
Anecdotes
Une colombe une autre
Eclats de vivre
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VIRGILIANES
Ed. Rougerie, 1986
[…]
XXV
Oui ma mémoire
est toi mésange
qu’hier chuchote
dans la laine de l’arbre
soupçon de plumes
sur l’hiver vif
- ô virtuelle –
mendiant la vie
derrière la vitre
quand moi je n’ai
rien que Virgile
quelques miettes
-------------------------
[…]
XXX
le merle jaillit
multiplie
les jardins sonores
par la fenêtre
Mozart s’envole
tous les lieux
tombent dans l’oubli
musique ô territoire
insensé
je laisserais pour toi
mon apparence grave
si les mots
ne mendiaient
ma voix
-------------------------
Extrait Le conte d’été
[…]
XIX
quel invisible
ô quel extrême violoncelle
fait musique de nous
au bord de cette rumeur d’arbres
c’est dans Schubert
ou dans juillet
entre deux vagues
ou deux élans
une chambre de laine
où semble que
s’achève en une
haleine
la vie
---------------------------------
ANECDOTES
Ed. Rougerie, 1988
Anecdotes I (à Margherita Guidacci)
[…]
4
devant les murs blancs
attendent les chiens
et les fables fidèles
nous n’avons
que les yeux des absents
pour scruter
la détresse des choses
sous nos paupières
le sommeil réveille
l’instant violent qui vint
délier l’oiseau de leur cou
l’énigme qui disperse
lettre après lettre
l’alphabet de l’ange
-------------------------
Sagesse de Klee (à Horst Egon Kalinowki)
[…]
8
qui dis-moi porte encore
le deuil de l’hirondelle
qui répond au désert
venu chercher son sens
dans le sommeil de l’homme
mais qui d’autre que toi
sait encore
que ni visible
ni invisible
la vérité s’écoute
quand la tête
est comme
un verger
-------------------------
Soliloque (à Yves Bergeret)
[…]
3
rien à léguer
ni dogmes ni mystères
ni reliques ni prophéties
ni royaume ni paradis
rien que
le bégaiement
d’inoffensives phrases
une vie
encore
virtuelle
-------------------------
Anecdotes III (à Michel)
[…]
et parfois
une fable me parle
de quelqu’un
qui s’adosse au blanc
du vieil ulysse
devenu sourd
au concert des cigales
de l’archipel éteint
et des sirènes mortes
du monde
qui grince dans le noir
son dernier quatuor
---------------------------------
UNE COLOMBE UNE AUTRE
Editions des Vanneaux, 2006
[…]
Huppe ô très ancien érudit
huppe munie de ton calame
portant sur la tête ce pschent
ou ce soleil que tu déploies
- comme on fait avec l’éventail –
Tu m’apparais loin dans l’enfance
hyperascétique exégète
bien plus attentif au symbole
qu’aux heures sensibles des choses
qu’à leur syntaxe vive & fraîche
La vieille fable que tu sais
en moi réveille cette image
d’un oiseau couleur de cannelle
aux ailes finement fasciées
instruit d’étranges symétries
dans les paysages du Texte
sachant le Kérigme du Livre
& donnant mémoire & sagesse
A celui qui mange son cœur
(p.22)
-------------------------
[…]
Courbes & figures nouvelles
s’esquissent vont se précisant
au cours de la leçon visible
d’une discipline inconnue
- mi-magie mi-topologie –
parfois s’effacent aussitôt
parfois persistent se dilatent
s’allongent se déploient au loin
en d’imprévisibles cénèses
ou se resserrent se contractent
autour de quelque point
mobile & invisible
(p.30)
---------------------------------
ECLATS DE VIVRE
Editions Dumerchez, 2006
[…]
Que faire maintenant
de tous ces graffiti
des adieux encombrants des choses
des oiseaux des hasards
désormais interdits
dans cette cruauté d’horloge
& à l’enfant seul comme une île
- à son effroi & à sa soif –
quel sésame quel schiboleth
quelle chose apaisante & douce
quel bienveillant symbole
laisser
si l’on n’a plus que l’art
de questionner l’écho
de voler au reflet
ce qu’il sait du parfait
aux maisons envolées
le secret d’habiter
& à la nostalgie
la vérité d’ici
comme un vieux ciel dément
cherchant parmi ses bleus
celui vif & vital
perdu dans son fouillis d’oiseaux
dans son trouble passé d’orages
(p.11)
-------------------------
Chairs en festons
au grand soleil
charniers que hument
lunes & vents
fumées
que happe le néant
Sorts que lâche le noir
Morts que mâche la terre
si près du ciel des radicelles
qui boivent leur prière
Sommeil effrayé
sur les seuils
Portes forcées
Pires que loups
& bien moins qu’hommes :
ceux qui égorgent
& qui éventrent
tout ce qui dans l’ombre respire
Afflux de fange dans leur cœur
fleuve de sang dans leur sillage
thrène des mères qui devient
cette ample douleur animale
cette haine infinie
où les noms
perdent leur soleil
(p.12)
-------------------------
Ceci n’est qu’un ceci
tout & à peu près rien
à moins qu’il ne recrée
la claire circonstance
où ceci deviendrait
une chose précise
A moins que ne renaissent
le moment & le lieu
où ce fruit cette fleur
ce ciel ou cette épice
n’exigeaient pas de nom
les conditions du rite
qui le recommençait
aux marges de l’Insignifiable
& le faisait fragment du monde
moment intense de son souffle
de son sang pulsation secrète
faisait de lui cette saveur
de miel ou d’acacia
de menthe ou de cannelle
que sa langue apprenait
ou ce grain de soleil
scintillante allégresse
qu’écartaient les abeilles
accablées de pollens
ce jasmin souverain
dans son jardin arabe
ce bleu regard au fond du bleu
qui tendrement suivait
l’insensée trajectoire
de quelques oiseaux suicidaires
(p.33/34)
-------------------------
Si le feu absolu consumait toute chose
il se pourrait que notre corps
après le grand embrasement
gardât mémoire encore
de l’eau de l’air & de la terre
Dans ce désert de cendres
en l’absence de formes
de sons & de saveurs
une apparence appellerait
& nous pourrions peut-être
traversant la forêt confuse des fumées
démêler ce qu’il reste de parfums indécis
ranimer quelques noms
qui sauraient nous mener
aux choses impatientes
sous ces pollens de mort
de tout recomposer
de nous rendre le monde
(p.45)
-------------------------
Chevaux royaux
& chiens esclaves
tourterelle
ponctuant midi
tout au fond
de ton arbre gris
petites têtes chantonnant
dans la constellation
des oranges
vous êtes du Labyrinthe
œuvrant parmi les mots
de celui qui vous chante
avec sa tribu
son désert
bien qu’il ait perdu
son Orient
chez un peuple de somnambules
ne sachant que faire
pour sauver
sa voix déjà presque effacée
cette citation
nostalgique
de son élégie d’origine
où neige encore
le Moyen Age
de l’inconsolable écolier
(p.53/53)
Bio/Bibliographie
■ ■ ■
Raymond Farina Né en 1940. A résidé à Alger, Avignon, Bangui, Casablanca, Dinard, Draguignan, Nîmes, Rodez, Safi, Saint Dié, Saint Malo, Saintes. Vit à Saint-Denis de la Réunion (Ile de la Réunion) depuis 1990. Etudes Supérieures de Philosophie à l'Université de Nancy.
Bourse de création du Centre National des Lettres en 1981.
PUBLICATIONS EN REVUES
Ses poèmes ont été publiés dans les revues "Arpa" (Clermont-Ferrand), "Création"(Paris),«Contre-allées» (Montluçon), "Diérèse" (Ozoir-la-Ferrière), "Europe"(Paris), "Les Cahiers de Poésie-Rencontres" (Lyon), "La Barbacane"(Fumel), "La Nouvelle Revue Française" ( Paris ), «Le Coin de Table»(Paris ), "Les Cahiers Bleus" (Troyes), «Les Citadelles» (Paris), "Lieux d'Etre" (Marcq-en-Baroeul), « Linea » (Paris), "Poémonde" (Paris), "Multiples" (Longages ) , "Po&sie" (Paris) , « Poésie/première» (Ispoure), "Poésie Présente" (Mortemart), Poésie 1" (Paris), "Poésie 97" (Paris), "Racines"(Boigny), "Vagabondages"(Paris), «Verso » (Lyon).
Ils ont été traduits en anglais, allemand, espagnol, italien, portugais et roumain, et publiés :
-en Allemagne : dans les revues "Décision" (Bielefeld, 1997), "Die Zeit der Baüme" (Berlin, 1997),"Rabenflug" (Wiesbaden, 1997 & 1999).
-en Angleterre : dans la revue "Poetry & Audience" (Université de Leeds, Leeds, 2000).
-en Belgique : dans les revues "Archipel" (Anvers, 1999), "Le Journal des Poètes" ( Bruxelles, 1981, 1983, 1989, 1997 , 1998 & 2004), "Le Spantole" (Thuin, 1982) & "Marginales" (Bruxelles, 1981).
-au Canada : dans la revue « Les Ecrits » (Montréal, 2008).
-en Espagne : dans les revues "Álora" (Malaga, 2002) ,"Arboleda" (Palma de Majorque, 1997), "Poesia Por Ejemplo" (Madrid, 1998-1999) & "Turia" (Teruel, 2002).
-en Italie : dans les revues "Caffè Michelangiolo" (Florence, 2000 , 2004 & 2007) , "Hebenon" (Turin, 1999), "Hyria" (Naples, 1998), "Il Foglio Clandestino" (Milan, 1996 & 2001), "Il Foglio Volante" (1997), "L'immaginazione” (Lecce, 1999 ) , "Il Maiakovskij" ( Varèse, 1997 ) , "L'area di Broca" ( Florence, 1998-1999), "L'Ortica" (Forli, 1999 & 2000), "Le Voci della Luna" (Bologne, 2000), "Lo Specchio"( Turin , 1998), "Pagine" ( Rome, 1997, 2001 & 2007 ), "Semicerchio" (Florence 2003), "Tratti" ( Faenza, 2000).
-au Luxembourg : dans la revue "Les Cahiers Luxembourgeois"
(Luxembourg, 1996).
-au Portugal : dans la revue "Bumerangue" (Guimaraes, 1998), "Saudade" (Amarante, 2002).
-en République Tchèque : dans la revue "The Prague Revue" (Prague, 2000).
-en Roumanie : dans les revues "Amphion" (Constanza, 1999 & 2000), « Euphorion » (Sibiu, 2009), "Steaua" (Cluj, 1997, 1998 & 2000), "Tomis" (Constanza, 2000).
-en Suisse : dans les revues "Ecriture" (Lausanne, 1997), "La Revue de Belles Lettres" (Genève, 1980, 1997, 2000, 2003, 2008& 2009).
-aux USA : dans les revues "Chelsea" ( New York, 1998 & 2000), « Great River Review« (Red Wing, Minnesota, 2005), "International Poetry Review"(Greensboro, Université de Caroline du Sud, 1998 & 2002),"Osiris" (Deerfield, Masachussets, 1998) & «New Hampden-Sydney Poetry Review » (Hampden-Sydney College, Virginie, 2008).
RECUEILS
Mais, A.V.E.C, Draguignan, 1979.
La prison du ciel, Editions Rougerie , Mortemart , 1980 .
Le rêve de Gramsci, Editions J.M. Laffont, Lyon, 1981 (Ouvrage publié avec le concours du Centre National des Lettres).
Les lettres de l'origine, Collection "La petite sirène", Editions Temps Actuels, Paris, 1981 (Ouvrage publié avec le concours du Centre National des Lettres).
Archives du sable, Editions Rougerie , Mortemart, 1982.
Bref, Editions Les Cahiers du Confluent, Montereau, 1983 (publié avec le concours du CNL).
Fragments d'Ithaque, Editions Rougerie, Mortemart, 1984 (publié avec le concours du CNL).
Pays, Editions Folle Avoine, Le Housset, 1984 (avec le concours du Centre National des Lettres).
Virgilianes, Editions Rougerie, Mortemart, 1986.
Anecdotes, Editions Rougerie, Mortemart, 1988, (avec le concours du Centre National des Lettres).
Epitola posthumus, Editions Rougerie, Mortemart, 1990 (Prix "Thyde Monnier" attribué par la Société des Gens de Lettres de France en mai 1991).
Anachronique, Editions Rougerie, Mortemart, 1991 (avec le concours du Centre National des Lettres).
Sambela, Editions Rougerie, Mortemart, 1993 .
Ces liens si fragiles, Editions Rougerie, Mortemart, 1995 (avec le concours du Centre National des Lettres).
Exercices, Editions "L'Arbre à Paroles", Amay (Belgique), 2000 (Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre).
Italiques, I Quaderni della Valle, anthogie bilingue, traduction en italien d'Emilio Coco, 2003
(reédition en ebook dans les “Quaderni di Traduzioni”, IX, La dimora del tempo sospeso, septembre 2011– rebstein.files.wordpress.com/2011 //09/raymond-farina-italiques1.pdf)
Fantaisies, Editions « L’Arbre à Paroles », Amay (Belgique), 2005.
Une colombe une autre, Editions des Vanneaux, 2006 (Ouvrage publié avec le concours du CNL, du Ministère de l’Outre-Mer et du Conseil Général de l’Oise).
Eclats de vivre, Editions Bernard Dumerchez, 2006 (Ouvrage publié avec le concours du CNL).
TRADUCTIONS
de poètes américains, espagnols, italiens et portugais publiés notamment dans les revues Arpa, Diérèse, Europe, La RBL, La Barbacane, Le Journal des Poètes, Po&sie, Testo a Fronte, Poetry Ireland Review :
Sophia de Mello Breyner Andresen, Antonella Anedda, Vincenzo Anania, Davide Argnani, Louis Armand, Maria Victoria Atencia, Mariella Bettarini, Peter Boyle, Fiama Hasse Pais Brandao, Casimiro de Brito, Ciaran Carson, Analisa Cima, Emilio Coco, Luis Alberto de Cuenca, E.E. Cummings, Susanne Dubroff, Gianni d'Elia, Flavio Ermini, Richard Foerster, Louise Glück ,Kevin Hart, Richard Howard, Margherita Guidacci, Clara Janés, Nuno Judice, Galway Kinnell, Vivian Lamarque, Rosa Lentini, Denise Levertov, Heather McHugh, Valerio Magrelli, Derek Mahon, Roberto Marchi, Piera Mattei, William Stanley Merwin, Ana Maria Navales, Carlos Nejar, Alexandre O'Neill, Antonio Osorio, Alfredo de Palchi, Linda Pastan, Ezra Pound, Antonio José Queiros, Giovanni Raboni, Tiziano Rossi, Theodor Roethke, Jerome Rothenberg, Vittorio Sereni, Jaime Siles, Wallace Stevens, Osias Stutman, Joë Wenderoth, Bruno Zambianchi, Andrea Zanzotto.
■ Présence sur les sites, blogs et revues en ligne
Le Printemps des Poètes (Poéthèque)
http://www.printempsdespoetes.com
Maison des Ecrivains et de la Littérature
Terre à ciel
Guy Allix
http://guyallix.art.officelive.com/RaymondFarina.aspx
« Revues-Littéraires »
http://revues-litteraires.com/articles.php?lng=fr&pg=117
Jacques Basse –poète « 6 ANTHOLOGIE POETES
Terres de femmes :
http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2011/08/raymond-farina-que-faire-maintenant.html
Les carnets d'eucharis :
L’area di Broca
http://www.emt.it/broca/farina.html
Sagarana
http://www.sagarana.it/rivista/numero12/poesia8.html
Porosidade eterea
http://porosidade-eterea.blogspot.com/2009/03/hoje-e-dia-mundial-da-poesia.html
Gattivi Ochja
http://gattivi-ochja.blogspot.com/2011/05/raymond-farina.html
La Dimora del Tempo Sospeso
http://rebstein.wordpress.com/2011/O8/13/la-sapienza-delle-sabbie
http://rebstein.wordpress.com/2011/09/01/italiques
http://rebstein.files.wordpress.com/2011/08/rencontre-avec-raymond-farina.pdf
http://rebstein.files.wordpress.com/2011/08/raymond-farina.pdf
Fili d'aquilone
http://www.filidaquilone.it/num023ciampi.html
Semicerchio
http://www.unisi.it/semicerchio/upload/farina.htm
Estudio Raposa>>Palabras de Ouro
■ CARNETS D’EUCHARIS N°30
© Nathalie Riera – nathalieriera@live.fr
17:25 Publié dans Raymond Farina | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook