Wallace Stevens - Choix de poèmes traduits par Raymond Farina (18/09/2013)
WALLACE STEVENS
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©Poésie
© Photo : Bettmann/Corbis | http://www.nybooks.com/
Wallace Stevens, early 1950s
POÈMES CHOISIS
BOURGEOIS DE LA PETITE MORT / BURGHERS OF PETTY DEATH
ANGLAIS MORT A FLORENCE
ESTHÉTIQUE DU MAL (extrait) / ESTHÉTIQUE DU MAL (Excerpt)
LE VENT TOURNE / THE WIND SHIFTS
CARTE POSTALE DU VOLCAN / A POSTCARD FROM THE VOLCANO
LE MONDE COMME MEDITATION / THE WORLD AS MEDITATION
DE LA POESIE MODERNE / OF MODERN POETRY
UN PLAT DE PECHES EN RUSSIE / A DISH OF PEACHES IN RUSSIA
CHATEAU GALANT / GALLANT CHATEAU
CONNOISEUR DU CHAOS / CONNOISSEUR OF CHAOS
CHRONIQUE DE L'HOMME QUELCONQUE / PAISANT CHRONICLE
…
Traduit de l’anglais par Raymond Farina
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■ Sur le site Les Carnets d’Eucharis
Wallace Stevens
Poèmes traduits par Raymond Farina
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(BOURGEOIS DE LA PETITE MORT)
Ces deux là près du mur de pierre
Sont un léger fragment de mort.
L’herbe est encore verte.
Mais c’est une mort totale,
Une dévastation, une mort vraiment haute
Et profonde, couvrant toute surface,
Envahissant l’esprit.
Les voilà les petits citadins de la mort,
Un homme et une femme,
Semblables à deux feuilles
Qui restent attachées à l’arbre,
Avant que l’hiver gèle et qu’il devienne noir –
Vraiment haute et profonde
Sans aucune émotion, un empire de calme,
dans lequel une ombre épuisée,
Portant un instrument,
Propose, pour finir, une musique blanche.
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(BURGHERS OF PETTY DEATH)
These two by the stone wall
Are a slight part of death.
The grass is still green.
But there is a total death,
A devastation, a death of great height
And depth, covering all surfaces,
Filling the mind.
These are the small townsmen of death,
A man and a woman, like two leaves
That keep clinging to a tree,
Before winter freezes and grows black-
Of great height and depth
Without any feeling, an imperium of quiet,
In which a wasted figure, with an instrument,
Propounds blank final music.
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(ANGLAIS MORT A FLORENCE)
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Il se retrouvait un peu moins chaque printemps.
La musique déjà lui faisait défaut. Même Brahms,
Son grave démon familier, marchait souvent à l’écart.
Son esprit devenait incertain de la joie
Certain de son incertitude, dans laquelle
Ce grave compagnon le laissait inconsolé
A des souvenirs qui le rendaient presque toujours à lui-même.
Ce n’est que la dernière année qu’il dit que la lune nue
N’était pas celle qu’il avait l’habitude de voir, de sentir
(Dans les pâles harmonies de lune et d’humeurs
Quand il était jeune), la lune nue et lointaine,
Brillant plus faiblement au fond d’un ciel plus sec.
Sa pâleur colorée devenait cadavérique.
Il cultivait sa raison, exerçait sa volonté,
Avait parfois recours à Brahms à la place
De la parole. Il était cette musique et lui-même.
Ils étaient parcelles d’ordre, une unique majesté.
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul.
A la fin il se levait avec l’aide de Dieu et de la police,
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul.
Il se soumettait à cette unique majesté;
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul,
Lorsque être et jouir d’être semblaient ne faire qu’un,
Avant que les couleurs ternissent et rapetissent.
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(ANGLAIS MORT A FLORENCE)
A little less returned for him each spring.
Music began to fail him. Brahms, although
His dark familiar, often walked apart.
His spirit grew uncertain of delight,
Certain of its uncertainty, in which
That dark companion left him unconsoled
For a self returning mostly memory.
Only last year he said that the naked moon
Was not the moon he used to see, to feel
(In the pale coherences of moon and mood
When he was young), naked and alien,
More leanly shining from a lankier sky.
Its ruddy pallor had grown cadaverous.
He used his reason, exercised his will,
Turning in time to Brahms as alternate
In speech. He was that music and himself.
They were particles of order, a single majesty:
But he remembered the time when he stood alone.
He stood at last by God’s help and the police;
But he remembered the time when he stood alone.
He yielded himself to that single majesty;
But he remembered the time when he stood alone,
When to be and delight to be seemed to be one, Before the colors deepened and grew small.
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(ESTHÉTIQUE DU MAL)
extrait
XII
Il ordonne le monde en deux catégories :
Celui qui est peuplé, celui qui ne l’est pas.
Dans les deux, il est seul.
Mais il y a, dans le peuplé,
Outre ses habitants, le savoir qu’il a d’eux.
Et dans le dépeuplé, ce qu’il sait de lui-même.
Quel est le plus désespéré dans les moments
Où son vouloir exige que ce qu’il pense soit vrai ?
Est-ce lui-même en eux qu’il connaît ou bien eux
En lui-même ? Si c’est lui-même en eux, ils n’ont
Point de secret pour lui. Et si c’est eux en lui,
Il n’a point de secret pour eux. Car ce qu’il sait
D’eux et de lui détruit chacun de ces deux mondes,
Sauf quand il s’en évade. Etre seul c’est pour lui
Etre dans l’ignorance et d’eux et de lui-même.
Cela en crée un troisième sans connaissance,
Où personne ne cherche, où le vouloir n’exige
Rien et accepte tout ce qui passe pour vrai,
Y compris la douleur, qui, autrement est feinte.
Dans le troisième monde, alors, pas de douleur. Oui, mais,
Quel amant en ressent dans de tels rocs, quelle femme,
Même si on la connaît, tout au fond de son cœur ?
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(ESTHÉTIQUE DU MAL)
Excerpt
XII
He disposes the world in categories, thus :
The peopled and the unpeopled. In both, he is
Alone. But in the peopled world, there is,
Besides the people, his knowledge of them. In
The unpeopled, there is his knowledge of himself.
Which is more desperate in the moments when
The will demands that what he thinks be true?
It is himself in them that he knows or they
In him? If it is himself in them, they have
No secret from him. If it is they in him,
He has no secret from them. This knowledge
Of them and of himself destroys both worlds,
Except when he escapes from it. To be
Alone is not to know them or himself.
This creates a third world without knowledge,
In which no one peers, in which the will makes no
Demands. It accepts whatever is as true,
Including pain, which, otherwise, is false.
In the third world, then, there is no pain. Yes, but
What lover has one in such rocks, what woman,
However known, at the centre of the heart ?
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XIII
Il se peut qu’une vie soit la sanction d’une autre
Comme celle d’un fils pour celle de son père.
Mais cela ne concerne que les seconds rôles.
C’est une tragédie fragmentaire
Au sein du tout universel. Le fils,
Le père aussi, ont fait leur temps, pareillement,
L’un et l’autre, en vertu de la nécessité d’être
Soi-même, de l’inaltérable nécessité
D’être cet inaltérable animal.
Cette puissance de la nature en action est la tragédie
Majeure. C’est le destin sûr de lui,
Le plus jubilant ennemi. Et il se peut
Que, dans son cloître méditerranéen, un homme
étendu, libéré du désir, établisse
Le visible, une zone de bleu et d’orange
Dont changent les couleurs, établisse un moment
Pour contempler la mer, simulacre du feu, et l’appelle le bien,
Le bien suprême, sûr de la réalité
De la plus longue méditation, du maximum,
De la scène de l’assassin. Le mal dans le mal est
Relatif. L’assassin se dévoile lui-même,
la force qui nous détruit est dévoilée dans
Ce maximum, une aventure à endurer
Dans l’impuissance la plus polie. Mais oui !
On sent son action circuler dans nos veines.
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XIII
It may be that one life is a punishment
For another, as the son’s life for the father’s.
But that concerns the secondary characters.
It is a fragmentary tragedy
Within the universal whole. The son
And the father alike and equally are spent,
Each one, by the necessity of being
Himself, the unalterable necessity
Of being this unalterable animal.
This force of nature in action is the major
Tragedy. This is destiny unperplexed,
The happiest enemy. And it may be
That in his Mediterranean cloister a man,
Reclining, eased of desire, establishes
The visible, a zone of blue and orange
Versicolorings, establishes a time
To watch the fire-feinting sea and calls it good,
The ultimate good, sure of a reality
Of the longest meditation, the maximum,
The assassin’s scene. Evil in evil is
Comparative. The assassin discloses himself,
The force that destroys us is disclosed, within
This maximum, an adventure to be endured
With the politest helplessness. Ay-mi!
One feels its action moving in the blood.
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