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30/11/2011

Note(s) - Eric Bourret (photographie) Henri Maldiney (philosophie)

 

Note(s) Couv.jpg

[…]


Que voit le peintre dans un paysage ?

« Nous disons « quel paysage merveilleux ! », nous le disons parce qu’on voit l’horizon dans la profondeur du lointain, couvert d’un bleu au travers duquel apparaissent des montagnes, des forêts, des lointains, qu’en bas, au milieu des prairies, court une rivière, que sur elle glissent des barques, que dans un pré s’avancent des gens qui s’épanouissent en habits de couleurs… » Mais que voit le peintre dans un tel paysage ?

« Il voit le mouvement et le repos des masses picturales, il voit la composition de la nature, l’unité des formes picturales variées, il voit la symétrie et l’accord des contradictions dans l’unité du tableau de la nature. Il reste immobile et est transporté par le courant des forces et leur entente. C’est ainsi que la nature a construit son paysage, son grand tableau multilatéral de la technique, contradictoire avec la forme de l’homme – elle a lié les champs, les rivières et les mers et  grâce à la forme humaine elle a pulvérisé le lien entre les animaux et les insectes, elle a formé ainsi une gradation de formes sur sa surface créatrice. C’est une telle surface créatrice qui est apparue devant l’artiste créateur : sa toile, le lieu où son intuition construit le monde… ».

 

 

Art et existence

In Dialectique du « Moi » et morphologie du style dans l’art, (p.103)

 

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LES CARNETS D’EUCHARIS

Nathalie Riera© décembre 2011

http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com

  

27/11/2011

Café poétique avec Nathalie Riera au Château de Mouans-Sartoux

VENDREDI 2 DECEMBRE 2011 —

NATHALIE RIERA – JULIANA PLANÇon – fabienne pujalte

CafÉ-POÉSIE  “Les Mots d’Azur”

château de Mouans-Sartoux.jpg

il se fait tard trop loin

et parfois lents sont les mots à venir

qu’on les voudrait guêpes galops

et vent dans la nuque

Nathalie Riera

 

L'hiver avance. Nos demeures et nos esprits se préparent à recevoir le souffle de ce qu'il reste du sourire des beaux jours. Encore un peu de patience, et aux premières lueurs de l'aube l'espoir d'une poésie la vie entière renaîtra. Je vous invite à venir partager les mots de l'amitié en écoutant Nathalie Riera, poétesse qui nous vient du Var. Fondatrice et directrice depuis 2008 de la revue numérique" les carnets d'Eucharis", sa voix est de celles qui portent. C'est un viatique qui nous emmène vers de nouveaux horizons.

Au violon, la jeunesse et les cordes vibrantes de Juliana Plançon viendront compléter ce moment de poésie pure que vous ne pouvez manquer.

En seconde partie, Fabienne Pujalte nous ouvrira les portes de ses nouvelles créations, avec plusieurs textes inédits qui sauront vous toucher.

Soyez des nôtres le vendredi 2 décembre 2011, à partir de 18h30, dans la salle des conférences du valeureux château de Mouans-Sartoux.

Je pense pouvoir dire que vous ne le regretterez pas !

Pierre-Jean Blazy

 

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Nos prochains rendez-vous :

 

         3 février 2012: Claude Artès

         13 avril 2012: André Chenet

         8 juin 2012: Yves Ughes

 

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Contacts: 06 07 53 00 42 - 06 07 05 78 05.

 

 

 

 

 

24/11/2011

Paul Blackburn

— eDITIONS JOSE CORTI, 2011 —

Paul Blackburn

Villes suivi de Journaux

.    B L A C K   A N G E L    .

par angele paoli

    Blackburn, Paul Blackburn. Américain et poète. Quelque chose du feu et de noir dans son nom. « An angel », ― black angel un peu voyou un peu voyeur ? ― qui bat le pavé de la ville. Et un poète « accro » aux « magnétos » dont il se sert pour enregistrer les voix qui hantent l’atmosphère, la traversent et l’habitent. Bribes de conversation saisies au hasard des rues, onomatopées et rumeurs, claquements et cliquètements, grincements, roulements et rythmes.


    Peu connu en France, si ce n’est de quelques lecteurs aficionados de la poésie d’outre-Atlantique, Paul Blackburn a fait cet automne son apparition dans le paysage poétique de l’Hexagone. Traduit dans son intégralité par Stéphane Bouquet, le recueil de Cities/Villes vient d’être publié dans la Série américaine des éditions José Corti, accompagné et complété d’extraits de Journals/Journaux. Ainsi composé, du « premier livre de taille » de Paul Blackburn d’une part, et, de l’autre, des Journaux des dernières années de sa vie, l’ouvrage proposé par l’éditeur offre un parcours poétique dense et envoutant. Et du personnage du poète, une vision profondément humaine et profondément attachante.
LIRE LA SUITE (sur le site Terres de femmes)

 

 

paul blackburn.jpg

Paul Blackburn

Poète américain

(1926-1971)

 

 

 

■ LIEN :http://www.jose-corti.fr/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES PATURAGES DE L’ŒIL

 

Des floculations de cirrus suspendus

                                               précipitent

dans le tube du ciel au-dessus de la rue,

couvrent d’un toit l’œil vieillissant dans sa flaque

                                               enfermant ses

reflets sous une croûte de glace

                                               Crac

Sourd, mais

L’œil regarde dehors

et des rangées de moutons aléatoires paissant au-dessus du parc

se nourrissent

de la seule herbe qu’il y a en ce matin d’hiver

                /

                               dans l’esprit

L’œil, oui

                vieillissant dans sa flaque,

mais ouvert .

O U V E R T

 

 

 

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VILLES, SUIVI DE JOURNAL

Paul BLACKBURN
éditions José Corti, 3 novembre 2011
Traduit de l'anglais par Stéphane Bouquet

 

 

 

Le temps du coeur - Paul Celan & Ingeborg Bachmann

Ingeborg Bachmann, Paul Celan Le temps du coeur : Correspondance (1948-1967)

 

Editions Seuil, 2011

Collection : La Librairie du XXe siècle

 

 

LE TEMPS DU COEUR.jpg

 

 

PRESENTATION :

 

Les deux êtres qui se rencontrent dans la Vienne de 1948 encore occupée par les troupes alliées, sont issus de cultures et d’horizons différents, voire opposés : Ingeborg Bachmann est la fille d’un instituteur, protestant, ayant adhéré au parti nazi autrichien avant même l’accession de Hitler à la chancellerie du Reich (1932) ; Paul Celan, né dans une famille juive de langue allemande de Czernowitz, au nord de la Roumanie, a perdu ses deux parents dans un camp allemand et a connu l’internement en camp de travail roumain pendant deux ans. Cette différence, le désir et la volonté de renouer sans cesse le dialogue par delà les malentendus et les conflits déterminent leur relation et la correspondance qu’ils échangent du premier jour, en mai 1948, où Paul Celan fait cadeau d’un poème à Ingeborg Bachmann jusqu’à la dernière lettre adressée en 1967. L’écriture est au centre de la vie de chacun des correspondants, dont les noms apparaissent dans les comptes rendus critiques, dès le début des années 1950, souvent au sein d’une même phrase, comme étant ceux des représentants les plus importants de la poésie lyrique allemande de l’après-guerre. Mais écrire n’est pas chose simple, ni pour l’un ni pour l’autre et écrire des lettres n’est pas moins difficile. L’imperfection du dire, la lutte avec les mots, la révolte contre le mutisme, occupent une place centrale dans cet échange épistolaire.

 

 

Correspondance augmentée des lettres échangées par Paul Celan et Max Frisch ainsi que par Ingeborg Bachmann et Gisèle Celan-Lestrange. Édition de Bertrand Badiou, Hans Höller, Andrea Stoll et Barbara Wiedemann.

 

Ingeborg Bachmann est née à Klagenfurt en Autriche, le 25 juin 1926 et morte à Rome, le 17octobre 1973. Poétesse et nouvelliste, elle a participé au Groupe 1947 et a reçu, en 1964, leprestigieux prix Georg Büchner.

Paul Antschel est né en 1920 en Bucovine. Persécuté par les nazis, il est interné dans un camp de travail en Roumanie ; ses parents sont déportés, sans retour. Toute son oeuvre de poète est publiée sous le nom de Celan (anagramme de son patronyme : Ancel). Il meurt à Paris en 1970.

 

 

ŒUVRES OUVERTES (Laurent Margantin)

"Inventer une lecture du dialogue Celan-Bachmann"

 

 

 

 

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■ LA QUINZAINE LITTERAIRE :

N° 1049 - Du 16 au 30 novembre 2011

Ingeborg Bachmann - Journal de guerre

lngeborg Bachmann Journal de guerre

suivi des

Lettres de Jack Hamesh à Ingeborg Bachmann

Editions Actes Sud, 2011

Collection « Lettres allemandes »

Traduction de l'allemand et préface de Françoise Rétif

 

 

LE JOURNAL DE GUERRE.jpg

 

 

Quatrième de couverture

Dans ce journal tenu à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Ingeborg Bachmann relate non seulement la vie dans sa ville natale meurtrie mais aussi son amour pour un soldat anglais, Jack Hamesh, émigrant juif au service de la force d'occupation. La grande poétesse et romancière dira plus tard que ce fut le plus bel été de sa vie. Son journal est suivi des lettres que lui adressa Jack Hamesh, ayant décidé de rejoindre la Palestine.

Découvertes vingt-cinq ans après sa mort, les quelques pages de ce journal suffisent à témoigner de la lucidité, du courage et de l'esprit de résistance de l'écrivain singulier qu'est Ingeborg Bachmann

20/11/2011

Jean Genet ou la rébellion d'un moraliste (par Claude Darras)

 

 

 

jean genet couv.jpg

 

 

Portrait et lectures Claude Darras

 

Jean Genet ou la rébellion d’un moraliste

 

« Si écrire veut dire éprouver des émotions ou des sentiments si forts que toute votre vie sera dessinée par eux […], alors oui, c’est à Mettray et à quinze ans, que j’ai commencé d’écrire » : Jean Genet explique, en 1981, la genèse de ses travaux d’écriture à Bertrand Poirot-Delpech, journaliste au Monde, à la faveur d’entretiens (filmés) qui seront édités (et diffusés) un an avant sa mort (L’Ennemi déclaré). À cette époque-là, en 1925, il est ébloui par les sonnets de Ronsard. Situé à huit kilomètres de Tours, Mettray (département d’Indre-et-Loire) est proche du pays du poète de la Pléiade ; c’est une colonie pénitentiaire agricole fondée en 1839 pour quatre cents jeunes placés sous le régime de la liberté surveillée. Le souvenir de l’institution de redressement innerve la plupart de ses livres ; le roman Miracle de la rose lui est presque entièrement consacré et le texte de L’Enfant criminel s’en inspire largement. Auteur dès l’âge de dix ans de multiples chapardages et coutumier de fugues, il y entre en détention à l’automne de 1926 (Jean Genet matricule 192.102) et non l’année précédente ainsi qu’il le raconte.

Le 15 mars 1925, le compositeur René de Buxeuil engage à son service le pupille de l’Assistance publique. Le parolier de « L’Âme des violons » relate, quelque vingt ans plus tard, la découverte émerveillée des Fleurs du mal de Charles Baudelaire par son jeune secrétaire, une révélation qui semble décider de ses premières tentatives littéraires, en l’occurrence la rédaction de « Mémoires » qu’il entreprend dans un cahier d’écolier sous la signature de Nano Florane. Dans l’ouvrage Saint Genet comédien et martyr, Jean-Paul Sartre confirme que son modèle s’est familiarisé « avec la prosodie et les lois de la rime » auprès du musicien tourangeau. Au romancier et journaliste allemand Hubert Fichte (quotidien Die Zeit), Jean Genet rapporte qu’il a éprouvé pour la première fois à la prison de Fresnes (1939-1940) une émotion au moment d’écrire à l’occasion d’une « carte de Noël » adressée à Anne Bloch ou à Lily Pringsheim (ses seules amies, féminines, avec l’écrivaine Andrée Pragane dite Ibis). « C’était en 39, raconte-t-il, 1939. J’étais seul au cachot, en cellule enfin. D’abord, je dois dire que je n’avais rien écrit, sauf des lettres à des amis, des amies, et je pense que les lettres étaient très conventionnelles, c’est-à-dire des phrases toutes faites, entendues, lues. Jamais éprouvées. Et puis, j’ai envoyé une carte de Noël à une amie allemande qui était en Tchécoslovaquie. Je l’avais achetée dans la prison et le dos de la carte, la partie réservée à la correspondance, était grenue. Et ce grain m’avait beaucoup touché. Et au lieu de parler de la fête de Noël, j’ai parlé du grenu de la carte postale, et de la neige que ça évoquait. J’ai commencé à écrire à partir de là. Je crois que c’est le déclic. C’est le déclic enregistrable. » (L’Ennemi déclaré).

 

La malédiction des origines

Né à Paris le lundi 19 décembre 1910, Jean Genet est abandonné sept mois plus tard par sa mère, Camille Gabrielle Genet (Lyon, 1888-Paris, 1919). Femme de ménage, elle ne peut plus assumer la charge de l’enfant depuis que le père - un certain Frédéric Blanc, né en Bretagne en 1869 - l’a quittée. L’hospice parisien des Enfants-Assistés place le pupille chez Eugénie et Charles Regnier, à Alligny-en-Morvan, une petite commune de la Nièvre. Lui est menuisier, elle tient une boutique de buraliste de l’autre côté de leur maison…

Singulière enfance pour le paria, non pas orphelin mais rejeté d’emblée, ce qui est la pire des conditions ! Aussi la figure maternelle confisquée avive-t-elle constamment à travers son œuvre une blessure incurable : elle apparaît violemment métamorphosée en mendiante édentée ou en voleuse dévastée le long des péripéties des Pompes funèbres et des Paravents. Dans son dernier récit, Un captif amoureux, c’est la « Pietà », l’immortel couple mère-fils, qu’il place au cœur de sa quête au plus intime des camps palestiniens et des ghettos noirs d’Amérique. En dépit de son inclination au vol, l’écolier est brillant, il lit énormément (Dostoïevski et Verlaine notamment) et fréquente le catéchisme jusqu’à la communion solennelle : il apprend ainsi à respirer les effluves de l’encens et à flairer… le parfum capiteux du péché. Les pièces Le Balcon et Elle sont loquaces à fustiger, parfois jusqu’à la calomnie, l’institution ecclésiastique. Engagé dans l’armée qui lui sera un refuge intermittent durant six années (au génie puis à l’infanterie coloniale, 1929-1936), il parcourt l’Europe des mauvais garçons et des maisons d’arrêt où il conforte son homosexualité et ses mauvais penchants. Voleur, déserteur, prostitué, vagabond et taulard, il échafaude entre vingt et trente ans un système de valeurs personnel qui apparaît comme le double inversé du code moral traditionnel. Avec une rage méthodique, il se jette dans la délinquance, l’abjection, la déchéance comme vers une terre promise, une libération, une catharsis.

 

Gide, Sartre et Cocteau…

Du monde littéraire, les premiers encouragements viennent d’André Gide qui reçoit le militaire entre deux affectations, à Paris, en août 1933. Étonné par la culture livresque et la lucidité critique du jeune homme, le vieil écrivain l’encourage à persévérer dans l’étude. Jean-Paul Sartre et Jean Cocteau seront les premiers, en 1942, à reconnaître l’écrivain de grande race qui vient d’écrire Le Condamné à mort dont ils permettront la publication. C’est un long poème en alexandrins où leur protégé exprime la passion qu’il voue à un ami assassin guillotiné le 17 mars 1939 : à la prison de Fresnes, pour relever le défi de ses compagnons de cellule qui viennent d’applaudir les versets larmoyants de l’un d’entre eux, il compose sur-le-champ une ode très académique dédiée à l’une de ses « icônes », le meurtrier Maurice Pilorge dont le « visage découpé dans Détective enténèbre le mur de la cellule ». L’œuvre, inaugurale, est suivie de cinq romans qui sont élaborés dans la même clandestinité de la réclusion : Querelle de Brest (1945), Miracle de la rose (1946), Pompes funèbres (1947), Notre-Dame des Fleurs (1948) et Journal du voleur (1949). Dès lors, aux premiers succès de librairie, le repris de justice devient une personnalité bien parisienne et les honnêtes gens s’empressent de célébrer le poète, comme l’ont fait leurs devanciers avec d’autres « maudits », tels Villon, Ronsard et Sade…

Il n’en est pas changé pour autant. Et de nouveaux larcins, d’argent et de livres, le conduisent fréquemment en prison entre 1940 et 1945. Passible de relégation dans un bagne des colonies, le récidiviste est sauvé en 1946 par la grâce présidentielle de Vincent Auriol consécutivement à une action engagée par Sartre et Cocteau - ils ont déjà témoigné en sa faveur au tribunal trois ans plus tôt - sous la forme d’une supplique que signent de nombreux intellectuels, André Breton, Paul Claudel, Thierry Maulnier,  François Mauriac, le professeur Henri Mondor, Pablo Picasso, Jacques Prévert et François Sentein, entre autres personnalités ; sollicités, Louis Aragon, Albert Camus et Paul Eluard refusent de s’y prêter.

 

Un activiste politique tourné vers le tiers-monde

En 1952, les éditions Gallimard entament la publication des œuvres complètes avec une préface-fleuve de Jean-Paul Sartre que l’intéressé apprécie moyennement. « Toi et Sartre, reproche-t-il à Jean Cocteau, vous m’avez statufié. Je suis un autre. Il faut que cet autre trouve quelque chose à dire. »… Les années suivantes, entre deux scénarios (Les Rêves interdits et Le Bagne), il multiplie les voyages au gré de ses relations en Grèce et en Tunisie, en Italie et au Maroc, en Allemagne et en Suède, en Hollande et en Algérie. En 1955, il noue une forte relation amoureuse avec un jeune acrobate de cirque, Abdallah, auquel il consacre un superbe essai en hommage, Le Funambule : il va jusqu’à lui composer un numéro, dessiner son costume et régler les éclairages ! En octobre 1959, Roger Blin crée avec succès Les Nègres au théâtre de Lutèce, à Paris, devenant ainsi son metteur en scène attitré. Pendant la décennie 1950-1960, il se passionne pour… la course automobile et se plaît à redécouvrir Paris où l’on reconnaît sa silhouette courte, sa tête de boxeur au crâne ras et au nez cassé, son blouson de cuir, son regard à la fois angélique et effronté.

Si l’on excepte de très nombreux articles et des entretiens, il cesse d’écrire après 1968, sacrifiant son temps et sa notoriété à des causes politiques. Les Panthères noires aux États-Unis, les travailleurs immigrés en France, la Fraction Armée rouge en Union soviétique, les Palestiniens au Proche-Orient : chacun de ses actes, chacune de ses interventions fait l’effet d’une bombe. Aux U.S.A., il se range aux côtés des militants noirs Angela Davis et George Jackson. Deux ans durant (1970-1972), il partage le quotidien des camps palestiniens. Et ses prises de position favorables à la bande à Baader et au communisme soviétique procèdent du même souci de défendre l’Organisation de libération de la Palestine (Olp) : l’Union soviétique soutient la résistance palestinienne et le groupe de Baader-Meinhof a partagé l’entraînement des fedayins, les combattants de l’Olp.

Sulfureuse, acclamée, contestée, la réputation dont il jouit ne pâlit pas un instant. En 1981, Rainer Werner Fassbinder porte son roman Querelle de Brest à l’écran (avec Brad Davis, Franco Nero et Jeanne Moreau). En 1983, Patrice Chéreau reprend au théâtre des Amandiers à Nanterre Les Paravents (avec Maria Casarès), une pièce que le ministre André Malraux défend avec pugnacité vingt ans plus tôt. Le grand prix national des Lettres lui est attribué la même année. Cerise sur le gâteau de la consécration, en 1985, Le Balcon entre au répertoire de la Comédie-Française (mise en scène de Georges Lavaudant avec Christine Fersen) !

 

La sainteté au cœur du mal

Curieux personnage tout de même ! Romancier, dramaturge et poète de grand format, il n’aura cessé, dans sa vie comme dans son œuvre, de catalyser l’ambiguïté et de jouer sur les contradictions, pratiquant la trahison comme un art, expérimentant l’engagement politique avec une constante ironie, recherchant la liberté dans les cachots et la sainteté au cœur du mal. « L’œuvre entier de Genet, soutient à cet égard Dominique Fernandez, est un miracle de la rose perpétuel : la prison y est le paradis, le criminel y est le saint, l’abjection y est le trésor. » (Écrivains d’aujourd’hui 1940-1960, éditions Bernard Grasset, 1960). Quant au personnage, son biographe américain (Genet, éditions Gallimard, 1993) le trouve à la fois « estimable et insupportable » : « Estimable car il est pur et hostile à toute compromission, explique Edmund White au Magazine littéraire (n° 313, septembre 1993) ; insupportable pour presque les mêmes raisons car il était toujours réticent à pardonner les fautes réelles ou supposées de ses amis, toujours prêt à exploser et à excommunier ». « Mais quel styliste ! », s’exclame Jean-Paul Sartre. « Écrire étant un acte religieux, un rite de messe noire, Genet ne déteste pas la pompe, assure-t-il dans son Saint Genet : sa phrase, difficile et nombreuse, chargée, miroitante est pleine de vieilles tournures ressuscitées, inversion, ablatif absolu, infinitif sujet ; il aime à l’allonger jusqu’à ce qu’elle se brise, à en suspendre le cours par des parenthèses : différé, attendu, le mouvement révèle mieux son urgence ; en même temps il use de la syntaxe et des mots en grand seigneur, c’est-à-dire comme quelqu’un qui n’a plus rien à perdre (…). »

Ses proches, parmi lesquels Tahar Ben Jelloun, Alexandre Bouglione (dit Romanès), Colette, Lydie Dattas, Léonor Fini, Alberto Giacometti, Juan Goytisolo et Jacques Guérin soulignent avec justesse le mérite de l’observateur, la perspicacité du physiologiste, le génie de l’écrivain, une sorte de moraliste qui sait réinventer tant de types, analyser tant de caractères, mettre en scène tant de personnages qu’il a presque tous connus, aimés ou haïs, du reste, et qui composent une flamboyante galerie de portraits : héros et traîtres, monstres et policiers, bagnards et domestiques, nazis et nord-africains, paysans et archevêques, juges et terroristes, marionnettes et bourreaux. Il ne les copie pas, loin s’en faut, il les vit idéalement, s’immerge dans leur milieu, contracte leurs habitudes, possède leur existence intime au point d’aviver le sang circulant dans leurs veines au lieu de l’encre sympathique qu’injectent à leurs personnages les auteurs ordinaires.

Jean Genet est décédé au Jack’s Hotel, rue Stéphane-Pichon, à Paris, dans la nuit du lundi 14 au mardi 15 avril 1986, au lendemain du décès de Simone de Beauvoir. Son corps est enseveli à Larache, sur le littoral marocain, entre Tanger et Rabat. On a creusé sa tombe derrière le cimetière musulman, à quelques mètres de la maison qu’il avait achetée pour Mohamed El Katrani, le dernier compagnon de sa vie. Edmund White rappelle que lorsque le cercueil enchâssé dans un sac de jute est descendu de l’avion à Casablanca, il était étiqueté « travailleur immigré »…

 

 

Décembre 2011 © Les carnets d'eucharis, Claude Darras

 

 

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18/11/2011

L'Enfance d'Ivan (Andreï Tarkovski, 1962)

17/11/2011

Pier Paolo Pasolini

Pier Paolo Pasolini

Appendice : Le manque de demande de poésie

La mancanza di richiesta di poesia

« Poésie en forme de rose (1961-1964) »/Poesia di forma di rosa, in Pietro II

 

 

PPP - foto DINO PEDRIALI, 1975.jpg

Pier Paolo Pasolini, Chia (VT) 1975, © foto Dino Pedriali by ADAGP/SIA E 2006

 

 

Extrait :

Comme un esclave malade, ou une bête

j’errais dans un monde que le sort m’avait assigné,

avec la lenteur qu’ont les monstres

de la boue – de la poussière – ou de la forêt –

rampant sur le ventre – ou sur des nageoires

sans usage pour la terre ferme – ou des ailes faites de membranes…

Il y avait autour des remblais, ou des cailloutis,

ou peut-être des gares abandonnées au fond de villes

de morts – avec les rues et les passages souterrains

de la pleine nuit, quand on entend seulement

des trains épouvantablement lointains,

et des clapotis de canalisations, dans le gel définitif,

dans l’ombre qui n’a pas de lendemain.

Ainsi, tandis que je me dressais comme un ver,

mou, répugnant dans sa naïveté,

quelque chose passa dans mon âme – comme

si dans un jour serein le soleil s’obscurcissait ;

à la douleur de la bête haletante

une autre douleur s’ajouta, plus dérisoire et plus sombre,

et le monde des rêves se fêla.

« Personne ne te demande plus de poésie ! »

Et : «  Ton temps de poète est passé… »

« Les années cinquante sont finies dans le monde ! »

« Tu as connu ton automne avec les Cendres de Gramsci,

et tout ce qui fut la vie te fait mal

comme une blessure qui se rouvre et donne la mort ! »

 

 

***

 

Come uno schiavo malato, o una bestia,

vagavo per un mondo che mi era assegnato in sorte,

con la lentezza che hanno i mostri

del fango – o della polvere – o della selva –

strisciando sulla pancia – o su pinne

vane per la terraferma – o ali fatte di membrane…

C’erano intorno argini, o massicciate,

o forse stazioni abbandonnate in fondo a città

di morti – con le strade e i sotto passaggi

della notte alta, quando si sentono soltanto

treni spaventosamente lontani,

e sciacquii di scoli, nel gelo definitivo,

nell’ ombra che non ha domani.

Cosi, mentre mi erigevo come un verme,

molle, ripugnante nella sua ingenuità,

qualcosa passo nella mia anima – come

se in un giorno sereno si rabbuiasse il sole ;

sopra il dolore della bestia affannata,

si colloco un altro dolore, piu meschino e buio,

e il mondo dei sogni si incrino.

« Nessuno ti richiede piu poesia ! »

E : « E passato il tuo tempo di poeta… ».

« Gli anni cinquanta sono finiti nel mondo ! »

« Tu con le Ceneri di Gramsci ingiallisci,

e tutto cio che fu vita ti duole

come una ferita che si riapre e dà la morte ! »

 

 

Traduction Nathalie Castagné

Pier Paolo Pasolini, Je suis vivant

Pier Paolo Pasolini Je suis vivant

Editions Nous, 2011

 

 

Extrait : (Petite Préface Pasolinienne)

            Comme il est étonnant de bien considérer que ce livre s’est écrit en 1945 et 1947, entre vingt-trois et vingt-cinq ans : tant de nostalgie l’irrigue déjà – ce terrible sentiment que les émotions une fois vécues ne s’éprouveront plus jamais ; qu’il est définitivement vain de revenir sur les lieux aimés ; qu’à leurs places, un désert étendra son empire ; que la mort des sensations neuves est consommée. Et pourtant ! Il suffit une (autre) fois du cri d’un enfant pour saisir cette émotion profonde, incomparable, qui se traduit d’un mot : « je suis vivant ». Alors c’est tout un monde qui renaît : monde mythologique des jeux antiques et de l’enfance remémorée.

           

(p.11, Olivier Apert)

 

 

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www.editions-nous.com

 

A l'Atelier Pictura...

Cycle de conférences

organisé à l’Atelier Pictura de novembre 2011 à juin 2012 sous la direction de Bruno Le Bail
 
 
 
Première conférence
L
’urinoir de Duchamp
Dimanche, 27 novembre 2011 à 11 heures
Route d'Artignosc, 04500 St. Laurent du Verdon

 

 

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Bruno Le Bail

 

François Lallier, Vita Poetica (par Tristan Hordé)

Une lecture de Tristan Hordé

 

 

FRANCOIS LALLIER

 

Vita Poetica

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L’Arbre à Paroles, Amay (Belgique), 2010

 

On sait qu’en France l’enseignement des langues classiques se réduit chaque année, considéré comme peu rentable, sans utilité dans une société où l’argent et les biens qu’il procure sont devenus les "valeurs" dominantes.1 Il existe encore, bien heureusement, des amoureux de l’Antiquité pour lire et relire les Grecs et les Latins, et ne pas penser que tout a été écrit à leur propos. François Lallier, poète et lecteur attentif de la poésie contemporaine2 publie avec Vita poetica des analyses neuves des poètes latins de la fin de la République.

Cette plongée dans les temps anciens conduit à mettre au jour un moment où la relation entre l’écrivain et son œuvre se transforme ; changement des plus importants, une séparation entre les deux se construit : « Une biographie […] advient au poète, parce qu’il ne se confond pas avec son chant, mais porte un masque sous lequel apparaît une autre vie que celle que peint le poème » (p. 10). Un peu plus loin : « Dans le clivage des déguisements et de la personne, une « vie poétique » se fait jour, s’opposant à des rôles, des conditions auxquelles toutefois le poète n’est pas soustrait, précisément parce que l’exercice de la poésie n’est pas une condition, un métier moins encore, mais une construction, sinon une fiction, vécue et mise à l’épreuve selon le cours de l’existence commune. » (p. 11) Quelles conséquences ? Cette transformation implique l’élaboration d’un « mythe éthique », celui qui oppose le choix éthique (la vita poetica) du "pur amour" à la violence de la société et qui modifie en profondeur, notamment, le rapport du poète, de la poésie au politique. Ce mythe, on le sait, aura longue vie…

François Lallier analyse minutieusement quelques textes de Virgile, Horace et Catulle pour cerner et préciser son propos. Ce qui retient dans ces lectures, c’est la relation essentielle établie entre la recherche d’une fonction de la poésie et les événements que vivent les trois poètes. Pour eux, la poésie ne peut (ne peut plus) se définir par la seule écriture en vers ; certes, la perfection de la métrique est nécessaire et il suffit d’évoquer leur virtuosité pour en être convaincu, mais le poème ne peut se limiter à cela. En même temps, c’est la thématique de l’épopée qui est abandonnée ; Horace, par exemple, affirme son incompétence à manier le style épique pour vanter la politique d’Auguste, alors même qu’il prouve une éblouissante maîtrise du vers. C’est que le poète se refuse à mettre la tête dans le sable et à accepter la violence sociale, les injustices, la vilenie des ambitions, à faire comme si la « voix du monde » n’était qu’harmonie.

L’éloignement de l’épique, sa mise à l’écart même, par la réflexion sur les choses du monde, conduit parallèlement à construire une autre poésie qui deviendra une source majeure pour l’Occident. François Lallier suit des moments de cette élaboration et montre comment une poésie amoureuse se substitue au genre épique, comment l’exaltation du sentiment amoureux, de la passion humaine s’oppose à la Fable. Il ne s’agit évidemment pas d’un simple changement thématique. François Lallier dégage dans Virgile l’importance de la « musicalité intérieure aux mots » (p. 45). Le même soin est apporté dans l’étude des Noces de Thétis et de Pélée ; Catulle y laisse de côté la continuité narrative propre à l’épopée et adopte une composition toute différente en faisant se succéder des tableaux, modification lisible en particulier dans la description du voile nuptial. En même temps, ce qui importe, c’est la recherche d’une « émotion de la forme » (p. 72), qui naît d’un travail sur le matériau sonore. À propos de la danse des Ménades, l’analyse attentive de quelques vers fait apparaître comment le jeu des sons, le rythme visent à "peindre" la scène, à en restituer le mouvement, et à imiter par la langue quelque chose de l’accompagnement musical. Ce qui se dessine et se décide, c’est « une idée de la poésie dont on retrouvera sans peine, sous le thème mythologique, les grands axes que sont la centralité de l’amour et la quête tout ensemble ironique et ardente d’un sens au destin de la cité, entre le mystère salvateur et la funeste logique de la puissance. »

Le passage de l’épique à l’élégie, c’est d’une certaine manière l’affirmation que le poète n’est pas (n’est plus) au service d’un pouvoir. Catulle, par exemple, suit d’abord Callimaque de près, mais Les Noces de Thétis et de Pélée se concluent par une critique forte qui place le lecteur « au cœur du temps et du lieu où l’auteur écrit » (p. 76). Le monde de Catulle n’a plus ses dieux, sinon dans la Fable, et la poésie aura pour fonction première de « rendre à la visibilité [le] mystère de l’amour » (p. 76).

Je n’ai retenu de cette lecture savante, qui est aussi celle d’un poète, que quelques conclusions. Ponctuée d’extraits en latin traduits, suivie de traductions, elle conduit à reprendre avec un autre regard les œuvres des Latins — mais pas seulement : elle incite à réfléchir sur la tradition de la thématique de l’amour. Précisons que Vita poetica est le premier ensemble d’un vaste livre qui comprendra les chapitres suivants : Ut pictura, La vie divine, Les amours, L’horreur épique. 

 

© Tristan Hordé, Carnets d’eucharis n°30 (sept/oct 2011)

 

 

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François Lallier, Vita Poetica

 L’Arbre à Paroles, Amay (Belgique), 2010

 

■ LE SITE DE FRANCOIS LALLIER :http://www.francoislallier.com/



1 Un rappel : "classique" reprend le latin classicus, « de première classe », appliqué aux citoyens, puis classici [sciptores] a désigné les écrivains de première valeur…

2 Je renvoie à La Voix antérieure II (Jouve, Jourdan, Michaux, Frénaud, Munier), 2010, La Lettre Volée, et à La Semence du feu, 2003, L’Atelier la Feugraie. F. Lallier a organisé le volume collectif Avec Yves Bonnefoy, De la poésie (P. U. de Vincennes, 2000) et co-dirigé le Cahier Roger Munier paru au Temps qu’il fait (2011) ; avec Géraldine Toutain, il a fondé en 2004, à Dijon, les éditions Poliphile (www.editions-poliphile.fr).

 

Mario Maffi (extrait d'un article, revue Conférence N°21)

Mario Maffi Blues de la mort par les eaux : souvenir de la Nouvelle-Orléans

Revue CONFERENCE, N°21, automne 2005

 

 

Extrait :

Des sources à l’embouchure, le bassin hydrographique du Mississippi était à l’origine un « système en équilibre ». Cela signifie que, au-delà des accidents occasionnels, le fleuve, ses affluents, les terres alentour étaient reliés par un réseau de forces qui s’équilibraient. En période d’étiage, le Père des Eaux s’écoulait entre les berges créées naturellement par les alluvions, alimentant ici et là de petits émissaires qui, au printemps, quand les eaux grossissaient, se chargeaient de leur donner d’autres issues. Dans les périodes de crue du cycle naturel (ou quand des inondations se produisaient), le fleuve débordait, recouvrait les terres basses des alentours et contribuait à les sédimenter et à les fertiliser, allant parfois jusqu’à s’étendre sur cinquante milles à l’intérieur des terres. Les populations indigènes, quant à elles, s’accommodaient de ces rythmes et alternaient nomadisme et vie sédentaire (il se peut même que certains des mounds, ces petites collines caractéristiques des cultures indigènes américaines, aient répondu à l’exigence de garder objets, récoltes et habitations dans une position élevée). Par la suite, quand arrivèrent les Européens, porteurs d’un germe de capitalisme destiné à se développer avec une impétuosité égale à celle des eaux du Mississippi, cet équilibre fut menacé. Le fleuve transformé en voie de communication et de commerce exigeait des ports et de petites localités sur ses rives, les terres fertiles devaient être parcellisées et réparties afin d’être vendues et achetées, cultivées et exploitées. C’est ainsi que les berges naturelles furent élevées (d’où leur nom de levées) et renforcées, et que d’autres, artificielles, vinrent s’y ajouter, bâties selon des systèmes de construction toujours plus sophistiqués ; les émissaires petits et grands furent tronçonnés et transformés tout au plus en petits lacs reconnaissables à leur forme en fer à cheval. Pourtant, le fleuve continua à rester indomptable : dès qu’il le pouvait, il changeait de cours, s’ouvrait d’autres voies, filait tout droit en éliminant tel de ses méandres (ce sont les célèbres cut-offs qui scellaient parfois le sort d’un village)…

 

(p. 52/53)

 

 

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http://www.revue-conference.com/

 

11/11/2011

Zbigniew Herbert - Le labyrinthe au bord de la mer

Zbigniew Herbert,Le labyrinthe au bord de la mer
Editions Le Bruit du Temps, 2011

(Sept essais illustrés - Traduction du polonais et avant-propos par Brigitte Gautier)

 

 

 

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[…]

 

 

Au contact des œuvres du passé, nous voulons être sûrs de leur authenticité, sûrs que personne ne les a corrigées, que personne ne s’est mêlé de les embellir, de les parfaire, de les rendre plus compréhensibles. Nous souhaitons seuls, sans intermédiaire, jeter un pont par-dessus l’abîme du temps entre nous et les hommes et les dieux d’il y a plusieurs millénaires. N’étant pas un pur esprit, j’ai toujours cherché des traces matérielles, pour fonder une entente et une alliance. C’est pourquoi j’ai toujours été ému par les ornières des routes romaines, les marches des cathédrales usées par les pèlerins, le sceau du maçon dans la pierre.

 

 

III- Le labyrinthe au bord de la mer(p.42)

 

-------------------------

 


[…]

 

Celui qui viendrait ici avec la palette d’un paysagiste italien devrait abandonner toutes les couleurs suaves. La terre est brûlée par le soleil, rauque de sécheresse, couleur de cendre claire, parfois de violet gris ou de rouge violent. Le paysage n’est pas seulement devant les yeux, il est aussi de côté, dans le dos. On sent sa poussée, son encerclement, sa présence intense. Les grands arbres sont rares, à l’exception parfois d’un chêne majestueux : le Zeus des arbres. Des mottes de verdure sont accrochées aux versants, des petits buissons qui luttent férocement pour survivre. Au bord des routes, sur les collines plus douces : un olivier sauvage aux feuilles étroites, digitées, mouvantes, d’un vert argent par en dessous. Tout près du sol, du serpolet, du thym, de la menthe, aromates de la chaleur.

 

Essai de description du paysage grec (p.82)

 

 

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[…]

 

Je considérais comme une chose naturelle de me sentir toujours incertain face aux chefs-d’œuvre. La loi positive des chefs-d’œuvre est de détruire notre présomptueuse assurance et de mettre en question notre importance. Ils s’appropriaient une partie de ma réalité, imposaient le silence, faisaient cesser mon affairement de souris autour de choses vaines et bêtes. Ils empêchaient aussi – comme dit saint Thomas More – que je me soucie trop de cette chose envahissante qui s’appelle le « moi ». S’il est loisible de parler de transaction, c’était la transaction la plus favorable de toutes. En échange de mon calme et de mon humilité, ils m’apportaient « du miel et de la lumière » que je n’aurais pu créer.

 

 

[…]

 

J’ai toujours souhaité croire que les grandes œuvres de l’esprit étaient plus objectives que nous. Et ce sont elles qui nous jugeront. Quelqu’un a dit fort justement que ce n’est pas nous qui lisons Homère, regardons les fresques de Giotto, écoutons Mozart, mais Homère, Giotto et Mozart qui nous regardent, nous écoutent et constatent notre vanité et notre bêtise. Les pauvres utopistes, les débutants de l’histoire, les incendiaires de musées, les liquidateurs du passé sont pareils à ces insensés qui détruisent les œuvres d’art car ils ne peuvent leur pardonner leur calme, leur dignité et leur froid rayonnement.

 

La petite âme (p.122/123)

 

 

 

 

■ ■ ■ Poète et essayiste, Zbigniew Herbert (1924-1998) est une figure majeure dans le paysage de la poésie polonaise du XXe siècle. 

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 Revue de presse

A propos de l'auteur

 

 

 

 

 

 

 

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LE BRUIT DU TEMPS

62 rue du Cardinal Lemoine
75 005 Paris
Téléphone : 01 43 29 62 50

contact@lebruitdutemps.fr 

 

10/11/2011

Les carnets d'eucharis n°31

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Les carnets d’eucharis n°31

Novembre/Décembre 2011

 

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URIAN

Edith Magnan

Pierre Agnel  assis en retrait

Cathy Garcia Le poulpe et la pulpe

René Crevel Elle ne suffit pas l’éloquence

GERTRUDE STEIN lectures en amérique

PIERRE CHAPPUIS Muettes émergences

ZBIGNIEW HERBERT Le labyrinthe au bord de la mer

ILE ENIGER (Un coquelicot dans le poulailler)

CHRISTINE BAUER Galerie des traits/Dora Maar

Nathalie Riera & Marie Hercberg/ LE REALGAR EDITIONS

Jean-Pierre Faye Choix de poèmes lus par l’auteur

Walt Whitman … Paul Blackburn

Mireille Calle-Gruber, Claude Simon Une vie à écrire par Nathalie Riera

L’écriture féérique de Hilda Doolittle par Patrice Beray

Eucharis ou l’eucharistie littéraire de Nathalie Riera par Camille Loty Mallebranche

REVUE(S) Nu(e) – # 47 (Marie Etienne)

 

     

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 Au format livre numérique/CALAMEO

 


03/11/2011

Sur les Carnets d'eucharis (par Camille Loty-Mallebranche)

Eucharis ou l’eucharistie littéraire

de Nathalie Riera

7 octobre 2011 par Camille Loty Malebranche

Site : Intellection

 

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Tant intense et substantielle est la présence humaine de l’animateur culturel, tant opulemment esthétique est la communication de l’art. CLM

 

De nombreux sites excellents par leur contenu révolutionnent la chose littéraire en la faisant passer du rectangle de papier livresque à l’écran planétaire du web. J’en ai visités qui sont de purs chefs d’œuvre. Toutefois, avec Les carnets d’Eucharis de Nathalie Riera, cette intellectuelle à la sensibilité à la fois flamboyante et foudroyante, j’ai littérairement eu le coup de foudre.

 

Nathalie Riera a la grâce d’Artémis, et elle cultive les friches du web souvent agreste, par les richesses réelles de la littérature qu’elle porte au sommet sur le tabulaire virtuel d’internet. Elle dispense une culture abondante dans la lande des Carnets d’Eucharis. Elle anime le multivers de la littérature des genres comme une eucharistie littéraire, comme par liturgie - dans le sens étymologique et hellénique de ce lemme qui réfère au service public en deçà et au-delà du cultuel - avec un tel amour, qu’elle met notre conscience esthétique dans un incontournable figement contemplatif.   

 

Comme Diogène, Nathalie porte elle aussi la lanterne, mais pas pour chercher un humain dans la cité déshumanisée, car sa flamme n’existe que pour féconder par le littéraire et ses plus splendides saillies, l’humanité des lecteurs d’Eucharis…

 

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01/11/2011

Jean-Pierre Faye

Jean-Pierre FAYE,Choix de poèmes lus par l’auteur
Coédition Notes de Nuit/L’Harmattan, 2011

(Livre multimédia comprenant un DVD audio de 2h50′ de lectures, le texte des poèmes et un film de 40′)

 

 

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[…]

 

 

Tu es ciel chargé par le suc

D’un long été tremblant de pentes, de verdure

Tout forgé de feuillage, jour

Abrupt de transparence, allié

Au soleil immergé des feuilles

Au feu fragile de la branche, au jour plus mûr

– Nourri de terres à distance, lac

Captif et eau arable dans le roc

Tu mêles tout bas sol et ciel

                            ici

Où la montagne éclate et s’ouvre, femme

Où crie le feu, halète la venue de vie

Et le labeur de terre ardente

La torsion du travail, qui sculpte

Un tressaillement simple d’avenir

Modèle une joie précise, dure, par la chair

Taillée dans la lumière vive

(Sourire aux yeux d’enfant humides)

Et la parole sourd, se ramifie aux lèvres douces

Alourdies de matin, mouillées d’amour, limées de soif

Vous vivez là, parole

Autour de moi, en un seul cri

Aube égouttée dans l’arbre en cassures d’oiseaux

Brisée à bout de branche

 

 

Silva plana

In Fleuve renversé (1960)-  (p.9)

 

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D’amères nourritures

vont et viennent

devant facettes ou fibre

et griffe ou chitine violette

ou l’antenne oscillant, la tige

sur l’aine lisse de la ronce

et, fer brun, avance

la rape de fougère sur la prairie

dans l’odeur plus droite que l’ail

plus mouillée que le bois

ou les cris d’enfants brassés

– et cela entre ici et revient

le son avec le bruit

et l’encre des mûres, raidie

à la pointe, griffe et vision

et jus écrasé et coulée

ou tache sèche du tissu, durcie

ou ligne bleue et pliée

dans le bras, pente fléchie

juste là où le son est tiré

bouche, bouche que veux-tu

entre parler, boire et nager

ce qui te nourrit est entré

afflue ce qui est avalé

grisonne le lait diffusé

passe vite le soir plombé

– qui s’épand est vite effacé

qui dort est tôt disparu

 

La venue et l’allée

ont peine d’être perdues

– pour qui a peine en dormant

doit être la veine tranchée

 

Amère et dure la nuit

tige par tige à froisser

fibreuse et âpre à mâcher

avec du fer et du bruit

l’os et l’œil, l’herbe arrachée

tirant terre et cailloutis

fibre amère que veux-tu

suc et mousse, sang et vue

 

Herbe et peau se séparent

Pourtant, bouche et écorce

ou lumière ou vert contre bois

tige et tendon roulement

du bruit bondissant et tympan

coups au-dedans et rumeur

par le long de la soirée

et cette ligne qui va

tranchant soleil, et sombrée

 

ce qui va nourrir est distinct

 

Amère mangeaille, tu vas

approchant et inondant

enfournant boisson et chair

herbe et sable, voisinage

tu tires tempes et ventre

tu entres droit sur les yeux

si là-bas les ligues sont claires

 

lumière, tu vas t’éloignant

cisaillant les fonds de soirée

 

le vent trop large pour boire

la poussière a goût d’éclair

 

lumière, tu passes tout près

dans l’œil en coup de ciseaux

 

[…]

 

 

 

Plans du corps

In Verres (1979)-  (p.13)

 

 

-------------------------

 


n’emploie pas le nom

 

 

des choses car il abîme. Mais laisse

bouger poires pierres pourriture

. fleurs atroces féeries guaranies

ciel raconte le vide du monde

si tu t’endors où seras-tu

. ne t’endors pas mais ouvre

le  corps de bonheur aux vies flottantes

 

 

 

         la petite fille stupéfaite mange le charbon

de la nuit. elle mange le mouchoir de bois

elle engorge les soleils et mange des viandes de caillou

. et dessine sur l’envers arraché aux murs

elle bouge ventre et corps dans le mouvement

qui va être le transformant des mondes

. par elle entre en éclats par ça le vert et rouge

et la mise en feu le charbon du flottement

par ça qui la bouge elle éclatante de charbon

. je l’aperçois qui devient je la vois qui forme

elle mange les couleurs et les mélange au noir

buvant la fumée le noir la violence du vent

 

 

Rage donc

In Désert fleuve respirés (2004)-  (p.81)

 

 

-------------------------

 


je dirai

toute chose sur quoi s’ouvre regard

et la vue qui est devenue visage

quand il criait un monde

 

 

ce qui le liait au corps

pris à la gorge par d’autres

corps découverts et même

dénudés tout au long du chemin

dressés sur des cavernes de chiens égorgés

débouchant sur la mer par

le faucon qui rompt l’espace

et les guêpes de sang

 

                                               car elle

ne s’est pas donnée, mais elle

s’est fait prendre

                                      par

le vu, et par le

ressaut des choses

elle commence tassée sur les cris futurs

écrite sur un poème tiré poils contre

poils et fibreux en forme de chienne

mangeuse de taureau à l’œil rouge

épinglé à la voûte des éclats, et

aux rouleaux de la mer en fil de quartz

sur la pierre inestimable et le soleil purgé

du fait des plaisirs en son lit, contre

le corps le plus vif et le feu qui piège

toutes formes, hêtre et faine, agar et sara

hors de la ligature des soleils

je vous demande la poursuite d’empreinte

et la puissance d’outrer le plus vivant

par les filles couchées en océan, tramées

franchissant l’espace, non par

bateaux ou chemins, mais

par récit, contant une voix non connue

chemin de taupe et sans trace, autre

que le tas de terre friable écroulé

où s’écrie le cri inouï, l’empreinte

d’intention sur le son la contrainte violentée

par vautour ; corps plongé consumé

donné en fusions, mis en rivage

ravage, aboyé de rire

her wild hollow hoarlight hung to the height

and hoarwhore, là où

notre nuit déferle et achève

je commencerai à voir la face enfouie

dans l’ivre le commencement l’éclat

alors il va reparler encore, et

de l’hirondelle possédée

du tout premier visage, aussi

beau que l’enfant prêt à être

coupé en deux

 

 

Toute chose du monde

In Comme en remontant un fleuve (2010)-  (p.87)

 

 

 

 

 

 

 

 

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Pour toute commande sur le site: contact@jean-pierre-faye.net

 

 

■ ■ ■ Né à Paris le 19 juillet 1925, Jean-Pierre Faye est écrivain, poète et philosophe français.

Biographie : http://www.jean-pierre-faye.net/biographie/

 

 

 

A paraître :

Novembre 2011: « Paul de Tarse et les Juifs »
éd. Germina

Janvier 2012: « Combat au-dessus du vide –pour une critique du ‘logocentrisme’ »
éd. Germina

Janvier/Février 2012: « Didjla le Tigre »
Réédition avec version audio lue par Bérangère Bonvoisin
L’Harmattan/Notes de Nuit

 

Dernières parutions :

  « Al FÂRÂBI, les desseins de la métaphysique »
 
Texte bilingue présenté par Jean-Pierre Faye
Selefa

 

 

 

 

 

& autres poèmes

 

■ CARNETS D’EUCHARIS N°31

Novembre&Décembre 2011

(mis en ligne le 15 novembre 2011)

Couv carnets d'eucharis n°31.jpg 

© Nathalie Riera – nathalieriera@live.fr