Danièle Robert/Guido Cavalcanti (une lecture de Claude Minière) (10/04/2012)
Une lecture de
Claude Minière
Guido Cavalcanti / Danièle Robert
Rime
Editions vagabonde, 2012
Que se passe-t-il à Florence dans la fin du 13ème siècle ? « A temps nouveau, nouveau chant » avait déclaré le troubadour Guillaume IX d’Aquitaine. Mais il y a aussi, dans la profusion des langues, un immense héritage ; dans la philosophie, un retour et une inquiétude. Guido Cavalcanti (1250-1300), avec d’autres poètes au premier rang desquels Dante (1265-1321), participe à une refondation. Leur « volonté commune est de donner un sens nouveau à la poésie amoureuse traditionnelle » (D. Robert, préface). Guido a son chemin personnel, une pratique complexe de l’expérience lyrique : « Ce que Cavalcanti met surtout en lumière avec une exceptionnelle acuité…c’est le drame de la connaissance » (idem).
Les saisons consécutives à ce printemps florentin seront étendues. William Shakespeare dans ses Sonnets posera « Will I am » (« Virilité je suis »), ce qui est, il faut en convenir, d’une autre impétuosité que « Je pense donc je suis » mais n’en manifeste pas moins une volonté de fondement et une décision en raison. Plus tard, dans le péril, Hölderlin en quelque sorte « ramassera » les options diffuses et tranchera : « Ce qui demeure, ce sont les poètes qui le fondent ». Ezra Pound, au début du 20ème siècle, traduira Cavalcanti et souvent se remémorera, comme en jouant, « Donna me prega ».
Donna me prega (« Dame me prie… ») est l’incipit de la canzone XXVII de Guido Cavalcanti. C’est dans cette « pièce » que l’on peut relever ces notes aiguës et graves :
vers 5 : « Or à présent je recherche un savant »
vers 53 : « (ne peut l’imaginer qui ne l’éprouve) »
et enfin cet envoi :
« Tu peux partir, chanson, tout à fait sûre,
là où tu veux : car je t’ai si ornée
que ta raison va être fort louée
par toutes gens qui ont l’entendement ;
et quant aux autres tu n’en as vraiment cure »
Danièle Robert a fait le choix d’entrer dans un système métrique et elle s’en explique dans sa préface (pp. 9-35) du volume. Elle a également fait le choix de conserver ou « retrouver » une certaine tonalité de vocabulaire. Alors attardons-nous un instant sur ta raison (« tua ragione »). Quelle raison ? Une raison ornée. Cavalcanti est virtuose dans la tournure d’une « canzone », dans l’usage et la subversion des codes poétiques--- mais pas seulement. Il avance une raison qui sera fort louée, mais de ceux, seuls, qui ont « l’entendement ». Dans une note au premier poème des Rime, une « ballata », Danièle Robert explique que « le caractère ineffable de la beauté de l’aimée » porte l’interrogation sur « sa véritable nature : humaine ou divine ? »
On pourrait renverser les termes : ne serait-ce pas l’interrogation (humaine ou divine ?) qui installerait le thème de la beauté de l’aimée, beauté dès lors logiquement « ineffable » --- ou inépuisable ? Danièle Robert parle bien de « l’expression lyrique d’un drame » (je souligne). Dans le drame, Cavalcanti et Dante prendront des chemins différents, l’un et l’autre répondront différemment à la question de savoir jusqu’où peut-on aller, jusqu’où peut on aller avant de buter sur l’indicible. Dante repense la doctrine de la fin’amor en fonction de la théologie et de la Grâce ; Cavalcanti vivra l’expérience « comme ne permettant d’atteindre ni vertu ni rédemption ».
Comme toujours (elle a pour Actes Sud traduit Ovide et Catulle, pour vagabonde Michele Tortorici) Danièle Robert écrit ici de manière sensible et documentée. Sa lecture des Rime nous engage à voir comment se renouvelle la figure de la « Donna », et ce qu’elle demande.
…Pensée de l’Amour, amour de la pensée.
© Claude Minière
Les Carnets d’Eucharis N°33 (printemps 2012)
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