18/09/2013
Wallace Stevens - Choix de poèmes traduits par Raymond Farina
WALLACE STEVENS
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©Poésie
© Photo : Bettmann/Corbis | http://www.nybooks.com/
Wallace Stevens, early 1950s
POÈMES CHOISIS
BOURGEOIS DE LA PETITE MORT / BURGHERS OF PETTY DEATH
ANGLAIS MORT A FLORENCE
ESTHÉTIQUE DU MAL (extrait) / ESTHÉTIQUE DU MAL (Excerpt)
LE VENT TOURNE / THE WIND SHIFTS
CARTE POSTALE DU VOLCAN / A POSTCARD FROM THE VOLCANO
LE MONDE COMME MEDITATION / THE WORLD AS MEDITATION
DE LA POESIE MODERNE / OF MODERN POETRY
UN PLAT DE PECHES EN RUSSIE / A DISH OF PEACHES IN RUSSIA
CHATEAU GALANT / GALLANT CHATEAU
CONNOISEUR DU CHAOS / CONNOISSEUR OF CHAOS
CHRONIQUE DE L'HOMME QUELCONQUE / PAISANT CHRONICLE
…
Traduit de l’anglais par Raymond Farina
■
■ Sur le site Les Carnets d’Eucharis
Wallace Stevens
Poèmes traduits par Raymond Farina
**
(BOURGEOIS DE LA PETITE MORT)
Ces deux là près du mur de pierre
Sont un léger fragment de mort.
L’herbe est encore verte.
Mais c’est une mort totale,
Une dévastation, une mort vraiment haute
Et profonde, couvrant toute surface,
Envahissant l’esprit.
Les voilà les petits citadins de la mort,
Un homme et une femme,
Semblables à deux feuilles
Qui restent attachées à l’arbre,
Avant que l’hiver gèle et qu’il devienne noir –
Vraiment haute et profonde
Sans aucune émotion, un empire de calme,
dans lequel une ombre épuisée,
Portant un instrument,
Propose, pour finir, une musique blanche.
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(BURGHERS OF PETTY DEATH)
These two by the stone wall
Are a slight part of death.
The grass is still green.
But there is a total death,
A devastation, a death of great height
And depth, covering all surfaces,
Filling the mind.
These are the small townsmen of death,
A man and a woman, like two leaves
That keep clinging to a tree,
Before winter freezes and grows black-
Of great height and depth
Without any feeling, an imperium of quiet,
In which a wasted figure, with an instrument,
Propounds blank final music.
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(ANGLAIS MORT A FLORENCE)
**
Il se retrouvait un peu moins chaque printemps.
La musique déjà lui faisait défaut. Même Brahms,
Son grave démon familier, marchait souvent à l’écart.
Son esprit devenait incertain de la joie
Certain de son incertitude, dans laquelle
Ce grave compagnon le laissait inconsolé
A des souvenirs qui le rendaient presque toujours à lui-même.
Ce n’est que la dernière année qu’il dit que la lune nue
N’était pas celle qu’il avait l’habitude de voir, de sentir
(Dans les pâles harmonies de lune et d’humeurs
Quand il était jeune), la lune nue et lointaine,
Brillant plus faiblement au fond d’un ciel plus sec.
Sa pâleur colorée devenait cadavérique.
Il cultivait sa raison, exerçait sa volonté,
Avait parfois recours à Brahms à la place
De la parole. Il était cette musique et lui-même.
Ils étaient parcelles d’ordre, une unique majesté.
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul.
A la fin il se levait avec l’aide de Dieu et de la police,
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul.
Il se soumettait à cette unique majesté;
Mais il se souvenait du temps où il se levait seul,
Lorsque être et jouir d’être semblaient ne faire qu’un,
Avant que les couleurs ternissent et rapetissent.
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(ANGLAIS MORT A FLORENCE)
A little less returned for him each spring.
Music began to fail him. Brahms, although
His dark familiar, often walked apart.
His spirit grew uncertain of delight,
Certain of its uncertainty, in which
That dark companion left him unconsoled
For a self returning mostly memory.
Only last year he said that the naked moon
Was not the moon he used to see, to feel
(In the pale coherences of moon and mood
When he was young), naked and alien,
More leanly shining from a lankier sky.
Its ruddy pallor had grown cadaverous.
He used his reason, exercised his will,
Turning in time to Brahms as alternate
In speech. He was that music and himself.
They were particles of order, a single majesty:
But he remembered the time when he stood alone.
He stood at last by God’s help and the police;
But he remembered the time when he stood alone.
He yielded himself to that single majesty;
But he remembered the time when he stood alone,
When to be and delight to be seemed to be one, Before the colors deepened and grew small.
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(ESTHÉTIQUE DU MAL)
extrait
XII
Il ordonne le monde en deux catégories :
Celui qui est peuplé, celui qui ne l’est pas.
Dans les deux, il est seul.
Mais il y a, dans le peuplé,
Outre ses habitants, le savoir qu’il a d’eux.
Et dans le dépeuplé, ce qu’il sait de lui-même.
Quel est le plus désespéré dans les moments
Où son vouloir exige que ce qu’il pense soit vrai ?
Est-ce lui-même en eux qu’il connaît ou bien eux
En lui-même ? Si c’est lui-même en eux, ils n’ont
Point de secret pour lui. Et si c’est eux en lui,
Il n’a point de secret pour eux. Car ce qu’il sait
D’eux et de lui détruit chacun de ces deux mondes,
Sauf quand il s’en évade. Etre seul c’est pour lui
Etre dans l’ignorance et d’eux et de lui-même.
Cela en crée un troisième sans connaissance,
Où personne ne cherche, où le vouloir n’exige
Rien et accepte tout ce qui passe pour vrai,
Y compris la douleur, qui, autrement est feinte.
Dans le troisième monde, alors, pas de douleur. Oui, mais,
Quel amant en ressent dans de tels rocs, quelle femme,
Même si on la connaît, tout au fond de son cœur ?
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(ESTHÉTIQUE DU MAL)
Excerpt
XII
He disposes the world in categories, thus :
The peopled and the unpeopled. In both, he is
Alone. But in the peopled world, there is,
Besides the people, his knowledge of them. In
The unpeopled, there is his knowledge of himself.
Which is more desperate in the moments when
The will demands that what he thinks be true?
It is himself in them that he knows or they
In him? If it is himself in them, they have
No secret from him. If it is they in him,
He has no secret from them. This knowledge
Of them and of himself destroys both worlds,
Except when he escapes from it. To be
Alone is not to know them or himself.
This creates a third world without knowledge,
In which no one peers, in which the will makes no
Demands. It accepts whatever is as true,
Including pain, which, otherwise, is false.
In the third world, then, there is no pain. Yes, but
What lover has one in such rocks, what woman,
However known, at the centre of the heart ?
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XIII
Il se peut qu’une vie soit la sanction d’une autre
Comme celle d’un fils pour celle de son père.
Mais cela ne concerne que les seconds rôles.
C’est une tragédie fragmentaire
Au sein du tout universel. Le fils,
Le père aussi, ont fait leur temps, pareillement,
L’un et l’autre, en vertu de la nécessité d’être
Soi-même, de l’inaltérable nécessité
D’être cet inaltérable animal.
Cette puissance de la nature en action est la tragédie
Majeure. C’est le destin sûr de lui,
Le plus jubilant ennemi. Et il se peut
Que, dans son cloître méditerranéen, un homme
étendu, libéré du désir, établisse
Le visible, une zone de bleu et d’orange
Dont changent les couleurs, établisse un moment
Pour contempler la mer, simulacre du feu, et l’appelle le bien,
Le bien suprême, sûr de la réalité
De la plus longue méditation, du maximum,
De la scène de l’assassin. Le mal dans le mal est
Relatif. L’assassin se dévoile lui-même,
la force qui nous détruit est dévoilée dans
Ce maximum, une aventure à endurer
Dans l’impuissance la plus polie. Mais oui !
On sent son action circuler dans nos veines.
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XIII
It may be that one life is a punishment
For another, as the son’s life for the father’s.
But that concerns the secondary characters.
It is a fragmentary tragedy
Within the universal whole. The son
And the father alike and equally are spent,
Each one, by the necessity of being
Himself, the unalterable necessity
Of being this unalterable animal.
This force of nature in action is the major
Tragedy. This is destiny unperplexed,
The happiest enemy. And it may be
That in his Mediterranean cloister a man,
Reclining, eased of desire, establishes
The visible, a zone of blue and orange
Versicolorings, establishes a time
To watch the fire-feinting sea and calls it good,
The ultimate good, sure of a reality
Of the longest meditation, the maximum,
The assassin’s scene. Evil in evil is
Comparative. The assassin discloses himself,
The force that destroys us is disclosed, within
This maximum, an adventure to be endured
With the politest helplessness. Ay-mi!
One feels its action moving in the blood.
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Wallace Stevens traduit par Raymond Farina_LCE 2013.pdf
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14/06/2013
Paul Blackburn
PAUL BLACKBURN
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© Poésie Poetry
©SOURCE PHOTO | INTERNET | Paul Blackburn (1926-1971)
EXTRAITS
Villes suivi de Journaux
…
Traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphane Bouquet
■
■ Sur le site Les Carnets d’Eucharis
http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/paul-blackburn/
P. BLACKBURN, Villes suivi de Journaux
Editions José Corti, 2011
(traduit par Stéphane Bouquet)
(FLEXIONS)
**
les fleuves de l’après-midi
coulant autour de toi quand tu
bouges t’arrêtes et après
debout dans ma salle de bains
nue parmi les jeunes plantes
dans la lumière verte et que tu chantes
doucement pour toi-même
------------------------- (p. 137)
(A FAIRE, SE REVEILLER)
**
Quelqu’un ici
te respire
à 5 h du matin dans la lumière jaune
Eté.
Et je te respire, les endroits
où nos corps se touchent sont chauds,
j’entends la mélodie légère ton souffle
en silence, ma tête
et mes épaules se déplacent dans l’aube pour saisir
les différents angles d’un peu de visage
et de chair endormis
quand ils inspirent
près de moi.
J’inspire, je
te respire
ici près de moi
dans la lumière jaune, je capture
différents angles de ton visage et de tes seins, tes
hanches saillantes
et soyeuses sous le ventre doux, ton
visage est différent chaque
fois que je bouge, l’angle de ta hanche, la rondeur des
seins . A Guadalajara, 55
kilomètres de Madrid
disent
toutes les affiches, je
me soulève sur un coude, dégringole, et
pose ma tête entre tes jambes pour
te goûter, la
dernière chose
qui reste .
------------------------- (p. 157)
(JOURNAL : JUIN 1971)
**
L’épicéa de l’autre côté de la fenêtre
de la chambre bourdonne de guêpes
et d’abeilles cette année encore . La
mangeoire des oiseaux cloués un peu plus bas de l’autre côté de
l’arbre
assez haute pour les oiseaux, assez basse pour que je puisse la remplir
sans monter sur quelque chose . Hier,
Joan vit deux cardinaux de tout près . Un couple
: rouge brillant du mâle, rouge chamois
de madame . sont restés toute la matinée
à chanter . ça lui fit si plaisir .
13 . VI . 71
------------------------- (p. 208)
**
O M B R E d’un grand oiseau
qui flotte
plus bas sur la moitié ensoleillée de la route
court d’est en ouest . Nous
ici, sous l’abri des arbres, au
sud de la rue
on attend que le lézard vienne,
que le chat se pointe à la fenêtre du toit
miaulant pour entrer .
Nous sommes des animaux affamés rodant sur cette route.
Je me demande, TOUT CELA EST-IL DE L’AMOUR ?
Nous sommes allongés ici dans l’ombre de l’après-midi
l’ombre des couvertures a glissé .
Amour & faim . L’oiseau
le lézard, le chat,
nous-mêmes . Les ombres de la couronne
des arbres
balaient la moitié de la rue, sur
la chaussée et le caniveau. plus bas.
Ombre d’une feuille.
22 . VI . 71
------------------------- (p. 216)
(A B C DAIRE)
**
Avant les hommes
étaient des dieux, les animaux
étaient eux-mêmes, aucun
sens de l’immortalité pour
ainsi dire. Comment
vivre les uns avec les autres
au fond, n’alla jamais
sans problème . Le
dieu à tête de chacal, le
lion à tête de femme, les
gorgones étaient les protectrices des hommes durant
ce long voyage . Nous
portons le M O T avec nous.
Viens maintenant, lis : un nouveau
monde est en train d’arriver
25 . VI . 71
------------------------- (p. 218)
JOSÉ CORTI
ÉDITIONS
2011
AUTRES SITES A CONSULTER
■ EPC : http://epc.buffalo.edu/authors/blackburn/
■ TERRES DE FEMMES : http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2011/11/paul-blackburn-villes-suivi-de-journaux.html
■ MODERN AMERICAN POETRY : http://www.english.illinois.edu/maps/poets/a_f/blackburn/about.htm
■ EDITIONS JOSE CORTI : http://www.jose-corti.fr/titresetrangers/Villes_journal_Blackburn.html
11:30 Publié dans ETATS-UNIS, José Corti, Paul Blackburn | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Elizabeth Bishop
ELIZABETH BISHOP
---------------------------------
©Poésie Poetry
©SOURCE PHOTO | INTERNET | Elizabeth Bishop (1911-1979)
EXTRAIT
Nord & Sud
…
Traduction de l’anglais (Etats-Unis) de Claire Malroux
■
■ Sur le site Les Carnets d’Eucharis
http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/elisabeth-bishop/
Elizabeth Bishop, Nord & Sud
Editions Circé, 1996 (pour la traduction française)
1983 by Alice Helen Methfessel
(FLORIDE)
**
L’Etat au nom le plus charmant,
l’Etat flottant dans l’eau saumâtre,
cimenté par les racines de la mangrove
qui vivantes, portent des huitres en grappes
et mortes, jonchent de squelettes les marais blancs ;
parsemé, comme en un bombardement, de verts mamelons
pareils à d’antiques obus où germe l’herbe.
L’Etat peuplé de longs oiseaux en forme de S, bleus et blancs,
et d’invisibles oiseaux hystériques montant chaque fois la gamme
précipitamment dans un accès de colère.
Tangaras gênés de leur apparence criarde,
pélicans ravis de faire les clowns,
qui s’amusent à longer la côte sur les forts courants,
louvoient entre les îles de la mangrove
et sèchent sur les bancs de sable leurs ailes d’or humides
par les soirs ensoleillés.
D’énormes tortues, douces et désarmées, meurent,
laissent sur les grèves leurs carapaces incrustées de bernacles
et leurs gros crânes blancs aux orbites rondes
deux fois plus grandes que celles d’un homme.
Les palmiers claquent dans la forte brise
comme les becs des pélicans. La pluie tropicale vient
raviver les colliers de coquillages décolorés :
larmes de Job, alphabet chinois, la rare Junonia,
peignes bariolés et oreilles de dames,
disposés comme sur une natte grise de calicot pourri
la jupe de la princesse Peau-rouge ensevelie ;
tout le littoral affaissé, monotone, interminable,
en est délicatement orné.
Trente urubus au moins descendent lentement, lentement,
vers un cadavre repéré dans le marécage,
en cercles pareils à des flocons de sédiment agités
s’enfonçant dans l’eau
La fumée des feux de bois filtre de fins solvants bleus.
Sur les souches et les arbres morts, le bois calciné est du velours noir.
Les moustiques
vont en chasse au son de leurs féroces pizzicati.
La nuit tombée, les lucioles dessinent au sol la carte du ciel
jusqu’au lever de la lune.
D’un blanc froid, mat, elle brille en une trame lâche
et cet Etat putride, négligent, n’est que points noirs
trop espacés, et laides blancheurs : sa plus médiocre
carte postale.
La nuit tombée, les étangs semblent s’être enfuis.
L’alligator, qui possède cinq cris distincts :
amitié, amour, accouplement, guerre et menace –
geint et parle dans la gorge
de la princesse Peau-rouge.
------------------------- (p. 70/73)
(FLORIDA)
**
The state with the prettiest name,
the state that floats in brackish water,
held together by mangrove roots
that bear while living oysters in clusters,
and when dead strew white swamps with skeletons,
dotted as if bombarded, with green hummocks
like ancient cannon-balls sprouting grass.
The state full of long S-shaped birds, blue and white,
and unseen hysterical birds who rush up the scale
every time in a tantrum.
Tanagers embarrassed by their flashiness,
and pelicans whose delight it is to clown;
who coast for fun on the strong tidal currents
in and out among the mangrove islands
and stand on the sand-bars drying their damp gold wings
on sun-lit evenings.
Enormous turtles, helpless and mild,
die and leave their barnacled shells on the beaches,
and their large white skulls with round eye-sockets
twice the size of a man’s.
the palm trees clatter in the stiff breeze
like the bills of the pelicans. The tropical rain comes down
to freshen the tide-looped strings of fading shells :
Job’s Tear, the Chinese Alphabet, the scarce Junonia,
parti-colored pectins and Ladies’ Ears,
arranged as on a gray rag of rotted calico,
the buried Indian Princess’s skirt;
with these the monotonous, endless, sagging coast-line
is delicately ornamented.
Thirty or more buzzards are drifting down, down, down,
over something they have spotted in the swamp,
in circles like stirred-up flakes of sediment
sinking through water.
Smoke from woods-fires filters fine blue solvents.
On stumps and dead trees the charring is like black velvet.
The mosquitoes
go hunting to the tune of their ferocious obbligatos.
After dark, the fireflies map the heavens in the marsh
until the moon rises.
Cold white, not bright, the moonlight is coarse-meshed,
and the careless, corrupt state is all black specks
too far apart, and ugly whites; the poorest
post-card of itself.
After dark, the pools seem to have slipped away.
The alligator, who has five distinct calls :
friendliness, love, mating, war, and a warning –
whimpers and speaks in the throat
of the Indian Princess.
------------------------- (p. 70/73)
CIRCÉ ÉDITIONS
1996
10:01 Publié dans Circé, Elisabeth Bishop, ETATS-UNIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
01/06/2013
Cole Swensen, Le nôtre (Ed. José Corti, 2013) par Tristan Hordé
Une lecture de
Tristan Hordé
Cole Swensen
■ Cole Swensen © Photo : Carl Sokolow
Source : https://jacket2.org/podcasts/where-real-exceeds-ideal-poemtalk-52
Le nôtre
Editions Corti, 2013
Traduit de l'américain par Maïtryi et Nicolas Pesquès
Après L'Âge de verre en 2010 et Si riche heure en 2007, Maïtryi et Nicolas Pesquès proposent la traduction d'un troisième ensemble de Cole Swensen sur la "matière" française. Le plus ancien prenait pour prétexte Les très riches heures du duc de Berry, livre d'heures achevé à la fin du XIVe siècle, et le second livre s'attachait aux tableaux de Pierre Bonnard ; Le nôtre — jeu sur le nom pour le titre en anglais Ours — est construit à partir de la création par André Le Nôtre de nombreux jardins au XVIIe siècle. Le livre s'apparente à un livre d'histoire, avec ses divisions ("Histoire", "Principes", "Vaux-le-Vicomte", etc.) ; on suivrait donc l'invention du jardin à la française avec d'abord la création de Vaux-le-Vicomte en 1666 — « les femmes jaillissaient des carrosses, en plumes d'autruche et en rivalités / chatoiements / inclinaisons » — qui entraîna la disgrâce du surintendant Fouquet. Il y aurait ensuite Versailles, sommet de l'art de Le Nôtre, mais aussi Saint-Cloud, Chantilly, Les Tuileries, Saint-Germain-en-Laye, d'autres encore. À côté de la figure de Louis XIV, d'autres personnages apparaissent, comme Charles Le Brun, et, en remontant le temps, Marie de Médicis, Colbert. Ajoutons, quand sont évoquées les orangeries construites au XVIIe siècle, des réflexions sur l'évolution générale des sociétés (« L'histoire des fruits exotiques est parallèle à celle de l'ascension des classes moyennes »).
Cependant, même si les faits rapportés sont exacts, ils ne constituent qu'un matériau et, très rapidement, ce n'est pas la partie historique, volontairement lacunaire, qui retient le lecteur : il s'aperçoit que dans Le nôtre le temps est comme déréglé, qu'il y a glissement dans une phrase d'une époque à une autre. Tout se passe comme si, ouvrant une porte, un personnage traversait les siècles ; ainsi pour Marie de Médicis au Palais du Luxembourg :
Sortant au premier jour de l'été 2007, Marie
voit des centaines de gens jouer sur les pelouses et dans les allées
qui ont été entièrement redessinées, et les chaises métalliques vertes,
leur bruit particulier quand on les traîne sur le gravier [...]
Marie hurle, sans que les gens se soucient d'elle — mais s'agit-il bien de Marie de Médicis, puisque « [c]hacun a un geste ou une expression qui le montre hors du temps » ? Et pourquoi ne pas croire ces deux anglaises qui, au début du XXe siècle, s'égarant dans les allées des jardins de Versailles, se retrouvèrent vivre pendant quelques moments au lendemain de la Révolution de 1789 ?
L'art du jardin consisterait à reconstruire le monde, ou peut-être même à le contenir : le jardinier doit parvenir à « ouvrir l'espace » pour que le jardin n'ait plus de limite et procure une « illusion d'infini ». L'espace est totalement transformé, de manière bien plus vive que « peint sur une tasse de porcelaine » : on reconnaîtra toujours la tasse pour ce qu'elle est, alors que le jardin de Le Nôtre avec ses multiples allées, pièces d'eau, bosquets, plans lointains, est un monde en lui-même ; les sous-titres le suggèrent, "Un jardin est un visage", "une marée", "une approche infinie", etc, c'est-à-dire « tout un jeu / dans lequel les pièces s'ajustent ».
Les temps et les espaces se mêlent, et s'engouffrent dans la fiction d'autres jardins éloignés du jardin à la française, ceux vus par Montaigne en Italie et celui lié, après la Passion, à la mort et à la renaissance — qui pourraient définir le jardin —, quand une autre Marie s'approche du jardinier :
On nous avait promis
et Marie tend les bras au jardinier
que par l'humilité du toucher
qui recule d'un pas
Cole Swensen parle d'anamorphose, et le mot rend compte des jeux d'illusion qu'elle propose, y compris dans le poème titré "Paradis" : l'homme et le jardin n'existeraient pas l'un sans l'autre et ils disparaîtraient sitôt séparés, mais leur liaison ne serait-elle pas aussi une perte de soi, ce que suggèrent les derniers vers : « On appelait oubliettes les premiers jardins publics de l'histoire. Sitôt entré, on ne vous distinguait plus des animaux ».
Ce ne sont pas seulement les repères spatio-temporels qui, ici et là, sont atteints et mis à mal. Le dessin que forme souvent le poème sur la page s'éloigne de l'image toute faite du jardin à la française transparent, sans mystère : les vers peuvent être alignés en milieu de page, les blancs tronçonnent la syntaxe, les enjambements désarticulent le vers, la phrase qui s'est développée, reste inachevée, seul le début d'un nom est écrit, des phrases s'interpénètrent, "nous" renvoie aussi bien à des contemporains de Le Nôtre qu'à des personnages du XXIe siècle, etc. On suit dans le livre la confusion des temps et des espaces, le passage parfois inattendu d'une réalité reconstruite à un monde imaginé, le jeu du continu et du discontinu, on reconnaît le passé comme énigme autant que le présent... Le dernier poème a pour titre "Garder la trace de la distance" : si le lecteur y consent, il prendra au mot ce que proposent les deux derniers vers : « Tu pourrais revenir / le long d'une voie inconnue. »
Il faudrait s'attarder sur les réflexions croisées de Nicolas Pesquès et de Cole Swensen à propos de ce qu'est traduire, ce serait un autre article — je retiens de l'auteur : « Si écrire, c'est présager sa propre mort, et dépasser l'horizon de cette limite, alors traduire c'est entrer dans la mort d'un autre, et devenir deux fois étranger. »
© Tristan Hordé
■ LES CARNETS D’EUCHARIS N°37, 2013
■ JOSE CORTI : http://www.jose-corti.fr/titresetrangers/le_notre_cole_swensen.html
© Droits réservés. Reproduction Interdite
■
Les carnets d’eucharis sont un espace numérique sans but lucratif, à vocation de circulation et de valorisation de la poésie, la photographie & des arts plastiques.
12:12 Publié dans Cole Swensen, José Corti, Tristan Hordé | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
14/03/2013
Susan Sontag par Valérie Le Cardinal
[Gravure]
Valérie Le Cardinal
LES CARNETS D’EUCHARIS, ANNEE 2013
[Susan Sontag Elucide les mEtaphores]
Eau forte sur vélin
68 x 50
_________________
VALERIE LE CARDINAL
Peintre graveur, née en 1966, vit et travaille à Toulon. Depuis 2008, elle travaille à une série de visages de femmes. Visages gravés dans le sillon de l'eau forte (KAHLO. CLAUDEL. VIEIRA DA SILVA. VARDA. SCHNEIDER. RAMPLING. BAUSCH. LI. SONTAG. BETTANCOURT. O’KEEFFE. MODOTTI...). En 2009, aide à la création du Collectif de graveurs Encred'Art. Intervient en Arts Plastiques auprès d'enfants autistes et de personnes handicapées.
19:00 Publié dans CLINS D'OEILS (arts plastiques), Susan Sontag | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
01/02/2013
Lancement de la revue "Les Carnets d'Eucharis, année 2013"
Université Paris 1
PANTHEON-SORBONNE
Lancement de la revue
■
HOMMAGE à Susan Sontag
Essayiste & romancière américaine (1933-2004)
■
EN présence de Nathalie Riera & Sabine Péglion
Un café-poésie sera proposé et organisé par Sabine Péglion, en soutien de la Revue et de son premier numéro annuel consacré à Susan Sontag. Une présentation sera faite par la créatrice de la revue : Nathalie Riera. A cette occasion, lecture par les écrivains, poètes et artistes invités dans ce premier numéro
Au sommaire de ce numéro ANNÉE 2013 sont invités :
Virgil Brill / Pierre Alechinsky/ Bruno Le Bail / René Barzilay / Patricyan / Claude Minière / J-G Cosculluela / Gérard Cartier / Georges Guillain / Béatrice Machet / Jos Roy / Gilbert Bourson / Roland Dauxois / Jacques Estager / Gérard Larnac / Angèle Paoli / Richard Skryzak / Sylvie Durbec / Mario Urbanet / Patricia Dao / Jean-Marc Couvé / Nathalie Riera / Claude Darras / Pascal Boulanger / Michaël Glück / Sabine Péglion / Mathieu Brosseau
...
Vendredi 8 février 2013
de19h à 22h
____
Salle du Conseil de l'IAE de Paris
21, rue Broca, 75005 Paris
Salle 21 - 7ème étage
Métro 7 : Censier-Daubenton
Bus 91 : Les Gobelins
Bus 83 : Pascal ou Les Gobelins
Bus 27 ou 47 : Monge-Claude Bernard ou Les Gobelins
Contact :
01:08 Publié dans LES CARNETS D'EUCHARIS (pdf & calaméo), Nathalie Riera, Susan Sontag | Lien permanent | Commentaires (1) | Imprimer | | Facebook
06/11/2012
Sylvia Plath
SYLVIA PLATH
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© Editions Quarto Gallimard Oeuvres, 2011
poèmes, romans, nouvelles, contes, essais, journaux
Extrait
« Contexte »/Context
Traduit par Catherine Nicolas
Publié en 1962 dans le London Magazine
Pour l’heure, les deux problèmes de société qui me préoccupent sont les incalculables effets génétiques des retombées radioactives, et un document sur l’alliance terrifiante, démente, omnipotente, du grand capitale et de l’armée en Amérique – « Juggernaut ou l’état de guerre », un article de Fred J. Cook paru dans un récent numéro de Nation. Cela a-t-il une influence sur le genre de poésie que j’écris ? Oui, mais de façon détournée. Je ne suis pas douée pour les lamentations de Jérémie, même si je me sens plutôt insomniaque devant ma vision de l’apocalypse. En fait, mes poèmes ne portent pas sur Hiroshima, mais sur un enfant qui se forme, doigt après doigt dans les ténèbres. Ils ne portent pas sur les terreurs de l’extermination de masse, mais sur la tristesse de la lune au-dessus d’un if dans un cimetière voisin. Non pas sur les testaments d’Algériens torturés, mais sur les pensées nocturnes d’un chirurgien fatigué.
[…]
Je ne crois pas qu’une « poésie de gros titres » intéresserait plus de gens et plus profondément que les titres à la une des journaux. Et à moins que le poème de circonstance ne naisse de quelque chose de plus viscéral qu’une philanthropie générale et changeante et soit, en vérité, cette Licorne qu’est un véritable poème, il risque fort d’être mis à la corbeille aussi rapidement que la page d’information elle-même.
Les poètes dont je fais mes délices sont possédés par leurs poèmes comme par le rythme de leur propre respiration. Loin de paraître fabriqués, leurs plus beaux poèmes semblent nés tout d’une pièce ; certains poèmes des Life Studies de Robert Lowell, par exemple ; la serre des poèmes de Theodore Roethke ; quelques œuvres d’Elizabeth Bishop, et la majeure partie de l’œuvre de Stevie Smith (« L’art est un chat, sauvage et tout à fait étranger à la civilisation »).
--------------------------------------- (CONTEXTE (1962), p.1241/1242)
_______________
SYLVIA PLATH
OEUVRES
Ed. Quarto Gallimard
2011
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05/11/2012
Arthur Miller
©Arthur Miller by Inge Morath
Liliane Kerjan
Ce que je sais d'Arthur Miller
Bourin Editeur, 2012
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26/10/2012
Robert DUNCAN
L'Ouverture du champ et autres poèmes | Traduit par Martin Richet
Lié au courant littéraire de Black Mountain et à celui de la Beat generation, Robert Duncan, né en 1919, est mort en 1988.
Composé entre 1956 et 1959 et publié en 1960 chez Grove Press, The opening of the field n’est pas seulement la première somme d’un maître poète ou l’articulation synthétique des avancées poétiques, contemporaines (le vers projectif décrit par Charles Olson y apparaît dans toute sa splendeur), et historiques, convoquant aussi bien Pindare que Louis Zukofsky, Marianne Moore ou Ingmar Bergman ; nous y trouvons la première pierre d’un édifice ambitieux, à l’échelle des Cantos d’Ezra Pound : l’œuvre d’une vie telle qu’elle se dessine et se définit dans une séquence transversale initiée ici, la « Structure de la Rime », qui se poursuivra dans les volumes suivants.
Le livre présente d’entrée ses trois thèmes ou éléments majeurs : la Loi, les Morts, le Champ. « La nature du Champ, écrit Duncan, est triple : il se conçoit intimement comme le champ donné de ma vie propre, intellectuellement comme le champ du langage (ou de l’esprit) et imaginairement comme le champ donné à l’homme (aux multiples langages).
Aussi, L’ouverture du champ et les deux séquences antérieures qui le précédent dans notre traduction dessinent une cosmologie qui admet aussi bien les cendres de l’homme de Néandertal (Un essai en guerre) que « les usines de la misère » (Poème commençant par une ligne de Pindare) ou «un jeu d’oiseaux dans un ciel vide » (Jeu d’épreuves) : « Le temps du poème ressemble à celui du rêve, car il organise lignes d’association et de contrastes en un ensemble hautement structuré. L’objectif commun du rêve et du poème est de donner socle à une forme au-delà de ce que nous connaissons, à un sentiment plus fort que la réalité.
■ SITE : José Corti Editions
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20/09/2012
Abonnement & souscription à la Revue papier "Les Carnets d'Eucharis" (année 2013)
SUSAN SONTAG
Virgil Brill
Bruno Le Bail
Pierre Alechinsky
2013
SOUSCRIPTION
ABONNEMENT
PDF à télécharger :
SOUSCRIPTION ABONNEMENT LES CARNETS D'EUCHARIS.pdf
Literature is freedom
(The Friedenspreis acceptance speech of Susan Sontag)
□□□□□□□□□□□□□□□□□□□□□□□
Like some Americans and many Europeans, I would far prefer to live in a multilateral world – a world not dominated by any one country (including my own).
●●● SUSAN SONTAG
Le premier numéro annuel papier sera consacré à l’écrivain, dramaturge, essayiste et critique new-yorkaise Susan Sontag. Je vous souhaite nombreux à soutenir le lancement de cette revue qui entend continuer à promouvoir (autrement que par la toile numérique) les écritures contemporaines et la photographie.
La publication est prévue pour février 2013.
PDF à télécharger
(ci-dessus)
| 2013 | Revue électronique&papier Les Carnets d’Eucharis| (ISSN 2116-5548) |
15:30 Publié dans LES CARNETS D'EUCHARIS (pdf & calaméo), Susan Sontag | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
16/09/2012
Theodor Roethke par Raymond Farina
THEODOR ROETHKE
Poète américain
(1908-1963)
"Sur le poète et son œuvre"
Theodor Roethke
Un poète américain se présente et présente son œuvre
Comme chacun sait l'Amérique est un continent, mais peu d'Européens connaissent, dans leur diversité et leur variété, les régions de ce pays. La vallée Saginan, où je suis né, a été la région où l'on a le plus exploité le bois aux alentours de 1880. C'est une région très plate et très fertile du Michigan, dont les villes principales, Saginan et Flint, se trouvent à l'extrémité nord de ce qui est à présent la principale région industrielle des Etats-Unis.
C'est dans cette région, qu'en 1870, mon grand-père arriva de Prusse où il avait été forestier en chef de Bismarck. Ses fils et lui ont crée et exploité quelques serres qui devinrent les plus importantes de cette partie des Etats-Unis.
C'était un merveilleux endroit où grandir pour un enfant. Il n'y avait pas seulement vingt cinq acres en ville, principalement sous serre et cultivées intensivement mais, plus loin dans la campagne, la dernière parcelle de bois vierge de la vallée Saginan et, plus loin, une vaste zone d'exploitation forestière laissée l'abandon, dont les arbres repoussaient pour la première fois, que mon père et mon oncle avaient transformé en petit terrain de jeu.
Enfant, alors, j'avais plusieurs mondes où vivre que je ressentais comme miens. J'aimais particulièrement un coin marécageux du sanctuaire où les hérons nichaient toujours. J'ai utilisé un de mes souvenirs les plus anciens dans un poème que je leur ai consacré (...)
J'ai essayé d'indiquer dans mon second livre "The lost son and other poems", publié en Angleterre en 1941, ce que représentaient pour moi les serres.
Elles représentaient pour moi, je m'en rends compte aujourd'hui, à la fois le paradis et l'enfer, une sorte de tropiques créés dans le climat sauvage du Michigan, où d'austères américains d'origine allemande transformaient leur amour de l'ordre et leur terrible efficacité en quelque chose de vraiment beau.
C'était un univers -plusieurs mondes- à propos duquel, même enfant, on s'inquiétait, et qui luttait pour rester en vie, comme dans le poème "Big wind" (...)
Dans ces premiers poèmes j'avais commencé, comme un enfant, avec de petites choses, et j'avais essayé de ne m'exprimer qu'en utilisant des mots simples. Un peu plus tard, en 1945, j'ai commencé une suite de poèmes plus longs qui tentent, par leur rythme, de saisir le mouvement même de l'esprit, de suivre l'histoire spirituelle d'un protagoniste (pas "moi" personnellement mais tout homme hanté et harcelé), qui cherchent à faire de ce mouvement un ensemble réel et non arbitrairement ordonné, autorisant toute une gamme de sentiments incluant l'humour.
Comment créer une réalité, une vraisemblance, le "comme si" de l'enfant , dans la langue qu'un enfant utiliserait, c'était pour moi extrêmement difficile. Par exemple le second poème "I need, I need" s'ouvre par une imagerie très orale, par le monde de l'enfant qui suce et lèche. Puis on glisse vers un passage où deux enfants sautent à la corde. On ne dit pas au lecteur que les enfants sautent à la corde, mais celui-ci les entend simplement tous les deux se réciter, tour à tour, des comptines l'un à l'autre; puis cette expectative mitigée et cette agressivité se changent dans le passage suivant en un sentiment d’amour, vaguement ressenti, mais net, chez l'un des enfants (...)
Dans les poèmes suivants nous entendons le jeune adolescent, encore à demi enfant, puis le jeune homme se vanter et miauler; et on finit par des passages plus difficiles dans lesquels l'esprit, soumis à une grande tension, erre loin dans le subconscient, pour émerger plus tard dans la "lumière" de passages plus sereins ou euphoriques au terme de chaque phase d'expérience.
Parfois, bien sûr, il y a régression. Je crois que l'être spirituel doit revenir en arrière pour pouvoir avancer. La voie est cyclique, et parfois on la perd, mais on la retrouve invariablement. Quelques uns des artifices techniques caractéristiques de ce mouvement - la métaphore glissant rapidement, le questionnement rhétorique et d'autres semblables - réapparaissent dans des poèmes plus formels achevés récemment, "Four for Sir John Davies" qui sont, entre autres choses, un hommage à l'auteur élisabéthain de "Orchestra" et à feu W.B. Yeats.
Extrait de « ON THE POET AND HIS CRAFT »
University of Washington Press, 1965
Choix de poèmes
Traduits par Raymond Farina
LES FOLIES D’ADAM
1
Viens me lire Euripide,
Ou quelque rustre ancien capable
De rappeler ce que c’était
Que sortir de sa peau.
Des choses me parlent, c’est sûr ;
Mais pourquoi rester à gémir ici,
Sans être même à bout de souffle ?
2
Que sont le sceptre et la couronne ?
Rien de plus que ce que soulève
La tige nue : la rose
Jaillit vers cette jeune fille ;
Le terrestre demeure en elle ;
Une épine dans le vent pousse,
Calme devant ce qui s’écoule.
3
Je parlerais à une racine rabougrie ;
Ah, qu’elle riait de me voir
Regarder fixement en avant de mon pied,
Un orteil dans l’éternité ;
Mais quand répondait la racine,
Elle frissonnait dans sa peau,
Et regardait au loin.
4
Père et fils de cette mort,
L’esprit meurt chaque nuit ;
Dans le blanc vaste, les espaces
Connus du jour commun,
Quel aigle exige un arbre ?
La chair engendre un rêve ;
Tout os vrai chante seul.
THE FOLLIES OF ADAM
1
Read me Euripides,
Or some old lout who can
Remember what it was
To jump out of his skin.
Things speak to me, I swear;
But why am I groaning here,
Not even out of breath?
2
What are scepter and crown?
No more than what is raised
By a naked stem:
The rose leaps to this girl;
The earthly lives in her;
A thorn does well in the wind,
At ease with all that flows.
3
I talked to a shrunken root;
Ah, how she laughed to see
Me staring past my foot,
One toe in eternity;
But when the root replied,
She shivered in her skin,
And looked away.
4
Father and son of this death,
The soul dies every night;
in the wide white, the known
Reaches of common day,
What eagle needs a tree?
The flesh fathers a dream;
All true bones sing alone.
LE MOUVEMENT
L’âme a des mouvements divers, mais le corps n’en a qu’un.
Un vieux papillon, lacéré par le vent, se posa,
Battit des ailes sur la poussière du sol –
Se déployant ainsi l’esprit n’est pas bruyant.
Le désir seulement vivifie notre esprit,
Et nous nous affligeons dans la certitude d’aimer.
2
De l’amour naît l’amour. Ce tourment est ma joie.
J’observe une rivière : elle serpente au loin ;
Pour rencontrer le monde, en mon âme je monte ;
Et ce cri que j’entends je le laisse sur le vent.
Ce que nous déposons devons-nous le reprendre ?
J’ose un embrassement. Avançant, je demeure.
3
Qui d’autre que l’aimé sait l’élan de l’amour ?
Qui donc est assez vieux pour vivre ? Une chose de terre
Sachant combien toute chose change dans la semence
Avant qu’elle ait atteint l’ultime certitude,
Cet espace au-delà de la mort, cet acte d’amour
Auquel tout être participe, et doit la vie.
4
Des ailes déplumées qui crissent au soleil,
Sur une pierre sans soleil la danse de la crasse épaisse
Le jour et la nuit de Dieu : sous cet espace Lui souriait,
L’espoir a son silence et nous allons dans son jour vaste, -
O qui emprunterait à l’enfant son regard ? –
Oh, mouvement oh, notre chance est d’exister encore !
THE MOTION
1
The soul has many motions, body one.
And old wind-tattered butterfly flew down
And pulsed its wings upon the dusty ground-
Such stretchings of the spirit make no sound.
By lust alone we keep the mind alive,
And grieve into the certainty of love.
2
Love begets love. This torment is my joy.
I watch a river wind itself away;
To meet the world, I rise up in my mind;
I hear a cry and lose it on the wind.
What we put down, must we take up again?
I dare embrace. By striding, I remain.
3
Who but the loved know love’s a faring-forth?
Who’s old enough to live?-a thing of earth
Knowing how all things alter in the seed
Until they reach this final certitude,
This reach beyond this death, this act of love
In which all creatures share, and thereby live,
4
Wings without feathers creaking in the sun,
The close dirt dancing on a sunless stone
God’s night and day: down this space He has smiled,
Hope has its hush: we move through its broad day,-
O who would take the vision from the child?-
O, motion O, our chance is still to be!
DANS L’AIR DU SOIR
1
Un mode grave me saisit ici,
Bien que l’été flamboie dans l’œil du viréon.
Qui pourrait n’être possédé
Qu’à moitié par sa nudité ?
De veille est mon souci –
Je créerai ma musique brisée, ou mourrai.
2
Petits, rapprochez-vous !
Fais-moi, Seigneur, ultime, simple chose
Que le temps ne peut accabler
Un jour j’ai transcendé le temps :
D’un bouton éclaté une rose jaillit,
Et moi je jaillis d’un dernier decrescendo.
3
Je regarde au-dessous la lumière lointaine
Et je contemple la face sombre d’un arbre
Au fond d’une plaine ondoyante,
Et quand de nouveau je regarde,
Elle s’est perdue sur la nuit –
Nuit que j’embrasse, tendre proximité.
4
Je suis près d’un feu bas
Comptant les mèches de la flamme, et je remarque
Comme est changeante la lumière sur le mur.
J’ordonne au calme d’être calme.
Je vois, dans l’air du soir,
Comme est lente la nuit qui descend sur nos actes.
IN EVENING AIR
1
A dark theme keeps me here,
Though summer blazes in the vireo's eye.
Who would be half possessed
By his own nakedness?
Waking's my care --
I'll make a broken music, or I'll die.
2
Ye littles, lie more close!
Make me, O Lord, a last, a simple thing
Time cannot overwhelm.
Once I transcended time :
A bud broke to a rose,
And I rose from a last diminishing.
3
I look down the far light
And I behold the dark side of a tree
Far down a billowing plain,
And when I look again,
It's lost upon the night --
Night I embrace, a dear proximity.
4
I stand by a low fire
Counting the wisps of flame, and I watch how
Light shifts upon the wall.
I bid stillness be still.
I see, in evening air,
How slowly dark comes down on what we do.
DANS UN SOMBRE MOMENT
Dans un sombre moment, mon œil commence à voir,
Je rencontre mon ombre au plus profond de l’ombre ;
J’écoute mon écho dans l’écho de ce bois –
Seigneur de la nature pleurant la mort d’un arbre.
Je vis entre le troglodyte et le héron,
Les bêtes des collines et les serpents des grottes.
Qu’est la folie sinon la noblesse de l’âme
Brouillée avec les circonstances ? Le jour brûle !
Je sais la pureté du plus pur désespoir,
Mon ombre épinglée sur un mur tout suintant.
Ce lieu dans les rochers – est-ce bien une grotte ?
Un sentier sinueux ? La marge est mon domaine.
Tenace une tempête de correspondances !
Un flot d’oiseaux la nuit, une lune en lambeaux,
Et dans le vaste jour le retour de minuit !
Un homme s’en va loin découvrir ce qu’il est –
Le moi qui meurt au fond d’une longue nuit sans larmes,
La nature s’embrasant d’un feu non-naturel.
Sombre, sombre mon jour, plus sombre mon désir.
Mouche d’été qu’affole la chaleur, mon âme
Bourdonne sur le seuil. Lequel de mes moi suis-je ?
Homme tombé, je me redresse hors de ma peur.
L’esprit entre en lui-même, et Dieu entre en l’esprit,
Alors un devient l’Un, libre au vent qui déchire.
IN A DARK TIME
In a dark time, the eye begins to see,
I meet my shadow in the deepening shade;
I hear my echo in the echoing wood--
A lord of nature weeping to a tree,
I live between the heron and the wren,
Beasts of the hill and serpents of the den.
What's madness but nobility of soul
At odds with circumstance? The day's on fire!
I know the purity of pure despair,
My shadow pinned against a sweating wall,
That place among the rocks--is it a cave,
Or winding path? The edge is what I have.
A steady storm of correspondences!
A night flowing with birds, a ragged moon,
And in broad day the midnight come again!
A man goes far to find out what he is--
Death of the self in a long, tearless night,
All natural shapes blazing unnatural light.
Dark, dark my light, and darker my desire.
My soul, like some heat-maddened summer fly,
Keeps buzzing at the sill. Which I is I?
A fallen man, I climb out of my fear.
The mind enters itself, and God the mind,
And one is One, free in the tearing wind.
UNE FOIS DE PLUS, LE CERCLE
Qu’est-ce qui est le plus grand, l’étang ou le caillou ?
Qu’est-il possible de connaître ? l’inconnu.
Mon vrai moi file vers une colline
Plus ! O plus visible.
Maintenant j’adore ma vie
Avec l’Oiseau, la Feuille persistante,
Avec le Poisson, l’Escargot qui furète,
Et l’œil qui change tout ;
Et je danse avec William Blake
Par amour, par amour de l’Amour ;
Et tout s’achemine vers l’Un,
Tandis que nous dansons encore, encore, encore.
ONCE MORE, THE ROUND
What's greater, Pebble or Pond?
What can be known? The Unknown.
My true self runs toward a Hill
More! O More! visible.
Now I adore my life
With the Bird, the abiding Leaf,
With the Fish, the questing Snail,
And the Eye altering All;
And I dance with William Blake
For love, for Love's sake;
And everything comes to One,
As we dance on, dance on, dance on.
J’ATTENDAIS
J'attendais que le vent émeuve la poussière;
Mais aucun vent ne vint.
Je semblais manger l'air.
Les insectes bruissant nivelaient l'air du pré.
Je surplombais, lourd et massif, le champ.
C'était comme si j'essayais de marcher dans le foin,
De m'enfoncer dans la moisson, à chaque pas un peu plus loin,
Ou je flottais à la surface d'un étang,
Longues lentes ondulations clignotant dans mes yeux.
Je voyais à travers l'eau toutes sortes de choses, agrandies,
Miroitantes. Le soleil brûlait à travers une brume légère.
Et moi je devenais tout ce que je voyais.
J'éblouissais dans une éblouissante pierre.
Alors un âne se mit à braire. Un lézard me fila sous le pied.
Lentement je revins vers la route poudreuse;
Il me semblait, quand je marchais, que je m'ensablais.
J'avançais comme un animal lassé de la chaleur.
J'allais sans me retourner. J'avais peur.
Le chemin se faisait plus raide entre les murs de pierre,
Puis se perdait au fond d'une gorge rocheuse.
Un sentier menait à un petit plateau.
En bas, claire, la mer, les vagues régulières,
Et tous les vents venaient vers moi. (J'étais heureux.)
I WAITED
I waited for the wind to move the dust;
But no wind came.
I seemed to eat the air;
The meadow insects made a level noise.
I rose, a heavy bulk, above the field.
It was as if I tried to walk in hay,
Deep in the mow, and each step deeper down,
Or floated on the surface of a pond,
The slow long ripples winking in my eyes.
I saw all things through water magnified,
And shimmering. The sun burned through a haze,
And I became all that I looked upon.
I dazzled in the dazzle of a stone.
And then a jackass brayed. A lizard leaped my foot.
Slowly I came back to the dusty road;
And when I walked, my feet seemed deep in sand.
I moved like some heat-weary animal.
I went, not looking back. [I was afraid.]
The way grew steeper between stony walls,
Then lost itself down through a rocky gorge.
A donkey path led to a small plateau.
Below, the bright sea was, the level waves,
And all the winds came toward me. [I was glad.]
RÉGÉNÉRÉ
Dans une main comme une coupe
Mon âme à moi dansait,
Petite comme une elfe,
A côté d'elle-même.
Quand elle pensait je pensais
Elle tombait comme blessée par une balle.
"Je n'ai qu'une aile", disait-elle,
"L'autre est morte",
"Mutilée, je ne peux voler,
Je suis comme mourir",
Criait l'âme
Depuis ma main comme une coupe.
Quand je fulminais, quand je me plaignais,
Et que ma raison faiblissait,
A cette chose délicate
Il poussait une aile nouvelle,
Et elle dansait, au milieu du jour,
Sur la poussière chaude d'une pierre,
Dans le point fixe de la lumière
De mon dernier minuit.
THE RESTORED
In a hand like a bow !
Danced my own soul,
Small as an elf,
All by itself.
When she thought I thought
She dropped as if shot.
“I’ve only one wing.”she said,
“The other’s gone dead.”
“I’m maimed; I can’t fly;
I’m like to die.”
Cried the soul
From my hand like a bowl.
When I raged, when I wailed,
And my reason failed,
That delicate thing
Grew back a new wing.
And danced, at high noon,
On a hot, dusty stone.
In the still point of light
Of my last midnight.
Traduction de Raymond Farina
Poèmes extraits de “The Collected Poems of Theodore Roethke”,
The Anchor Book edition, New York, 1975, pages 231, 232, 235,
239, 241, 243,254.
Traduction publiée avec l’aimable autorisation de la revue « Arpa »
qui l’a accueillie dans son numéro 59 de l’année 1996.
Theodor Roethke est né à Saginaw, dans le Michigan, en 1908. Il fait ses études à l’Université du Michigan et à celle d’Harvard. Il commence sa carrière au Lafayette Collège, avant d’enseigner, en 1935, au Michigan College. C’est au cours de cette année qu’il commence à souffrir d’une psychose maniaco-dépressive. De 1936 à 1943, il obtient un poste à l’Université de Pennsylvanie. C’est une période féconde, marquée par la publication de ses poèmes dans des revues prestigieuses comme Poetry, The New Republic, The Sewanee Review, the Saturday Review et par celle de son premier recueil Open House qui reçoit un accueil favorable de la critique. Nommé ensuite au Bennington College puis, à partir de 1947, à l’Université de Washington. Il épouse, en 1953, Beatrice O’Connell, une ancienne étudiante. Tous deux passent le printemps à Ischia, en Italie, dans la villa d’Auden. Puis au cours des années 55 et 56, ils voyagent à travers l’Europe, notamment en Angleterre et en Italie.
Parmi ses recueils figurent : The Lost Son and Other Poems (1948), The Long and Twisty Road (1950), The Waking pour lequel il obtient le Pulitzer, The Far Field dont son épouse assurera la publication posthume.
Outre le Pulitzer Price, il a reçu le Bollingen et deux National Book Award.
Il est mort en 1963 à l’île de Bainbridge, dans l’Etat de Washington.
21:40 Publié dans Raymond Farina, Theodore Roethke | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
26/07/2012
George Oppen
GEORGE OPPEN
---------------------------------
© Editions José Corti Poésie complète, 2011
Série américaine
Extraits
Traduit par Yves di Manno
Même si dans une sorte d’été les durs bourgeons fleurissent
Avec une profusion féminine
Le « cœur de la
Taille d’un pouce », le petit noyau de l’être,
Si peu artistique,
Le cœur sans élégance
Incapable de saisir
Le monde
Et qui produit l’art
Ne s’avère pas plus gros
Qu’un petit faucon
Se posant échevelé sur le rebord d’une fenêtre.
Tels des faucons du moins ne sommes-nous pas
Nulle part, et je dirai
Où nous sommes
Même si cela perturbe
Les fenêtres qui surveillent
L’activité
Des jours
Dans les rues
Sans horizon, rues
Et jardins
Des technologies féminines
Du désir
Et de la compassion qui vêtiront
Tout un chacun, émergeant
De l’air
Incivil
Malfaisant
Comme un faucon
Du nid d’un
Faucon comme doit être
Dit-on le nid
D’un tel oiseau, et continuant
Donc à parler de la
Technologie des brindilles
--------------------------------------- (DANS CE QUI (1965), p.111)
[…]
32
Que simplement cela soit beau
Que simplement cela soit beau
Ô, beau
Rouge bleu vert – les lèvres humides
En riant
Ou la spirale de la coquille blanche
Et la beauté des femmes, la perfection des tendons
Sous la peau, la perfection de la vie
Qui peut tanguer dans le flux
Du désir
Non de la vérité mais de l’autre
La peau lumineuse, lumineuse, ses mains qui s’agitent
A l’aune de son incroyable besoin
--------------------------------------- (D’ETRE EN MULTITUDE (1968), p.208)
23:42 Publié dans George Oppen, José Corti | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
20/07/2012
Theodore Roethke - Elegy For Jane
■Theodore Roethke
Theodore Roethke
American poet
(1908 – 1963)
■ LIEN : http://www.poets.org/poet.php/prmPID/13
■ ■ ■ In 1908, Theodore Roethke was born in Saginaw, Michigan. As a child, he spent much time in the greenhouse owned by his father and uncle. His impressions of the natural world contained there would later profoundly influence the subjects and imagery of his verse. Roethke graduated magna cum laude from the University of Michigan in 1929. He later took a few graduate classes at Michigan and Harvard, but was unhappy in school. His first book, Open House (1941), took ten years to write and was critically acclaimed upon its publication. He went on to publish sparingly but his reputation grew with each new collection, including The Waking which was awarded the Pulitzer Prize in 1954.LIRE LA SUITE
Elegy For Jane
(My student, thrown by a horse)
I remember the neckcurls, limp and damp as tendrils;
And her quick look, a sidelong pickerel smile;
And how, once startled into talk, the light syllables leaped for her,
And she balanced in the delight of her thought,
A wren, happy, tail into the wind,
Her song trembling the twigs and small branches.
The shade sang with her;
The leaves, their whispers turned to kissing,
And the mould sang in the bleached valleys under the rose.
Oh, when she was sad, she cast herself down into such a pure depth,
Even a father could not find her:
Scraping her cheek against straw,
Stirring the clearest water.
My sparrow, you are not here,
Waiting like a fern, making a spiney shadow.
The sides of wet stones cannot console me,
Nor the moss, wound with the last light.
If only I could nudge you from this sleep,
My maimed darling, my skittery pigeon.
Over this damp grave I speak the words of my love:
I, with no rights in this matter,
Neither father nor lover.
------------------------- (ELEGY FOR JANE)
_______________
Theodore Roethke
THE UNOFFICIAL SITE
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19/05/2012
Charles Reznikoff, Témoignage (P.O.L., 2012)
Charles Reznikoff
Poète américain
(1894–1976)
Que toute amertume, et courroux, et colère,
et vociférations, et invectives, soient extirpés de vous,
avec toute malice.
Éphésiens IV, 31
LE SUD
I
Jim entra dans sa maison
et prit une paire de guides
et ensuite dans l’écurie
et en passa une à l’âne
et sortit l’âne
et l’attacha à une clôture ;
et passa le nœud coulant de l’autre guide autour de la tête de
l’âne
et commença à tirer.
L’âne commença à faire un sacré bruit.
On trouva son corps le lendemain matin,
à quatre ou six mètres de la porte de l’écurie ;
le cou, juste derrière la tête,
affreusement meurtri.
-------------------------
Traduit de l’anglais par Marc Cholodenko
Charles Reznikoff
Témoignage
Les États-Unis (1885-1915)
Récitatif
Traduit de l’anglais
par Marc Cholodenko
mai 2012
576 pages, 19 €
ISBN :
978-2-84682-096-7
P.O.L
33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e
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16/03/2012
Susan Sontag, l'oeuvre parle
Lecture Nathalie Riera
Susan Sontag
L’œuvre parle, Christian Bourgois Editeur, 2010
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guy Durand
Site de l’éditeur/ http://www.christianbourgois-editeur.com/fiche-livre.php?Id=1157
Susan Sontag, « le prurit de l’interprétation »
____________________________________________________________________________
■■■ Comment une œuvre peut-elle échapper à l’emprise de l’interprétation ? Comment lui éviter « un recueil de préceptes » ? Avec Against interpretation and other essays écrit entre 1961 et 1965, et qui figure parmi les premiers articles de Susan Sontag sur les arts et la culture contemporaine, l’acte d’interpréter une œuvre est souvent davantage une manière de vouloir se substituer à l’œuvre plutôt que d’en appeler à une critique capable de la servir, de sympathiser avec elle. Chez Sontag tout excès d’interprétation nuit à l’expérience sensible, et contre cela elle n’hésite pas à nous dire que jamais l’œuvre d’art ne se place dans le monde « comme un texte, un commentaire du monde », et qu’en sa qualité d’œuvre d’art, celle-ci ne peut ni faire dans la formulation d’idées générales ni être au service d’une idéologie sociale.
Peut-on seulement accepter de l’artiste, dans son dépassement de « l’homme psychologique et social » (Artaud) son rôle périlleux d’éclaireur. Susan Sontag n’exclut pas que tout « savoir est, dans un certain sens, dangereux », un élargissement du champ de l’expérience et du champ de la conscience exigeant « une préparation psychique suffisamment ample et éclairé ». Ne faut-il alors pas voir simplement dans l’artiste – l’auteur citant Rilke – « un homme qui travaille à l’extension du domaine des sens » ?
(Les carnets d’eucharis © Nathalie Riera, mars 2012)
Extrait
« De nos jours, toute tentative novatrice valable dans le domaine de l’esthétique tend à prendre une tournure radicale. Un artiste doit se poser la question : quelle est la forme de radicalisme qui s’accordera avec mes dons, avec mon tempérament ? Cela ne signifie nullement que tous les artistes contemporains soient convaincus de la valeur de l’évolution dans le domaine artistique. Un point de vue radical n’est pas nécessairement tourné vers l’avenir.
Examinons deux points de vue radicaux les plus importants dans la perspective de l’art contemporain. L’un cherche à obtenir l’abolition de toutes les distinctions de genres particuliers. Il n’y aurait plus alors qu’un art unique, composé du concours de toutes les formes et de tous les moyens de réalisation : immense édifice combinant et comportant la synthèse de toutes les formes de comportement. L’autre point de vue voudrait que soient maintenues et précisées toutes les limites de séparation, par une clarification des caractéristiques particulières à chaque forme d’art : la peinture ne devrait utiliser que les procédés qui lui appartiennent, la musique ne pas sortir du domaine musical, le roman se garder d’emprunter à d’autres disciplines littéraires et se servir uniquement de la technique qui lui est propre.
Ces deux points de vue sont apparemment inconciliables. Ils n’en traduisent pas moins l’un et l’autre l’une des préoccupations constantes de l’époque moderne : la recherche d’une forme artistique définitive. » (« L’œuvre parle », Susan Sontag, p.237/238)
Susan Sontag est née à New York en 1933. Elle publie son premier roman, Le Bienfaiteur, à l'âge de trente ans. Dans les années 1960, elle écrit pour différents magazines et revues. Très engagée à gauche, elle est proche d'intellectuels français tels que Roland Barthes, à qui elle a consacré un livre. Son essai Sur la photographie paraît en 1977. Elle publie également de nombreux romans, dont L'Amant du volcan (1992) et En Amérique (1999) pour lequel elle a reçu le National Book Award. Le Prix Jérusalem, qui lui a été attribué en 2001, et le Prix de la Paix des libraires, qui lui a été remis à Francfort en 2003, récompensent l'ensemble de son œuvre. Elle est morte le 28 décembre 2004.
■ LES CARNETS D’EUCHARIS
http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/susan-sontag/
■ LES CARNETS D’EUCHARIS N°32 – HIVER 2012
http://fr.calameo.com/read/000037071e7e1f94a4320
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11/03/2012
Patti Smith, Auguries of Innocence
■ Patti Smith by Linda Smith Bianucci
Patti Smith
American singer, poet & visual artist
(Née à Chicago en 1946)
■ LIEN : http://www.pattismith.net/
Née en 1946, Patti Smith grandit dans le New Jersey et s'intéressa très tôt à la musique, écoutant les Rolling Stones, The Velvet Underground, Jimmy Hendrix, James Brown... A son arrivée à New York, elle rencontre le photographe Robert Mapplethorpe encore débutant. Ils se soutiennent mutuellement à leurs débuts. C'est également à cette époque qu'elle rencontre William Burroughs. D'abord tournée vers la poésie, son premier enregistrement important fut une version d'un poème de Jim Morrison. Au cours des années 1970, elle fut progressivement amenée à faire fusionner de tels écrits avec son expérience du rock. En 1971, elle donna ainsi une lecture à l'église St Mark, accompagnée à la guitare par Lenny Kaye; cette liaison informelle se poursuivit pendant trois ans, le duo fut rejoint par Richard Sohl (piano) pour former le premier Patti Smith Group.
■ http://www.christianbourgois-editeur.com/une-nouvelle.php?Id=46
MUMMER LOVE
[…]
oh stolen book my salvation no crime sweet no scent mesmeric no snow so light than the simple knowledge of you rimbaud sailor face words hidden in mu blouse so close to my breast
–piss factory draft
The years saw me grow long-limbed awkward inexplicably maverick. I sought my kind and found none. How you rescued me. Your peasant hands reaching through time wrapping my young heart. Your poems, found in a stall by the greyhound station I dogged dreaming of escape, were my ticket out of my cloistered existence. Words I could not comprehend and yet, deciphered by blood, illuminated adolescence. Armed with you I fled the rural suffocation of southern New Jersey past the streets of our forefathers to New York City of poet rats and public transit. I wrote with the image of you above my worktable, vowing to one day trace your steps dressed in the watch cap and coat of my present self.
------------------------- (P.127)
MASQUES D’AMOUR *
[…]
ô livre de mon salut pas de crime plus doux pas de parfum plus entêtant
pas de neige plus légère que ton livre volé toi rimbaud
face de marin dont je cachais les mots sous mon corsage contre mon sein
–brouillon de l’Usine à Pisse
Les années me virent grandir tout en longueur bras et jambes devenir gauche et inexplicablement à part. Je cherchai ma famille sans la trouver. Ah ! comme tu m’as délivrée ! Tes mains de paysan plongeaient à travers le temps pour étreindre mon jeune cœur. Tes poèmes, trouvés dans un kiosque près de la gare des bus Greyhound où j’allais traîner et rêver de fuite, furent le billet qui me délivra de mon existence cloîtrée. Tes mots que je ne saisissais pas, déchiffrés à la lecture du sang, illuminèrent mon adolescence. Armée de toi je m’échappai de la suffocante campagne du sud du New Jersey, quittant les rues ancestrales pour le New York des rats poètes et du trafic public. J’écrivais, ton portrait au-dessus de ma table de travail, me jurant qu’un jour j’irais sur tes pas, habillée de ma casquette et de mon manteau du moment.
------------------------- (P.127)
* Mummer : dans le monde rural anglais, personnage costumé et masqué lié à des rites célébrant le retour des saisons.
PRESAGES D’INNOCENCE/Auguries of Innocence
Patti SMITH
Christian Bourgois Editeur, 2007
Textes traduits de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Darras
-------------------------
SHE LAY IN THE STREAM DREAMING OF AUGUST SANDER*
You, I write beloved black ace Ophelia
extravagantly pierced dread pale moon.
Negatives inflame your immutable eye,
hands face feather soaked in love.
Cast your pearls pen the pink fat night.
Comb ashes from the garden asylum,
the white cliff of ambition shedding.
Shoot baby shoot, powers can alter.
Her human cathedral hung with tassels
of hair threaded with golden string.
And the sang as she slid dangerously alive
through long arms of trailing algae.
I have collected children. I have felt
the museum fled that mountain–viewed
with suspicion memories snowing.
the white cliff of ambition
in those soft trine
She unfastened the strings and fruit erupted.
The flayed mule became one with her,
they lay uncorrupted in the deep grass
pecked palm to palm by ebullient fowl.
You are my summer knight she whispered.
The spokes of the wheel bear witness.
A barren heart is a heart that does not choose.
Beloved, come down fluid like naked convinced
a heart has stopped floating orchid child.
Horns of angel turned in virulent dust,
being to feel found shelter in fire.
The first roar dry and blood brown
crisscrossing the Kingdom of a wrist.
------------------------- (P.60)
ALLONGEE DANS LE COURANT, ELLE REVAIT A AUGUST SANDER*
Toi à qui j’écris, figure d’as noir mon amour Ophélie
ma terrible lune pâle percée de trous extravagants.
Les négatifs enflamment ton œil immuable,
mains, visages, plumes baignées d’un bain d’amour.
Jette tes perles dessine l’épaisse nuit rose.
Peigne les cendres à l’asile du jardin,
effeuille la falaise blanche de l’ambition.
Tire, mon amour, tire, les puissances parfois varient.
Sa cathédrale humaine était ornée de festons
de cheveux passementés de fils d’or.
Vivante elle chantait quoique glissant périlleusement
entre les bras des longues algues traînantes.
J’ai rassemblé les enfants. J’ai senti
que le musée avait fui la montagne – j’ai vu
avec méfiance les souvenirs qui neigeaient.
les falaises blanches de l’ambition
en cette tendre trinité
Elle dénoua les fils et les fruits explosèrent.
La mule écorchée ne fit plus qu’une avec elle,
toutes deux gisant dans la haute herbe incorruptible
où des volatiles leur picoraient fiévreusement les paumes [une à une.
Tu es mon chevalier d’été, murmura-t-elle.
Les rayons de la roue en témoignent.
Un cœur stérile est un cœur qui ne choisit pas.
Ma chérie, laisse-toi glisser fluide et nue convaincue
qu’un cœur a cessé de flotter mon enfant orchidée.
Les trompettes d’anges se changèrent en poussière [virulente,
l’être sensible trouva refuge dans les flammes.
Premier claquement sec, du sang marron
quadrilla le royaume d’un poignet.
------------------------- (P.60)
* August Sander (1876-1964), photographe allemand spécialiste du monde rural autour de Cologne.
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10/03/2012
Robert Duncan
Robert Duncan
Poète américain
(1919-1988)
Berkeley, 1947
■ LIEN : http://jacketmagazine.com/28/dunc-bert-10poems.html
■ ■ ■ Robert Duncan born on January 7, 1919 in Oakland, California, Robert Duncan began writing poetry as a teenager in Bakersfield, when a high school teacher encouraged his creative endeavors. In 1938, after two years at University of California, Berkeley, Duncan moved to New York and became involved in the downtown literary coterie that had sprung up around Anaïs Nin… POETS.ORG : http://www.poets.org/poet.php/prmPID/186
■ LIEN : http://www.english.illinois.edu/maps/poets/a_f/duncan/duncan.htm
JUST SEEING
Sept. 27, 1980
takes over everywhere before names
this taking over of sand hillock and slope
as naming takes over as seeing takes over
this green spreading upreaching thick
fingers from their green light branching
into deep rose, into ruddy profusions
takes over from the grey ash dead colonies
lovely the debris the profusion the waste
here — over there too — the flowering begins
the sea pink-before-scarlet openings
when the sun comes thru cloud cover
there will be bees, the mass will be busy
coming to fruit — but lovely this grey
light — the deeper grey of the old colonies
burnd by the sun — the living thick
members taking over thriving
where a secret water runs
they spread out to ripen
ON ROBERT DUNCAN
by Michael PALMER
Modern American Poetry
■ http://www.english.illinois.edu/maps/poets/a_f/duncan/palmeronduncan.htm
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ÉPREUVES
Remplacer « chute d’herbes » par
« chante le verbe partir »
puisque la fuite des nuages
nous laisse le paysage hivernal.
Remplacer « violet » par « violent »
juste après
« les plis de ton visage s’appliquent
à contrarier mon désir »
PROOFS/EPREUVES
(SITE) Terres de femmes
■ http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2011/05/robert-duncan-proofs.html
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CHANT-LUMIERE
; époux la main les clés une libre imp-
rovisation qui garde le constant serment,
une musique,
à conjugaisons fixes, notes, les plus lég-
ères estimations de ravissement d’oreille
naturellement calculées. Le dispositif
disparaît en lui-même.
Donc, loi :
C’est cette musique à quoi le compositeur se risque,
joue, percutamment,
l’état que j’aime. Une
volition.
S’emparer, dans l’air, de ses figures.
2 POEMES DE Letters
Traduit de l’américain et introduction par Auxeméry
23:03 Publié dans ETATS-UNIS, Robert Duncan | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
24/11/2011
Paul Blackburn
— eDITIONS JOSE CORTI, 2011 —
Paul Blackburn
Villes suivi de Journaux
. B L A C K A N G E L .
par angele paoli
Blackburn, Paul Blackburn. Américain et poète. Quelque chose du feu et de noir dans son nom. « An angel », ― black angel un peu voyou un peu voyeur ? ― qui bat le pavé de la ville. Et un poète « accro » aux « magnétos » dont il se sert pour enregistrer les voix qui hantent l’atmosphère, la traversent et l’habitent. Bribes de conversation saisies au hasard des rues, onomatopées et rumeurs, claquements et cliquètements, grincements, roulements et rythmes.
Peu connu en France, si ce n’est de quelques lecteurs aficionados de la poésie d’outre-Atlantique, Paul Blackburn a fait cet automne son apparition dans le paysage poétique de l’Hexagone. Traduit dans son intégralité par Stéphane Bouquet, le recueil de Cities/Villes vient d’être publié dans la Série américaine des éditions José Corti, accompagné et complété d’extraits de Journals/Journaux. Ainsi composé, du « premier livre de taille » de Paul Blackburn d’une part, et, de l’autre, des Journaux des dernières années de sa vie, l’ouvrage proposé par l’éditeur offre un parcours poétique dense et envoutant. Et du personnage du poète, une vision profondément humaine et profondément attachante.LIRE LA SUITE (sur le site Terres de femmes)
Paul Blackburn
Poète américain
(1926-1971)
■ LIEN :http://www.jose-corti.fr/
LES PATURAGES DE L’ŒIL
Des floculations de cirrus suspendus
précipitent
dans le tube du ciel au-dessus de la rue,
couvrent d’un toit l’œil vieillissant dans sa flaque
enfermant ses
reflets sous une croûte de glace
Crac
Sourd, mais
L’œil regarde dehors
et des rangées de moutons aléatoires paissant au-dessus du parc
se nourrissent
de la seule herbe qu’il y a en ce matin d’hiver
/
dans l’esprit
L’œil, oui
vieillissant dans sa flaque,
mais ouvert .
O U V E R T
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VILLES, SUIVI DE JOURNAL
Paul BLACKBURN
éditions José Corti, 3 novembre 2011
Traduit de l'anglais par Stéphane Bouquet
22:53 Publié dans ETATS-UNIS, José Corti, Paul Blackburn | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
24/10/2011
Gertrude Stein, Lectures en Amérique
Gertrude Stein Lectures en Amérique
Éditions Christian Bourgois, 2011
Extraits :
G. Stein avait une grande sensibilité aux problèmes de la perception et au rôle rénovateur de l’art. Elle savait bien que l’habitude de voir et de sentir les objets empêche de les voir et de les sentir autrement et qu’il faut les déformer pour que le regard s’y arrête et y fasse apparaître d’autres possibles. C’est une leçon qu’elle avait surtout apprise de la peinture et sa compréhension de la littérature s’est faite au contact des tableaux des jeunes peintres du début du siècle. Chaque génération – selon sa propre terminologie – lève l’automatisme crée par les conventions artistiques de la génération précédente (…) Elle voit l’art comme procédé, ces procédés elle nous en parle ici et décide des siens, de ceux qui lui semblent convenir au XXe siècle, elle les utilise pour en parler parce qu’on ne comprend bien les choses qu’en les faisant et en étant fait par elles.
« Introduction » par Claude Grimal
(p. 16)
Comme je l’ai dit, m’étant de plus en plus familiarisée avec toute peinture à l’huile, je me suis, bien sûr, familiarisée de plus en plus avec nombre de tableaux précis, avec beaucoup de tableaux. Et, comme je le dis, quand on a regardé nombre de visages et qu’on s’est familiarisé avec eux, on peut trouver quelque chose de nouveau dans un nouveau visage, on peut être étonné d’un nouveau type de visage, on peut être choqué d’un nouveau type de visage, on peut l’aimer ou non ce nouveau type de visage, mais on ne peut pas refuser ce nouveau visage. On doit accepter ce visage pour ce qu’il est en tant que visage. C’est la même chose pour un tableau. Vous pouvez maintenant concevoir que, quand Matisse est survenu et puis le cubisme de Picasso, rien ne pouvait me déranger. Et pourtant bien sûr en un certain sens cela me dérangeait ; mais cela me dérangeait parce que je refusais.
Cela n’aurait pas été possible puisque j’étais familiarisée avec la peinture à l’huile, et que l’essence même de la familiarité consiste en la possibilité de tout regarder.
Gertrude Stein
(p. 81/82)
www.christianbourgois-editeur.com
15:07 Publié dans Christian Bourgois Editeur, ETATS-UNIS, Gertrude Stein | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
13/08/2011
Henri Cole, Nécessaire et impossible
Henri Cole
Poète américain
(né en 1956)
[…]
I can feel my heart beating inside my heart
[…]
NECESSARY AND IMPOSSIBLE
It is a nation born in the quiet part of the mind,
that has no fantasy of omnipotence,
no God but nature, no net of one vow,
no dark corner of the poor, no fugue-work of hate,
no hierarchies of strength, knowledge or love,
no impure water spasming from rock, no swarm of polluted flies,
no ash-heap of concrete, gypsum and glass,
no false mercy or truths buried in excrement;
and in this nation of men and women,
no face in the mirror reflecting more darkness
that light, more strife than love, no more strife
than in my hands now, as I sit on a rock,
tearing up bread for red and white carp
pushing out of their element into mine.
NECESSAIRE ET IMPOSSIBLE
C’est une nation née dans la partie sereine de l’esprit,
sans fantasme de toute puissance,
sans Dieu sauf la nature, ni piège d’un serment unique,
sans coin obscur de pauvres, ni fugue de haine,
sans hiérarchies de force, de connaissance ou d’amour,
sans eau impure pulsée d’un roc, essaim de mouches polluées,
amas de cendres de béton, gypse et verre,
sans fausse pitié ou vérités enfouies dans des excréments ;
et dans cette nation d’hommes et de femmes,
sans visage dans le miroir reflétant plus de ténèbres
que de lumière, plus de conflit que d’amour, pas plus
que dans mes mains à présent, tandis qu’assis sur un rocher
je déchire du pain pour les carpes rouges et blanches
qui de leur élément s’élancent dans le mien.
Middle earth/Terre médiane Editions le Bruit du temps, 2011Édition bilingue
Traduction de l'anglais (États-Unis) et présenté par Claire Malroux
22:18 Publié dans ETATS-UNIS, Henri Cole, Le Bruit du Temps | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook