31/05/2014
Les Carnets d'Eucharis - N° 42 - Eté 2014
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Poésie | Littérature Photographie | Arts plastiques
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en ligne
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Les carnets d’eucharis n°42
ÉTÉ 2014
[« LES CABANES DE MER, SUR LA ROUTE DE TAMARIS »]
© Nathalie Riera, 2014| Photographie numérique
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EXPOSITION
MARTIAL RAYSSE
Nathalie Riera PHOTOMASK
Roger Catherineau Photogramme
Johan Hagemeyer JANE BOUSE
DU CÔTÉ DE…
EVA-MARIA BERG (à la Villa Tamaris, printemps 2014)
André Pieyre de Mandiargues
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EMILY DICKINSON Poèmes non datés
AUPASDULAVOIR
SABINE PEGLION [Fin d’hiver]
BEATRICE MACHET […]
JACQUES ESTAGER [Douceur]
PHILIPPE JAFFEUX [Autres courants]
DES TRADUCTIONS
EZRA POUND [E.P : Ode pour l’élection de son sépulchre*
E.P : ODE FOR THE CHOICE OF HIS SEPULCHRE traduit par Raymond Farina]
DES LECTURES/DES PORTRAITS
[ARTICLES]Ossip Mandelstam [De la poésie] par Nathalie Riera
Edward Estlin Cummings [Paris] par Tristan Hordé
Daniel Pozner [/D'un éclair/] par Tristan Hordé
Brigitte Gyr [Incertitude de la note juste] par Sabine Péglion
Jorge Luis Borges [Poèmes d’amour]p ar Thierry Guinhut
[LECTURE&RELECTURE] [Friedrich Hölderlin et le « repos philosophique ».] &
[Courbet ou la peinture à l’œil.] par Claude Minière
[NOUVELLESPARUTIONS]
L’ATELIER CONTEMPORAIN – la barque – LA NERTHE – CHEMIN DE RONDE – BLACK HERALD
21:43 Publié dans Les Carnets d'Eucharis, LES CARNETS D'EUCHARIS (pdf & calaméo), Nathalie Riera | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
28/05/2014
Les Carnets d'Eucharis... depuis 2008
Les Carnets d’Eucharis
●●●●●●Poésie |Littérature | Photographie | Arts plastiques●●●●●●●● 2014
N°34 (été 2012)
N°35 (automne 2012)
N°36 (hiver 2013)
N°37 (printemps 2013)
N°38 (été 2013)
N°39 (automne 2013)
N°40 (hiver 2014)
N°41 (printemps 2014)
N°42 (été 2014)
© Nathalie RierA
[FEUILLETER LES CARNETS NUMERIQUES]
Les Carnets d’Eucharis / CALAMEO
| © CLIQUER ICI : http://www.calameo.com/subscriptions/37620
| 2008-2014 | Revue numérique Les Carnets d’Eucharis | ISSN : 2116-5548 |
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26/05/2014
Olivier Gallon, vidéo 2003 (Monsieur et très respectable correspondant-partie 01)
synopsis :
Dans "La Promenade" de Robert Walser, il nous est donné à lire une lettre envoyée à ce que l'on comprend aisément être un homme de pouvoir. Ce sont ces mots que l'on retrouve ici apparaissant sur fond noir -- rapprochés à d'autres "paysages", telle surface blanche de la neige où repose son chapeau. Hommage à l'auteur dont les mots (en réponse à une violence où il apparaît qu'il n'y a de pouvoir qu'abusif) nous frappent toujours par leur impressionnante actualité.
(Quant aux derniers mots chuchotés, ils sont extraits d'une « prose brève » : "Retour dans la neige".)
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Olivier Gallon - video, 2003 (Monsieur et très respectable correspondant- partie O2)
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24/05/2014
André Pieyre de Mandiargues (Ruisseau des solitudes)
© Jeanloup Sieff, André Pieyre de Mandiargues, 1961
© MAN RAY, Portrait de Bona Tibertelli de Pisis, 1953
L’innomÉ
Ce lien qui est entre elle et moi, quel est-il, ou bien, si ce n’est d’un lien précisément qu’il s’agit, qu’est-ce, et quel mot de langage d’homme plus justement accuserait cela ? Les yeux ? Sans doute il y a le regard de ces très grands yeux (excessifs, dira l’envieuse) où dès le premier abord je fus engouffré jusqu’au ténébreux point. Mais ce n’est pas un regard qui me lie. Sans doute il y a la chevelure, massivement brune avec un ton de bois beau et bon (où la teinture aujourd’hui masque une infiltration de la couleur squelettique). Mais ce n’est pas la chevelure qui est en cause. Il y a les épaules qui hors des hublots jumeaux d’une blouse en soie rose proposaient hier aux mains de tous une cueillaison cananéenne. Ce n’est pas non plus les épaules. Ni l’extérieure enveloppe, fin cuir doué d’une fragrance où s’humanise un parfum de couturier. Ni les jambes qui depuis la terre ferme (sa naturelle parente) jamais n’ont manqué d’indiquer à mon désir la direction certaine. Ni la voix qui voltige et broie sur l’appui des molécules d’air, sans répit donnant lieu à la raison, à la drôlerie, à l’enfantillage ou à la divagation. Vingt ans presque ont passé depuis que s’est ourdi ce lien, qui tient le ciel ouvert au-dessus de moi, sans l’empêcher parfois de s’assombrir avant un radieux renouveau. Ce lien élémentaire, je ne le nommerai pas.
Ruisseau des solitudes
Editions Gallimard, NRF, 1967
André Pieyre de Mandiargues
21:37 Publié dans André Pieyre de Mandiargues | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
23/05/2014
Emil Otto ('E.O.') Hoppé
PORTRAIT
©Emil Otto ('E.O.') Hoppé
Harriet Cohen –by Emil Otto ('E.O.') Hoppé
vintage bromide print, 24 July 1920 – 7 1/4 in. x 4 7/8 in. (185 mm x 123 mm)
PHOTOGRAPHique
National Portrait Gallery
· Site http://www.npg.org.uk/collections/search/portraitLarge/mw19514/Harriet-Cohen
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22/05/2014
Susanne Dubroff
SUSANNE DUBROFF CINQ POEMES / FIVE POEMS
Poèmes traduits par Raymond Farina
***
(Ingmar)
Gestes en accord avec ce qui a été donné
Tous les coups pris pendant l'enfance
Quelque chose qui lui dit :
Vas-y C'était bien sûr plus
qu'un homme qui veut vaincre.
Une fidélité ?
Acte après acte, peut-être calcula-t-il
prenant des risques comme les acrobates
Même au cours des premières années à Stockholm quand
tout ce qu'il pouvait faire c'était crier et insulter
mais assez longtemps et assez bruyamment pour que
quand les acteurs ne voulaient pas écouter le regardaient de haut
Victor Sjöström les saisît par la nuque
fît avec eux les cent pas devant le studio
silencieux la plupart du temps, mais en leur adressant
de temps en temps de claires de simples suggestions...
L'action, qui est après tout
une sorte de divine résistance est le rôle qu’on doit jouer
Assez disait-il de ce non-sens
les choses ont à faire sens
et à l’intérieur du petit cabinet blanc
l'enfant criant pour lui
persistait dans sa secrète terreur
de l'existence jusqu'à ce que prît forme
une Samothrace et que personne n'en fût
plus étonné que lui.
-------------------------
(Ingmar)
Gestures in accord with what has been given
All the knocks he took as a child
something telling him
Go on It was of course more
than a man wanting to win.
A faithfulness?
Acte after act perhaps calculated
the way acrobats shoulder the risk
Even in the early years in Stockholm when
all he could do was scream and curse
but long enough and loud enough so that
when the actors wouldn’t listen looked down on him
Victor Sjostrom grabbed him by the nape of the neck,
walked him up and down in front of the studio
silent for the the most part but now and then
giving him clear simple suggestions
Action which is after all
a kind of divine resistance is our part
Enough he said of this nonsense
things having to make sense
and inside the thin white closet
the child screaming to himself
persisted in the locked terror
of existence until it took form
a Samothrace and no one
was more surprised than he
-------------------------
(LES CHASES)
Ceux, dans les bus,
qui s'accrochaient à la courroie,
la femme de Jack Chase aimait les peindre.
Elle était, je pense, une sorte
d'Orozco des villes dortoirs des Etats-Unis.
Etait-ce à Quincy, après qu'ils aient quitté le Vermont
parce qu'il était trop vert - ces tableaux,
qui avaient chacun des couleurs insupportablement originales!
Petite dame, dodue, trapue, à la tignasse noire,
avec des socquettes et des chaussures à lacets, la cigarette
au coin de son sourire,
elle croyait à chaque pli et fossette
chaque soigneuse caresse d'étoffe. Où sont-ils aujourd'hui ?
Désaxés sur les roues du voyage ?
Offrant des miettes d'amour absurde, dont
le poète a dit que nous en avions ensuite la charge
même si nous n'en pouvions plus.
-------------------------
(The Chases)
The ones on buses,
who’d hang on by the strap,
Jack Chase’s wife, I think, a sort of
Orozco of the U.S. bedroom town.
Was it in Quincy, after they left Vermont
because it was too green – those paintings,
each unbearably colorful individual!
Small, plump, stumpy lady, shock of black hair,
oxfords and bobby socks, cigarette
in one corner of her smile,
she believed each crease and dimple,
Careful caress of cloth. Where are they now?
Splayed over the wheels of the journey?
Holding out bits of absurd love, for which,
the poet said we’re charged afterwards
even though we couldn’t possibly?
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(FAIM)
I.
La faim est foi.
Cela se voit dans les yeux noirs
des enfants
dans Brot* de Käthe Kollwitz.
Ils croient en elle,
lèvent leurs assiettes,
tirent sur sa jupe,
qui couvre un corps
défait ;
II.
Selbst-bildnis*,
le regard las, déconcerté:
« Refuserai-je de prêcher ?
Plus de Nie wieder Krieg*
est-ce bien ce qu'ils veulent »
* Pain, 1924, lithographie de Käthe Kollwitz.
* Auto-portait, 1934, tableau de Käthe Kollwitz.
* Tu ne feras point
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(HAMLET)
Un éclat
de ces rivières noires
sur lesquelles Ophélie
flotte comme la vérité.
Et ce jeune homme rendu fou, son vieux
couteau entre les dents,
regarde ! il attrape tous les verbes ;
Gertrude quitte indignée la scène.
-------------------------
(Hamlet)
A flash
of those dark rivers
on which Ophelia
floats like the truth.
And that maddened boy, the old
knife in his teeth
look ! He’s taking all the verbs ;
Gertrude’s flouncing off the stage.
-------------------------
(Djuna Barnes)
Aucune bravoure n'est jamais applaudie
et vous le saviez.
Moins que toutes les autres la bravoure
de la présence.
Elle s'est appuyée sur vous
et vous l'avez laissé faire;
ce fut tout.
Comme une vieille statue
qu'on n'a pas nettoyée,
avec ses pigeons, ses pigeons.
-------------------------
(Djuna Barnes)
No bravery is ever applauded
and you knew it.
Least of all the bravery
of presence.
She leaned into you
and you let her;
that was all.
Like some old, unwashed
Statue,
its pigeons, pigeons.
■■■Susanne Dubroff est née à Berlin en 1930. Elle a quitté l’Allemagne avec sa famille à l’âge de huit ans pour les USA. Elle vit dans le New Hampshire. Elève de Denise Levertov, elle a collaboré à de nombreuses revues telles que Tendril, Sou’wester, Southern Illinois University, Sonora Review (University of Arizona),The Christian Science Monitor, International Review of Poetry (University of North Carolina),The Bitter Oleander ( New York ), The Hampden-Sydney Poetry Review, The Mid-American Review, Luna (The University of Minnesota), Poetry, The Paris Review (New York), Circumference (University of Columbia). Ses poèmes ont été traduits en français et publiés dans les revues Arpa, La Barbacane, Lieux d’Etre et Le Journal des Poètes. Elle a participé à de nombreuses manifestations poétiques et a traduit des poèmes de Rilke, de Goethe, de Mallarmé et de Gustavo Adolfo Bécquer. Elle est également l’auteure des traductions de deux anthologies de poèmes de René Char : « Nothing Shipwrecks Itself » (Mid-American Review Press) et, plus récemment, « René Char, This smoke that carried us » (White Pine Press, New York, 2004). Parmi ses recueils récents figurent : « You & I » ( Kinsman Press,Franconia,1994 ), « The One Remaining Star » (WordTech Editions, Cincinnati, 2008) et “Saxophones Were Banned in Albania” (CreateSpace Independent Publishing Platform, 2012).
23:17 Publié dans Raymond Farina, Susanne Dubroff | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Steve Jansen
23:00 Publié dans CLINS D'OEILS (arts plastiques), VIDEOS, ANIMATIONS, DOCUMENTAIRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Robert Lowell
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Robert Lowell (1917-1977)
BIOBIBLIOGRAPHIE | Boston, MA, United States
Robert Lowell
sitting on a terrace, Paris, 1964
Black-and-white photograph; Fiber Base Silver Gelatine Print; white outline border
| © Cliquer ICI
AUTRES SITES
The Paris Review No. 25, Winter-Spring 1961
Robert Lowell, The Art of Poetry No. 3
Interviewed by Frederick Seidel
| © Cliquer ICI
From Robert Lowell’s Notebook | © Cliquer ICI
Nine Poems by Ossip Mandelstam
Robert Lowell, The Art of Poetry No. 3Ossip Mandelstam
translated by Olga Andreyev Carlisle and Robert Lowell
| © Cliquer ICI
22:33 Publié dans Robert Lowell | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
Béatrice Machet-Franke, Macao Une grise épopée (une lecture de Geneviève Liautard)
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UNE LECTURE DE GENEVIEVE LIAUTARD
…
© Béatrice Machet-Franke │ http://www.moniqueannemarta.fr/158399600
MACAO The Grey Epic
MACAO Une grise épopée
BÉATRICE MACHET-FRANKE
ASM Editeur, Poésie d’abord, 2013
Site éditeur | © http://asmacao.org
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■■■Qui pratique comme je l’ai fait au début, une lecture de traductrice, curieuse de superposer les mots dans les deux langues se rendra vite compte que Béatrice Machet brouille les pistes en s’offrant la possibilité d’une redéfinition/approche/complémentarité de ce qu’elle a voulu signifier. La parole bondit dans les deux langues ajoutant à l’écho une palette de couleurs et le lecteur capable de lire l’anglais, se trouve avec bonheur dans cet espace que Camille de Tolédo nomme le « commun », cet écart qui n’est pas la langue traduite mais le surcroît du signifié.
Tentation pourrait être pour l’auteur de nous égarer dans sa liberté de jongler avec le français et l’anglais mais il s’agit plutôt d’un foisonnement irrépressible, malicieux, accentué par le positionnement des deux « versions » sur la page, tantôt recto et verso, ou encore verso et recto, tout aussi bien haut et bas et inversement.
La découverte de Macao (mais dès son arrivée à Hong Kong) se fait sous les signes contradictoires du manque et de l’excès. Trop peu ce gris et beaucoup trop dans cette épopée poétique au cœur de la mégapole.
Trop peu, cette « fadeur » -dont le rapprochement avec l’idéal confucéen du « neutre » est évoqué à travers la parole de François Jullien en exergue du recueil et dont Béatrice Machet nous rappelle au fil des pages que c’est ce à quoi elle devra se confronter, ce qu’elle devra saisir.
Gris
sa volonté de non agression
son appel à l’accomplissement sa tenue
invertébrée
ou encore
grey floating grey rooted in the
erotic and sacred connection to the land
grey this native this mysteriously blurred reality of non-possession
**
est-ce fade est-ce gris l’un dans l’autre et l’autre dans l’un
combinaisons à l’infini pour que jamais ne s’ennuie
l’esprit humain
dont la nature
toute la nature
serait d’être
complétude par indétermination
sans saveur ou bien avec toutes
sans hypertrophie d’aucune
jusqu’au sans relief
…
Fade, neutre, gris mais aussi dans l’excès contraire, un trop plein dans lequel elle se sent ballotée et sans poids. Trop de bruit, trop de gens.
Et la nave va et marée humaine
me porte
**
Is this an ocean for poetry to be drifting
without any center
plus loin
Le marteau piqueur vrille sa mèche dans les tympans
une tranchée dans le trottoir
mosaïque noire et blanche démantelée
…
et encore
C’est l’ombre des rickshaws par les rues étroites
elle doit fuir
l’agressivité des vespas
la ruche humaine
obéit à des instincts
à des logiques
que sa rationalité n’envisage pas
….
Que dire de la langue entre excès et manque, excès de voix, manque de sens :
The color of words heard
in buses
in the lifts
nothing I understand except
a few
as if playing rugby
coming out of the scrum
of packed people
…
et dans ce tourbillon en chaud et froid, le poids de la solitude pèse étrangement :
J’arpente la ville
la quadrille et me demande
pourquoi ce sentiment
de lourdeur
à transporter souvenirs et espoirs
aucun n’est requis
mais comment s’empêcher
de porter…
et prend une couleur indéfinie : grise ?
My sandals feet on the sidewalks
run a grey passage of entangled times
et plus loin
Est-ce là le sens de l’insensé ? L’insensé du sens ?
….
De parcourir à parier
le gris principe sape
les lettres
cela n’a ni queue ni tête
Mais y a-t-il quelque chose à comprendre à cette ville dans laquelle il va pourtant falloir que Béatrice vive ? Comprendre, elle le désire ardemment.
La seule direction donnée
la seule suggestion lisible
une image claire d’un territoire encombré
fait de fils d’encre emmêlés… une invitation un encouragement pour mes mains
je veux en tirer un découdre démailler ton tricotage
je veux comprendre
….
(Ces fils qui évoquent pour elle, la Femme-Araignée, une des principales divinités amérindiennes qui, selon la légende, aurait par son art du tissage participé à la création de l’univers.)
Et c’est peut être dans le but de comprendre qu’elle se penche sur les visages qui l’entourent : les femmes aux chapeaux de paille de la rua do mercadores, celle qui dort dans le bus, ligne 11 ; qu’elle profite, sur les marches de la calçada , de l’œil « du croqueur de visages » plus ou moins bridés plus ou moins foncés pour deviner de quelles provinces/ de la grande Chine/ sont originaires les passants.
Pour cette raison qu’elle les suit dans l’intimité foisonnante de leurs lieux de culte.
Des statuts monumentales vous accueillent
en vous terrifiant
alors vous fuyez dans la cour
il fait bon où l’encens brûle
tant de bâtons partout
Après l’évocation du culte des morts, Béatrice se lance dans une longue méditation sur le manque, manque qui n’est peut être pas absence de ce qui faisait la vie d’avant mais plutôt absence de cette intensité, de ce désir qui portent en général tout commencement.
What is missing….
La rosée
tôt le matin
bien sûr, mais puisqu’à partir de ce rêve plat le paysage n’offrira pas/de transcendance ne se pose-t-elle pas d’avantage la question :
ce qui manque est-ce brûler
est-ce….
cette métaphore de l’étincelle
ce corps flammèche d’une vie
ou encore plus loin
n’est-ce pas le lot de toute étincelle
de chaque mot
d’allumer et de donner vie
de permettre au feu
de se reposer
il a besoin
de nous
et là, c’est à petits pas, un peu comme des intrus que nous avançons car c’est dans l’intimité du poète que nous entrons :
et voyez l’étincelle soudaine de solitude
couchée sur papier
Mais rien de triste ni de nostalgique dans l’écriture de Béatrice qui n’a pas pour usage de s’appesantir sur le versant sombre de la vie.
Comme on fait le geste de chasser par dessus l’épaule ce qui gène, elle répond à sa propre question par la seule chose admise
Rien ne manque
C’est d’une pirouette et d’une plaisanterie que celle qui jongle si bien avec les mots va
laisser être
laisser venir
l’ère grise
facile de savoir que la cité est entrée dans le troisième âge
toute pilosité lui est grise jusqu’à blanche
après l’enfance et l’âge adulte
la vieillesse montre ses cheveux
un poivre envahi de sel
et s’en sera fini
de la fadeur
pas du gris.
Comme les aèdes transmettaient les légendes populaires depuis la Grèce mycénienne et tel Ulysse, Béatrice Machet chante pour nous son exil en terre macanaise. Comme Odysseus, elle poursuit sa quête des eaux familièreset de ce monde de nulle part oùelle a vécusur les marges de la lumièreelle nous conte sa grise odyssée.
Genevière Liautard, mai 2014 © Les Carnets d’Eucharis
SITE À CONSULTER
Association of Stories in Macao | General Post Office
PO box 1507, Macao, Chine
17:28 Publié dans Béatrice Machet, Geneviève Liautard, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
21/05/2014
Edward Estlin Cummings, Paris, Seghers, 2014 (Une lecture de Tristan Hordé)
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UNE LECTURE DE TRISTAN HORDÉ
…
© The Famous People │ http://www.thefamouspeople.com/profiles/e-e-cummings-160.php
Paris
Edition bilingue
traduit de l'anglais et présenté par Jacques Demarcq
Edward Estlin Cummings
Seghers, Poésie d’abord, 2014
Site éditeur | © http://www.editions-seghers.tm.fr/site/paris_&100&9782232123849.html
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Nombre d'artistes américains, après Gertrude Stein installée dès le début du XXe siècle, sont venus à Paris au cours des années 1920, et certains y ont vécu plus ou moins longtemps, d'Hemingway à Alexander Calder, qui s'installa ensuite en Touraine. Cummings (1894-1962) y est venu en 1917 quelques semaines, pendant la Première Guerre mondiale, y a vécu deux ans à partir de 1921 et y est retourné régulièrement ensuite. La quarantaine de textes (proses, poèmes — parfois partiellement en français —, article pour Vanity Fair et lettres) écrits à propos de la ville, de 1918 à 1957, dispersés dans plusieurs recueils, sont réunis dans ce livre et présentés de manière précise dans la postface de Jacques Demarcq. Ils sont accompagnés de neuf dessins (crayon ou encre), tracés entre 1917 et 1933.
Cummings distingue nettement, en 1926, un Paris pour touristes (qu'il désigne par "Paree", prononcé à l'anglaise) avec ses lieux obligés (Montmartre : « machine totalement dénuée d'intérêt servant à débarrasser les Anglo-Saxons de leur papier monnaie »), de la ville authentique ("Paname"), avec ses bistrots, la Foire aux pains d'épices (nommée ensuite Foire du Trône), les courses, le Cirque d'hiver, le Jardin du Luxembourg, les péniches et les bateaux-mouches, bref : « le profond, l'extraordinaire, le lumineux triomphe de la Vie même et d'une ville fondée sur la Vie ». En 1953, revenant sur ce qu'avait été Paris dans sa jeunesse, il y reconnaît le lieu de « la miraculeuse présence [...] d'êtres vivants [...] et où la beauté fleurissait dans ma vie comme une étoile. » C'est ce Paris qui est exploré dans sept chapitres regroupant des textes en ensembles : "Les Halles, le Marais", Montparnasse", Grands Boulevards, Pigalle", etc.
C'est surtout ce qui se passe quotidiennement dans la rue qui est retenu, mais certaines scènes singulières sont décrites. Par exemple, dans une lettre à sa mère, il rend compte avec humour des funérailles officielles de Joffre, regardant avec détachement ce qui se voulait solennel et, ainsi, tournant en dérision ce qui appartient à l'institution : « Tout le monde prenant le spectacle pour un pique-nique désordonné doublé d'un music-hall universel. » Il s'attache aux éléments d'une vie passée, totalement disparus aux États-Unis, comme les joueurs d'orgue de barbarie, ou « à / denfert l'hercule gras [qui] a étalé son tapis », ailleurs les enfants acrobates pour les passants ou ceux qui vendent des fleurs — « sautez dansez gamins hop suivez du doigt le rouge bleu blanc violet orange verd- /oyant ». Ce qu'il rejette fortement de son pays natal, l'argent édifié en unique valeur et le vide de la pensée, se lit dans une saynète, dialogue entre deux touristes américaines, riches et prétentieuses, dans un restaurant des Halles, avec mise en place du décor (« La scène se passe la nuit au Père Tranquille, dans le quartier des Halles. Des putains endormies. (etc.) » ; s'ajoute l'esquisse d'une américaine qui dépense « un fric incroyable ».
Cummings fréquente les expositions et un poème daté de 1920 évoque les peintres Picabia, Picasso, Matisse, Kandinsky, Cézanne ; mais il ne néglige pas les spectacle comme ceux des Folies-Bergères et il écrit, en 1926, pour la revue Vanity Fair un long éloge de Joséphine Baker dansant, en se moquant du moralisme des spectateurs. Il rapporte aussi des scènes plus intimes, avec Marie-Louise « aux jambes de reine » dont il dessine le visage ; il ne cache pas sa nostalgie de l'enfance, du temps aussi de la "Grande époque", celle du dadaïsme déjà dans le passé en 1923 ou de poètes selon son cœur comme Swinburne.
Regrouper des poèmes écrits au cours d'une quarantaine d'années aboutit à donner à lire des manières différentes d'écrire. À côté de proses et de poèmes de facture classique, le lecteur retrouvera au fil des pages les ruptures introduites par Cummings dans son écriture. Par exemple, il introduit ici un complément de lieu dans une parenthèse entre un pronom ("je") et le verbe, mais là, outre ce procédé qui contraint à revenir sur sa lecture, il introduit des coupes à l'intérieur même des mots — ce qui pose de redoutables difficultés au traducteur :
(the;mselve;s a:nd scr;a;tch-ing lousy full. of rain
beggars yaw:nstretchy:awn)
devient :
(le;s s;e gr,att-ant poux pleins.de.pluie mendiants
b:âillents'étirentb:âillent
Non pas seulement jeu, puisque le poème construit sur les articulations "quand... quand... alors", s'achève sur l'union, dans les mots, du couple : « nous / toi-avec-moi / autour de (moi)toi / d'un seul JeTu ».
Cette mise en pièces des règles morphologiques peut être plus forte, et les frontières de mots disparaissant dans :
and, b etw ee nch air st ott et er a thresillyold
WomanSellingBalloonS
traduit par
et, e ntr el esc ha ise sc lop in e lavieille idiote
QuiVendDesBallonS
Jacques Demarcq, traducteur déjà de plusieurs œuvres de Cummings(1), met en relation dans la postface des épisodes de la vie du poète avec les textes c'est apporter un éclairage utile pour comprendre ce qui peut être allusif dans les poèmes. En même temps, cela constitue une introduction à une écriture encore déconcertante pour bien des lecteurs. Ce Paris est un livre à lire et relire.
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1. Récemment, Érotiques (Seghers, 2012) et 1x1 (La Nerthe, 2013)
Tristan Hordé, mai 2014 © Les Carnets d’Eucharis
■■■Edward Estlin Cummings
Néen 1894 à Cambridge (Massachusetts). Étudiant à l'université Harvard, il vient en France comme ambulancier en 1917. Ses convictions pacifistes lui valent trois mois de détention à La Ferté-Macé (Orne). Cette expérience lui inspire L'Énorme Chambrée, un récit enjoué et moqueur, remarqué dès sa sortie par la critique et figurant depuis parmi les classiques. Toute sa vie, Cummings écrira des poèmes, sur l'actualité parfois et sur la vie sociale, mais plus souvent sur les thèmes éternels de la nature et de l'amour, dans un style de plus en plus novateur, bousculant les formes et repoussant les frontières du langage. Très populaire auprès des jeunes après la Seconde Guerre mondiale, Cummings est mort en 1962.
SITES À CONSULTER
Sur le site : Seghers | Paris
Sur le site : Seghers | Erotiques
Sur le site : La Nerthe | 1 x 1 [une fois un]
| © Cliquer ICI
22:36 Publié dans E.E. Cummings, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS, Tristan Hordé | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
14/05/2014
Les Carnets d'Eucharis - LE MOTIF - Vendredi 16 mai...
Les Carnets d’Eucharis
EN PAUSE
…
Vendredi 16 mai 2014 à 20 H
à l’occasion de la sortie des « Carnets d’Eucharis » 2014
une pRÉSENTATION DE LA REVUE
à L’Observatoire du livre et de l’écrit « Le MOTif »
avec Nathalie Riera, Sabine Péglion et Richard Skryzak.
Observatoire du livre et de l’écrit
le MOTif
6, villa Marcel-Lods
Passage de l’Atlas
75019 Paris – France
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Les Carnets d'Eucharis 2014 : une lecture de Myrto Gondicas
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Dans la jungle des sites consacrés à l’art ou à la poésie, Eucharis, « plante bulbeuse issue des forêts tropicales humides et sombres », fleurit avec grâce et ténacité depuis plus de six ans ; on peut désormais la goûter aussi sous forme imprimée, dans des « carnets » sobres et denses : le numéro deux a paru ce printemps. Écran, papier — contenus différents pour une même ligne ; essayons d’en donner une idée.
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Myrto Gondicas, mai 2014
© Sitaudis
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13/05/2014
Ossip Mandesltam - De la Poésie - Ed. la Barque, 2013
Lecture Nathalie Riera
Ossip Mandelstam
DE LA POÉSIE
© O. Mandelstam, printemps 1933
Traduction & Postface
Christian Mouze
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Mots pour De la poésie
Olivier Gallon
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« Garde à jamais mon dit, son âcre goût de malheur et de fumée,
sa résine de solidaire patience, son goudron d’honnête labeur »
O. Mandelstam
3 mai 1931
Le choix d’un éditeur de publier Ossip Mandelstam relève, à mon sens, non pas d’une stratégie de vouloir posséder un catalogue et ne s’en tenir qu’à cette suspicieuse ambition ; il en va plutôt d’une certaine passion, et peut-être plus sobrement encore d’un certain esprit amoureux, en ce profond et légitime souci de restituer le « dit » du poète, lui-même dans cette égale transe, ou dit autrement, dans un égal transport de l’esprit, à ne cesser au cœur de la nuit et ses terreurs de nous exhorter à cette parole, que « la vie est un don que personne n’a le droit de refuser ».[1] Mandelstam, au cœur du drame, c’est le rire toujours présent, le rire non destitué de son origine et de sa force.
« De la poésie », récemment publié par le brillant éditeur Olivier Gallon des Editions La Barque, dans sa qualité de recueil d’essais édité pour la première fois du vivant de Mandelstam durant l’année 1928, et là dans la traduction remarquable de Christian Mouze, c’est honorer la poésie comme renoncement à ce que Mandelstam a fui toute sa vie : fuir tout contact avec le pouvoir, car ce qu’il faut aussi retenir du poète et de l’essayiste, c’est son « renoncement aux formes démocratiques du gouvernement », s’opposant alors à cet arrogant pouvoir des lois et des institutions à vouloir « s’imposer comme éducateur »[2] du peuple. Poète altier, entier, les pays de prose et de poésie de Mandelstam sont des « pays aux teintes incendiaires ».[3] L’incendie chez le « renégat de la tribu » demeure un geste de survie : préserver le rouge et le jaune, en même temps que revenir sur le mot « destin », que l’épouse Nadejda définit, selon la personnalité propre à son mari, comme n’être justement pas « une force extérieure mystérieuse mais une conséquence, mathématiquement calculable, de l’énergie intérieure d’un homme et de la tendance dominante de l’époque »[4].
En dépit d’une vie plongée dans les arcanes et les ténèbres de l’Histoire, dès la première arrestation de Mandelstam, en 1934, il me semble qu’il nous faut reconnaître à ce grand poète cette vive équation : sa propre vie en tant que grande œuvre, ainsi que sa résolution ou détermination à la résistance de l’esprit par la poésie. Joseph Brodsky, en hommage à Nadejda Mandelstam, écrira : « Ossip Mandelstam était un grand poète avant la Révolution. Tout comme Anna Akhmatova et Marina Tsvétaïéva. Ils seraient devenus ceux qu’ils sont devenus même si aucun des événements historiques que connut la Russie au cours de ce siècle n’avait eu lieu : parce qu’ils étaient doués. Fondamentalement, le talent n’a pas besoin de l’Histoire ».[5] Outre la légitimité de ce propos, la Terreur stalinienne n’aura pas eu raison du génie de Mandelstam.
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« De la poésie » réunit un ensemble de 9 essais, suivis d’une postface du traducteur. Puis, des « Mots pour… » de l’éditeur, texte assorti d’une photographie pleine page d’Ossip Mandelstam enfant, à Pavlovsk, en 1894. Image singulière dans l’émotion qu’elle suscite.
Que nous disent ces 9 essais ?
Parce que chez Mandelstam la poésie est entendue « comme l’œuvre de la voix et de l’ouïe »[6], nul doute que pour l’éditeur de ce recueil il ne pouvait ne pas être révélé l’importance chez Mandelstam de la musique : « […] il récitait ses vers, comme il nous a été rapporté, la tête en arrière, l’oreille tendue vers l’infini du poème. »[7] Au sujet de la vénération de Mandelstam pour la symphonie musicale, de ma lecture du fabuleux Timbre Egyptien, je retiens ce passage – son personnage, Parnok, adore la musique : « Les portées ne caressent pas moins l’œil que la musique elle-même ne flatte l’oreille. Les noires sur leurs échelles montent et descendent comme des allumeurs de réverbères. Chaque mesure est une petite barque chargée de raisins secs et de muscats noirs.
Une page de musique, c’est d’abord une flottille à voiles rangée en bataille, puis un plan selon lequel sombre la nuit organisée en noyaux de prunes ».
Noble et pur égard, de la part d’un poète d’aucune posture et d’aucune imposture, pour tout ce qui peut hisser l’être doué de langage au-delà de l’informe bredouillement. Mandelstam n’a pas oublié la bibliothèque de la prime enfance : « un compagnon de route pour la vie entière ».[8] Chez lui, ce qui participe du geste de vivre et de faire résistance : « les incendies et les livres » ! Incendies pour ne pas « honorer le cri de l’aigle ».[9]
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L’herbe est dans les rues de Pétersbourg – premières pousses d’une forêt vierge qui va recouvrir les villes d’aujourd’hui. Cette vive et tendre verdure, d’une fraîcheur surprenante, appartient à une nouvelle nature spiritualisée. Pétersbourg est en vérité la ville la plus avant-gardiste du monde. Ni métro ni gratte-ciel ne mesurent la vitesse, cette course du temps présent, mais une herbe joyeuse qui pousse de dessous les pierres citadines.
Ce sont les premières phrases du premier essai « Le mot et la culture », et depuis ces premières lignes l’envie de ne pas quitter le livre, en prolonger la profondeur, sillonner ses terres d’une parole qui se réclame d’aucune obédience ni d’aucune instance de vérité, mais se meut dans une affirmation où se côtoient justesse et fermeté d’une pensée qu’il est bon d’entendre comme sienne de par la force de sa résonance :
Souvent, on entend : c’est bien, mais c’est d’hier. Moi je dis : hier n’est pas encore né. Il n’a pas encore été vraiment. Je veux à nouveau Ovide, Pouchkine, Catulle ; les Ovide, Pouchkine, Catulle de l’histoire ne me satisfont pas.[10]
Retourner le temps, c’est alors concevoir que « la propriété de toute poésie (…) se comprend comme ce qui doit être et non comme ce qui a été déjà. »
Ainsi donc, il n’y a pas eu encore un seul poète. Nous sommes libérés du poids des réminiscences. En revanche combien de précieux pressentiments : Pouchkine, Ovide, Homère.[11]
Pour Mandelstam, qu’en est-il du « mot », qu’en est-il de la « culture », et surtout qu’en est-il de « l’Etat » ? Il n’est pas de réponse plus honnête, il me semble, plus engageante, que de lire : « la compassion envers un Etat qui nie le mot, c’est la voie et l’exploit social du poète moderne ». Ce premier texte de ce grand recueil est une véritable ode à la poésie, et parce qu’il se lit d’une seule traite, il faut alors y revenir, entrer dans ses plis et replis, sortir sa loupe, saisir la pensée qui l’anime dans ses volutes inaliénables, dans son eau vive de cascade, dans sa chaloupe qui nous embarque, sans craindre les culbutes et les renversements.
La poésie est aussi une faim. « Elle est la faim révolutionnaire ».
Mandelstam a ce don magnifique de vous mettre en turbulence : il vous ouvre à un grand champ ouvert et à ses contrechamps de brasier et de fureur, sans oublier la douceur. C’est ainsi et pas autrement que la parole du poète Mandelstam prend son assise, une parole sans tuteur ni béquille ! On ne peut passer à côté de ce que le poète entend de la propriété du mot, c’est-à-dire de ce qu’il en est de sa traversée dans l’espace, dans toutes choses qu’il « choisit librement d’habiter » :
Le poème vit d’une image intérieure, ce moule sonore de la forme qui anticipe sur le poème écrit. Il n’y a encore aucun mot, mais le poème vibre déjà. C’est l’image intérieure qui vibre, c’est elle qui tâte l’ouïe du poète. [12]
Toute reconnaissance est une grande leçon ! On aimerait, là, la pâmoison de toutes les théories de jadis et d’aujourd’hui. Mandelstam nous parle d’une poésie non pas d’hier ou d’aujourd’hui, mais d’une poésie pour toujours. Il faut à la poésie ce qui manque à la poésie, il lui faut aux antipodes de l’érudition, la « glossolalie », une langue inconnue qui est « une langue de tous les temps, de toutes les cultures ».[13] Là où Mandelstam nous accule, pour, peut-être aussi, mieux nous faire rebondir, là où il resserre, si je puis dire, le champ fermé, voire même clôturé, des illisibilités contemporaines, c’est encore et à jamais dans la perspective de l’Ouvert :
Telle la chambre d’un mourant ouverte à tous, la porte du monde est restée grande ouverte à la foule. Soudain tout est devenu le bien de tous. Venez et prenez. Tout est accessible : dédales, mystères, arcanes, cachettes. Le mot ne s’est pas transformé en sept, mais en mille chalumeaux qu’anime à la fois le souffle de tous les siècles.[14]
Une poésie de la révolution, ce n’est en aucune façon exercer le rejet ou manifester de l’ingratitude «envers ce qui est (…) envers ce qui de nos jours se présente comme poésie ».[15] Non plus mépriser « l’ignorance virginale » du peuple sur la poésie. Mandelstam l’écrit très assurément, le lecteur n’est pas encore entré en contact et la poésie n’a pas encore atteint ses lecteurs. Alors, face à ces questions : Qu’en est-il de « l’instruction poétique élémentaire » ? Qu’en est-il du lecteur et sa capacité à la critique ?
Il faut remettre le lecteur à sa place et simultanément nourrir en lui un critique. La critique en tant qu’interprétation arbitraire de la poésie (…) doit céder à la recherche scientifique et objective, à une science de la poésie. [16]
Autre pertinence de Mandelstam dans sa manière de nous dire que le poète n’est pas uni à un « interlocuteur concret » mais à un « interlocuteur providentiel », et que cela en est préférable, car il en coûte au poète de vouloir s’adresser à un auditeur de son temps. Mandelstam nous propose cette analogie : « La distance de la séparation efface les traits de la personne aimée. Alors seulement l’envie me vient de lui dire ce qui est important et que je ne pouvais dire quand je l’avais présente sous les yeux »[17]. A cela, on ne peut que mieux appréhender ce qu’il faut au poète : « l’amour et le respect de l’interlocuteur, et la conscience du bon droit poétique ».
J’avance dans la partition du livre, sans conteste porté par le souffle d’un poète soucieux de son temps, face à ce qu’il peut en advenir d’un pays qui abandonne la langue ! Excommunier le mot, abandonner la langue est un danger, c’est conduire son pays à « l’abandon de l’histoire (…) Le mutisme de deux ou trois générations pourrait amener la Russie à la mort historique ».[18] Mandelstam soutient l’importance pour la langue russe, de par sa nature hellénistique, de « maintenir un lien avec le mot ».[19]
Une attitude anarchique tous azimuts, un désordre total, n’importe – mais il n’y a qu’une chose que je ne puis faire : vivre sans le mot. Je ne peux supporter d’être excommunié du verbe. [20]
Qu’entendre par « hellénisme » ?
c’est cet environnement conscient de l’homme (…) c’est chaque poêle à côté duquel un homme est assis et jouit de sa chaleur comme si elle était parente de la chaleur de son corps. [21]
Poète d’aucune compromission et plus que jamais en état de guerre : il est une nécessité pour la poésie russe d’une poétique nouvelle. Les nouveaux « goûts », les nouvelles « sensations » doivent l’emporter sur les nouvelles « idées » : ce ne sont pas les idées qui déplacent les montagnes. L’acméisme, « école organique du lyrisme » sera, certes, de courte durée, mais ce mouvement né d’un « fait social », demeure dans la mémoire littéraire comme une « force d’impulsion » « au sens d’amour actif pour la littérature »[22]. Voilà ce qu’il faut entendre par état de guerre. « La poésie est toujours en guerre ».[23]
Cette note de lecture fera l’objet d’un prolongement, en attendant la publication dans les mois à venir d’un ouvrage intitulé « Arménie », qui comprend le « Voyage en Arménie », ainsi que les poèmes d’« Arménie », et le poème « Le Retour ».
Il n’est pas plus grand ouvrage que l’amplitude d’un esprit, que le cœur d’un poète qui habite l’humanité, autant dans ses joies que dans ses catastrophes. Dans sa lucidité, le poète Mandelstam savait ce qu’il en est du bonheur, on ne le voit que « le temps d’une œillade ».
… J’usai mes rares forces
à étreindre la cendre d’une poignée de ris.
© Nathalie Riera, mai 2014
Les Carnets d’Eucharis
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Extrait
(p. 17)
Un jour on réussit à photographier l’œil d’un poisson. Le cliché reproduisait un pont ferroviaire et quelques détails d’un paysage, mais la loi optique de la vision du poisson montrait tout cela métamorphosé. Si on réussissait à photographier l’œil poétique de l’académicien Ovsianko-Koulikovski ou de l’intellectuel russe moyen à travers sa vision de Pouchkine par exemple, l’image qui en résulterait ne serait pas moins surprenante que le monde visuel du poisson.
L’altération de l’œuvre poétique par la perception du lecteur, voilà un phénomène social inéluctable. Le combattre est difficile et vain ; il est plus facile de procéder à l’électrification de la Russie que d’apprendre à tous les lecteurs instruits à lire Pouchkine tel qu’il est écrit et non tel que l’exigent les besoins de leur âme et le permettent leurs facultés intellectuelles.
Editions La Barque, 2013
http://www.labarque.fr/livres04.html
CONTACT
(Olivier Gallon)
[1] Nadejda Mandelstam, Contre tout espoir, Gallimard, 2012 (p.72)
[2]Ibid., (p.144)
[3] O. Mandelstam, Nouveaux poèmes 1930-1934, Allia, 2010
[4] Nadejda Mandelstam, Contre tout espoir, (p.149)
[5] Préface de Joseph Brodsky in Nadejda Mandelstam, Contre tout espoir, Gallimard, 2012 (p.VIII)
[6] Préface de Ralph Dutli « La peur me prend par la main » in O. Mandelstam, Le Timbre Egyptien, Le Bruit du Temps, 2009
[7] Mots pour De la poésie, Olivier Gallon in O. Mandelstam, De la poésie, La Barque, 2013
[8] O. Mandelstam, Le bruit du temps, Le Bruit du Temps, 2012
[9] O. Mandelstam, Nouveaux poèmes 1930-1934, Allia, 2010 (p.94) « Honorer le cri de l’aigle c’est se vouer aux tourments »
[10] O. Mandelstam, De la poésie, in Le mot et la culture, La Barque, 2013 (p.9)
[11]Ibid. , (p.10)
[12]Ibid., (p.12)
[13]Ibid., (p.13)
[14]Ibid., (p.13)
[15] O. Mandelstam, De la poésie, in Une botte, La Barque, 2013 (p.15)
[16]Ibid., (p.19)
[17] O. Mandelstam, De la poésie, in De l’interlocuteur, La Barque, 2013 (p.28)
[18] O. Mandelstam, De la poésie, in De la nature du mot, La Barque, 2013 (p.38)
[19]Ibid., (p.38)
[20]Ibid., (p.39)
[21]Ibid., (p.45)
[22]Ibid., (p.49)
[23] O. Mandelstam, De la poésie, in Remarques sur la poésie, La Barque, 2013 (p.54)
21:25 Publié dans La Barque, Les Carnets d'Eucharis, Nathalie Riera, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS, Ossip Mandelstam | Lien permanent | Commentaires (1) | Imprimer | | Facebook
Les Carnets d'Eucharis 2014 : une lecture d'Isabelle Lévesque
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Blason de la dernière version papier des Carnets d’Eucharis, le lis d’Amazonie photographié par Nathalie Riera, qui dirige la revue internet du même nom. On connaît bien le site qui propose régulièrement des notes critiques et la présentation de poètes francophones ou traduits (une iconographie, des articles, des liens…). Cette revue annuelle marque la volonté de Nathalie Riera de diversifier les supports pour offrir « les mots comme autant de tracés, de traces, et bruits de sources ».
Lire la suite ICI
Isabelle Lévesque, mai 2014
© La Pierre et le Sel
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11/05/2014
Nathalie Riera - en lecture - LA RITRATTI DI POESIA ROMA- 8ème édition 2014
10:59 Publié dans LECTURES PUBLIQUES, Nathalie Riera, VIDEOS, ANIMATIONS, DOCUMENTAIRES | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : nathalie riera; la ritratti di poesia; | Imprimer | | Facebook
10/05/2014
Diane Glancy
■Diane Glancy ©Photo : http://www.dianeglancy.org/
Diane GLANCY
Ecrivain & Poète Cherokee
(Née en 1941)
■ LIEN : http://www.hanksville.org/storytellers/glancy/
SITE OFFICIEL
■ THE POETRY FOUNDATION
■ http://www.poetryfoundation.org/bio/diane-glancy
Eclipse Solaire
Chaque matin, je me lève invisible. Je fais une aiguille d’un piquant de porc-épic, coud les pieds aux jambes, soulève la colonne vertébrale posée sur mes cuisses. J’enfile ma côte et ma clavicule. Je plante une oreille sur ma tête, me colle des yeux. Je sais à peu près ce qu’il faut voir. Ma gorge s’enfle de colère. Je me fais une main pour contenir ma douleur. Mon cœur est un trou de la taille de l’éclipse du soleil. Toute la journée je lutte un cheveu après l’autre jusqu’à ce que la lune bouge de devant le soleil et cela fait une lumière identique à celle d’une lampe de kérosène dans une cabane. J’enfile une robe, passe un châle sur mes épaules. Maintenant, je sais qu’on me voit. J’ai une ombre. Je mets un chapeau, un manteau sur mon ombre, une autre robe plus large, je passe d’autres châles et des chemisiers et des jupons jusqu’à ce que l’ombre même ait une substance.
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DIANE GLANCY | Offrande pour Iron Woman
Traduit de l’américain par Béatrice Machet
Editions Wigwam, 2006
15:02 Publié dans Diane Glancy | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
06/05/2014
Robert Fripp & Brian Eno - The Equatorial Stars
20:06 Publié dans MUSIQUE, VIDEOS, ANIMATIONS, DOCUMENTAIRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
05/05/2014
Susan Sontag - Joseph Brodsky
Susan Sontag
& Joseph Brodsky
| © Sur la photo : Susan Sontag, Annie Epelboin & Joseph Brodsky
EXTRAITS DE TEXTES
(choisis par Nathalie Riera)
Sempre Susan/Souvenirs sur Sontag
Sigrid Nunez
13E Notes Editions, 2011
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Marcelin Pleynet dans l’atelier de Robert Motherwell
Extrait du Journal de l’année 1988
Marcelin pleynet
In « Ironie Ironie Ironie »
Interrogation Critique et Ludique n°171 – décembre 2013
Blog : Ironie
| © http://interrogationcritiqueludique.blogspot.fr
Sempre Susan/Souvenirs sur Sontag
Sigrid Nunez
(Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Ariane Bataille)
13E Notes Editions, 2011
Joseph Brodsky avait trente-six ans. Il venait de s’installer aux Etats-Unis – et deviendrait citoyen américain l’année suivante ; expulsé en 1972 de sa patrie, la Russie soviétique, il avait vécu, depuis, dans différentes villes européennes. Une existence très dure incluant le siège de Leningrad par les Allemands pendant lequel il était presque mort de faim, un an et demi de travaux forcés dans une ferme (fraction de la peine de cinq ans pour « parasitisme social » purgée en exil au nord de la Russie avant que la sentence ne soit commuée), le tabagisme et une maladie cardiaque l’avaient prématurément vieilli. Son crâne dégarni, ses dents manquantes, son ventre bedonnant, les vêtements informes et négligés qu’il portait tous les jours n’empêchaient pas Susan de lui trouver une allure extrêmement romantique. Dès le début de leur amitié qui durerait jusqu’à la mort de Brodsky en 1996, elle fut folle de lui. Elle faisait partie de ces Américaines lettrées pour qui les écrivains européens seraient toujours supérieurs à leurs compatriotes, et pour lesquelles un auteur russe, surtout un poète, possédait un attrait particulièrement exaltant et séduisant. W.H. Auden et Anna Akhmatova ne tarissaient pas d’éloges sur Joseph Brodsky, qui était aussi un héros*. Et même un martyr* : un écrivain qu’on avait traité comme un criminel à cause de son art. D’ailleurs, tout le monde savait qu’il allait remporter le Prix Nobel. Susan était à ses pieds. Elle décelait des éclairs de génie dans la moindre de ses réflexions, dans les calembours qu’il n’arrêtait pas de faire (« Muerto Rico »), dans ses railleries désinvoltes (« Si tu veux être citée, ne cite pas les autres »). Elle supportait ses interminables diatribes contre Tolstoï (il comparait Tolstoï, «en aucun cas l’égal de Dostoïevski », à une sorte de Margaret Mitchell pour intellectuels qui aurait ouvert la voie au réalisme socialiste), ainsi que ses jugements littéraires bizarres (l’écriture de Nabokov avait « trop mariné »). Elle lui pardonnait sa grossièreté (les étudiantes de Mount Holyoke, où il enseignait, étaient des « chiennes » ; les homosexuels minaudaient « pour se faire mettre »).
[…]
Joseph était drôle. Il avait un rire exquis, lèvres serrées, presque un gémissement ; et il riait beaucoup. Malgré les brutalités dont il avait été victime, il gardait un cœur tendre. Il soutenait avec virulence que les poètes étaient des êtres humains d’une classe supérieure, affirmait comptait lui-même parmi les meilleurs du monde ; et cela sans être pour autant snob ou prétentieux. Cet homme généreux, naturellement affectueux, aimait prendre du bon temps – en le partageant de préférence avec une nombreuse compagnie – et possédait un sens de l’humour juvénile, espiègle. Il adorait les chats ; il lui arrivait de pousser un miaulement en guise de bonjour.
------------------------------ (p. 28/29)
[* Remarque de Nathalie Riera : J. Brodsky « héros » et « martyr » selon les termes de S. Nunez : ces deux appellations seraient inacceptables pour Brodsky. « Sempre Susan » renferme beaucoup de maladresses dans l’usage d’expressions telles que celles-ci ; sans compter mes quelques interrogations, pour ne pas dire mes quelques doutes, après la lecture de cet ouvrage, notamment sur la relation de Nunez à Sontag, et de son étrange manière de nous soumettre à son jugement, comme une volonté à vouloir régler ses comptes avec l’écrivain. ]
Marcelin Pleynet dans l’atelier de Robert Motherwell
Extrait du Journal de l’année 1988 (inédit)
Marcelin pleynet
In « Ironie Ironie Ironie »
Interrogation Critique et Ludique n°171 – décembre 2013
Nice, mercredi 20 février
[…]
L’action, si l’on peut dire…, disons la « mauvaise action », se passe à Venise. Ville que Brodsky dit aimer pour tout ce qu’elle n’est pas, et où la seule rencontre notoire qu’il y fasse, semble être celle de… Susan Sontag. « Au Londra, où je séjournais aux frais de la Biennale de la Dissidence (…), je reçus un appel téléphonique de Susan Sontag qui séjournait au Gritti dans les mêmes conditions. »
Le décor est posé. Nous sommes entre gens de bonne compagnie. Suit le dialogue : « Joseph, dit-elle, que fais-tu ce soir ? – Rien, répondis-je. Pourquoi ? – Voilà, je suis tombé sur Olga Rudge aujourd’hui sur la piazza. Tu la connais ? – Non. Tu veux dire la femme de Pound ? – Oui, dit Susan (comme on sait, voir plus haut, Olga Rudge ne fut pas « la femme de Pound ». Pound était marié avec Dorothy Shakespear. Il rencontre Olga Rudge en 1923, et ne tarde pas à partager, et jusqu’à ses derniers jours, son existence entre ces deux femmes qui se connaissent et autant que possible s’estiment)… Oui, dit Susan Sontag, et elle m’a invitée pour ce soir. Je n’ai pas la moindre envie d’y aller toute seule. Tu ne pourrais pas venir avec moi… ?
Et c’est ainsi que les deux grands spécialistes de la « Biennale de la Dissidence » (sic) vont rencontrer celle à qui l’on doit la redécouverte des partitions de Vivaldi.
[…]
http://interrogationcritiqueludique.blogspot.fr
© Joseph Brodsky
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Joseph Brodsky (1940‑1996)
Poète russe, essayiste anglais et citoyen américain Joseph Brodsky est né à St.Pétersbourg en 1940. Dès la lecture de ses premiers vers, Anna Akhmatova salue en lui le poète le plus doué de la jeune génération. Arrêté, jugé le 18 février 1964 pour parasitisme social et fainéantise, il est condamné à cinq ans de travaux correctifs. Après une campagne internationale, il est libéré en 1965, mais quasiment interdit de publier en URSS. Poussé à émigrer en 1972, il s'installe d'abord à Vienne, avec l'aide du poète anglais W. H. Auden, puis aux États Unis. Ses poèmes, conçus pour la déclamation et la lecture publique, sont essentiellement en russe, alors que sa prose est en anglais. Ses thèmes de prédilection sont historiques et mythologiques, marqués par une forte préoccupation éthique. Il est le traducteur en russe de Donne et de Marvell et un écrivain fortement inspiré par les œuvres de Kafka, de Proust et de Faulkner. En 1991, il devient poète lauréat en Amérique, après avoir reçu le prix Nobel de littérature en 1987. On lui doit notamment Collines et autres poèmes, Aqua Alta et Urania, ainsi que de nombreux essais (Moins qu'un homme, 1986 ; la Peine et la raison, 1995).
© Susan Sontag
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Susan Sontag (1933‑2004)
Susan Sontag est sans doute l'écrivain américain le plus « européen ». Née en 1933 à New York, c'est à l'âge de trente ans que Susan Sontag publie son premier roman, Le Bienfaiteur (Le Seuil, 1965), une étude sur la formation de la personnalité. Dans les années 60, elle écrit pour différents magazines et revues. Très engagée à gauche, figure de la scène new-yorkaise, elle est proche d'intellectuels français comme Roland Barthes, auquel elle a consacré un livre (L'écriture même : à propos de Roland Barthes, Christian Bourgois éditeur). Elle publie en 1977 un essai, Sur la photographie, où elle s'interroge sur la différence entre réalité et expérience. Elle défend le concept de « transparence », autrement dit de l'évidence de l'œuvre, avant toute interprétation. Elle publie L'Amant du volcan (1992) et En Amérique (1999) pour lequel elle a reçu le National Book Award. Elle a reçu le Prix Jérusalem pour l'ensemble de son œuvre et en 2003 le Prix de la Paix des libraires à Francfort. Susan Sontag est décédée en décembre 2004.
(Notice visible sur le site de christian bourgois éditeur)
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AUTRE SITE À CONSULTER
[revue la barque No. 8]
Dirigée par Olivier Gallon
Printemps 2011
320 pages + cd audio – 25 euros
ISBN : 978-2-917504-06-2
Joseph Brodsky
Présentation (O. G.)
Procès d’un jeune poète « L’affaire Joseph Brodsky »
« Conversation » avec Solomon Volkov
Poèmes (1958-1963) (traduction du russe : Christian Mouze)
L’Horizon, postface (C. M.)
Sommaire sur le site | © Cliquer ICI
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03/05/2014
jorge Luis Borges, Poèmes d'amour
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Le jeu
Ils ne se regardaient pas. Dans la pénombre partagée ils étaient sérieux et silencieux.
Il lui avait pris la main gauche et lui enlevait et lui remettait la bague d’ivoire et la bague d’argent.
Ensuite il lui prit la main droite et lui enleva et lui remit les deux bagues d’argent et la bague en or avec des pierres dures.
Elle tendait successivement les mains.
Cela dura un temps. Ils entrelacèrent à mesure les doigts et joignirent les paumes.
Ils agissaient avec une lente délicatesse, comme s’ils craignaient de se tromper.
Ils ne savaient pas que ce jeu était nécessaire pour qu’une certaine chose ait lieu, dans l’avenir, dans une certaine région.
JORGE LUIS BORGES........................... (p.75)
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et ligne après ligne/and line after line
Du côté de chez…
Jorge Luis Borges
© Jorge Luis Borges & Maria Kodama
ITALY, Sicily :
Image Reference
SCF1984005W00043/24
(SCF6165)
© Ferdinando Scianna/Magnum Photos
https://www.magnumphotos.com/image/SCF6165.html
Poèmes d’amour
(édition bilingue)
Gallimard, “Du monde entier”, 2014
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle
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El juego
No se miraban. En la penumbra compartida los dos estaban serios y silenciosos.
Él le había tomado la mano izquierda y le quitaba y le ponía el anillo de marfil y el anillo de plata.
Luego le tomó la mano derecha y le quitó y le puso los dos anillos de plata y el anillo de oro con piedras duras.
Ella tendía alternativamente las manos.
Esto duró algún tiempo. Fueron entrelazando los dedos y juntando las palmas.
Procedían con lenta delicadeza, como si temieran equivocarse.
No sabían que era necesario aquel juego para que determinada cosa ocurriera , en el porvenir, en determinada región.
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Les causes
Les crépuscules et les générations.
Les jours dont aucun ne fut le premier.
La fraîcheur de l'eau dans la gorge
D'Adam. L'ordre du Paradis.
L'œil déchiffrant les ténèbres.
L'amour des loups à l'aube.
La parole. L'hexamètre. Le miroir.
La tour de Babel et l'arrogance.
La lune que regardaient les Chaldéens.
Les sables innumérables du Gange.
Tchouang-tseu et le papillon qui le rêve.
Les pommes d'or des îles.
Les pas du labyrinthe vagabond.
La toile infinie de Pénélope.
Le temps circulaire des stoïques.
La monnaie dans la bouche du mort.
Le poids de l'épée sur la balance.
Chaque goutte d'eau dans la clepsydre.
Les aigles, les fastes, les légions.
César le matin de Pharsale.
L'ombre des croix sur la terre.
Les échecs et l'algèbre du Persan.
Les traces des longues migrations.
La conquête des royaumes avec l'épée.
La boussole incessante. la mer ouverte.
L'écho de la pendule dans la mémoire.
Le roi exécuté à la hache.
La poussière incalculable des armées.
La voix du rossignol au Danemark.
La ligne scrupuleuse du calligraphe.
Le visage du suicidaire dans la glace.
La carte du joueur. L'or vorace.
Les formes du nuage dans le désert.
Chaque arabesque du kaléidoscope.
Chaque remords et chaque larme;
Il a fallu toutes ces choses
Pour que nos mains se rencontrent.
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traduit de l'espagnol (Argentine) & préface de Silvia Baron Supervielle
Avant-propos de María Kodama
Édition bilingue
Collection « Du monde entier »
Gallimard, 2014
SITE EDITEUR : ICI
22:39 Publié dans Jorge Luis Borges | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook