03/05/2014
jorge Luis Borges, Poèmes d'amour
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Le jeu
Ils ne se regardaient pas. Dans la pénombre partagée ils étaient sérieux et silencieux.
Il lui avait pris la main gauche et lui enlevait et lui remettait la bague d’ivoire et la bague d’argent.
Ensuite il lui prit la main droite et lui enleva et lui remit les deux bagues d’argent et la bague en or avec des pierres dures.
Elle tendait successivement les mains.
Cela dura un temps. Ils entrelacèrent à mesure les doigts et joignirent les paumes.
Ils agissaient avec une lente délicatesse, comme s’ils craignaient de se tromper.
Ils ne savaient pas que ce jeu était nécessaire pour qu’une certaine chose ait lieu, dans l’avenir, dans une certaine région.
JORGE LUIS BORGES........................... (p.75)
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et ligne après ligne/and line after line
Du côté de chez…
Jorge Luis Borges
© Jorge Luis Borges & Maria Kodama
ITALY, Sicily :
Image Reference
SCF1984005W00043/24
(SCF6165)
© Ferdinando Scianna/Magnum Photos
https://www.magnumphotos.com/image/SCF6165.html
Poèmes d’amour
(édition bilingue)
Gallimard, “Du monde entier”, 2014
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle
Les Carnets d’Eucharis | © http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/
El juego
No se miraban. En la penumbra compartida los dos estaban serios y silenciosos.
Él le había tomado la mano izquierda y le quitaba y le ponía el anillo de marfil y el anillo de plata.
Luego le tomó la mano derecha y le quitó y le puso los dos anillos de plata y el anillo de oro con piedras duras.
Ella tendía alternativamente las manos.
Esto duró algún tiempo. Fueron entrelazando los dedos y juntando las palmas.
Procedían con lenta delicadeza, como si temieran equivocarse.
No sabían que era necesario aquel juego para que determinada cosa ocurriera , en el porvenir, en determinada región.
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Les causes
Les crépuscules et les générations.
Les jours dont aucun ne fut le premier.
La fraîcheur de l'eau dans la gorge
D'Adam. L'ordre du Paradis.
L'œil déchiffrant les ténèbres.
L'amour des loups à l'aube.
La parole. L'hexamètre. Le miroir.
La tour de Babel et l'arrogance.
La lune que regardaient les Chaldéens.
Les sables innumérables du Gange.
Tchouang-tseu et le papillon qui le rêve.
Les pommes d'or des îles.
Les pas du labyrinthe vagabond.
La toile infinie de Pénélope.
Le temps circulaire des stoïques.
La monnaie dans la bouche du mort.
Le poids de l'épée sur la balance.
Chaque goutte d'eau dans la clepsydre.
Les aigles, les fastes, les légions.
César le matin de Pharsale.
L'ombre des croix sur la terre.
Les échecs et l'algèbre du Persan.
Les traces des longues migrations.
La conquête des royaumes avec l'épée.
La boussole incessante. la mer ouverte.
L'écho de la pendule dans la mémoire.
Le roi exécuté à la hache.
La poussière incalculable des armées.
La voix du rossignol au Danemark.
La ligne scrupuleuse du calligraphe.
Le visage du suicidaire dans la glace.
La carte du joueur. L'or vorace.
Les formes du nuage dans le désert.
Chaque arabesque du kaléidoscope.
Chaque remords et chaque larme;
Il a fallu toutes ces choses
Pour que nos mains se rencontrent.
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traduit de l'espagnol (Argentine) & préface de Silvia Baron Supervielle
Avant-propos de María Kodama
Édition bilingue
Collection « Du monde entier »
Gallimard, 2014
SITE EDITEUR : ICI
22:39 Publié dans Jorge Luis Borges | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
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