27/08/2012
Joanna Szczerbic & Jerzy Skolimowski
Joanna Szczerbic & Jerzy Skolimowski
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Philippe Blanchon, "La ville vue de dos"
Couverture de Paul Keller
[poèmes 1986-1995]
Extrait
nostalgie du silence de trop de calomnies
orgues mols et déconfiture grinçante
jours des concerts las :
ces vains bruits farce mauvaise
quand le bourreau se met à geindre
***
les gares aux voix des filles-chats :
lisses en l’automne attendu
(sa douleur / l’ultime portrait)
de l’intérieur :
l’oreille qui bascule
vers la sœur à la taille tenue
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Cesare Pavese par Philippe Leuckx
Cesare PAVESE
© Source : INTERNET
LE 27 AOUT 1950, CESARE PAVESE DISPARAISSAIT APRES UNE CARRIERE FULGURANTE
par Philippe Leuckx
Soixante-deux ans. Sans doute l'un des plus doués de la génération italienne qui va de la période fasciste aux lendemains de la libération. Les lettres italiennes des années trente et quarante voient arriver ce prodige, cet hyperdoué, tout à la fois traducteur, professeur de lettres, grand amateur de littérature américaine, antifasciste notoire qui en a payé pour ses convictions (un séjour de confinato en Calabre), poète, romancier, nouvelliste, diariste. Le temps d'une quinzaine d'années, de la parution de LAVORARE STANCA (1936) à son suicide à l'Hôtel Roma de Turin (1950), il produit des dizaines de nouvelles, deux livres de poésie, une bonne dizaine de romans brefs, un journal littéraire (MESTIERE DI VIVERE), édite chez Einaudi, traduit de beaux livres américains, connaît les soubresauts de la guerre et des suites de la libération, l'émergence du communisme italien et les premières inquiétudes de la future société occidentale, industrialisation massive, années aussi où ses tourments personnels, sentimentaux s'aiguisent jusqu'à l'usure.
On s'étonne de voir aujourd'hui le peu d'intérêt pour ce poète immense, pour ce romancier qui a donné sans doute avec LE BEL ETE, LA LUNE ET LES FEUX, LE CAMARADE les plus beaux fleurons romanesques de la période dite néo-réaliste.
Pas de Pléiade! Pas de commémoration en 2008 pour son centenaire de naissance, du moins en France. Pas de Magazine Littéraire personnalisé!
Etrange sinon injuste.
Né à San Stefano Belbo dans les Langhe, très vite orphelin de père, vit à Turin, avec l'intense souvenir de son enfance rurale. Ce thème prégnant - la perte des collines de l'enfance - traverse toute l'oeuvre et offre l'un des mythes fondateurs de l'oeuvre pavésienne.
Mais avec Cesare Pavese, tout est toujours plus complexe voire démultiplié en nuances et en ramifications. Ces aller-retour campagne/ville importants vont déterminer une quantité de regards et d'histoires autour et au pourtour de ces lieux essentiels. Excepté "La prison" qui relate son séjour de résidence forcée par le régime fasciste, toutes ses oeuvres déroulent un fort lien avec la topographie mentionnée. Tantôt, ce sont les cheminements d'amis et/ou d'amies au travers des collines ou au sein de la ville. Ce sont les nouvelles liées au travail en usine (Trilogie des machines), en campagne (Travailler fatigue). Quand on n'évoque pas les collines de la résistance ou les combats d'un communiste, camarade et partisan. Bien sûr, les oeuvres les plus intenses répondent à l'appel d'air des Langhe, des environs, entre vignes et fêtes rurales (La lune et les feux). Le jounal, publication posthume, trace les épreuves et les preuves intellectuelles, littéraires d'un parcours d'une lucidité éblouissante. Le "tu" auquel l'auteur s'adresse est un juge impitoyable de soi-même, qui consigne toute avancée, tout rejet, toute déperdition, sans complaisance. Comme les diverses étapes par lesquelles une conscience littéraire de haut vol est passée.
Il y a quelque chose de sismique, de vibratile chez Pavese, et un ton, insurpassable. Qu'il se mette à la place d'un ouvrier des routes, d'une responsable de maison de mode (Clélia de "Tra donne sole"), d'un fervent politique, ou d'un émigrant, chaque fois le narrateur distille une incomparable vertu aux personnges. Vertu au sens romain. Et le lecteur se sent d'emblée pris par cette manière de rendre compte d'une vie unanimiste.
Et puis, qui a aussi bien parlé des femmes, de la fête, des amitiés?
En février 2013, je serai content de présenter aux "Midis de la poésie" "LAVORARE STANCA", qui est un regard sur son monde. Une lecture du monde par Pavese, dans une manière qui relève aussi bien de l'attention précise que de la tension suspendue.
■ SITE A CONSULTER :
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23/08/2012
Giacomo Cerrai
Giacomo
CERRAI
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© Site Les Carnets d’Eucharis
© SOURCE PHOTO | FACEBOOK
QUATRE POÈMES
Traduits par Raymond Farina
…
■
■ Sur le site Les Carnets d’Eucharis
http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/
Giacomo Cerrai
Quatre poèmes
Traduit de l'italien par Raymond Farina
Aruspices
Le grincement de la balançoire
obsédant, il ressemble
au cri des oiseaux qui tombent
dans le bleu.
Qui sont-ils je l’ignore
peu importe. Seulement,
l’air las, des petits
citadins et leurs mères
aux poumons
chargés d’une fumée légère.
Les oiseaux crient
méthodiques. On dit qu’ils pressentent
le premier acte le second
d’un drame
sans entracte
Aruspici
Il cigolio dell’altalena
ossessivo, somiglia
al grido di uccelli che precipitano
nell’azzurro.
Chi siano non so
né importa. Solo
aria stanca, bambini
cittadini e madri
con un carico di fumo leggero
nei polmoni
Gli uccelli gridano,
metodici. Si dice presèntano
l’atto primo il secondo
d’un dramma
senza intervallo
(le ciel reflété sur une fenêtre très lointaine)
Le ciel reflété sur une fenêtre très lointaine
son obliquité de périscope, de lumière
qui tombe par un hasard infini,
et son rayon qui offusque,
par une direction insolite,
un plan parallèle différent,
notre liberté de penser,
de jeter au vent la plus-value,
la vie qui nous reste,
un autre sud
de monde renversé et d’horizons
de temps et lieu,
ce privilège de pierre
qui attend immobile le coucher de soleil
et son déracinement…
Les frontières ne sont pas tracées,
disparaît le droit divin de la lumière
qui agit
et qui vire au rouge,
l’indifférence des oiseaux,
silhouettes obscures dont la migration
traverse des territoires
sur une fenêtre lointaine.
(il cielo riflesso su una finestra lontanissima)
Il cielo riflesso su una finestra lontanissima
la sua obliquità di periscopio, di luce
che precipita da una casualità infinita,
e il raggio che traffigge,
da una direzione inconsueta,
da un differente piano parallelo,
la nostra libertà di pensare,
di gettare al vento il plusvalore,
la vita che ci avanza,
un differente sud
di terra capovolta e orizzonti
di tempo e luogo,
questo privilegio di pietra
che attende immobile il tramonto
o il suo sradicamento…
i confini non sono segnati,
cessa il diritto divino della luce
che agisce
e vira al rosso,
e indifferenza degli uccelli,
oscuri sagome migranti
attraversano territori
su una finestra lontana.
(aux vieux et aux enfants qui ne saisissent pas)
Aux vieux et aux enfants qui ne peuvent saisir
entre pouce et index
le geste vague et incertain
de l’exiguïté des rêves, comme
celui de considérer la finesse des cheveux
devant la transparence du ciel,
un geste opposable
comme la main sur le cœur pour retenir
le souffle ou celui qui s’enfuit ou la pensée
qui vient à l’esprit tout à coup et avorte…
que soit l’inexpérience la déshabitude de vivre,
la lassitude des os la myopie du moi,
perdre notre prise sur les choses
c’est comprendre les choses leur indicible anarchie
de feuilles qu’agite un vent majeur ;
et l’œil, en hésitant, guide le geste
et le geste ouvre et ferme des horizons
ou ferme le cercle.
(dei vecchi e dei bambini il non cogliere)
dei vecchi e dei bambini il non cogliere
tra pollice e indice
il gesto incerto e vago
dell’esiguità dei sogni, come
chi considera la finezza di capelli
contro la trasparenza del cielo,
un gesto opponibile
come una mano sul cuore a trattenere
il fiato o chi fugge o il pensiero
che improvviso balùgina e abortisce…
che sia imperizia disabitudine del vivere,
stanchezza delle ossa miopia dell’io,
il perdere la presa sulle cose
è capire le cose la loro indicibile anarchia
di foglie mosse da un vento superiore ;
e l’occhio incertamente guida il gesto
e il gesto apre e chiude orizzonti
o chiude il cerchio
(une erreur remédiable)
Si nous avions - imaginais-je –
l’espoir secret des enfants :
se réveiller un matin
avec la seule obligation de vivre
avec le courage des pastels
avec l’avenir d’une feuille blanche
et des oiseaux aériens
revenir en arrière en interrompant
le jeu ou réparer
des blessures même profondes des méchancetés
avec de petites blandices.
Si nous avions le droit au retour
juste avant la limite de l’innocence
au bord d’une journée imprévoyante
le simple geste qui efface
la douleur
fait renaître l’amour scelle
dans ce toujours un toujours
qui est nôtre. Si nous pouvions
sauver ce qui peut l’être
comme à la fin d’une journée
de vacances
fermer les tiroirs en riant
comprendre que nous avons grandi
et peut-être
que l’essence de l’action
est une erreur remédiable…
(un rimediabile errore)
Avessimo – immaginavo –
la speranza segreta dei bambini :
risvegliarsi un mattino
col solo obbligo di vivere
col coraggio dei pastelli
col futuro di un foglio bianco
e di uccelli ventosi
tornare indietro interrompendo
il gioco o risarcire
ferite pur profonde cattiverie
con piccola blandizie.
Avessimo il diritto al ritorno
appena prima del limite dell’innocenza
sull’orlo d’una giornata improvvida
il semplice gesto che cancella
il dolore
ripristina l’amore sigilla
in questo sempre il sempre
che è nostro. Potessimo
salvare il salvabile
come alla fine d’un giorno
di vacanza
chiudere ridendo i cassetti
capire che siamo cresciuti
e forse
che essenza dell’agire
è un rimediabile errore…
■ Bio-bibliographie :
Giacomo Cerrai est né à S.Giuliano Terme (Pise). Il a fait ses études de Littérature italienne à Pise, où il travaille et vit. Après la publication de son premier recueil, intitulé « Imperfetta elisse », il a collaboré à la revue de photographie et d’écriture « Private » (n°18/2000) et à l’ouvrage collectif, consacré à Cesare Pavese « AA.VV. – Cesare perduto nella pioggia », dirigé par Massimo Canetta (Di Salvo Editore, Naples). Il a été rédacteur en chef de la section « Poésie » du site de littérature « I Fogli nel Cassetto », jusqu'à sa fermeture, à la fin de l’année 2002. Ses textes figurent sur de nombreux sites, blogs et revues de poésie en ligne tels que « Dadamag » (n°6, 1999), « La costruzione del verso » de Gianfranco Fabbri, « L’Attenzione» (n°4, janvier 2007), « La poesia e lo spirito », « Viadellebelledonne », « Sottopelle », « Cartesensibili ».
Est également disponible sur « Lulu.com » une version imprimée de « La ragione di un metodo », un recueil de textes écrits au cours des années 80-90. On peut trouver, par ailleurs, sur le blog de Francesco Marotta « La dimora del tempo sospeso », quatorze poèmes du même auteur, écrits à des périodes différentes.
Giacomo Cerrai figure aussi dans l’anthologie de Luca Ariano et Enrico Cerquiglini « Vicino alle nubi sulla montagna crollata » ( Campanotto Editore). Il a récemment publié en ebook « Sinossi dei licheni » aux « Editions Clepsydra » et, en juillet 2009, aux « Editions l’Arca Felice » de Salerne, « Camera di condizionamento operante ». Ces deux ouvrages sont téléchargeables gratuitement. Viennent également de paraître –sur GAMMM- un texte expérimental, « A tribute to John Cage » et, en co-traduction, avec Rita R. Florit et Alfredo Riponi, l’anthologie de poèmes de Ghérasim Luca « La fine del mondo – Poesie 1942-1991 » (Joker Edizioni, 2012). De prochaine publication aux « Editions L’Arcolaio » le recueil « Diario estivo e altre sequenze »
Il gère l’espace web « Imperfetta Ellisse » (http://ellisse.altervista.org).
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22/08/2012
Non, la Grèce n’est pas morte !
■■■ Il y a quelques semaines, en large titre de pleine page d’un grand quotidien français, on pouvait lire cet avis de décès stupéfiant : « La Grèce est morte ». Déjà énoncé en 1956 par Cornélius Castoriadis, le thème de la mort de la Grèce est aujourd’hui repris par de nombreux intellectuels et notamment par un écrivain grec contemporain majeur : Dimitris Dimitriadis. Tel constat, aussi absolument désespéré, n’est pas un des moindres signes du désarroi politique, matériel et moral qui a envahi ce pays. Faut-il pour autant l’accepter fatalement, enregistrer cette nouvelle sans plus de doute ni d’examen ? Partant pour plusieurs semaines en Grèce continentale et insulaire, la parcourant du sud au nord, d’est en ouest, je m’attendais à constater tristement l’incroyable fin de ce pays et du mythe qu’il porte, à assister en témoin à son enterrement, et en vieil ami à prendre ma part du deuil.
Certes dans les villes, à Athènes surtout, la misère matérielle et morale est immédiatement perceptible, et pas seulement parce que de nombreux migrants, dont beaucoup d’enfants, y errent et mendient : des signes sont là, irréfutables, qui témoignent de la réalité pesante de la crise, de son étendue et de sa profondeur. Celle-ci n’est plus la matière abstraite d’une phraséologie redondante ayant envahi les médias et les cerveaux occidentaux, car sur place cela se voit, se sent, se dit : les Grecs en majorité, vivent plus mal, inquiets et pessimistes.
Pourtant, au-delà du constat des causes qui ont depuis des décennies affaibli la Grèce (clientélisme et corruption des deux principaux partis politiques alternativement au pouvoir, affaissement des vertus populaires traditionnelles, emprise d’un libéralisme aux méthodes sauvagement prédatrices, inefficience de certains services publics, féodalités économiques persistantes, chômage croissant, exil des jeunes), je voudrais ouvrir une brèche d’espoir en rappelant les incomparables forces résiduelles dont dispose ce pays, aptes à stimuler une vision moins désespérée de son présent et de son avenir. Car c’est avant tout d’un espoir mobilisateur dont ce pays a besoin afin de se libérer des pronostics et des pressions qui l’accablent. Au creux même de la dépression, il lui faut mobiliser une foi en lui-même, en son identité singulière, les leçons de son histoire et la vitalité de ses racines, par là susciter un élan apte à répondre, comme René Char a pu le suggérer en des temps également dramatiques, « à chaque effondrement des preuves (…) par une salve d’avenir ».
Comme dans la plupart des pays du monde, les villes grecques concentrent la majorité de la population nationale et tendent à faire oublier « l’autre Grèce » qui ne perçoit ni ne vit la crise de la même façon. Il suffit de s’éloigner des villes, de parcourir les très nombreuses portions sauvages des milliers de kilomètres du littoral grec, préservé, contrairement à d’autres côtes méditerranéennes, de l’inflation anarchique d’immeubles qui les ont définitivement défigurées et dépoétisées, de parcourir les campagnes couvertes d’oliviers, d’arbres fruitiers, de vignes, où s’épandent troupeaux de chèvres et ruchers, de s’attarder dans les villages dont la silhouette évolue lentement, pour retrouver un art de vivre peu perturbé par la crise, sachant entretenir et promouvoir des réflexes de production, d’autonomie et de solidarité. Celui-ci permet une bénéfique mise à distance, à la fois psychologique et concrète, de la problématique de crise qui obsède les populations européennes. Il peut paraître naïf d’opposer ainsi la relative quiétude du monde campagnard et insulaire grec, protégé par sa perpétuation des modes de vie traditionnels, au mal-vivre croissant des citadins, plus directement exposés, de vanter les atouts d’un environnement naturel et d’une forme de vie qualitativement axée sur la jouissance de biens premiers, essentiels, par opposition à l’enfoncement de populations entières dans la solitude, la misère et le désespoir. Mais en Grèce cette opposition est moins simpliste et moins grande qu’il n’y paraît car malgré le caractère tentaculaire de la mégalopole athénienne et de sa banlieue sud-ouest industrielle, malgré les villes de diverses tailles du pays, le citadin grec est rarement coupé du pays profond qui lui sert de véritable base de ressources, psychologiques et matérielles, affectives et poétiques. Beaucoup de citadins grecs disposent en effet, à la campagne ou sur une île, d’une maison –souvent de famille- d’où eux-mêmes et sinon des proches rapportent et partagent olives, huile, légumes, fruits, confitures, miel, fromages, pain, vin, ouzo, raki. Ces denrées garantissent bien plus qu’une part savoureuse de la subsistance alimentaire : un lien affectif et traditionnel apte à nourrir la force mentale, affective et poétique par laquelle nombre de Grecs semblent mieux résister à l’angoisse et la disette générées par la crise que ne le laissent imaginer les informations accessibles en France. La solidarité familiale traditionnelle, maintenue très forte, contribue sur les plans matériel, psychologique et affectif, à cette résistance. Ainsi, à partager quelques semaines la vie de ce peuple, ce qui ressort est la perpétuation de ses atouts psychologiques et culturels essentiels par lesquels, sans tomber dans des clichés de propagande touristique, un certain art de vivre reste bien vivant, et par là salvateur. Les terrasses des cafés et les tavernes sont majoritairement fréquentées par des Grecs qui, affichant cette tranquille lenteur qui subsiste malgré tout, continuent à aimer plus que d’autres, le partage d’un verre ou d’un plat à l’air et au soleil, à tirer des chaises dans la rue pour une conversation. De ce pays riche de vastes espaces sauvages dont la beauté stupéfiante reste inchangée il faut donc –et de beaucoup- corriger la lecture, essentiellement médiatique, qu’inspire la seule référence urbaine, (c’est-à-dire concentrationnaire) et prendre en compte le lien racinaire entretenu par chaque Grec avec des modes de vie séculaires où dans des territoires à faible densité humaine mais aux richesses naturelles intactes, il entretient un rapport mythique à l’espace et au temps. Ceci n’est malheureusement ni apparent dans les reportages télévisés, ni valorisé par les clientélismes politiques, lesquels semblent plutôt s’acharner à favoriser par la répétition de la peur de l’avenir, un populisme réactionnel tenté par les extrêmes.
Non seulement riche d’une géographie et d’une sociologie singulières ce pays mythique est également porté par une histoire qui l’irrigue encore, même si parfois elle lui pèse et que, dans l’espoir de se régénérer, il est tenté de la brader. Sans remonter exagérément le temps, ce fut au XIX° siècle la révolte contre l’occupation ottomane et l’indépendance retrouvée. Au XX° siècle la successive résistance au nazisme qui amena la guerre civile, puis à la dictature des colonels. Mais les déterminations de l’histoire moderne ne sauraient éclipser l’influence encore vivante de la période antique. Plutôt que de la liquider une bonne fois pour toute comme le suggère Christos Chryssopoulos dans son roman La destruction du Parthénon, (et avant lui Yorgos Makris) par la métaphore symbolique de la pulvérisation de l’Acropole qui coiffe de façon écrasante la cité-capitale et par là tout le pays, il convient au contraire de prendre en compte le bénéfice psychologique que confère, encore aujourd’hui à la population, la conscience d’être héritière d’un passé prestigieux nourri des génies qui ont hissé ce pays au rang d’une des plus vieilles et des plus hautes civilisations. Cela se remarque de nombreuses façons dans la vie nationale et contribue au sentiment d’unicité, d’unité et de dignité du peuple. Des noms des rues aux prénoms des gens, des mentions abondantes des dieux et des personnages de la mythologie à l’évocation des récits et légendes, joués ou chantés, au théâtre, en musique, en chansons, c’est dans la vie quotidienne de tous les Grecs que s’entretient cette référence, continuée et magnifiée, aux périodes de l’histoire du pays pourvoyeuses d’une grande part de l’honneur –sinon de l’orgueil- national. En cela la Grèce sait –et implicitement le rappelle à tous- qu’elle est certainement le pays le plus originel, et peut-être le plus référenciellement rassembleur de la culture européenne, qu’elle est donc incontournable pour poursuivre la construction politique, économique et culturelle de l’Europe.
Mise à mal par un système économique et bancaire qui l’a dépassée, et sans cependant pouvoir s’exempter de ses propres maux intérieurs, politiques surtout, qui l’ont gravement fragilisée, la Grèce n’est pas seulement le parent pauvre et problématique de l’Union européenne, la brebis galeuse de la zone euro. Elle reste à la fois un pays exceptionnel dont les ressources historiques, géographiques, culturelles, humaines, mythologiques et poétiques sont utiles à tous les Européens, et un peuple, certes aujourd’hui inquiet et tourmenté, stigmatisé quoique victime, mais vaillant et capable de s’arc-bouter une nouvelle fois contre un sort contraire ; un pays qui sait instinctivement qu’il possède les richesses inviolées de sa géographie, de son histoire, de sa singularité anthropologique, et qui en tire sa force latente, capable de résistance et de rebond. Décidément non la Grèce n’a pas à précipiter sa mort, à s’offrir en victime sacrificielle d’une communauté étrangère cherchant à garantir sa survie en faisant d’elle un bouc-émissaire, n’a pas à se renier, ni à céder aux tendances suicidaires auxquelles la porterait la dépression qui l’affecte, à tout feindre d’arranger par sa disparition oblative. Plutôt que de jouer les pleureuses du cortège funèbre, l’œuvre la plus urgente des intellectuels grecs est de revitaliser les forces souterraines intactes du pays qui a besoin d’eux comme d’un chœur moderne, vigile et lancinant. Non la Grèce n’est pas morte, ne peut pas mourir. Et si aujourd’hui l’Europe paraît la soutenir de ses perfusions, c’est en réalité, au plus profond, l’Europe qui a vitalement, et pour toujours, besoin d’elle.
© Jean-Claude Villain, Ecrivain
22:22 Publié dans Jean-Claude Villain | Lien permanent | Commentaires (3) | Imprimer | | Facebook