MARTINE-GABRIELLE KONORSKI
INSTANT DE TERRES
Avec 6 illustrations de Colin Cyvoct
[extraits]

[Photo : Josef Boccard]
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Préface
Dans Instant de Terres, Martine-Gabrielle Konorski poursuit son interrogation sur le temps, sur la temporalité possible, productrice de vie. Il s’ouvre avec en épigraphe une citation de Clarice Lispector : « si en un instant l’on naît et si on meurt en un instant, un instant suffit pour une vie entière », à laquelle pourrait être joint ce propos du philosophe Gaston Bachelard : « « On se souvient d’avoir été et non pas d’avoir duré ». Telle est L’intuition de l’instant Bachelardienne, dont la poésie de cet opus pourrait se rapprocher.
Sept longues séquences constituent ce recueil, Instant de Terres, où le temps n’est jamais perçu comme un flux artificiel, mais plutôt comme un flux discontinu, la notion même de durée étant abolie en nos vies marquées par une succession d’instants qui participent de ce que nous sommes, de nos actes, et de nos choix aussi. L’instant, qui succède à l’instant, dans l’épaisseur du vécu donnerait corps à notre existence.
L’instant, source de promesse, est en lien, toujours, avec notre présence au monde et à nous-même et alors que le concept de durée fossilise, la valeur de l’instant permet de condenser le temps dans une densité singulière, plurielle et inépuisable. Fidèle à un style dans lequel suggérer c’est toujours davantage dire, l’auteure, au rythme des images, des silences, des sons, architecture une poésie comme métaphysique instantanée, portée par l’intensité. Il ne s’agit plus d’un temps horizontal, ce « temps commun qui fuit horizontalement avec l’eau du fleuve, avec le vent qui passe », mais d’un temps arrêté, qui ne suit pas la mesure et que Bachelard nomme « un temps vertical ».
En titrant Instant de Terres avec « le singulier » de l’Instant, la poète souligne « plus j’avance, plus je comprends que nous ne vivons que par l’instant qui nous traverse. Chaque respiration est à l’instant même et ne sera plus, chaque son est à l’instant même et ne sera plus, c’est une autre respiration, un autre son différent qui arriveront, nouveaux, réinventés chaque fois. Le pas que l’on fait en cet instant est unique, il n’y en aura pas d’autre identique. Ce qui s’est écrit dans ce texte participe aussi de cet état de l’instant. Lorsque l’on écrit, on est toujours dans l’instant ».
En contrepoint de ce singulier et avec « le pluriel » de Terres, Martine-Gabrielle Konorski fonde l’instant poétique sur l’instantanéité de plusieurs terres : « aussi précieux soit chaque instant, instant unique, il s’épanouit sur différentes terres, notamment celles où l’écriture me charrie. Et pendant que se produit l’instant de l’écriture, n’est-ce pas aussi par son souffle, son courant, que l’on éprouve comme un profond sentiment de traverser de nombreuses terres différentes. Écrire est toujours un instant de terres ».
Instant de Terres dit bien toutes ces terres qui résonnent en nous et qui nous habitent, « celle des origines, celle de l’enfance, celle des souvenirs, celle des douleurs, de la joie, de l’amour, des drames, de la solitude, des paysages et de tous les imaginaires. » Dans Instant de Terres, la poésie de Martine-Gabrielle Konorski côtoie les terres du peintre Colin Cyvoct.
[Nathalie Riera,
« Instant de Terres de Martine-Gabrielle Konorski. Ou la poésie comme métaphysique instantanée »,
L’Atelier du Grand Tétras, 2020.]
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Extraits
[…]
Sans personne
qui bouge
à l’angle de mes yeux
Assise sur la pierre
d’ambre
j’attends le jour
qui passe
traversée par le vent
Du plus loin de l’Histoire
les portes sont fermées
le temps est sans
abri
Reste le souffle des arbres.
[LA TERRE A PERDU SES AILES]
Dans ce regard
en boule
la distance et l’oubli
ramassis de vos guerres
S’oblitérer
Éclats de bruits
sur le trottoir
la ville pour
froisser la mémoire
dire le noir
de
l’exactitude effacée
Ce qu’on ne veut plus voir.
°°°
Mais la rétine
persiste
sur le spectre
des ombres
Une histoire
dans le feu
nous arrache
et la douleur
se clôt
Métamorphose inventée
dans la bouche
perdue sous la bourrasque
au son
d’un soir qui meurt
Aimer le noir.
[EN DÉRIVE]
L’intranquille
est venu
m’assaille
racle ma gorge
Ailleurs
ne sait plus le repos
tu es si loin
dans l’arc des tempêtes
qui bat
mes tempes
Pas de trêve
Entendre l’éclair
rien d’autre
juste la chair blanchie
rien d’autre
vainement ton regard
Mon ciel.
°°°
L’or des cailloux
faisait poussière de feu
dans l’élan de ton pas
balbutiement ouvert
sur un sanglot
Cette nuit
est venue dormir
tout le long de moi
déchirée
Tout le long de la route
un cri s’avance
en marche vers le soleil
dans l’ombre des orties
Musique de la parole
au son de pierres
frottées
Une vie de sauvetage
entre chien et loup.
°°°
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