28/02/2021
Martine-Gabrielle KONORSKI - Instant de Terres - L'Atelier du Grand Tétras, 2020
MARTINE-GABRIELLE KONORSKI
INSTANT DE TERRES
Avec 6 illustrations de Colin Cyvoct
[extraits]
[Photo : Josef Boccard]
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Préface
Dans Instant de Terres, Martine-Gabrielle Konorski poursuit son interrogation sur le temps, sur la temporalité possible, productrice de vie. Il s’ouvre avec en épigraphe une citation de Clarice Lispector : « si en un instant l’on naît et si on meurt en un instant, un instant suffit pour une vie entière », à laquelle pourrait être joint ce propos du philosophe Gaston Bachelard : « « On se souvient d’avoir été et non pas d’avoir duré ». Telle est L’intuition de l’instant Bachelardienne, dont la poésie de cet opus pourrait se rapprocher.
Sept longues séquences constituent ce recueil, Instant de Terres, où le temps n’est jamais perçu comme un flux artificiel, mais plutôt comme un flux discontinu, la notion même de durée étant abolie en nos vies marquées par une succession d’instants qui participent de ce que nous sommes, de nos actes, et de nos choix aussi. L’instant, qui succède à l’instant, dans l’épaisseur du vécu donnerait corps à notre existence.
L’instant, source de promesse, est en lien, toujours, avec notre présence au monde et à nous-même et alors que le concept de durée fossilise, la valeur de l’instant permet de condenser le temps dans une densité singulière, plurielle et inépuisable. Fidèle à un style dans lequel suggérer c’est toujours davantage dire, l’auteure, au rythme des images, des silences, des sons, architecture une poésie comme métaphysique instantanée, portée par l’intensité. Il ne s’agit plus d’un temps horizontal, ce « temps commun qui fuit horizontalement avec l’eau du fleuve, avec le vent qui passe », mais d’un temps arrêté, qui ne suit pas la mesure et que Bachelard nomme « un temps vertical ».
En titrant Instant de Terres avec « le singulier » de l’Instant, la poète souligne « plus j’avance, plus je comprends que nous ne vivons que par l’instant qui nous traverse. Chaque respiration est à l’instant même et ne sera plus, chaque son est à l’instant même et ne sera plus, c’est une autre respiration, un autre son différent qui arriveront, nouveaux, réinventés chaque fois. Le pas que l’on fait en cet instant est unique, il n’y en aura pas d’autre identique. Ce qui s’est écrit dans ce texte participe aussi de cet état de l’instant. Lorsque l’on écrit, on est toujours dans l’instant ».
En contrepoint de ce singulier et avec « le pluriel » de Terres, Martine-Gabrielle Konorski fonde l’instant poétique sur l’instantanéité de plusieurs terres : « aussi précieux soit chaque instant, instant unique, il s’épanouit sur différentes terres, notamment celles où l’écriture me charrie. Et pendant que se produit l’instant de l’écriture, n’est-ce pas aussi par son souffle, son courant, que l’on éprouve comme un profond sentiment de traverser de nombreuses terres différentes. Écrire est toujours un instant de terres ».
Instant de Terres dit bien toutes ces terres qui résonnent en nous et qui nous habitent, « celle des origines, celle de l’enfance, celle des souvenirs, celle des douleurs, de la joie, de l’amour, des drames, de la solitude, des paysages et de tous les imaginaires. » Dans Instant de Terres, la poésie de Martine-Gabrielle Konorski côtoie les terres du peintre Colin Cyvoct.
[Nathalie Riera,
« Instant de Terres de Martine-Gabrielle Konorski. Ou la poésie comme métaphysique instantanée »,
L’Atelier du Grand Tétras, 2020.]
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Extraits
[…]
Sans personne
qui bouge
à l’angle de mes yeux
Assise sur la pierre
d’ambre
j’attends le jour
qui passe
traversée par le vent
Du plus loin de l’Histoire
les portes sont fermées
le temps est sans
abri
Reste le souffle des arbres.
[LA TERRE A PERDU SES AILES]
Dans ce regard
en boule
la distance et l’oubli
ramassis de vos guerres
S’oblitérer
Éclats de bruits
sur le trottoir
la ville pour
froisser la mémoire
dire le noir
de
l’exactitude effacée
Ce qu’on ne veut plus voir.
°°°
Mais la rétine
persiste
sur le spectre
des ombres
Une histoire
dans le feu
nous arrache
et la douleur
se clôt
Métamorphose inventée
dans la bouche
perdue sous la bourrasque
au son
d’un soir qui meurt
Aimer le noir.
[EN DÉRIVE]
L’intranquille
est venu
m’assaille
racle ma gorge
Ailleurs
ne sait plus le repos
tu es si loin
dans l’arc des tempêtes
qui bat
mes tempes
Pas de trêve
Entendre l’éclair
rien d’autre
juste la chair blanchie
rien d’autre
vainement ton regard
Mon ciel.
°°°
L’or des cailloux
faisait poussière de feu
dans l’élan de ton pas
balbutiement ouvert
sur un sanglot
Cette nuit
est venue dormir
tout le long de moi
déchirée
Tout le long de la route
un cri s’avance
en marche vers le soleil
dans l’ombre des orties
Musique de la parole
au son de pierres
frottées
Une vie de sauvetage
entre chien et loup.
°°°
À l’envers de la route
des églantines
le rêve impérissable
de mon double solaire
Ample crépuscule
tragiquement perdu.
[LE GRONDEMENT DES HEURES]
La forêt des images
pour détruire l’invisible
tissage muet
plein de Vous
Nous vides
pour cueillir
Garder les morts
à vivre sous nos mains
Plantes arbres
graines
fleurs d’épaves
poussées contre la chair
Épines de vie
couleurs flambantes
une traversée
des rayons d’épouvante
Jamais plus seuls
Partager le rien.
°°°
Temps vaincu
d’espoirs enragés
piétinés sous la glaise
des routes creusées
de bottes
Les allers
sans retours
pour un quignon
de pain
Même pas de funérailles
Ni convoi Ni conscience.
[UN POINT OUVERT]
Même
les vitres opaques
ne peuvent te cacher
Pas de bruit pas de vent
une seule lumière
seule lueur
La sirène jette un cri
bruit de bottes plus de refuge
dans l’escalier
on siffle
Dégringolent les familles
pas de brèche plus de souffles
restent les hurlements
Quelques perles éparses
un mouchoir bleu brodé
la chaussure d’un bébé
Une étoile sur le palier.
°°°
J’ai su
qu’il faudrait grandir
dans le silence
de l’autre rive
tous ensemble attachés
par le même chagrin
Rayons d’or
éparpillés
dans quelques plis
échoués sur les rails
Une main sur le front pour la mémoire.
[UN CARRÉ DE SILENCE]
Ton reflet
est rangé
derrière la porte
Je la laisse entrouverte
l’embrasure
me tient compagnie
J’entends le crissement
de ton pas
le froissement de ta jupe
le cliquetis des clés
le frottement de ta gorge
et les notes fredonnées
de ton dernier
refrain
Dans l’écart sans espace
je t’attends.
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| BIO-BIBLIOGRAPHIE : Martine-Gabrielle Konorski est de nationalité française et suisse. Elle est auteure de poésie et musicienne. Ses derniers livres ont été publiés aux éditions L’Atelier Du Grand Tétras : Instant de Terres, aux éditions Les Cahiers du Museur (Coll. À côté) : Et si c’était là-bas (livre d’artiste en collaboration avec la peintre Myriam Boccara), aux éditions Le Nouvel Athanor : Bethani suivi de Le bouillon de la langue ; Une lumière s’accorde ; Je te vois pâle … au loin (Prix Poésie Cap 2020). Aux éditions Caractères : Sutures des saisons. Ses textes sont régulièrement présents en revues. En 2019, à Paris, le Théâtre Les Déchargeurs a organisé une soirée de lecture de Bethani. En 2020, deux soirées de lecture musicale sont programmées au Théâtre du Nord-Ouest. En 2018, Martine-Gabrielle KONORSKI a créé au Théâtre Les Déchargeurs, le spectacle Accords, dialogue entre ses textes et la musique de Federico Mompou. Accords a été labélisé par Le Printemps des Poètes et soutenu par l’ambassade d’Espagne. Par ailleurs, elle est administrateure de L’Union des Poètes & Cie, membre du comité de rédaction de la revue Les Carnets d’Eucharis, a été présidente du jury du concours « Faites des mots en prison » organisé par le Ministère de la justice. Après des études d’anglais, de droit et de sciences politiques, elle a mené une carrière internationale dans la communication en France et aux États-Unis. Elle est Chevalier dans l’Ordre national du mérite.
■ © L’Atelier du Grand Tétras
21:54 Publié dans L'Atelier du Grand Tétras, Martine-Gabrielle Konorski | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
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