18/07/2011
YANNIS RITSOS
Yannis RITSOS
Poète grec
(1909-1990)
■ LIEN : Ypsilon éditeur
Il est né en Grèce, à Monemvasia, le 1er mai 1909 et mort le 11 novembre 1990 à Athènes.
Cadet d’une famille de grands propriétaires terriens, sa vie est marquée par la mort de la mère et du frère aîné, la folie de la sœur et du père qui provoquera leur ruine économique, et la maladie personnelle qui lui vaudra de fréquents séjours en sanatorium. Il adhère au Parti Communiste Grec à la fin des années 1920.
De 1948 à 1952, époque de guerre civile, Ritsos est déporté pour ses convictions politiques dans les îles de Limnos, Makronissos et Aï-Stratis, en même temps que toute une génération qui y fut emprisonnée, battue, torturée, exécutée. Mais il écrit toujours, tant bien que mal, secrètement, des poèmes tels que ceux du Journal de déportation, de 1948 à 1950, interrompu en 1949 par l’écriture de Temps pierreux. Les poèmes sont enfermés dans des bouteilles et enfouis dans la terre.
En avril 1967, c’est le coup d’État des Colonels. Ses amis conseillent à Ritsos, de retour d’un voyage à Cuba, de se cacher mais il ne quitte pas sa maison d’Athènes. Il est arrêté le matin même et envoyé à la fin du mois sur l’île de Yaros, un grand rocher sans arbre et sans eau, infesté de rats. Il sera ensuite transféré sur l’île de Léros puis placé en résidence surveillée à Samos. Pendant tout ce temps, il continue d’écrire plusieurs séries de poèmes, toujours en cachette, regroupés sous le titre Pierres Répétitions Grilles. (Ypsilon éditeur)
PIERRES REPETITIONS GRILLES (extrait)
http://ypsilonediteur.com/fiche.php?id=81
ÉPILOGUE
La vie, – une blessure à l’inexistence.
Yaros, 27.07.68
NUIT
Grand eucalyptus sous une large lune.
Une étoile tremble dans l’eau.
Ciel blanchâtre, argenté.
Pierres, pierres écorchées jusqu’en haut.
On entendit tout près dans les eaux basses
le deuxième, le troisième saut d’un poisson.
Extatique, vaste orphelinage – liberté.
Léros, 21.10.68
Camp de déportés politiques de Parthéni, île de Léros.
Yannis Ritsos
Pierres Répétitions Grilles
Editions Ypsilon, 2009
Traduit du grec par Pascal Neveu
Préface de Bernard Nöel
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Temps pierreux
Makronissiotiques (extrait)
RECONNAISSANCE
Un soleil de pierre a voyagé à nos côtés
brûlant l’air et les ronces de la solitude.
L’après-midi, il s’est tenu à la lisière de la mer
comme un globe jaune sur une vaste forêt de mémoire.
Nous n’avions pas de temps pour ces choses-là – malgré tout,
nous jetions un œil de ci de là – et sur nos couvertures
entre les taches d’huile, la poussière et les noyaux d’olives,
restaient quelques épines de pin, quelques feuilles de saule.
Ces choses-là aussi avaient leur poids – rien d’important
l’ombre d’une fourche dans un enclos, lente au crépuscule,
le passage d’un cheval à minuit,
un reflet rosé qui meurt dans l’eau
laissant derrière lui le silence plus seul encore,
les feuilles mortes de la lune parmi les roseaux et les canards sauvages.
Nous n’avons pas de temps – nous n’en avons pas,
quand les portes sont comme des bras croisés
quand la route est comme celui qui dit « Je ne sais rien ».
Pourtant, nous le savions, nous, que plus loin, au grand croisement
il y a une ville et ses lumières colorées,
des hommes se saluent là-bas d’un seul mouvement du front –
nous les reconnaissons à la position des mains,
à la façon dont ils coupent le pain,
à leur ombre sur la table du dîner,
à l’heure où s’endorment toutes les voix dans leurs yeux
et qu’une étoile unique les signe sur l’oreiller.
Nous les reconnaissons à la ride du combat entre les sourcils
et plus que tout – le soir, quand le ciel grandit au-dessus d’eux –
nous les reconnaissons à ce geste mesuré du partisan
lorsqu’ils jettent leur cœur comme un tract illégal
sous la porte close du monde.
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Yannis RITSOS : "Poème, n'abandonne pas mon corps aux loups"
Yannis RITSOS
Sur une corde
(poèmes traduits du grec
et présentés par Dominique Grandmont)
Solin Editions, 1989
331
Son de tambours, voix lointaines, fumées. Et les statues dans les couloirs des hôpitaux.
332
Dans cette transparence infinie se balance une tenaille de fer.
333
Voyelles et consonnes, leurs voix sonnent, tombent d’accord et se taisent dans une profonde impartialité.
334
Et maintenant qu’on lui a retiré le bâillon, comment va-t-il faire pour parler ?
335
Toi, Grèce, qui me crucifies mon pain et mes papiers.
336
Sache-le, - ces mélodies sur une corde, ce sont mes clés. Prends-les.
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15/04/2010
Yannis Ritsos
LE HEURTOIR
Au sein des feuillages profonds
des fruits encore des fruits
rouges jaunes des oiseaux
endormis. Et toi
lointain à jeun
derrière tant de couleurs
tu tentes de discerner
le blanc de l’eau secrète
de la statue
de la racine.
Athènes, 16.4.76
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La lumière le serre aux tempes
il a mal à la tête
il est beau
a pour amante une statue
observe dans le fleuve son image
à travers cette image il voit tout au fond
le spectre la lyre le clairon
la boucle de sa ceinture
celle qui fut perdue jadis
le laissant nu.
Athènes, 22.4.76
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Tu ne sais plus rien
tu as oublié
c’est peut-être pourquoi
tu montes plus profondément.
La poésie elle-même
te ferme à présent les yeux –
tu les tiens obligeamment fermés.
Sa main sur ton front
sur tes paupières
descend jusqu’à tes lèvres
tu embrasses la paume
« heurtoir » dis-tu
« chaise » dis-tu –
la poésie.
Athènes, 24.4.76
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Une goutte d’eau sur la feuille de papier
un peu de couleur jaune
la goutte s’étendit sécha
un soleil
à droite en haut de la feuille
c’est très réussi.
Je ne suis nullement fâché contre toi.
Athènes, 28.4.76
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