30/03/2020
Gérard Cartier - L'Oca Nera (une lecture de Nathalie Riera)
ǀ L’Oca Nera, Éditions La Thébaïde, 2019
Gérard Cartier
GERARD CARTIER
[L'OCA NERA]
L’Oca Nera est le premier roman de Gérard Cartier, avec sa structure de 62 chapitres pour répondre au traditionnel Jeu de l’Oie et ses 62 cases aux figurines diverses, toutes en référence à la mythologie, dont certaines présentent un nombre de risques ou d’accidents, autant de cases fastes que néfastes – non sans quelque lien avec la vie humaine et ses vicissitudes. Jeu de hasard pur, qui n’implique ni réflexion ni calcul, où l’aléa règne en maître, le Jeu de l’Oie est marqué du double sceau de la simplicité et du mystère. D’origine italienne, probablement Florence, la première édition remonterait à 1580. Au Musée du Jeu de l’Oie, à Rambouillet, le narrateur nous avise : « Quatre siècles sont représentés là, depuis les premiers jeux, de simples gravures à l’encre bistre, jusqu’aux planches richement enluminées du début du siècle ».
Le narrateur sait l’enracinement dès son enfance du culte de l’image, « comme tous ceux de mon âge, j’ai appris le monde dans les livres d’images », une fascination que rien ne peut éradiquer, et c’est en protagoniste ocaludophile qu’il nous entraîne dans les ruines du passé, parmi celles de la tragédie du Vercors et son foyer de la Résistance française anéanti dans un bain de sang lors de l’attaque des Allemands le 21 juillet 1944. Puis, dans un temps moins reculé, du temps où le protagoniste – comme l’écrivain Gérard Cartier – menait une carrière d’ingénieur sur des projets d’infrastructures, il y aura cette autre guerre, jugée plus protéiforme, l’attaque du chantier La Maddalena et ses manifestations NO TAV dans le Val de Suse (27 juin 2012), simulacre de « jeunes gens révoltés qui (…) jouent, comme disent les journaux, à la guerre ». La lutte de ce mouvement populaire de protestation contre la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin dure depuis le milieu des années 1990. On se souvient des chefs d’accusation retenus contre l’écrivain Erri De Luca, pour instigation au sabotage et vandalisme et aussi de son acquittement le 19 octobre 2015 par le TPP (Tribunal Permanent des Peuples) de Turin.
Le regard profond de Gérard Cartier sur l’Histoire répond à sa hantise de la guerre, celle précisément « qui nous a engendrés, dans l’ombre de laquelle mon esprit s’est formé », écrit le narrateur. Le passé remonte par bouffées, rien ne peut rompre les fils qui nous y rattachent.
Tout au long de ces 62 séquences sans chronologie dans le temps, le lecteur avance chapitre après chapitre, presque à l’aveugle, parfois tout aussi perdu que le narrateur qui veut bien croire que nous ne sommes pas seulement « un pion poussé au gré des nombres », mais plutôt croire « que nous sommes volonté et raison », au même titre qu’au jeu de hasard raisonné, à même de nous permettre d’opérer des choix pour tirer le meilleur parti du résultat des dés.
Le roman de Gérard Cartier est on ne peut plus troublant, intriguant, dans sa substance même, où le temps, qu’il soit présent ou passé, est à jamais vecteur de nostalgie : « Que devient ce qu’on possède dans l’instant, dans la pure dilapidation du désir », en même temps que ce paradoxe de vouloir y remédier avec juste ce qu’il faut d’ « un peu d’invention et même beaucoup (…) pour rendre vie au passé ».
Le premier jeu de l’oie du protagoniste remonte du temps de l’après-guerre, du temps de la ferme de Carrue, en décembre 1964, où il entendra pour la première fois le nom énigmatique de Graz, nom étroitement lié à la vie de son père, brancardier pendant la guerre, nom « tout à coup surgi des ténèbres du siècle ». Graz désigne Wolfsberg, une petite ville en Autriche, au sud-ouest de la frontière slovène que notre protagoniste aura le souci de sillonner, à la recherche « des baraquements couverts de toile goudronnée où des milliers de juifs ont langui avant d’être wagonnés vers Auschwitz ». Mais aucune trace ne subsiste. Aucune mémoire. Une usine de filtres automobiles remplace le camp mortifère. « Quant à mon père, j’en sais trop peu pour lui rendre un passé, trop peu même pour l’inventer, quand bien même, le suivant à distance, j’ai sillonné Wolfsberg et la Styrie et traversé l’Italie en regardant le monde avec ses yeux ».
C’est au retour de Graz que son père va retrouver « sous le lit de son enfance (…) la boîte de carton du jeu de l’oie qui l’attendait dans la poussière, et que le soir même, encore crasseux du long voyage en train à travers l’Autriche, l’Italie et la Savoie, à peine apaisée la faim dévorante qui l’avait presque réduit aux nerfs, il avait ouvert la planche colorée sur la grande table de la ferme et, le doigt errant de case en case, qu’il avait relaté son aventure à la famille réunie pour l’occasion. (…) Là, au milieu des miettes du repas, devant un verre encore à demi rempli de piquette, mon père avait entrepris de raconter la drôle de guerre et la défaite, cherchant ses mots, amenant à lui pour se donner une contenance le jeu de l’oie abandonné sur le buffet (…) ».
Une autre hantise de l’écrivain Gérard Cartier, rattachée à la tragédie du Vercors, celle du nom emblématique de Mireille Provence, hantise qui occupe une grande partie de L’Oca Nera. Mireille Provence, de son vrai nom Simone Waro, n’est pas sans lien dans l’histoire familiale de l’écrivain puisqu’elle serait impliquée dans la disparition de son oncle Marcel. Une double photo anthropométrique nous est donnée page 295. Mireille Provence dite l’espionne du Vercors, ou encore, l’égérie de la milice… Condamnée à mort à la Libération, De Gaulle la gracie, alors qu’elle a envoyé à la mort une quarantaine de maquisards. Que sait-on aujourd’hui du dossier du procès de Mireille Provence ? Après consultation aux archives de Grenoble dans l’espoir d’accéder au dossier de la condamnée, puis aux archives de Fontainebleau pour tenter d’élucider la disparition des dossiers de demande de grâce, la renégate n’est plus que fantôme, et pour l’écrivain parti sur ses traces, obnubilé « à sonder les bibliothèques et à dépouiller les vieux annuaires du Dauphiné et de la Provence », mais aussi pour les victimes et leurs familles, rien de plus abject que d’apprendre que la levée du secret n’aura pas lieu avant la fin de ce siècle : « la vérité est ensevelie dans les archives de la Cour de Justice de Grenoble », le dossier mis sous scellé « pour encore quatre-vingts ans » ! – Après une enquête toute personnelle, l’écrivain lui-même apprend que Mireille Provence a finalement écopé de seulement huit années de prison, ce qui paraît si faible au regard de l’assassinat d’environ 40 maquisards ! Mireille Provence « avait disparu des annales, après son procès, avalée par le siècle avec les Fredy Howard de Luz et les Hélène Coudreuse. Mais si j’avais su la retrouver, le sens était perdu. Mon sujet était autre : mesurer l’ombre que jette en nous l’Histoire (…) ».
« (…) l’Histoire (…) la Littérature, lesquelles ne font jamais bon ménage, l’une nette et sévère, tracée à la pointe sèche, constellée de dates et de noms, certifiée par mille preuves inscrites sur les cartes et les stèles, l’autre vague et fluctuante, humide, ambigüe, plus propre à émouvoir qu’à enseigner, témoignage équivoque des anciens égarements, longue ombre portée sur la postérité. »
Tout comme le père – si peu disert quand le fils l’interroge sur cette époque sinistre de l’Histoire –, qui en passe par le jeu de l’oie afin de pouvoir faire récit, de pouvoir raconter, la passion (ou l’obsession) du fils pour le jeu de l’oie ne répond-elle pas au besoin de perpétuer la mémoire ? Et en passer par la littérature mémorielle, comme une manière de vaincre le temps ? Soustraire le passé de son propre néant, revisiter le passé pour mieux le redécouvrir, dans les moindres détails.
Le narrateur de L’Oca Nera s’est constitué une ocathèque avec plusieurs centaines de planches. Peut-on penser que cette fièvre de la collection recèlerait comme une nostalgie des origines, « l’émotion du révolu » pour reprendre une expression de Jean Starobinski au sujet de l’écrivain Claude Simon et ses Photographies. Chez le narrateur, nostalgie et vertige de la possession ne sont peut-être pas si éloignés, et l’acte de collectionner ne répond-il pas d’ « une sorte d’exercice d’hygiène mentale », de son aveu même.
Même si le lecteur peut parfois douter quand il s’agit de différencier la fiction de l’autobiographie, il lui reste de jouer le jeu, d’avancer de case en case, d’accompagner le narrateur dans son aventure peu commune, quitte à se perdre, revenir en arrière ou rebrousser chemin, jusqu’à parcourir toutes les cases de L’Oie Noire.
Mars 2020
:- :- :- :- :- :
© Nathalie Riera
22:31 Publié dans Gérard Cartier, Les Carnets d'Eucharis, Nathalie Riera | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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20/03/2020
FRIEDERIKE MAYRÖCKER
FRIEDERIKE MAYRÖCKER
[DES ALOUETTES FOLLES QUI …]
chèvrefeuille et acajou dans l’aurore, la
rosace de tigre sur l’un des murs de la chambre qui s’effeuille,
moucheture à la fenêtre, rouge, dardant sa langue
dans l’indigo qui s’ouvre en dessous, bouffant
toupet de fleurs : calendrier coriandre.
dans un épuisement, larguée dans l’herbe, au visage
la trompette de l’ange, et comme le poing
de son propre cœur s’ouvre et se referme sur l’écran.
tourbillon saturnien et cuisine jaune, vibrants
les accessoires de la linotte.
Traduit de l’allemand (Autriche) par Jean-René Lassalle
……………………………………………………………………………………………………….
●●● [Extrait de Notizen auf einem Kamel – Suhrkamp, 1996]
15:53 Publié dans Friederike Mayröcker | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | |
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Compagnia delle Poete - LA MAISON DEHORS / LA CASA FUORI
Compagnia delle poete
___________
LA MAISON DEHORS
…………………………………………………………………………………………..
●●● Traduction Jean-Charles Vegliante
de ce côté s’étend un paysage avare
de là un chien s’approche
il aboie
faisons comme si nous n’avions pas peur.
attendons
que quelqu’un réponde à notre coup de sonnette
les fenêtres de la maison nous regardent
sombres
si la grille devait s’ouvrir
je me demande
quelle lettre dirait
son grincement ?
[Brenda Porster]
parmi les détritus une maison
de papier
avec un toit et des rideaux
blancs, un, un unique
nuage rouge dans
le ciel qui par moments
déborde
des lignes
[Barbara Pumhösel]
D’abord il faut un toit rouge
la cheminée la fumée grise
foncé le long du contour de la maison
carrée un nombre pair de fenêtres
le pré rendu avec une ligne verte
celle du ciel bleu
cinq traces noires en vol
C’est le printemps
la glycine commence juste
toute blanche comme la feuille
c’est pourquoi on ne la voit pas
les racines enfoncées qui sait où
les branches m’ont suivie jusqu’ici
confondus dans cet ailleurs blanc à moi.
Je remets tous en rang les crayons
demain j’essaierai à nouveau
avec son parfum
les fleurs flétries de la voix
[Mia Lecomte]
Corps maison
qui sue
par les parois,
taches qui ne s’enlèvent pas.
Et l’on ne trouve pas
les choses, les causes.
Maison corps
envahie
par un passage
continuel
[Eva Taylor]
○○○
Des autres
il y a des dents dans un tiroir
des sparadraps sur les coins des buffets
des voix marmonnantes dans les serrures
des souvenirs difformes sous les lits
des amas de poussière et des poils de chat
Où êtes-vous à présent ?
Voulez-vous que je vous cherche ?
Je forme des entrelacs avec mes doigts
je lisse le bois avec des jets de salive
il y a des signes pâles de tasses chaudes
des moments fixés à des empreintes
Où êtes-vous ? Je crie mais comme dans les rêves
c’est seulement la poitrine qui répond.
Les vestes des autres restées accrochées sur des cintres en bois
sentent le cèdre et la naphtaline.
Il y a ce brouhaha brut de pigeons qui volètent
et de la poussière de guano quand j’ouvre les volets.
J’allume et éteins la lumière
cherchant dans les ombres des coins domestiques.
Je détacherai,
et tout dans ces murs reniera le passé.
[Barbara Serdakowski]
Du coin de l’œil je la vois
devant l’évier
entre une assiette rincée et l’autre
qui fait des claquettes pour moi
et pour l’amie invitée à déjeuner
(un sandwich au thon, peut-être,
une pomme ou une pâtisserie,
avec la hâte de retourner à l’école
pour les cours de l’après-midi).
Enfant elle avait chanté
à la radio pour ‘The Children’s Hour’
– et à présent nous voici
la petite Dorothy Polsky –
auront-ils dit
et moi qui la regarde, incertaine
entre la gêne et la fierté
d’avoir une maman comme ça
[Brenda Porster]
1.
le tablier de ma grand-mère n’était pas tablier
mais habit, sa peau vert-bleu
le tablier de ma grand-mère cachait
la femme que ma grand-mère était et ne voulait pas
voir et faire voir :
les heures cousues à l’intérieur
avec un fil de sueur, fièvre faible en préparant des montagnes
de neige claire, des lacs de compotes, des fleuves de jus,
d’entiers paysages pour le palais.
et dans ses poches elle cachait photos et mots
près des clefs, piécettes et mouchoirs
souvenirs grattés avec un regard languissant
de cuisine.
le tablier de ma grand-mère était le monde à carreaux
était rythme, vérité et maison
ce corps tablier vert-bleu.
2.
ma mère avait des tabliers blancs
amidonnés comme des glaciers.
devant les fours elle ne fondait guère :
elle était sibylle blanche cire.
elle créait des gâteaux d’obéissance
– ils brûlaient douloureusement
l’obéissance paraît toujours blanche
et ma mère demeure elle-même.
mais le tablier prend feu la nuit
se consume sous la lumière
nue de la lune
3.
je vois un tablier pendu à la porte
quand le vent l’agite
il s’ouvre comme un livre déployé.
il y a des taches à la place des lettres.
il y a des yeux et des mains
et chaque lavage confirme le passé :
les couleurs passées
les taches qui ne s’enlèvent pas.
chaque jour je le mets
pour nager à contre-courant
remonter à une origine.
ce tablier est une peau
qui le porte endosse mon histoire
[Eva Taylor]
Depuis toujours fin septembre
la maison se remplit du parfum
de soupe de prunes au sureau.
Je n’y suis plus depuis des années il arrive
toutefois que je sois frappée d’étranges
hallucinations olfactives et alors
je regarde mes mains mais non
jamais elles ne sont tachées de violet –
du reste quand j’ai pu
j’ai toujours évité d’aider
à égrener les corymbes de sureau.
[Barbara Pumhösel]
Léthargie après léthargie.
Tu prétends tout dans les armoires creuses
graine déposée et sans pudeur
tu changes la saison castore écureuille
serpent parmi tes noix défaites
habits, souliers, maillots, lingerie
change la saison femme
Sans la patience de te croire famille
jamais l’hiver ne peut venir
[Mia Lecomte]
○○○
Elle avait un tapis rouge ma pièce
pièces à repeindre continuellement
la seule que j’ai pu choisir
les pièces arrivent
le tapis rouge perdait ses poils
mais comme j’étais contente.
Ils arrivent avec leurs hauteurs angles et senteur
fenêtres à des endroits variés pour la trajectoire du regard
ils m’avaient fait voir trois types de papiers peints
je n’avais pas compris que les autres coûtaient trop cher.
Armoires, tables de chevet, tout en position déplacée.
Allongée je n’arrivais pas à voir dehors,
juste le ciel voilé par le petit rideau crème
fait au crochet par ma mère et la pointe de la haie.
Des vues et des échappées qui changent pensées, idées, rêves.
L’autre fois c’était un mur avec des lichens et une grille verte.
[Barbara Serdakowski]
j’ai quatre fenêtres cardinales
dans mon salon de l’air
et à l’heure maison j’ouvre les volets
sans regarder en direction des grillages
aux pointes en acier
je choisis un encadrement sûr libre
de toute espèce de ligne ou fil
barbelé et je brûle les pensées qui insistent
pour garder allumé quelque chose au delà
[Barbara Pumhösel]
Je ne sais si on pouvait l’appeler cave –
elle n’était pas sombre, un rayon lumineux
entrait par la fenêtre haute –
Des fois nous jouions dans la pénombre
à sauter, d’un panier en métal.
Ce jour-là nous le sentions : quelque chose
allait arriver. Excitées,
nous goûtions notre peur.
Quand un pied se prit
dans un fil je tombai, mal,
tapant le visage sur le ciment.
Je me mis à saigner du nez.
Des années passèrent avant que je comprenne :
c’était alors le jour
de Ethel et Julius Rosenberg
[Brenda Porster]
Dans les murs les fentes
les fenêtres grand ouvertes
sur le pré le blanc des oies
le tilleul planté ce jour-là.
J’entends le récit des dernières années
les nuits sans sommeil et les lettres
les voyages, les attentes et la colère.
Je regarde
mais toi de l’autre côté de la route
en ce lieu où tu es né
tu ne reviens plus
pour une virgule de loi
mise à Moscou
signée à Berlin.
L’ombre du tilleul nous embrasse tous les deux
mais toi tu n’oublies pas
et moi je m’en échappe.
[Eva Taylor]
Les pièces de la maison
n’ont jamais été plus éloignées entre elles
Une matinée de marche
pour rejoindre la moka à la cuisine
passé le marais à gué le fleuve
une secousse au dernier tronc mal assuré
Pour les toilettes il faut le périple du volcan
ou en alternative deux trains
il pleut si l’eau tombe de l’avant-toit
jusqu’à l‘angle le plus extérieur du lavabo
Les vêtements alignés dans l’armoire
concentrent la lumière à l’horizon
la mer est immense de ce côté
plus loin se dresse l’escalier du bureau
les chênes qui cèdent la place aux pins
jusqu’à l’étendue de mousse
entre les roches toujours vertes de la bibliothèque
Au salon à pic avec la cascade
pour ensuite se diriger vers la chambre
avec le premier avion suspendu entre l’abat-jour
et quelques-unes des plus simples étoiles
Du début jour après jour
si tu ne peux sortir de la maison
c’est que dehors il ne t’est rien resté
ton au-delà s’établit dans l’empreinte
laissée en temps morts sur un coussin
[Mia Lecomte]
dépouillée de tout
même des murs
seulement quelques pierres
sur la nue
planimétrie et neige lente
qui obscurcit
[Barbara Pumhösel]
○○○
C’est déjà temps pour autre chose
il est sept heures
pousser le poids du chien étendu devant la porte
tu es encore réveillé
comme dans cette autre maison
peut-être un train passe, et tout tremble
les choses au fond ne changent pas.
Il y a trop de coins dans ces pièces
déranger les boîtes qui restent
moins de lumière dans la salle
trouver des photos perdues depuis longtemps
des terrasses avec des plantes non miennes
et mettre en ordre de nouveau
tout dans la cuisine.
Les briques sont froides sous les pieds
je chercherai des années le sel là où sont à présent les verres.
Je voudrais être seule à flairer les murs
tu m’appelles de loin
entendre les voix des autres imprimées çà et là
et tu demandes si je sais où est ce livre.
[Barbara Serdakowski]
Avant que l’on sorte de la pièce les choses
commencent déjà à s’en aller
elles se font raides privées de genre
une à une elles reprennent tout
d’elles-mêmes sans un regret
elles se font inutiles sans peur
de ne pas insister elles vont précises
droit là dehors une à une
elles nous font sortir un peu à la fois
sans douleur en morceaux simples jusqu’à
ce qu’il ne reste de nous plus rien
[Mia Lecomte]
j’insiste – il doit y avoir quelque chose
une apparence minime
un trait non disparu tout-à-fait
quelque chose des zones marquées une
frontière en commun
quelque trace
prouvant le fait qu’ici –
je répète – qu’ici il y avait quelque chose
non – tous secouent la tête
et le temps piétine tout
[Barbara Pumhösel]
j’ai entendu dire par une
qui avait perdu la mémoire
le temps est
un néant entre deux néants
le présent un point unidimensionnel
immatériel
le passé n’est plus
le futur n’est pas encore
mais je me demande si viendra de nouveau
le temps de la crue,
l’instant lourd
de présent
[Brenda Porster]
Pitié de nous, pitié
de l’herbe qui ne pousse pas, pitié
du toit et la façade les portes
sans clé, pitié de nos
espaces vides, pitié du son et
de la lumière, encore éteints
pitié de nous à l’intérieur, pitié
avec de fausses fenêtres
pitié, d’y habiter l’absence
de ne pouvoir y être
pitié
de nous dans cette maison
dans cette nôtre d’autrui.
[Mia Lecomte]
| Textes inédits. © Compagnia delle poete, 2020.
LA CASA FUORI
di qua si estende un paesaggio scarno
di là un cane si avvicina
abbaia
fingiamo di non avere paura.
aspettiamo
che rispondano al nostro suonare
le finestre della casa ci fissano
scure.
se dovesse aprirsi il cancello
mi chiedo
quale lettera direbbe
il suo cigolio?
[Brenda Porster]
tra i detriti una casa
di carta
con il tetto e le tende
bianche, una un’unica
nuvola rossa nel
cielo che a tratti
va fuori
dalle righe.
[Barbara Pumhösel]
Prima ci vuole il tetto rosso
il comignolo il fumo grigio
scuro lungo il contorno della casa
quadrata un numero pari di finestre
il prato risolto con una linea verde
quella del cielo azzurra
cinque le tracce nere in volo
È primavera
ora comincia il glicine
tutto bianco come il foglio
per questo non si vede
le radici sprofondate chissà dove
i rami mi hanno seguita fino a qui
confusi in questo mio bianco altrove
Ripongo tutte in fila le matite
domani proverò di nuovo
con il suo profumo
i fiori sfatti della voce
[Mia Lecomte]
Corpo casa
che suda
dalle pareti,
macchie che non si tolgono.
E non si trovano
le cose, le cause.
Casa corpo
invasa
da un passaggio
continuo.
[Eva Taylor]
○○○
Di altri
ci sono denti in un cassetto
cerotti sugli angoli delle credenze
rumoreggianti voci nelle serrature
ricordi malformi sotto i letti
mucchi di polvere e peli di gatto
Dove siete ora?
Volete che vi cerchi?
Fabbrico intrecci con le dita
liscio i legni con spruzzi di saliva
ci sono segni pallidi di tazze calde
momenti fissati ad impronte
Dove siete? Grido ma come nei sogni
è solo il petto che risponde.
I giacconi altrui rimasti appesi su spalle di legno
odorano di cedro e di naftalina.
C'è quel schiamazzo lordo di piccioni che svolazzano
e polvere di guano mentre spalanco le serrande.
Accendo e spengo la luce
cercando nelle ombre angoli domestici.
Smacchierò,
e tutto tra queste mura rinnegherà il passato.
[Barbara Serdakowski]
Dalla coda dell’occhio la vedo
davanti all’acquaio
tra un piatto risciacquato e l’altro
fa il tip-tap per me
e per l’amica invitata a pranzo
(un panino al tonno, forse,
una mela o un dolcino,
con la fretta di tornare a scuola
per le lezioni pomeridiane).
Da bambina aveva cantato
alla radio per ‘The Children’s Hour’
– e adesso eccoci qui
la piccola Dorothy Polsky –
avranno detto
e io che la guardo ora, incerta
tra l’imbarazzo e l’orgoglio
di avere una mamma così.
[Brenda Porster]
1.
il grembiule di mia nonna non era grembiule
era vestito, pelle sua verde-blu
il grembiule di mia nonna nascondeva
la donna che mia nonna era e non voleva
vedere e far vedere:
le ore cucite dentro
col filo di sudore, sottile febbre nel preparare montagne
di neve chiara, laghi di composte, fiumi di succhi,
interi paesaggi del palato.
e nelle tasche nascondeva foto e parole
accanto a chiavi, monete e fazzoletti
ricordi grattati con lo sguardo languido
da cucina.
il grembiule di mia nonna era il mondo a quadretti
era ritmo, verità e casa
quel corpo grembiule verde-blu.
2.
mia madre portava grembiuli bianchi
inamidati come ghiacciai.
davanti ai forni non si scioglieva:
era sibilla bianca cera.
creava dolci di ubbidienza
– bruciavano con dolore
l’ubbidienza appare sempre bianca
e mia madre rimane se stessa.
ma il grembiule s’infuoca la notte
si consuma sotto la luce
nuda di luna.
3.
vedo un grembiule appeso alla porta
quando lo muove il vento
si apre come un libro spiegato.
ci sono chiazze al posto delle lettere.
ci sono occhi e mani
e ogni lavaggio conferma il passato:
i colori sbiaditi
le macchie che non si tolgono.
ogni giorno me lo metto
per nuotare contro corrente
risalire ad un’origine.
quel grembiule è una pelle
chi lo porta indossa la mia storia.
[Eva Taylor]
Da sempre alla fine di settembre
la casa si riempie del profumo
di zuppa di prugne e sambuco.
Non ci sto più da anni succede
tuttavia che io venga colpita da strane
allucinazioni olfattive e allora
mi guardo le mani ma mai
che siano macchiate di viola –
del resto quando ho potuto
ho sempre evitato di aiutare
a sgranellare i corimbi di sambuco.
[Barbara Pumhösel]
Letargo dopo letargo
Pretendi tutto negli armadi cavi
deposto il seme e svergognato
cambi la stagione castora scoiattola
serpe fra le tue noci sfatte
abiti, scarpe, magliette, biancheria
cambia la stagione femmina
Senza la pazienza di crederti famiglia
non può venire mai l’inverno.
[Mia Lecomte]
○○○
Aveva il tappeto rosso la mia stanza
stanze da imbiancare di continuo
la sola che ho potuto scegliere
le stanze succedono
perdeva i peli il tappeto rosso
ma quanto ero contenta.
Arrivano con le loro altezze angoli e sentore
finestre in posti diversi per la traiettoria dello sguardo
mi avevano fatto vedere tre tipi di carte da parati
non avevo capito che le altre costavano troppo.
Armadi, comodini, tutto in posizioni alterate.
Da sdraiata non riuscivo a vedere fuori,
solo il cielo celato dalla tendina crema
fatta ad uncinetto da mia madre e la punta della siepe.
Vedute e sbocchi che mutano pensieri, idee, sogni,
L'altra volta era un muro con licheni e un cancello verde.
[Barbara Serdakowski]
ho quattro finestre cardinali
nel mio salotto aria
e all’ora casa apro le imposte
senza guardare nella direzione dei reticolati
delle punte d’acciaio
scelgo un riquadro sicuro libero
da qualsiasi tipo di linea o filo
spinato e brucio i pensieri che insistono
per tenere acceso qualcosa oltre.
[Barbara Pumhösel]
Non so se si poteva chiamarla cantina –
non era buia, un raggio di luce
entrava dalla finestra in alto –
A volte giocavamo nella penombra
a saltare, da un cesto di ferro.
Quel giorno lo sentivamo: qualcosa
sarebbe successo. Eccitate,
gustavamo la nostra paura.
Quando un piede mi s’impigliò
in un filo caddi, male,
battendo il viso sul cemento.
Mi calò il sangue dal naso.
Passarono anni prima che capissi:
quello era il giorno
di Ethel e Julius Rosenberg.
[Brenda Porster]
Nei muri le crepe
le finestre spalancate
sul prato il bianco delle oche
il tiglio piantato quel giorno.
Sento il racconto degli ultimi anni
le notti senza sonno e le lettere
i viaggi, le attese e la rabbia.
Io guardo
ma tu sull’altro lato della strada
in questo luogo dove sei nato
non torni più
per una virgola di legge
messa a Mosca
firmata a Berlino.
L’ombra del tiglio abbraccia noi due
ma tu non dimentichi
ed io ne sfuggo.
[Eva Taylor]
Le stanze della casa
non sono mai state più lontane tra loro
Una mattina di marcia
per raggiungere la moka in cucina
superata la palude a guado il fiume
una scossa all’ultimo tronco malcerto
Per il bagno serve il periplo del vulcano
in alternativa due treni
piove se l’acqua gronda dalla pensilina
fino all’angolo più esterno del lavabo
I vestiti allineati nell’armadio
infittiscono la luce all’orizzonte
il mare è immenso da questa parte
oltre si inerpica la scala dello studio
i larici che lasciano il posto ai pini
fino alla distesa di muschio
tra le rocce sempreverdi della libreria
In salotto a precipizio con la cascata
per poi dirigersi verso la camera
sul primo aereo sospeso tra l’abat-jour
e alcune delle più semplici stelle
Da capo giorno dopo giorno
se non puoi uscire dalla casa
è perché fuori non ti è rimasto altro
il tuo al di là si assesta nell’impronta
lasciata in tempi morti su un cuscino.
[Mia Lecomte]
spogliata di tutto
anche delle mura
soltanto qualche pietra
sulla nuda
planimetria e neve lenta
che scurisce.
[Barbara Pumhösel]
○○○
È già il tempo per altro
sono le sette
spingere il peso del cane sdraiato dietro la porta
sei ancora sveglio
come in quell'altra casa
forse passa un treno, ora tutto trema
le cose in fondo non cambiano.
Ci sono troppi angoli in queste stanze
scomporre le scatole rimaste
meno luce nella sala
trovare foto perse da tempo
terrazzi con piante non mie
e ordinare nuovamente
tutto in cucina.
Il cotto è freddo sotto i piedi
cercherò per anni il sale dove ora vanno i bicchieri.
Vorrei essere da sola ad annusare le mura
mi chiami da lontano
sentire le voci d'altri impresse qua e là
e chiedi se so dov'è quel libro.
[Barbara Serdakowski]
Prima che usciamo dalla stanza le cose
cominciano già ad andarsene
si fanno rigide prive di genere
una ad una riprendono tutto
di loro stesse senza un rimpianto
si fanno inutili senza paura
di non insistere vanno precise
dritte là fuori una ad una
ci fanno uscire poco per volta
senza dolore in brani singoli finché
di noi non rimane più niente.
[Mia Lecomte]
insisto – ci deve essere qualcosa
una sembianza minima
un tratto non del tutto scomparso
qualcosa delle zone segnate un
confine in comune
qualche traccia
a prova del fatto che qui –
ripeto – che qui c’era qualcosa
no – tutti scuotono la testa
e il tempo pesta tutto
[Barbara Pumhösel]
ho sentito dire da una
che la memoria l’aveva perduta
il tempo è
un nulla tra due nulla
il presente un punto uni-dimensionale
immateriale
il passato non è più
il futuro non è ancora
ma io mi chiedo se verrà di nuovo
il tempo della piena,
l’attimo pregno
di presente.
[Brenda Porster]
Pietà di noi, pietà,
dell’erba che non cresce, pietà,
del tetto e la facciata, degli usci
senza chiave, pietà, dei nostri
ambienti vuoti, pietà del suono e
della luce, ancora spenti
pietà, di noi qua dentro, pietà,
con le finestre finte
pietà, dell’abitarci assente
del non poterci stare
pietà
di noi in questa casa
in questa nostra altrui.
[Mia Lecomte]
| Textes inédits. © Compagnia delle poete, 2020.
| BIO-BIBLIOGRAPHIE :
La Compagnia delle poete (www.compagniadellepoete.com) est née en été 2009 à l’initiative de Mia Lecomte. Elle se compose de femmes poètes étrangères unies par la commune italophonie – Prisca Agustoni, Cristina Ali Farah, Anna Belozorovitch, Livia Bazu, Laure Cambau, Adriana Langtry, Mia Lecomte, Sarah Zuhra Lukanic, Vera Lucia de Oliveira, Helene Paraskeva, Brenda Porster, Begonya Pozo, Barbara Pumhösel, Francisca Paz Rojas, Candelaria Romero, Barbara Serdakowski, Jacqueline Spaccini, Eva Taylor – chacune avec une histoire individuelle particulière de migration, accompagnée d'autres artistes ayant travaillé dans un cadre international avec des expériences différentes. L'idée est celle d'une sorte d'"orchestre" harmonisant la poésie de chaque poète : elle s'imprègne de l'influence des diverses traditions linguistiques et culturelles à l'intérieur de spectacles où la parole est soutenue et développée par la multiplicité des langages artistiques. Étape après étape, et suivant une structure "modulaire", la formule de base sur laquelle est bâti tout spectacle de la Compagnie, se modifie et s'adapte vis-à-vis des diverses situations de performance ainsi que des différentes poètes sur le plateau. Le but est de ramener la poésie vers le grand public, en lui restituant sa fonction primitive d'oralité partagée ; mais c'est aussi donner la voix à l'écriture transnationale, la vraie avant-garde littéraire de ce siècle. La Compagnie, objet d’études et de thèses universitaires, est souvent invitée à participer à des séminaires et à des colloques académiques et littéraires, en Italie et à l'Étranger, autour de transferts plurilingues entre les littératures. Elle s'occupe également de projets collectifs de traduction de poésie contemporaine, tels que la rubrique du magazine du festival Babel Specimen (http://www.specimen.press/articles/compagnia-delle-poete-translates-antonella-anedda/).
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