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13/07/2014

Tarjei Vesaas, L'incendie

 

 

Du côté de chez…

 

 

Tarjei Vesaas

 

©  Tarjei Vesaas & Olav Vesaas

 

L’incendie

La Barque en coédition avec L’Oeil d’or, 2012

 

 

 

Postface d’Olivier Gallon.

Traduction du nynorsk (néo-norvégien) de Régis Boyer

 

(Site) LA BARQUE | © http://www.labarque.fr/livres01.html

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       Il était étendu, le visage enfoui dans les racines des herbes. Des brins d’herbe cassés lui piquaient la peau, cela faisait du bien. S’il était resté longtemps ainsi, le dessin confus que formaient les herbes écrasées au sol se fût imprimé sur son visage. Peut-être était-ce nécessaire, dans l’état où il se sentait.

       Il ne bougeait pas un doigt.

       Dormir.

       Autour de lui, le jeu continuait. Les brins d’herbe, tout contre ses flancs, se redressaient dans l’intention de l’enfouir sous leur croissance avant l’arrivée de l’hiver. Les souffles d’air apportaient grain de poussière sur grain de poussière qui s’étalaient sur l’énorme élément que constituait son corps dans le paysage. Des coléoptères délicats sortaient de terre à cause de la double chaleur obscure qui se trouvait produite sous lui. Ils se mettaient incontinent à entreprendre un important travail. Ils habiteraient là, sous son corps, comme sous n’importe quoi d’autre qui fût tombé à terre. Il fallait tout préparer pour la vie en cet endroit. Instantanément, il était l’objet de sollicitudes et de soins, on l’utiliserait.

       Il en prit conscience peu à peu. Quand on était étendu comme il l’était, on sentait maintes choses… et on s’en trouvait bien.

       Ne veux pas penser.

       Ne veux plus.

       Je veux.

       Il était étendu à plat, lourdement, se faisant de plus en plus pesant, pour ainsi dire. Mais il ne pouvait s’abstraire de la vie bruissante qu’il y avait ici. Il notait confusément qu’il était le centre d’une effervescence effrénée.

 

 

............................... (p.68/69)

 

 

       Le grand but : qu’est-ce que j’ai fait de mon cœur ? de mon cerveau et de l’obscurité ? C’est cela qu’on va voir maintenant. On va le voir en haut de la prochaine côte, et on aura la paix. Du dehors, d’ombres d’un noir de poix, le cortège recevait des renforts fulgurants. Des cœurs effrayés, pleins d’attente, battaient aux chambranles des portes, attendant le cortège.

       Pas de questions dans l’air ardent : qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je veux ? Rien de tel. Le temps était trop mesuré, si l’on ne s’y joignait pas à la vitesse de l’éclair, le cortège était passé. Se jeter dans la foulée de la course, que ce fût la vie ou la mort qui attendît là-haut, au sommet de la côte. Pas de salutation. Personne qui levât les yeux. Nul qui ne surveillât quoi que ce fût d’autre que sa place. Des hommes et des femmes… Nul qui ne dît mot… et l’on eût dit maintenant que la terre cédait sous le poids.

 

 

............................... (p.147/148)

 

       Oui, passer un pont…

       Le jour venait, de tous côtés. Le pont était gris de la lumière nocturne qui se retirait, et des bouffées de brouillard venues du cours d’eau l’enveloppaient en passant. Il était long, avec des rangées de vieilles piles sombres dans l’eau. Entre elles, tranquillement, passait le cours d’eau.

       Sur le moment, pas lieu de s’en soucier. Passer le pont ! Arriver de l’autre côté. Vers ce que l’on ne savait pas encore. Il n’y a pas de nom pour cela, mais le chemin pour y aller, c’est le pont. Il chante le bâtisseur du pont, sans pouvoir s’arrêter. Jon entendait ce chant, sachant qu’il n’avait pas de nom.

       Il parvint sur le pont, faisant claquer ses talons sur les planches. Les pans de brouillard l’entouraient, hachant sa marche, traversée par  à-coups de lueurs. Le pont était gris, ou teinté de nuit… mais il y avait ce jour neuf qui était en train de s’y établir. Tandis qu’un coup de vent nocturne prolongé se métamorphosait doucement en brise matinale.

 

 

............................... (p.170/171)

 

 

 

Tarjei Vesaas (1897-1970)

L’œuvre de Tarjei Vesaas est l’une des plus fortes à nous être parvenues de Norvège. De la quarantaine d’ouvrages qu’il écrivit, une partie seulement a été traduite en français, principalement ses romans de maturité : Le Germe, Les Oiseaux, Le Palais de glace, Les Ponts, La Barque le soir et... L’Incendie.
Tarjei Vesaas fut sans distinction romancier, poète, nouvelliste et, de même que Jon Fosse, l’un de ses plus illustres lecteurs, auteur de théâtre ou plus précisément de « pièces à entendre ».

Paru alors que Tarjei Vesaas était âgé de 64 ans, L’Incendie est un« roman limite » dans son œuvre.

Avec une force inégalée, l’auteur parvient à faire coexister différents pans de réalités. Jon, « l’esprit » du roman, pénètre ainsi toutes choses et nous-mêmes.
Chaque chose, chaque être, est une voix qui parle et se tait sans que se taire soit ne plus parler, cesse d’être une adresse.

 

 

 

 

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