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28/04/2012

Claude Simon, "Quatre conférences" (par Nathalie Riera)

Lecture Nathalie Riera

 

Quatre conférences

Claude Simon

Editions de Minuit, 2012

Textes établis et annotés par Patrick Longuet

 

Site Les éditions de Minuit/ http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php

 

 

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Les « causeries » de Claude Simon

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Chez Claude Simon la fabrication littéraire (au sens où écrire c’est fabriquer) répond à « un engagement de l’écriture »[1] : « (…) mes romans sont, je ne crains pas de le dire, très laborieusement fabriqués. Mais oui : leur fabrication me demande beaucoup de labeur ! »[2] . Engagement qui, bien sûr, se situe à l’opposé de tous les tenants d’une littérature dite « engagée » ; Claude Simon n’a que faire d’une littérature porteuse de considérations sociales, morales ou autres. Par ailleurs, il est reconnu que Simon avait souvent recours à d’autres textes pour évoquer sa vie et sa réflexion d’écrivain. Dans le souvenir d’une nouvelle de Borges, il se souvient de cet architecte-paysagiste qui « dessine un parc avec des statues, des pavillons, des petits lacs, des allées. Quand le parc est fini il s’aperçoit qu’il a fait son propre portrait. Je trouve que c’est une parabole admirable. On ne fait jamais que son propre portrait »[3].

   Les « Quatre conférences » ont été prononcées par l’écrivain entre 1980 et 1993. La première « causerie » s’ouvre avec le géant Marcel Proust qui a toujours accompagné Simon dans sa réflexion sur la littérature et l’art. Que nous dit-il précisément dans cette passionnante causerie « Le poisson cathédrale » ? Reprendre la grande idée de Proust dans « Le Temps retrouvé » : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclairée, la seule vie par conséquent, réellement vécue, c’est la littérature ». Si Montherlant et Breton méprisaient la description, ce ne fut certainement pas le cas de Proust. « La réalité de la langue plus réelle que le réel » nous dit Simon : « La grande nouveauté (…) ce par quoi Proust innove radicalement en ouvrant au roman des perspectives entièrement neuves (…) ce par quoi il apparaît comme le grand écrivain révolutionnaire et subversif, la grande nouveauté, donc, qui confère à Proust sa taille de géant de la littérature, c’est que, chez lui, le rôle signifiant qui était jusque là dévolu à l’action est maintenant tenu par ce que l’on considérait jusqu’alors comme un élément inerte du récit, parasitaire, au mieux « statique », c’est-à-dire la description elle-même »[4].

 

   Avec « L’absente de tout bouquet », prononcée le 21 mai 1982 à Genève, faisant référence à la question de la modernité, sous-entendue comme idée de progrès en art, Simon préfère au mot « progrès » les termes de « différences et d’évolutions » : « Chaque époque a sa modernité, et l’histoire de l’art est faite d’une série d’innovations n’instaurant jamais qu’un « autrement », en aucun cas un « mieux » (…) les diverses inventions théoriques ont surtout joué un rôle d’excitant (…) ». (p.42/43).

   Dans « Ecrire », prononcée en 1989 à Bologne, l’écrivain ne s’embarrasse aucunement devant la question « Pourquoi écrivez-vous ? » qu’il juge lui-même « sournoise ». Chez Beckett qui répondait : « Bon qu’à ça ! », Simon affirme que c’est ce qu’il sait le mieux faire. Puis à la question « Pourquoi écrire des romans ? » : « (…) c’était là le seul domaine où il est permis de s’aventurer sans avoir au préalable été obligé d’accumuler des connaissances spéciales » (p.80). Tant de réponses ou de « commentaires plus ou moins réalistes », pour Simon toute activité humaine quelle qu’elle soit relève plutôt de « motivations multiples et ambigües ». Et aussi futiles sont les motivations nous incitant à écrire, il est une motivation bien plus profonde : celle de « justifier sa propre existence devant soi-même par un « faire » » (p.76).

   Pas de place non plus à la mystification. Il importe, au contraire, de démystifier toutes ces images de l’écrivain qui « se consacre » à la littérature, ou qui a décidé un jour « d’entrer en littérature », ou qui écrit par vocation, autant d’expressions futiles et irritantes.

  

   S’il est question de littérature et plus particulièrement de l’écriture du roman, aucun des propos de l’écrivain Simon ne doit être reçu comme un discours théorique. « Avant de commencer, il me faut dire qu'à la différence de certains écrivains je ne suis pas un théoricien de la littérature et que je n'ai pas écrit mes livres en application ou pour faire la démonstration d'une conception particulière du roman (...) et tout ce que je me bornerai à faire (...) c'est d'essayer de formuler quelques petites observations qui me sont venues à l'esprit au cours de mes lectures ou de mon travail. Rien de plus ». Claude Simon évoque la subversion accomplie par les Dostoïevski, Proust, Joyce, Kafka et Faulkner : retourner « sens dessus dessous l’optique romanesque ». Elimination de la fable, refus de délivrer un quelconque enseignement social, religieux, philosophique ou autre, Claude Simon ne se range absolument pas du côté de ceux qui considèrent que « tout écrit doit avant tout être utile, éclairant, porteur d’une morale » (p.92) « Aujourd’hui, les dirigeants des pays dits socialistes découvrent avec épouvante les désastreuses conséquences d’une science, d’une littérature ou d’un art que l’on a voulu soumettre à des impératifs sociaux » (p.94).

 

   Chez Simon, ce qui prévaut  clairement, en réponse à l’usure du roman romanesque, c’est « la question de la prééminence de la description » qu’il « convient d’étendre aussi bien à l’action qu’aux choses ». Dans la postface de « L’Acacia », Patrick Longuet écrit : « Claude Simon se préserve ainsi d’une tentation de la culture commune, d’un conformisme à un usage établi de sons et de signes convenus, c’est-à-dire suscitant des images à peu près nettes, ordonnées, distinctes les unes des autres ».[5]

   Pour Alastair B. Duncan, chez l’écrivain de « L’Herbe » : « méfiance à l’égard des livres, du moins à l’égard des livres appartenant à une certaine tradition : ils sont censés donner de la réalité une idée fausse »[6]. Souci et remise en question du réalisme chez Simon : réalisme de la perception, réalisme de la mémoire : « la tâche de l’écrivain ne consiste plus à reproduire, mais à produire en travaillant les mots ».[7] L’attention chez Claude Simon sera notamment portée au « travail de et sur la langue ».

 

 

 

(Les carnets d’eucharis, Nathalie Riera, avril 2012)

 

 

 

 

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[1] Claude Simon, Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, p.1457

[2] « La Nouvelle critique », n°105, juin-juillet 1977, p.34

[3]  Claude Simon, Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2006 - Notes « Le Jardin des Plantes », p.1501

[4] Claude Simon, « Quatre conférences », éd. de Minuit, 2012, p. 36

[5] Claude Simon, « L’Acacia », (Postface de Patrick Longuet) éd. de Minuit, 1989/2003, p. 387

[6] Claude Simon, « L’Herbe », (« Lire L’Herbe » de A. B. Duncan) éd. de Minuit, 2009, p.188

[7] Ibid., p.194

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