Lumière frontale (Roberto Mussapi) (06/04/2008)

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Je ne sais, j’ai eu, j’ai été engendré

tandis que la terre noire fume sous la dernière neige

et que l’onde tremble sur le sable, un dernier

frisson d’hiver, dans le pas indécis, une peur

printanière, les gonds engourdis, une fatigue

étrange dans mon cartilage entre le gel

et le songe non formé … de quel côté, cette mienne

vigueur, cette marche calleuse à travers les rues et

les flaques bourbeuses,

et les os qui suivent, sensibles,

dans le fait d’avoir, d’être baptisé, ou dans

ce transbordement muet d’ébène et de bois qui est tien,

avec le soleil qui promet et se rétracte, encore,

dans l’air transparent… la lumière en vasque,

bleue, couchée dans l’eau, flottante…

et le poids d’avril, submergé,

brisé… j’ai eu, j’ai été

engendré, je ne sais pas et je demande dans le seul

occident de mon visage, les feux

qui grésillent dans l’eau noire, en déluge,

la foudre, l’orage qui plie

les arbres, les statues grecques qui brillent sur le fond,

rongées par le sel, leurs yeux, leur silence

de grands fonds, mon nom mon œuvre, la fin

qui recommence, et le vent ligurien

qui m’emporte loin de la baie vitrée où je réside

comme si c’était pour quelques heures, avant, dans le temps,

dans mon aquarium de cartilage, dans le sang,

frère agonisé, là où les masses

d’eau ouvrent grand les blessures et mon front

défoncé par le trépas des grands fonds, par le trop

d’amour, par l’excès bestial qui sanctifie,

comme en flairant la promesse sur les murs, dans les

croisements entre rue et rue, dans la lumière

qui décline sur les automobiles métallisées, les fils

électriques, les messages humains gelés dans le ciel…

quelques ailes de fil de fer, noires…

(…)

Extrait « Avril » pp.75/77 (Lumière frontale)

Lorsque Jean-Yves Masson nous rappelle que le poète peut être un homme de foi, se convaincre alors que l’état d’incertitude est tout aussi respectable, au sens où le doute est d’éviter toute excessivité ou une trop grande assurance qui priverait le poète de sa légitime anxiété. A la question « Où est la vérité ? » : être donc dans la réserve, ne pas se prononcer. Néanmoins, la question du lieu de la vérité suppose pour tout un chacun notre propre réconciliation (aussi difficile et précaire soit-elle), car celle-ci suppose un rapprochement, c’est-à-dire, s’accorder à penser que toute transaction ne tient que sur du presque rien : La vérité est dans ce chant caché parmi les feuilles La vérité est dans ce presque (La verità è in quel canto nascosto  tra le foglie La vèrità è in quel quasi) Ainsi, le lieu de la vérité ne serait pas ailleurs que dans la vie quotidienne, autrement dit à cet endroit même où il ne fait pas toujours très clair, et où le chemin ne cesse de se refaire. Les poèmes de Mussapi ont cette force vive de nous solidariser avec ce lieu de tous les jours, malgré les aléas de la vie. Ainsi y a-t-il entre l’homme et la vérité comme un mince espace qui les relie, et les invite à un probable partage, pouvant se faire à tout moment, et souvent de la manière la plus imprévue ou inattendue. C’est en cela que le poète est généreux. Générosité de nous rappeler que nos errances n’ont rien de pathétiques. Générosité, également, la richesse et la multiplicité des images qui puisent leur accord et leur mouvement dans la matière familière et à la fois incongrue de l’ordinaire, là où l’obscur et les ombres ne sont non plus dénués de leur chant, comme il ne sont non plus dépourvus d’un certain souffle que nous aurions tort de définir comme « mystique » ou seulement accessible aux plus initiés. Les ombres sont tantôt palpitantes, crépitantes, tantôt elles ont une respiration bleue comme le ciel. Le ciel a des pressentiments, détient ce pouvoir d’illuminer les vertèbres de quelqu’un qui traverse la rue, d’étouffer « le cri des trams », ou encore « sur cette route que les passants appelèrent ciel//comme si tu étais un long chemin ». Dans Le sommeil de Gênes il y a, certes, les vivants, mais aussi les disparus que Mussapi comparent « aux flèches d’une force que je rappelle, et non la mémoire, non les morts ». Les jours ordinaires prennent ainsi d’étranges colorations, parmi les formes présentes qui n’ont de cesse de se dissoudre ou de se déliter. Enfin, et parmi les poèmes de la générosité, il y a ceux habités de la figure paternelle. Dans « Le voyage de midi » : «( …) et j’ai revu en miroir, à l’ouest, du côté de Spotorno,//mon père au sommet de la tour sarrasine//et mon frère, tout petit au milieu des genêts//que le vent agitait devant ses yeux… ». Ou dans « Le souvenir d’Enée » : « Et moi qui étais arrivé à Cumes pour l’ombre de mon père//qui en parlant s’était dissous dans l’air comme fumée,//se délitant et se précipitant dans l’obscurité sans forme,//ravi par l’humidité de la nuit tandis qu’il me parlait… ». Le poème Lumière frontale est d’ailleurs dédié au père du poète.

La fleur de géranium que je vis le soir

sur le rebord de la fenêtre sous la première neige

et qui dans le sommeil glissa dans la chambre drapée  

que le souvenir s’assoupissait lentement,

refléta mon repos dans sa respiration changeante

et le drap qui nous couvrit les yeux nous maintint en vie,

puis dans le réveil dans le silence inouï

un seul frisson dans la lumière de neige.

 

J’ai ouvert la porte dans l’air glacé et je suis né.

(Trois fleurs)

« Inspirée des mythes, célébrant l'éternel dans le quotidien, la poésie de l'Italien Roberto Mussapi s'impose comme l'une des plus remarquables d'Europe. Nostalgique et émue, sa parole pénètre les strates de l'histoire humaine. ( …) Extrêmement narratifs, les poèmes de Mussapi sont des fleuves fraternels qui saisissent tout sur leur passage et diffèrent en ceci des autres courants poétiques italiens. » Marc Blanchet (Le Matricule des Anges – août/sept. 1999)

« On découvrira d’abord chez Mussapi l’héritage difficile, mais courageusement assumé, de ce qu’il est convenu d’appeler « l’hermétisme » italien du XXème siècle, malgré les innombrables confusions qui sont à la source de cette dénomination et les nombreux auteurs qu’elle laisse en retrait. On se tromperait en croyant que l’idée d’hermétisme renvoie à une obscurité recherchée pour elle-même ; la véritable ambition des poètes de cette école, si c’en est une, fut de tirer les leçons des expériences de Mallarmé et de D’Annunzio tout en retrouvant l’esprit des origines de la pensée italienne, celle des temps gothiques, ou encore, musicalement, la densité sobre et le raffinement des madrigaux de la Renaissance. Tout en affirmant avec Salvatore Quasimodo que « la vie n’est pas un songe », l’hermétisme n’a cessé de poser passionnément la question du rapport entre le signe et la réalité. » Jean-Yves Masson Postface de Lumière frontale, Editions de la Différence (Le fleuve et l’écho)

Bio/Bibliographie :

Roberto Mussapi fut rédacteur de la revue Niebo et collabore au quotidien Il Giornale. Directeur éditorial des éditions Jaca Book, il y publie chaque année une anthologie poétique internationale : L'Anno di poesia. Le poète a traduit de nombreux auteurs anglo-saxons, notamment Hermann Melville, R.L. Stevenson et le Prix Nobel antillais Derek Walcott. Mussapi se dit lui-même « proche de Rilke ou Dylan Thomas ».

Principali pubblicazioni:
Poesia:

La gravità del cielo (Società di Poesia, 1983)
Luce frontale (Garzanti, 1987, nuova edizione Jaca Book, 1998)
Gita Meridiana (Mondadori, 1990)
Racconto di Natale (Guanda, 1995)
La polvere e il fuoco (Mondadori, 1997)
Antartide (Guanda, 2000)
Il racconto del cavallo azzurro (Jaca Book, 2000)

Teatro:
Villon (Jaca Book, 1989)
Voci dal buio (Jaca Book, 1992)
Teatro di avventura e amore (Jaca Book, 1994)
L'Olandese Volante (radiodramma, RAI-ERI, 1989)
La grotta azzurra (Jaca Book, 1999).

Narrativa:
Tusitala (Leonardo, 1990)
Appuntamento a Balascam (per ragazzi, Laterza, 1998)

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