Pierre Chappuis (01/08/2008)
Né à Tavannes en 1930 (dans le Jura bernois, en Suisse), Pierre Chappuis fait des études universitaires à Genève avant de se consacrer à l’enseignement de la littérature française dans le canton de Neuchâtel où il vit. Depuis 1969, il a publié dix recueils, des notes réflexives et plusieurs ouvrages hors commerce en collaboration avec des peintres, ses compagnons de route. Mouvants, discontinus, rebelles à toute fixité, jetés au-dessus du silence et du vide, ses poèmes engagent le lecteur dans une aventure du regard et du langage, qui laisse hors-jeu le concept et le sujet et sollicite l’eau, les nuages, la neige, l’éboulis, l’instant, le souvenir, le rêve... LIRE LA SUITE DE LA BIOGRAPHIE SUR LE SITE
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Eboulis&autres poèmes (extrait)
Jour ouvrable
Salée, impure, mélangée, salie au long d'un jour maussade,
jour bas, gris - jour o u v r a b l e ; altérée, abâtardie, elle se
dégrade, se détériore, se ruine.
Neige de rue, de ville.
Elle tourne en eau, en boue, saumure noirâtre, brunâtre,
brouillée après avoir été lisse et soyeuse comme au sortir
d'une calandre.
Neige de grincheux.
Mastiquée, malaxée (mouillure, souillure, salissure), elle mol-
lit, pâte insalubre, porteuse de fièvre.
Ordurière, repoussante
***
D'abord blessée de rien (un pas, le suivant), la moindre
incursion (furtive, insignifiante) se dénonçant elle-même
comme une violation, elle fut, au terme d'une nuit blanche,
tendue à neuf sans plis ni déchirures.
S'échouait, songe, se perdait.
A peine marquées, toutes traces presque aussitôt rentrant
dans la blancheur ou la nuit, sans amarres, urbaine de moins
en moins (marcheurs somnambuliques), lentement, d'un
même débord (sables mouvants pris dans un insensible,
insensible glissement), l'agglomération en bloc, immobile,
à la dérive, sombrait.
L'aile de la mouette, le bord envolé du toit : toutes marges
irréelles. Pas plus de trottoirs alors que de chaussées.
Immobile, enrayée, lentement, songe au matin, s'échouait.
***
Michel Collot Son oeuvre est un opus incertum, dont les blocs tiennent par la force d'un vide qui les menace mais les vivifie. En elle "triomphe et ruine, beauté et désordre", se conjuguent et échangent "une réciprocité de preuves", accomplissant ce qui est pour Chappuis la fatalité et la vocation de l'art : "convertir en beauté l'horreur du monde".
Jacques Dupin Un carnet de montagne – compris la plaine, la nuit, le jardin, le faîte du toit, la fenêtre, le bruit du torrent, l’eau du lac, pour que s’y agriffent, l’un selon l’autre, les gestes de la vie, le pas indestructible et le regard cassé clair.
Le groupement des signes. La dispersion, la constellation des images. L’art de la parenthèse, appel, écho, sonnailles. La parenthèse nécessaire et bénéfique : une incision, une injonction et son déni, un plus et un moins, une rétraction dilatée, un dépassement, un retrait, une fissure dans le mur et son crépissage impromptu célébrant l’ouvert.
Parenthèse, un bout de corde pour assurer, une gorgée d’eau-de-vie pour rebondir, mais en retrait, en abîme… Une touche d’espace et de couleur plus légère pour contrecarrer le dru de la langue. Chaque mot est toujours plus qu’un mot, toujours en excès. Toujours en équilibre instable au-dessus de la mer, au-dessus de la langue. Chaque nuit nous porte au-delà de l’obscurité qui nous emmure. Il faut inventer des percées.
Extrait de « Le sens de la marche » Pierre Chappuis (pp.148/150 - M'introduire dans ton histoire, P.O.L. Editeur, 2007) |
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