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26/02/2011

James Sacré, Mobile de camions couleurs (par Tristan Hordé)

Une lecture de Tristan Hordé

 

 

MOBILE DE CAMIONS COULEURS

Photographie de Michel Butor

James Sacré

 (Editions Virgile, 2011)

 

 

           

JAMES SACRÉ.jpgLes camions étaient présents dans un livre récent de James Sacré, America solitudes1, ils occupent toute la place dans ce livre de poèmes, accompagné de 9 photographies. Le titre rappelle sans ambiguïté le Mobile (Gallimard, 1962) de Michel Butor, construit à partir de ses séjours aux Etats-Unis où il enseignait la littérature ; les images remontent à la même époque (une dixième, Michel Butor à sa table de travail, est plus récente). Mais le titre évoque aussi le mouvement sans cesse changeant des camions et, en même temps, leur déplacement les uns par rapport aux autres comme s’ils étaient les énormes pièces d’une sculpture de Calder liées par les invisibles fils des routes. Enfin, comme le livre de Butor, Mobile de camions couleurs, est une construction complexe « où divers éléments de prosodie et de figurations bougent en lents mouvements de l’ensemble ».

 

Les camions sont liés à l’histoire des Etats-Unis et leurs formes, leurs couleurs ont évolué, les machines anciennes abandonnées ou reléguées dans les régions les plus pauvres. Seul l’écrit garde trace (pour combien de temps ?) des temps enfouis de cet aspect de l’industrialisation de l’Amérique, « la voilà maintenant qui s’en va dans le souvenir qu’en garde ce livre [Mobile] de Michel Butor / Avec son histoire, un peu grandiloquente et vaguement ridicule ; / Pays qui oublie, qui oublie longtemps souvent ». Ce motif de l’oubli et, lié, celui des jours qui se ressemblent à se confondre, sont récurrents ; les camions passent sans cesse, comme à la fraîcheur du matin succède la chaleur du jour, comme « demain est un autre jour, le même ». Nous vivons dans un monde de la répétition, du même — avec des machines identiques à Kayenta, en Arizona, et à Cougou, en Vendée.

Ces camions très divers ressemblent à des êtres vivant hybrides, mi-ferrailles mi-animaux, chevaux de fer ou monstres bruyants mais bonasses d’une mythologie contemporaine, l’un « carré sous le coupe-vent bombé et les deux oreilles dégagées », l’autre « le museau jaune (barres rouges des pièces métalliques) comme pris dans un harnais ». Ce caractère subsiste quand ils sont immobiles, « au repos » dans des parkings « derrière un grillage haut », tout comme les bêtes d’un zoo. Ils paraissent parcourir le pays de manière autonome, tant les conducteurs sont invisibles dans leurs cabines. En outre, on ne sait pas vraiment, à les regarder passer ou quand on les croise, vers quel lieu ils se dirigent dans l’ « immense toile de parcours routiers », et peut-être roulent-ils sans fin, dans leur « vigueur aveugle », « pour que tiennent ensemble les villes du pays ».

 

Comment restituer quelque chose du mouvement incessant, de la profusion de formes et de couleurs ? James Sacré alterne une amorce de description des camions à l’arrêt, qu’il photographie (immobiles alors à jamais), et la saisie de leur extrême variété quand il les voit sur la route. Sur le parking, c’est surtout l’animalité, parfois un peu inquiétante, qui est mise en valeur ; la phrase alors peut s’étendre sur plusieurs vers (« Soit le long museau […], soit / Le groin carré […] / Quand […] / […] », ce qui est exclu quand il s’agit d’écrire à propos du passage des camions. Plus de verbes, de clausules, pas d’autres qualifications que celles relatives à la forme ou à la couleur :

 

Camions gris à double caisse blanche — rouge terne à caisse blanche — noir, caisse bleu clair — noir renfrogné, la caisse blanche — jaune cru à caisse blanche — blanc à caisse blanche — gris-vert à caisse blanche et lettres vert clair — noir à caisse blanche —gris-bleu costaud, caisse blanche — bleu-vert, caisse blanche ligne et lettres rouges — bleu clair, la caisse blanche et des lettres rouges — rouge à caisse blanche, lettres rouges —blanc à caisse blanche — etc.

 

Une autre alternance est lisible. Parmi les pages consacrées aux camions s’insèrent des poèmes autour de la vie quotidienne du narrateur, ou des chauffeurs : ces derniers non pas comme conducteurs des machines mais « comme autant d’artisans ou de pêcheurs du dimanche », parfois sans plus de lien avec leur travail, comme celui-ci endormi sur une pelouse. C’est aussi le monde  du travail qui apparaît, avec la figure de l’Indien qui pourrait être contraint de quitter sa terre pour devenir routier, ou avec un lieu, Gallup, « Où le commerce et la misère, et le simple travail quotidien / Font se rencontrer […] toutes sortes de gens. » Ce qui est également visibles sur la caisse des camions, ce sont les noms des compagnies qui les possèdent ; c’est là une autre variation notée, « une troisième ligne rythmique » à côté de celle des couleurs et du mouvement bruyant. Un autre rythme encore est donné par le silence et la quasi immobilité du paysage.

Une nouvelle pièce du mobile oppose la course des camions aux États-Unis, dont on ne sait trop jusqu’où ils vont — à l’instar des pionniers du XIXe siècle construisant continûment une nouvelle frontière — à celle de camions de taille plus modeste, « gros jouets propres », sur une autoroute en France, qui font « le tour d’un petit pays ». La dernière pièce, à mes yeux, de ces constructions de rythmes est le jeu entre les photographies de Michel Butor et les poèmes : deux d’entre elles (l’entrée d’un parking souterrain, un homme endormi sur une pelouse) peuvent être associés aux camions, les autres sont relatives à la vie citadine quotidienne : la proportion est inversée dans le texte. Il est sans doute d’autres à lire ; il est certain que l’on ne quitte pas volontiers ce "mobile", singulier non par certains motifs récurrents dans l’œuvre mais par sa construction.   

 

Tristan Hordé

(pour les Carnets d’eucharis)



1  Publié en 2010 aux éditions André Dimanche ; voir ici même la note de lecture de Sylvie Durbec.

28/11/2009

James Sacré à la Petite Librairie des Champs

P O E S I E---------------------------------

 

 

Sur Quelque chose de mal raconté de James Sacré, lu il y a 28 ans

 

JAMES SACRÉ

Bientôt à la Petite Librairie des Champs

12 & 13 décembre 2009

  

 

 

sacre_par_durigneux.jpg

 

 © Photo Durigneux

 

D’abord une citation  de B.M.

 

«  exemple de bon-mauvais français

- je ne suis pas sûr que je tais toi

 

mais la ruse vertueuse de mes dits doigts

nous souffle que je tais me »

 

Lignes écrites en 1981.

 

 

D’abord ce nom de poète qui lui-même sonne comme un assemblage impossible dont il faudrait forcer le sens. Deux mots chargés et frissonnants de significations mêlées.

Et puis la campagne américaine, immense, et la langue, française un peu à cloche-mots.

Un peu privée d’espace  aussi cette langue que le poète, à force de tremblements,  va lui redonner et faire bouger.

Carrés de verdure et bas-côtés, autoroutes en jardins secrets, vastes espaces et au milieu, la ligne.

Qui est cet étranger qui va découvrant le paysage et la langue ?

Découvrant au sens d’ôter ce qui les recouvrait. Qui faisait qu’on ne les voyait plus très bien. Comme une taie sur les yeux.

Ici une taie sur la langue ?

Se permettant de dire dans un ordre traversé d’irrégularités les paysages.

 

Paysages à la mesure d’une poésie qui se veut incertaine, hésitante et en même temps  tracée fermement sur la buée. Comme les pieds, ces maladroits, butent sur les mottes de terre mais poursuivent l’ascension.

 

Assis au bord des routes, tous les deux vaincus par la chaleur et la marche dans notre pays-langue, assis pensifs comme enfants perdus à mi-pente, nous attendons.

Le passage d’un texte rapide, d’un paysage entrevu comme vus d’un train à grande vitesse alors que nous sommes arrêtés, l’un et l’autre, assis sur le talus, dans la fatigue du jour, sa chaleur.

 

L’étranger, ce poète au nom nouveau pour nous, passe lui aussi et ses mots « à souffler des airs de romance dans son cornet à piston », nous raniment, nous remettent en ordre  de marche dans le mal-raconté du titre, nous redonnant la bonne chanson, le goût du voyage dans la divagation entre les actes, entre les herbes du chemin, quelques mots : bonheur, jardin, rouge, dans un usage de la langue qui fait sourire un peu, se lever du sol, aller vers là « où c’était que des fermes que des gens ».

 

Et puis toujours, à nouveau solitaires sur des terres suspendues loin des hommes et de leur langue bien parlée, nous assis à écouter quelque chose de mal raconté.

 

Sylvie Durbec

 

 

 

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"Parfois comme un ennui tout comme si plus rien

à dire à propos d'un poème ou d'un jardin

même chose en somme ou presque on comprend pas bien.

 

Peu à peu la mauvaise herbe le temps

qui vient ça a fleuri quand même avec un deux rouges

mal rouillés sourire un travail lenteur dedans

 

comme un ennui bardane et puis les orties tiens

ça continue pourtant sans qu'à peine rien bouge

 

avec ces noms d'herbes mal aimées un machin

qui rime quand même sans pourtant rien dedans.

 

Quelque chose de mal raconté, André Dimanche éditeur, 1981

 

 

 

 

la petite librairie des champs--------------------

 

 

 

James Sacré: une vie en poésie

 

James Sacré est né en 1939. Il passe son enfance et son adolescence à la ferme des parents en Vendée. D’abord instituteur puis instituteur itinérant agricole, il part, en 1965, vivre aux Etats-Unis où il poursuit des études de lettres (thèse sur la poésie de la fin du XVIè siècle français). Il y enseigne dans une université du Massachusetts (Smith College) tout en faisant de nombreux séjours en France et des voyages en d’autres pays (l'Italie et le Maroc, souvent). Il a publié des livres de poèmes au  Seuil (Coeur élégie rouge, 1972), chez Gallimard (Figures qui bougent un peu, 1978) et aux éditions André dimanche, ainsi que chez de nombreux “petits éditeurs”. Il vit de nouveau en France, à Montpellier, depuis 2001.

Livres récents: Le poème n’y a vu que des mots, L’idée bleue, 2007. Khalil El Ghrib, Editions Virgile, 2007. Un paradis de poussières, André Dimanche, 2007 . Se os felos atravesan polos nosos poemas, Amastra-N-Gallar (dans une traduction en galicien de Emilio Araúxo ), 2008 (Emilio Araúxo, Apdo. Correos 97, 36500 Lalin (Pontevedra) Espagne). Comme pour être un jardin, Tunis, Tawbad, 2008 (bilingue, texte traduit  en arabe par Saleh Diab). Une idée de jardin à Beyrouth, Soligny-la-Trappe : Ficelle n° 84, Rougier. V éditions, 2008.  Coudre ton enfance à demain, Contre-allées, « Poètes au potager », Montluçon, 2008. D’autres vanités d’écriture, Tarabuste éditeur, Saint-Benoît-du-Sault, 2008. 31 poèmes de l’Amérique un peu, Contre-Pied, Martigues, 2008.