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21/11/2009

Rien encore, tout déjà - Jacques Dupin

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Alain Paire avec Jacques Dupin, octobre 2007, à la galerie 30 rue du Puits Neuf,
photographie de Michel Nguyen

la lumière, la perturbation des lignes

un dénouement de forces immatérielles

et le heurt de la terre filante en dessous

elle encore ni perverse ni maillée

une provocation étirant ses stances

aiguisant ses reflets pour s’anéantir

j’ai marché jusqu’au soir couleur sang

j’ai retrouvé sous le pied dans la garrigue

la terre magnifiée par le retour la terre

exiguë la terre odorante et déchirée

dont la nasse ruisselante était avide

de saisir une palpitation animale

et de précipiter ma disparition

 

éditions Fata Morgana, 1990

(avec deux xylographies originales signées de Jan Voss)

 

dans le labyrinthe enfant

le sang des pêches de vigne

poisse mes doigts campagnards

et par le marché aveugle

le nom est ouvert – le corps

agrandi, blessé

autant de boue que de glace

dans l’échancrure des yeux

au bord de nos jeux d’enfants

 

Photographie : Michel NGuyen - sur le site de la galerie alain paire 

25/05/2008

Paul Auster & Jacques Dupin

 

 

PAUL AUSTER

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© Écrivain américain

 

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Né en 1947 à Newark, New Jerzey

 


 

  

 

La poésie de Jacques Dupin n’est pas d’un abord facile. Hermétique sans compromission et d’une concision rigoureuse, elle exige de nous moins une lecture qu’une absorption. Car la nature du poème a subi une métamorphose, et pour la rencontrer sur son propre terrain, nous devons modifier la nature de notre attente. Le poème n’est plus évocation de sentiments, ni chant, ni méditation. Il est plutôt le champ de l’espace mental dans lequel peut se déployer une lutte : entre la destruction du poème et la quête de l’éventuel poème – car le poème ne peut naître que lorsque toutes ses chances d’exister ont été détruites.

 

(…)

 

Ce que je vois et que je tais m’épouvante. Ce dont je parle, et que j’ignore, me délivre. Ne me délivre pas.

 

Dupin a accepté délibérément ces difficultés, préférant à la facilité la pauvreté et les contraintes du renoncement. Parce que son but n’est pas de subjuguer son entourage au nom de quelque vaine notion de maîtrise, mais de s’harmoniser avec lui, d’entrer en relation avec lui et, finalement, de vivre avec lui, l’opération poétique devient processus par lequel il se décharge de ses vêtements, de ses outils et de ses possessions afin d’assumer, nu, la plénitude de l’être. En ce sens, le poème est une sorte de purification spirituelle. Mais si un moine peut s’imposer la pauvreté en sachant qu’elle le rapprochera de son Dieu, Dupin ne dispose pas d’une telle assurance. Il prend sur lui la détresse de son environnement comme un moyen de mettre fin à ce qui l’en sépare, alors que nul signe ne le guide, que rien ne garantit son salut.  Pourtant, en dépit de cette austérité, ou peut-être à cause d’elle, son œuvre possède une richesse peu commune. Cela provient, au moins en partie, de ce que tous ses poèmes sont enracinés dans un paysage, plantés fermement dans une réalité palpable. Les problèmes qu’il aborde ne sont jamais proposés comme des abstractions, mais présents tels qu’en eux-mêmes dans et au travers de ce paysage, dont ils ne peuvent en définitive être séparés. L’univers qu’évoque Dupin propose un itinéraire alchimique au cœur des éléments, la transfiguration par le verbe de ce qui paraît indivisible.

 

[…]

 

------------------------------ (p. 75/77)

 

 

Extrait de L’art de la faim, Paul Auster, Actes-Sud (« collection Babel »), 1992.

Paul Auster a écrit ce texte en 1971.

 

 

 

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Je ne sais pas ce qui se passe dans le fond du regard qui se risque, dans l’attente qui se love, et la flèche qui jaillit – j’en éprouve la soif, la morsure. Un regard éclaté, et les prémices d’un récit qui se dénude jusqu’à l’os. Et comme l’inconscient, l’enfance ou le socle d’une œuvre romanesque qui en tire sa force, son effervescence, et déroule ses spires, multiplie ses jeux de miroir et leur vertigineuse réflexion.

 

(…)

 

Et d’un rivage à l’autre du vieil océan. De ta langue à la nôtre, sans dommages, non sans coups de roulis, côtoiement de gouffres. Tu passes, tu reviens. Par le jeu disjoint de l’œil et de la bouche. Et de l’instant rapace du poème à la durée, à l’aléa de l’écriture reptilienne. Tu reviens, tu t’éloignes aux grandes marées pour :

 

… simplement attendre. Comme si le premier mot venait seulement après le dernier, après une vie d’attente du mot

 

qui était perdu.

 

[…]

 

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Jacques Dupin a écrit la préface de Disparitions de Paul Auster, Ed. Unes/Actes Sud - Traduit de l'américain par Danièle Robert.

On retrouve cette préface dans Poèmes de Paul Auster, de M’introduire dans ton histoire, Ed. P.O.L. – 2007, (p.152/153).

 

13/04/2008

Eclisse

1840575690.jpgLa poésie, si elle existe, si elle a jamais existé, n'a nul besoin de sortir de son labyrinthe souterrain, ni de s'écarter de son tracé volatil. Ni de se manifester ni d'être représentée. Vous le savez, vous qui lisez,vous qui oubliez de lire, qui vous hâtez d'oublier ce que vous n'avez pas lu -- elle est ainsi faite, ainsi dérobée qu'elle échappe au panorama littéraire, au système éditorial, à l'inquisition des médias, comme à la curiosité bienveillante d'esprits fins s'inquiétant de son "absence".

Jacques Dupin - M'introduire dans ton histoire, P.O.L. Editeur, 2007 - (Extrait p.36)