29/06/2013
Etienne Faure, La vie bon train
■ Etienne Faure
La vie bon train
(proses de gare)
Etienne Faure
Champ Vallon, 2013
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La hiérarchie des bagages est signée en pleine peau d’une marque ostensible ou en tissu écossais doublé de caoutchouc, en plastique dur – aspect métal – ou en imitation du cuir bleu ciel usé aux angles. Du skaï. D’autres viatiques en polyester ou carton font l’affaire, et aussi en bois pour ranger l’instrument. Derrière ces matériaux nobles ou imités, les balluchons ont encore droit de cité sur de petits trajets, rappelant les voyages plus lointains noués aux quatre coins du globe. A dos d’homme elles circulent, ces besaces qui se ressemblent, d’où le tissu provienne : la technique des tissages est souvent la même à des milliers de kilomètres de distance, à des centaines de jours à pied, des heures à vol d’oiseau ou par bateau – des siècles de décalage à dos de femme. Bouclée d’un ceinturon de père de famille, une valise avachie resurgit parfois, suivi de près par le magique sac en plastique, bagage léger, imperméable et adapté aux formes les plus folles. (Et puis d’autres, à jamais, ont bourré leurs poches et leurs revers de vestes en inconditionnels du tout portatif.)
------------------------- (p.19)
Et puis soudain les arbres transparents tout l’hiver – on voyait à travers – réapparaissent autour de l’enceinte avec des bourgeons. La verdure fait écran. A quel signal les oiseaux au printemps se mettent-ils à chanter dès l’aube quand la gare ne bouge pas d’un train ? Avec des filtres et des mégots, ils ont bâti leur nid dans l’espace sans soleil au-dessus des quais. Les voies délaissées débordent en verdeur chronique, accaparant le fer et les remblais. « Rendue à la nature » est exagéré, mais le fait est qu’après chaque ondée la traverse en est recouverte. Les plantes à contre-voie ont repoussé. Comme autrefois envolés des jardins, les émissaires sont venus germer le long des rails. Des cruciféracées aux oreilles vertes qui la nuit faisaient le bonheur des lapins dans la gare, presque une garenne, où divaguaient les chiens. Mais c’était bien avant. Les petits potagers ont pris le large depuis belle lurette et avec eux tous les rongeurs végétariens. D’où viennent alors ces graines, ces spores, ces akènes ? On dirait des amis que vent emporte.
------------------------- (p.39)
Etienne Faureest né en 1960. Il vit et travaille à Paris.
Il a publié dans les revues NRF, Conférence, Théodore Balmoral, Rehauts, Europe, Le Mâche-Laurier, Pleine Marge, Contre-allées. http://www.m-e-l.fr/etienne-faure,ec,832
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SITES À CONSULTER
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28/07/2011
Etienne Faure, Horizon du sol
HORIZON DU SOL
Etienne Faure
(EDITIONS CHAMP VALLON, 2011)
UN ARTICLE DE JACQUES JOSSE : remue.net
UN ENTRETIEN AVEC TRISTAN HORDé : Littérature de partout
EXTRAITS
Et le peintre extasié par les labours mauves,
les ocres verts, sur le papier cherchait
le point de fuite, que la vue portât loin,
y marquait d’un mot la couleur projetée
pour le prompt tableau vespéral
ébauché vite entre chien et loup
sur un motif bientôt éteint, presque noir,
qu’il achèverait au clair-obscur enfumé
d’une flamme,
le tableau au grand jour révélant plus tard
une manière ou vision un peu sombre,
et l’éclaircie qui fit sortir le peintre
un beau soir d’amour jaune soufre
- tant il est vrai, dixit le poète, que le crépuscule
excite les fous –
dans l’herbe azurite.
soirs de soufre
(p. 43)
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DANS LE MOTIF
Le bruit de l’eau féru en souvenirs
par jour de pluie, temps ligneux,
tisse le paysage égoutté des toits,
de chanvre ou lin, autre plante textile,
en un tableau humide où le veaux
rabougris dans les nues broutent
les prés luisants.
Derrière la vitre où l’eau ruisselle,
les cheminées, trois mâts d’usines
et la voile enfumée d’un navire
rentrent de mémoire à hauteur des pommiers
de la terre neuve au loin représentée
un jour de mer mauvaise à la peinture
quand de plus près à scruter l’horizon
pourtant ne rentre aucun point qui grossisse
en forme de bateau, sauf à midi,
d’abord hésitant, minuscule, puis chalutier entier
surgi du fond de la toile – non
ce n’est pas lui.
où l’horizon hésite
(p. 78)
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Parmi les potirons, citrouilles, autres courges,
les coloquintes avec les fleurs
font en commun l’énigme du jardin,
assujetties à ce même régime
ou privilège
de n’être pas mangeables
- hors l’exception amère du chicotin –
et tirant d’un statut voisin du décor
l’unique raison d’être en ce jardin
où tout est inutile, qui demeure en dehors
du champ d’application de la loi potagère.
mœurs potagères
(p. 97)
■ AUTRES SITES A CONSULTER
■ Vive Les Couleurs (Le blog des Ateliers Dominique Hordé)
■ Terres de femmes (Angèle Paoli)
■ La Maison des Ecrivains et de la Littérature m-e-l
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