21/05/2014
Edward Estlin Cummings, Paris, Seghers, 2014 (Une lecture de Tristan Hordé)
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UNE LECTURE DE TRISTAN HORDÉ
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© The Famous People │ http://www.thefamouspeople.com/profiles/e-e-cummings-160.php
Paris
Edition bilingue
traduit de l'anglais et présenté par Jacques Demarcq
Edward Estlin Cummings
Seghers, Poésie d’abord, 2014
Site éditeur | © http://www.editions-seghers.tm.fr/site/paris_&100&9782232123849.html
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Nombre d'artistes américains, après Gertrude Stein installée dès le début du XXe siècle, sont venus à Paris au cours des années 1920, et certains y ont vécu plus ou moins longtemps, d'Hemingway à Alexander Calder, qui s'installa ensuite en Touraine. Cummings (1894-1962) y est venu en 1917 quelques semaines, pendant la Première Guerre mondiale, y a vécu deux ans à partir de 1921 et y est retourné régulièrement ensuite. La quarantaine de textes (proses, poèmes — parfois partiellement en français —, article pour Vanity Fair et lettres) écrits à propos de la ville, de 1918 à 1957, dispersés dans plusieurs recueils, sont réunis dans ce livre et présentés de manière précise dans la postface de Jacques Demarcq. Ils sont accompagnés de neuf dessins (crayon ou encre), tracés entre 1917 et 1933.
Cummings distingue nettement, en 1926, un Paris pour touristes (qu'il désigne par "Paree", prononcé à l'anglaise) avec ses lieux obligés (Montmartre : « machine totalement dénuée d'intérêt servant à débarrasser les Anglo-Saxons de leur papier monnaie »), de la ville authentique ("Paname"), avec ses bistrots, la Foire aux pains d'épices (nommée ensuite Foire du Trône), les courses, le Cirque d'hiver, le Jardin du Luxembourg, les péniches et les bateaux-mouches, bref : « le profond, l'extraordinaire, le lumineux triomphe de la Vie même et d'une ville fondée sur la Vie ». En 1953, revenant sur ce qu'avait été Paris dans sa jeunesse, il y reconnaît le lieu de « la miraculeuse présence [...] d'êtres vivants [...] et où la beauté fleurissait dans ma vie comme une étoile. » C'est ce Paris qui est exploré dans sept chapitres regroupant des textes en ensembles : "Les Halles, le Marais", Montparnasse", Grands Boulevards, Pigalle", etc.
C'est surtout ce qui se passe quotidiennement dans la rue qui est retenu, mais certaines scènes singulières sont décrites. Par exemple, dans une lettre à sa mère, il rend compte avec humour des funérailles officielles de Joffre, regardant avec détachement ce qui se voulait solennel et, ainsi, tournant en dérision ce qui appartient à l'institution : « Tout le monde prenant le spectacle pour un pique-nique désordonné doublé d'un music-hall universel. » Il s'attache aux éléments d'une vie passée, totalement disparus aux États-Unis, comme les joueurs d'orgue de barbarie, ou « à / denfert l'hercule gras [qui] a étalé son tapis », ailleurs les enfants acrobates pour les passants ou ceux qui vendent des fleurs — « sautez dansez gamins hop suivez du doigt le rouge bleu blanc violet orange verd- /oyant ». Ce qu'il rejette fortement de son pays natal, l'argent édifié en unique valeur et le vide de la pensée, se lit dans une saynète, dialogue entre deux touristes américaines, riches et prétentieuses, dans un restaurant des Halles, avec mise en place du décor (« La scène se passe la nuit au Père Tranquille, dans le quartier des Halles. Des putains endormies. (etc.) » ; s'ajoute l'esquisse d'une américaine qui dépense « un fric incroyable ».
Cummings fréquente les expositions et un poème daté de 1920 évoque les peintres Picabia, Picasso, Matisse, Kandinsky, Cézanne ; mais il ne néglige pas les spectacle comme ceux des Folies-Bergères et il écrit, en 1926, pour la revue Vanity Fair un long éloge de Joséphine Baker dansant, en se moquant du moralisme des spectateurs. Il rapporte aussi des scènes plus intimes, avec Marie-Louise « aux jambes de reine » dont il dessine le visage ; il ne cache pas sa nostalgie de l'enfance, du temps aussi de la "Grande époque", celle du dadaïsme déjà dans le passé en 1923 ou de poètes selon son cœur comme Swinburne.
Regrouper des poèmes écrits au cours d'une quarantaine d'années aboutit à donner à lire des manières différentes d'écrire. À côté de proses et de poèmes de facture classique, le lecteur retrouvera au fil des pages les ruptures introduites par Cummings dans son écriture. Par exemple, il introduit ici un complément de lieu dans une parenthèse entre un pronom ("je") et le verbe, mais là, outre ce procédé qui contraint à revenir sur sa lecture, il introduit des coupes à l'intérieur même des mots — ce qui pose de redoutables difficultés au traducteur :
(the;mselve;s a:nd scr;a;tch-ing lousy full. of rain
beggars yaw:nstretchy:awn)
devient :
(le;s s;e gr,att-ant poux pleins.de.pluie mendiants
b:âillents'étirentb:âillent
Non pas seulement jeu, puisque le poème construit sur les articulations "quand... quand... alors", s'achève sur l'union, dans les mots, du couple : « nous / toi-avec-moi / autour de (moi)toi / d'un seul JeTu ».
Cette mise en pièces des règles morphologiques peut être plus forte, et les frontières de mots disparaissant dans :
and, b etw ee nch air st ott et er a thresillyold
WomanSellingBalloonS
traduit par
et, e ntr el esc ha ise sc lop in e lavieille idiote
QuiVendDesBallonS
Jacques Demarcq, traducteur déjà de plusieurs œuvres de Cummings(1), met en relation dans la postface des épisodes de la vie du poète avec les textes c'est apporter un éclairage utile pour comprendre ce qui peut être allusif dans les poèmes. En même temps, cela constitue une introduction à une écriture encore déconcertante pour bien des lecteurs. Ce Paris est un livre à lire et relire.
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1. Récemment, Érotiques (Seghers, 2012) et 1x1 (La Nerthe, 2013)
Tristan Hordé, mai 2014 © Les Carnets d’Eucharis
■■■Edward Estlin Cummings
Néen 1894 à Cambridge (Massachusetts). Étudiant à l'université Harvard, il vient en France comme ambulancier en 1917. Ses convictions pacifistes lui valent trois mois de détention à La Ferté-Macé (Orne). Cette expérience lui inspire L'Énorme Chambrée, un récit enjoué et moqueur, remarqué dès sa sortie par la critique et figurant depuis parmi les classiques. Toute sa vie, Cummings écrira des poèmes, sur l'actualité parfois et sur la vie sociale, mais plus souvent sur les thèmes éternels de la nature et de l'amour, dans un style de plus en plus novateur, bousculant les formes et repoussant les frontières du langage. Très populaire auprès des jeunes après la Seconde Guerre mondiale, Cummings est mort en 1962.
SITES À CONSULTER
Sur le site : Seghers | Paris
Sur le site : Seghers | Erotiques
Sur le site : La Nerthe | 1 x 1 [une fois un]
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22:36 Publié dans E.E. Cummings, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS, Tristan Hordé | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
27/03/2011
E. E. Cummings - Font 5 - Editions NOUS
Traduction et postface de Jacques Demarcq
Collection Now
puisque sentir est premier
qui prête la moindre attention
à la syntaxe des choses
ne t’embrassera jamais entière;
tout entier être un idiot
quand le printemps est de ce monde
mon sang approuve,
et les baisers sont un meilleur sort
que la sagesse
ma dame je le jure sur toutes les fleurs. Ne pleure pas
—le plus beau geste de mon cerveau ne vaut
ce battement de tes paupières qui dit
nous sommes l’un à l’autre:alors
ris donc,à la renverse dans mes bras
car la vie n’est pas un paragraphe
Et la mort je pense n’est pas une parenthèse
E. E. Cummings
(1894-1962), son cinquième livre,
le plus parisien, d’une vitalité infatigable,
toutes griffes et caresses dehors.
Autre extrait sur le site
Littérature de partout (Tristan Hordé)
XXVII – MEMORABILIA sur le site Terres de femmes
Source photo : http://www.gvsu.edu/english/cummings/Index.htm
E. E. Cummings (1894-1962) :
Poète, écrivain et peintre américain. Son œuvre est composée de plus de neuf cents poèmes, quelques pièces, des essais. Il fut l'un des grands novateurs de la poésie XXe siècle, notamment par son usage de la typographie et de la syntaxe.
Ont été traduits en français, par Jacques Demarcq : je:six inconférences, Contes de fées, 16 Poèmes enfantins (Clémence Hiver), 95 Poèmes (Points/Seuil) ainsi que No thanks à paraître prochainement aux éditions Nous.
éditions NOUS
4 chemin de Fleury
14000 Caen
Site : www.editions-nous.com
Blog : http://editions-nous.tumblr.com/
22:21 Publié dans E.E. Cummings, ETATS-UNIS, Nous | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : e e cummings, éditions nous, littérature de partout, les carnets d'eucharis, terres de femmes | Imprimer | | Facebook
07/10/2009
E.E. Cummings
E X T R A I T
POÈMES CHOISIS
J’aime mon corps quand il est avec ton
corps. C’est une si toute nouvelle chose.
Muscle améliore et nerf plus donne.
j’aime ton corps. j’aime ce qu’il fait,
j’aime ses comments. j’aime sentir l’échine
de ton corps et ses os,et la tremblante
-ferme-douce eur et que je veux
encore et encore et encore
embrasser, j’aime de toi embrasser ci et ça,
j’aime,lentement caressant le,choc du duvet
de ta fourrure électrique,et qu’est-ce qui arrive
à la chair s’écartant…Et des yeux les grosses miettes d’amour,
et possiblement j’aime le frisson
de sous moi toi si toute nouvelle
E.E. Cummings, Poèmes choisis (traduits par Robert Davreu), éd. José Corti, 2004 (p.33)
"E.E. Cummings a lui-même défini la poésie comme ce qui ne peut être traduit. Entendons : le poème est la parole absolument singulière qui, d’un même mouvement, dynamite – et dynamise aussi – la langue pour inventer la sienne dans le refus de tout ce qui est commun, ou qui relève, disait avant lui Mallarmé, de l’universel reportage. Comme une lettre d’amour, le poème n’a pas de public, il n’a pour destinataire, si nombreux qu’ils puissent être, que des lecteurs singuliers, visés chacun dans ce qui le différencie, dans son être unique, dans ce qui, de lui, demeure farouchement et irréductiblement rebelle à toute négation et dissolution de soi dans une pseudo-identité sociale ou collective, mortifère par essence, si l’on ose dire ; mortifère dans le refus de la condition de mortel qui la sous-tend. En chaque lecteur le poème s’adresse au poète et au vivant mortel qu’il est aussi, à l’amoureux, au fou, à l’enfant, à l’idiot qu’il demeure..." (Robert Davreu)
Présentation de l'éditeur
Si Edward Estlin Cummings (1894, Cambridge, Massachusetts – 1962, New York), l’un des poètes américains les plus importants du XXe siècle, a expérimenté de façon radicale la forme du poème (ponctuation, orthographe, syntaxe) inventant une nouvelle langue dans la langue, il n’en appartient pas moins à une vieille tradition américaine, celle de sa Nouvelle-Angleterre natale et de son individualisme non conformiste, c’est un grand lecteur de classique en particulier de Longfellow. Ses parents encouragent très tôt ses talents de poète et de peintre. Il est diplômé d’Harvard en 1916. Pendant la première guerre mondiale, il travaille comme ambulancier en France où il est emprisonné (une expérience qu’il raconte dans L’énorme chambrée). Son premier recueil de poèmes Tulipes et Cheminée paraît en 1923, suivront XLI poèmes, Font 5 et ViVa. Refusé par de nombreux éditeurs pour un nouveau recueil de poèmes 1935, il l’intitule No thanks.
Un premier recueil de l’œuvre (Collected Poems) paraît en 1938, suivi de 50 poèmes et de 1 X 1 (« un fois un » étant sa formule pour l’amour). Il donnera une série de conférences qu’il intitule : Moi, six in-conférences (publiées en français aux éditions Clemence Hiver).
Si Cummings a pu dire qu’il lui faudrait encore cent ans pour mener à bien l’achèvement de son oeuvre, force est de constater l’ampleur de celle-ci et les Complete Poems paraîtront en 1968.
Le choix des poèmes retenus correspond (à une exception près, et quelques ajouts personnels de Robert Davreu – La Renommée parle et la suite de La Guerre) à celui que Cummings fit lui-même en 1958 pour le volume des Selected Poems (1923-1958).
L'auteur vu par l'éditeur
Robert Davreu a donc respecté l’ordre non chronologique retenu par le poète américain. Il précise bien toutefois qu’il s’est référé à l’édition des Complete Poems (1904-1962), éditée par George J. Firmage (Liveright, New York, 1991) afin de vérifier que les versions proposées étaient identiques.
11:31 Publié dans E.E. Cummings, José Corti | Lien permanent | Commentaires (2) | Imprimer | | Facebook
20/09/2009
Le Temps est un type étrange...
E.E. Cummings
Poète américain
(1894 - 1962)
L A P A U S E P O É S I E
© Photo : source internet
[…] les poèmes courts m’enchantent. J’aime aussi beaucoup Cummings, qu’on regarde aujourd’hui avec une certaine indifférence. J’ai traduit quelques-uns de ses poèmes, il y a des années. Cela a été une grande expérience, j’ai beaucoup appris en traduisant ces textes dans lesquels la complexité syntaxique produit une poésie très pure et très simple. C’est la poésie lyrique, le jet poétique dans toute sa fraîcheur, sans trace de ce didactisme si fréquent dans la poésie nord-américaine. Un didactisme moralisant, même, surtout lorsqu’il attaque la morale régnante.
Octavio Paz – « Cuatro o cinco puntos cardinales » Plural, n°18, mars 1973
la proximité s'éveillait, tout oiseau devrait chanter :
et de notre nuit le mille million de miracles
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Même si Cummings a poussé son allergie à tous les communautarismes jusqu’à un aveuglement consternant, et que rien ne saurait justifier, il faut arrêter de penser ce qui distingue comme ce qui sépare et l’hermétisme comme une clôture : il n’y a pour penser de la sorte que les totalitaires, partisans d’un nivellement par le bas, à leur profit ; et si la poésie de Cummings a pu paraître en son temps d’avant-garde, elle ne résiste au temps que parce qu’elle est fermement ancrée, sans nul traditionalisme, dans cette tradition qui remonte à la plus haute antiquité, celle d’Orphée, éveillant tous les sens et animant toute la création par la vertu de son chant.
Robert Davreu – Poèmes choisis, éditions Corti, 2004
17:18 Publié dans E.E. Cummings, José Corti | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook