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25/06/2015

Pierre Cendors (une lecture de Nathalie Riera)

 

 

UNE NOTE DE NATHALIE RIERA

 

 

L’invisible dehors

Carnet islandais d’un voyage intérieur
Pierre Cendors

 

Isolato, 2015

 

  

 

Pierre Cendors | © mel

 

 

  

 

    

  Sur le chemin d’un Nord physique-métaphysique

 

 « …quelque chose là-bas d’intensément libérateur … un avant-goût d’éternité » : l’Islande offre à Pierre Cendors un territoire au règne sauvage, une haute poésie de la terre, et bien que dans l’ignorance des raisons profondes qui peuvent motiver un tel voyage, sur cette Ice-Land entre l’Europe et l’Amérique, il est quelque chose là-bas qui n’est pas de notre monde façonné et policé, mais s’avère un lieu aux forces entières dont la souveraineté appelle au plus de silence en soi, une ascèse de l’esprit, et où l’acte de vivre se transmue en « science poétique immédiate » : La rudesse des éléments, leurs puissants débordements, exige une vigilance constante en même temps qu’un détachement, une coordination et une lenteur, qui font de la marche solitaire un acte incantatoire.[1] L’Islande se fait synonyme de « pays inconnu pour s’avancer seul à travers l’informe » et de « solitude pour rompre avec d’anciennes formes »[2]. Pierre Cendors a une grande fascination pour l’originel qu’il a pu observer ailleurs, dans d’autres lieux sur terre (Connemara, Ecosse, Grèce) et c’est sans mystère et sans mysticisme qu’il fait se rejoindre le corps et l’esprit, tous deux dans la lente progression d’un devenir corps-esprit qui ne joue plus le jeu du temps fermé ou l’épreuve de l’horloge, mais se meut vers un autre horizon non atteint par le social.

À Hornstrandir, dans sa géologie d’ancien plateau basaltique, péninsule connue comme la plus septentrionale d’Islande, sans aucune route pour s’y rendre, c’est « le début d’un dialogue approfondi entre l’originel et la pensée personnelle, un revif corporel de l’esprit, une parole désencombrée, un silence ardent, un non-agir à l’unisson d’un agir recueilli et fervent… » 3].

Par l’extinction de la parole et le verbe éteint, les « ressources indigènes du lieu » se révèlent et voyager devient le chemin où marcher c’est alors « puiser dans l’élémentaire une longueur de clavier existentiel supplémentaire »[4], mais aussi « incursionner en liberté dans l’invisible dehors »[5]. D’où le titre « L’invisible dehors/Carnet islandais d’un voyage intérieur ».

 

À Reykjavik, capitale de l’Islande, ville au niveau de la mer, où la lumière du jour se fait permanente en juin et juillet, il y a une exposition du peintre Georg Gudni Hauksson. Cendors envisage la visite de son atelier, en prévision d’un entretien autour « de son cheminement, de sa vision de la nature, de l’art, du paysage », mais en regagnant Reykjavik, c’est à une cérémonie funéraire (du 30 juin 2011) qu’il se rendra, dans une église Luthérienne pleine de la famille et des amis de Gudni : « La culture, écrit Werner Herzog, ce n’est pas aller à l’opéra, c’est ressentir une excitation vitale de l’esprit. C’est précisément ce que suscitait la peinture de Gudni : une densification vitale de l’esprit, et dans mon cas, une reconnaissance, une figuration fulgurante de mes pistes intérieures. Je décidai sur le champ de rencontrer le peintre, ignorant que mon regard, deux semaines plus tard, fixerait un cercueil blanc, recouvert de l’étendard islandais et d’une poignée de terre, où reposerait sa dépouille. »[6]

Le voyage déploie sa partition avec ses notes manquantes, ses signes illisibles, une lecture heurtée, une succession de paysages intérieurs/extérieurs et comme l’avait si justement écrit Nicolas Bouvier dans son Journal d’Aran et d’autres lieux : « Dans ces paysages faits de peu je me sens chez moi, et marcher seul, (…) est un exercice salubre et litanique qui donne à ce peu – en nous ou au-dehors – sa chance d’être perçu, pesé juste, exactement timbré dans une partition plus vaste (…) »[7].

 

Nathalie Riera, été 2015

© Les Carnets d’Eucharis

 

 

À CONSULTER

Site de l’auteur

| © http://endsen.blogspot.fr/

Black Herald Press

| © https://blackheraldpress.wordpress.com/2015/04/14/lage-du-noir-the-age-of-darkness-pierre-cendors/

 

 

 

Nathalie Riera_Pierre Cendors.pdf

 

 



[1] Pierre Cendors, L’invisible dehors/Carnet islandais d’un voyage intérieur, Isolato, 2015 – (p.29)

[2]Ibid., (p.37)

[3]Ibid., (p.47)

[4]Ibid., (p.40)

[5]Ibid., (p.98)

[6]Ibid., (p.88)

[7] Nicolas Bouvier, Œuvres, Quarto Gallimard, 2009 – (p.975/976)

05/06/2015

Les Carnets d'Eucharis N°45 - Printemps 2015

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Poésie | LittératurePhotographie | Arts plastiques 

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en ligne

 

 

 

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Les carnets d’eucharisn°45

PRINTEMPS 2015

 

 [« cœur VÉGÉTAL »]

© Claude Brunet, 2015| Photographie numérique

 

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PHOTOGRAPHIE

ATA KANDO

Claude Brunet CŒUR VEGETAL 

 

AUPASDULAVOIR

Du côté de la poésie croate

Branko Čegec[Lune pleine à Istanbul]

Gordana Benić[Les forgerons de l’ombre]

Antun ŠOLJAN[L’homme troué]

LAURE MORALI[Orange sanguine]

PHILIPPE JAFFEUX & Carole Carcillo Mesrobian[IL]

ERIC SARNER[L'ÉVEILLEUR DE JEUNESSSE Rondeau pour Gregory]

 

MAURICE CHAPPAZ

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WILLIAM BRONK

 

À un musicien italien d’autrefois / For an early Italian musician

 

DES TRADUCTIONS

                                         ----------------------------- osÍas stutman

 [Poèmes extraits de “Poemas con palabras inglesas »  traduits par Raymond Farina]

 

 [Clairvision]

----------------------------------- [Notes monochromes de Jacques Sicard]

 

DES LECTURES/DES PORTRAITS

 [Carol Dunlop & Julio Cortázar : D’aire en aire : les indiens de l’autoroute]par Nathalie Riera

 [Bruno Fern, Le petit test]par Tristan Hordé

[Pascal Boulanger : Confiteor]par Claude Minière

 

[NOUVELLESPARUTIONS]

JOSÉ CORTI LA PASSE DU VENTSITAUDIS– CHRISTIAN BOURGOIS – TITULI  – UNES  – …


       

 

Au format livre numérique/CALAMEO

http://www.calameo.com/subscriptions/37620

 

04/06/2015

Pascal Boulanger, Confiteor (une lecture de Claude Minière)

 

 

 UNE LECTURE DE CLAUDE MINIÈRE

 

 

Pascal Boulanger

Confiteor
Éditions Tituli, 2015

 

 

Pascal Boulanger fait paraître Confiteor aux éditions tituli. Dans le VI° arrondissement de Paris, ces libraires se font éditeurs et organisent des lectures dans leur galerie (www.tituli.fr). L’écriture poétique, dit Pascal Boulanger, « va tenter de renverser la malédiction (la malédiction de toute existence) en exultation. » Pour Confiteor, il a regroupé ses notes et paragraphes selon quatre « pôles », en quatre chapitres : L’enfance des choses ; Imprimer un monde ; Liberté divine ; Poésie politique. « Mon écriture alors s’ouvre au hasard, aux circonstances, aux accidents ». Ce qui fait la logique même de Pascal Boulanger : il ne réclame pas l’adhésion. Mails il a des soutiens, des amis en écriture, en pensée, et dans la lutte. Avec Baudelaire, il revendique le droit de se contredire. Comme Claudel, pour une célébration du passage et de la haute alliance (célébration pascale) il fait feu de tous bois (« Le laurier, s’il y en a, ou la palme encore mieux s’il y en a, ou le rameau d’olivier, ou le buis tout simplement… » lançait l’auteur de Le jour des rameaux), il force une voie, passe outre, entend lui aussi, « l’accord dans le désaccord parfait ». Il n’épargne pas, ne s’épargne pas et n’épargne personne mais parle avec émotion et gratitude de ceux qu’il aime. « Vivre ses sensations, c’est trouver un hors-lieu, c’est bâtir des stèles de l’enchantement simple ».

Où se jouent les choses ? Qui est à l’abri des fantasmes qui consistent (je tiens que les fantasmes consistent) à imaginer qu’il est au bon endroit, qu’il occupe la bonne position ? Pascal Boulanger bouscule les positions, pousse sa ligne contre les vents des actualités et marées humaines, contre ou plutôt en dehors de l’utilité, des calculs, de la spéculation. Comme Saint Paul, il doit passer par un certain aveuglement pour confirmer son chemin. Il regagne le temps perdu. Sans pruderie, et sans prudence. C’est un nerf de la croyance qui a un sens politique. La croyance longe la foi. C’est pas fini. L’auteur de Confiteor rappelle son avant-propos de Fusées et paperoles (2008, Comp’Pact) : « Aujourd’hui, j’entends toujours les cris effacés du silence, je vois toujours le ciel surgir des draps cachés de la terre… »

Page 57 : « J’ai été confronté, en commençant d’écrire, au psychologisme lourd de mes contemporains, au sociologisme pesant,… » On peut comprendre qu’étant donnée la belle mansuétude qui caractérise l’espèce humaine et les propriétaires d’un supposé pouvoir culturel, le « psychologisme » est une arme (misérable) de découragement. Mais Pascal Boulanger a du courage, du « courage poétique » (selon le mot d’Hölderlin).

Ce n’est pas sans raison que le premier chapitre de Confiteor est pour l’enfance. L’enfance, retrouvée à volonté, et l’archive conduisent à confronter la question « poésie et politique ».

Claude Minière | © Les Carnets d'Eucharis, N°45 - Printemps 2015

 

 

 

À CONSULTER

Le site de l’éditeur | © http://www.tituli.fr/

 

 

 

 

 

 

 

 

Bruno Fern, Le petit test (une lecture de Tristan Hordé)

 

 

 UNE LECTURE DE TRISTAN HORDÉ

 

© Bruno Fern

 

Bruno Fern

Le petit test
Éditions Sitaudis, 2014

 

 

 

 

   En quatrième de couverture, Bruno Fern renvoie explicitement au Testament, invitation modeste à lire Le petit test comme un prolongement de ceux de Villon ; il repose sur une lecture approfondie du poète du Moyen Âge, non pour imiter, à quelque point de vue que ce soit, mais pour en conserver l’esprit : l’humour, une certaine paillardise, le plaisir de parler des choses de la vie quotidienne et d’être dans une « matière pleine d’érudition et de bon savoir ».

   « Voici un livre fait de greffes et d’excroissances », précise Bruno Fern. L’une des greffes consiste à retenir le huitain du Testament — il y en a cent — et à y introduire d’autres éléments, non des ballades mais trois envois, le livre s’achevant par un « renvoi ». Les vers ne sont ni comptés ni rimés, mais il faut tout de suite indiquer les exceptions. Un huitain est en vers de 3 syllabes et rimé, aaaabcbc (93)1, le suivant en vers mêlés, 44544544, avec rimes, abbcbcac (94), et sa seconde version en vers de 4 syllabes, non rimé (94). Le lecteur relèvera ici et là des rimes : elles ont toujours une fonction qui déborde le rôle habituel ; ainsi reprenant « le trou Perrette », qui rimait chez Villon avec « cornette », Bruno Fern développe autrement le thème burlesque (ou paillard, si l’on veut) (59) :

                   préférant (et de loin) le trou Perrette

                   qui sent pas que la violette

                   mais le rose nuancé bat

                   ant jusqu’au sang [..]

                  

   On trouvera des variations d’un autre genre. Un poème est uniquement formé de questions prélevées dans Villon ; le premier vers d’un autre, « celer mes amours », vient aussi du Testament (« Je pense celer mes amours, xcv), dans les vers suivants seul le complément est conservé (« mes amours »), le premier mot retenu est homophone du verbe ou en conserve la première syllabe :

                   celer mes amours

                   seul et    "      "

                   semer     "      "

                   seller      "      "

                   serer       "      "

                   céder      "      "

                   cesser     "      "

                   c.v.         "      "

   Une autre greffe, comme on l’a vu ci-dessus, consiste à introduire dans chaque poème un fragment emprunté à Villon, signalé en caractères gras. On situe sans trop de difficulté des vers ou des parties de vers (« Dieu sait quelle sueur », « Les vers n’y trouveront pas graisse »), mais Bruno Fern introduit des grains de sable : par exemple, reprenant le vers de Villon « En petits bains de femmes amoureuses », il remplace "femmes" par "filles" ; par ailleurs, « en », « plus aigu », « des flûtes », etc., présents dans le Testament, pourraient évidemment se trouver ailleurs... Un mot repris dans le Testament est commenté, non pour sa place juste dans le vers original mais en tant qu’élément grammatical adéquat : « rondement / c’est l’adverbe qui convient ».

   Comme le faisait Villon, Bruno Fern mêle les registres et le vocabulaire dit populaire, ou familier, est bien représenté : kif kif, fastoche, cool, triquer, tire-larigot, rien à branler, accro, à donf, etc. Mais surtout, il introduit dans presque tous les poèmes des lieux communs, des slogans publicitaires, des formules de mode d’emploi, des syntagmes propres à l’administration, toutes manières complètement usées d’être dans la langue qui, mises ici en évidence, apparaissent pour ce qu’elles sont, marques d’une totale absence d’inventivité : y a pas photo, ça le fait pas, y a comme un défaut, [Pince-mi et Pince-moi] sont sur un bateau, sonnerie personnalisée, intégralement recyclables, etc. — ajoutons ce qui est en relation directe avec l’actualité, par exemple renforcer la lutte contre la délinquance, made in China, vive émotion dans la communauté internationale. Des expressions rebattues sont détournées, ainsi : tombe au champ d’odeurs, la ligne bleue des cours, en mourant par la Lorraine, mais aussi un chant révolutionnaire : c’est la lutte finale grouillons-nous et deux mains ; etc.

   Viennent s’ajouter des citations en italique, presque toutes littéraires et dont l’auteur est signalé en note — Kafka, Mallarmé, Nathalie Quintane, Soupault, Beckett, Malherbe —, mais il y a aussi Lacan et le compositeur Steve Reich ; d’autres, non signalées comme telles, passent inaperçues, parfaitement intégrées : on lit « bijoux sonores » et l’on se souvient de Baudelaire ("Les bijoux"), et de Mallarmé dans « la nue à câbles » : avec "accable" on retrouve "À la nue accablante". Entrent aussi dans des poèmes des figures d’écrivains contemporains ; « à J. S. l’ardeur des mots » (62) évoque Jude Stéfan, dont le prénom en toutes lettres et l’allusion à une nouvelle viennent un peu plus tard (69) ; « à Jean-Pierre V. une bouteille » (75) débute un récit à propos de Verheggen, « à Ch.P. cette vigueur qu’il prouve » est l’entrée d’un portrait de Prigent lisant : deux écrivains dont Bruno Fern est proche par certains aspects de son écriture. La "géographie" littéraire est toujours complexe ; sont également présents Petr K.[ral] et ses cigares, Philippe Boutibonnes à qui un poème est dédié.

    Parmi les moyens d’ « essayer [...] tous les sens possibles », Bruno Fern emploie abondamment le chevauchement : un mot2 appartient à deux séries syntaxiques différentes ; par cette épargne des mots, la lecture est freinée et, surtout, la polysémie permet des effets comiques. Des exemples : « tendance à sous estimer [le monde] / roule pour lui-même » ; avec bilinguisme : « à tue / [tête] bêche dans le raidillon n° 69 / of [course] au cotillon (page 62) ; en jouant sur l’homophonie : « ténue [= t’es nue] jusqu’aux sourcils / à donf tombe en un comme en / [sans] attendre » (page 63) ; le mot commun est verbe dans le premier ensemble, adjectif dans le second : « se [grise] de préférence dans l’entrejambe / toutes les chattes le sont la nuit » (73) ; c’est un article et un mot-une syllabe qui sont communs : « présents les pieds posés sur [le sol] / stice d’hiver stigmate à son échelle », et remarquons qu’ici p est repris dans le premier vers, sti[c,g] dans le second.

 

 

   La répétition d’un son est régulièrement un des éléments du burlesque dans Le petit test, comme dans les deux premiers vers du "Renvoi" final : « ainsi se clôt s’exclut s’excla / s’achève la période d’essais [...] » (page 61). On a pour ce registre burlesque une liste d’homophonies, de par mon et par vos et le classique neiges – que n’ai-je à en pur don de soie et  toute en R s’envoyer en l’air, des séries d’à-peu-près comme des mouvements divers et avariés et d’un pas décédé, des anagrammes parfois signalées (parties-patries). À chaque lecture, on découvre de nouvelles pistes dans l’usage plein de jubilation de la langue et, comme chez Villon, s’expriment des « préoccupations diverses » (4ème de couverture), tragique et burlesque liés : dans le huitain 99 adressé à un "tu" (« tu branles carcasse... »), si l’on réunit mots et syllabes en gras, on obtient : « car en amours mourut martyr ».

 

          Tristan Hordé | © Les Carnets d'Eucharis, N°45 - Printemps 2015

 

 

À CONSULTER Sitaudis

| © http://collection.sitaudis.fr/les-editions/le-petit-test-de-bruno-fern-le-cinquieme-livre-des-editions-sitaudis

Terres de Femmes

| © http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2014/03/bruno-fern-reverbs-phrases-simples-par-isabelle-lévesque.html

 

 

 

 

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1. sauf indication contraire, le nombre entre parenthèses renvoie au numéro d’un poème.

2. noté ici entre crochets.