01/08/2014
Robert Walser
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Du côté de chez…
Robert Walser
© Robert Walser en 1905
La promenade
L’Imaginaire, Gallimard, 2013 (reédition)
Traduction de l’allemand par Bernard Lortholary
(Site) GALLIMARD | © http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Imaginaire/La-promenade
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Tandis que tu prends la peine, cher lecteur, d’avancer à pas comptés, en compagnie de l’inventeur et scripteur de ces lignes, dans le bon air clair du matin, sans hâte ni précipitation, mais de préférence d’une façon tout à fait propre, bonhomme, objective, posée, lisse et tranquille, voilà que nous arrivons tous deux devant la boulangerie déjà signalée, avec sa prétentieuse inscription dorée, et nous nous arrêtons, atterrés, enclins que nous sommes tant à l’affliction profonde qu’à la stupeur sincère devant cette grossière esbroufe et le gâchis qu’elle entraîne du même coup aux dépens d’un paysage qui nous est des plus chers.
Spontanément, je m’écriai :
- Pardieu, l’on est en droit d’être passablement indigné, face à de telles barbaries enseignardes et dorées, frappant les paysages circonvoisins du sceau de la cupidité, du lucre et d’un misérable abrutissement des âmes. Un maître boulanger a-t-il réellement besoin de se produire avec une pareille pompe et, par sa réclame stupide, de jeter en plein soleil autant de feux et d’étincelles qu’une coquette du demi-monde ? Qu’il pétrisse et enfourne donc son pain avec la modestie qui sied à l’honnêteté et à la raison. Dans quelle esbroufe commençons-nous à vivre, si les communes, les riverains, les autorités et l’opinion publique non seulement tolèrent, mais hélas manifestement vont jusqu’à approuver ce qui heurte tout sentiment de courtoisie, tout sens de la beauté et de la décence, ce qui s’étale ainsi de façon morbide, croyant devoir se parer de je ne sais quel clinquant lamentable et dérisoire, comme s’il braillait aux quatre vents, à cent mètres à la ronde : « Je suis tel et tel, j’ai tant et tant d’argent, et je prends la liberté de vous imposer mon tapage ! Certes, ce faste hideux fait de moi un rustre, un balourd et un béotien, mais je doute que personne n’aille m’interdire ma balourdise ! »
............................... (p.22/23)
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Puis-je avouer que, ces derniers temps, je suis parvenu à la conviction que l’art de la guerre peut être tout aussi difficile et exiger tout autant de patience que l’art d’écrire, et inversement !
Les écrivains aussi, comme les généraux, procèdent souvent à d’interminables préparatifs avant d’oser passer à l’attaque et livrer bataille, autrement dit lancer sur le marché de la librairie un livre, un produit de leur art ou de leur industrie, décision qui déclenche parfois de terribles contre-attaques. Il est notoire que les livres provoquent immanquablement des comptes rendus qui s’y rapportent, et qui prennent parfois un ton si acerbe que le livre ne peut que disparaître sans délai, tandis que manifestement son pauvre, pitoyable et indigne auteur s’étouffe lamentablement et sans aucun doute désespère à force de doute.
............................... (p.39/40)
Robert Walser (1878-1956)
Né le 15 avril 1878 à Bienne, dans le canton de Berne. Il avait sept frères et sœurs. Il publie son premier roman, Les enfants Tanner, en 1907. Son deuxième roman, Le commis, paraît en 1908, et en 1909 L’Institut Benjamenta. Il écrit ensuite des nouvelles et des poèmes, dont La promenade, qui date de 1917. Son dernier livre, La rose, paraît en 1925. En 1929, il entre dans une clinique qu’il ne devra plus quitter. Il meurt en 1956 , le jour de Noël.
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