09/07/2014
Julio Cortázar
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Du côté de chez…
Julio Cortázar
© Julio Cortázar
Crépuscule d’automne
José Corti“Ibériques”, 2010
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle
Les Carnets d’Eucharis | © http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/
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Marco Polo se souvient
Ton minuscule pays, inaccueillant et sauvage !
Là-bas des arbres nains brandissent leur ennui
pendant que les taupes perforent le chemin
et que les musaraignes remontent le ciel.
En venant à la frontière de ta terre évasive
combien de douanes vertes et des sceaux dilués !
Mes besaces recelaient médailles et mascottes
destinées à tes gardiens amateurs de menthe.
Ta langue – celle des hommes à l’affût des nuages –
s’élevait dans les chaloupes aux souffles de la nuit
et la lance du danger et l’ocelot en or
et sans répit t’attendre au-delà des sommets.
Les portes d’obsidiane s’incurvaient sous le temps
et tu étais dans le temps derrière l’obsidiane !
Avec mon nom – ce glauque gong d’ancienne grâce –
J’ai jeté sur les portes le parchemin ouvert.
Treize nuits de rouges ablutions – et d’insectes
aux pattes de cristal et de musiques aveugles – ,
ô chaleur sous le ciel, la lune dans la citerne
et toi absente, lointaine, belle comme jamais !
Tes serfs ont déchiffré les lettres de mon nom,
et j’ai vu s’entr’ouvrir les portes pour mon pas.
Par des mois et des chemins mes traces se perdirent
la caravane a rapporté des bagues de bronze.
Je me souviens de la terrasse en demi-lune,
la soie que tu m’offris et le tambour des nuits.
La caravane a rapporté des bagues de bronze –
Et moi j’ai une galère avec des voiles d’émeraude !
........................... (pp.231/232)
Je veux pleurer parce que ça me plait,
comme pleurent les enfants du dernier banc,
car je ne suis pas un poète, ni un homme, ni une feuille,
mais un pouls blessé qui tourne autour des choses de l’autre côté.
FEDERICO GARCIA LORCA,
Poème double du lac Edem
BLACKOUT
Si tu vois un chien près d’une tombe
fuis l’hélicoptère : il neige déjà
la mort délicate par trituration, assaut
du néant, les yeux crevés à cause
du cobalt, de l’hydrogène.
Petit soldat de plomb, de chocolat, court
chercher un refuge : il se peut
que le chien ne te cède pas sa niche, les chiens sont tellement sots.
Et sinon il y a la tombe :
chasse d’un coup de pied ce mort, couvre-toi
avec ce qui reste, chiffons, terre, ossements.
(N’oublie jamais le Reader’s Digest,
ça fait passer le temps, c’est instructif.)
........................... (p.305)
1950 ANNÉE DU LIBÉRATEUR, etc
Et si les larmes viennent te chercher…
(D’UN TANGO)
Et si les larmes viennent te chercher
prends-les de face, bois jusqu’au bout
l’apéritif de larmes légitimes.
Pleure, argentin, pleure enfin un pleur
véritable, face au temps
que tu escamotais avec souplesse,
pleure les malheurs que tu croyais d’autrui,
la solitude sans rémission au bord d’un fleuve,
la coulpe de la paix sans mérite,
la sieste de ventres bourrés de pains au raisin.
Pleure ton enfance avilie par le cinéma et la radio,
ton adolescence dans les rues du dégoût, la clique,
l’amour sans récompense,
pleure les échelons, le championnat, le steak saignant,
pleure ta nomination ou ton diplôme
qui t’enfermèrent dans la prospérité ou le malheur,
et qui dans la plaine la plus immense
te clouèrent dans un petit terrain duquel tu t’acquittas
par versements trimestriels.
........................... (p.324)
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Julio Cortázar
Crépuscule d'automne, poÉsie
traduit de l'espagnol (Argentine) & préface de Silvia Baron Supervielle
José Corti, Collection « Ibériques », 2010
SITE EDITEUR :ICI
14:02 Publié dans Julio Cortazar | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
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