24/01/2014
Arno Schmidt, Scènes de la vie d'un faune
[Ceux qui commandent c’est toujours les pires, c’est-à-dire : les supérieurs, les chefs, les directeurs, les présidents, les généraux, les ministres, les chanceliers. Un type bien aurait honte d’être un supérieur !]
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et ligne après ligne/and line after line
Du côté de chez…
Arno Schmidt
©INTERNET | Arno Schmidt, 1962 – Von Rolf Becks
« Scènes de la vie d’un faune »
Editions Tristram, 2011 – pour la traduction française
Traduction de l’allemand et notes par Nicole Taubes
Postface par Stéphane Zékian
Extraits
Tout écrivain devrait saisir d’une main ferme l’ortie de la réalité ; et tout nous montrer : la racine noire et visqueuse ; la tige de serpent d’un vert vénéneux et la vaniteuse fleur (fendue). Et ces pompiers, ces inutiles mentaux, les critiques, seraient bien inspirés de cesser leurs incantations imprécatoires contre les poètes, et de nous produire un jour quelque chose de « profond » : alors là, le monde entier leur crierait bravo de grand cœur ! La poésie est pareille à toutes ces belles créatures qu’entoure un nombre d’eunuques proportionnel à leur beauté ; les vrais idiots sont ceux qui se réjouissent des taches noires du soleil ! (Critiques, à bon entendeur, salut.)
(p.36)
Des vautours de béton aux serres d’acier rougies au feu passaient avec des cris malsonnants au-dessus de nous, par grandes bandes (jusqu’à ce qu’ayant trouvé leur proie en face, dans le lotissement, ils eussent fondu sur elle). Une cathédrale aux dentelures jaunes s’éleva poussant des hurlements dans la nuit aux franges violettes : c’est ainsi que l’énorme clocher sauta dans les airs ! Des gerbes de balles traçantes rouges comme l’amour se déployaient au-dessus de Bommelsen et nos visages étaient de deux couleurs : la moitié droite était verte, la gauche d’un brun ennuagé ; le sol, en dansant, se dérobait sous nous ; nous levions nos longues jambes en cadence ; un cordon lumineux traçait des loopings déments dans le ciel : à droite, bonbon vitreux, à gauche, le violet profond du vertige.
(p.148)
Les lambeaux noir soufré de la nuit volaient au vent ! (une arlequine passa vêtue seulement de cravates rouges !) : quatre hommes essayèrent de rattraper un serpent géant qui sauta sur le ballast de la voie ferrée en sifflant et écumant de l’avant ; ils se calèrent sur leurs talons et semblaient émettre des cris (les bouches seules juste distendues ; et les casques ridicules des courageux idiots). Des placards lumineux apparurent de toutes parts à grand bruit, passant si vite qu’on ne pouvait pas tous les lire (seul résultat, les couleurs vénéneuses nous collèrent les yeux qui n’arrivaient qu’à s’entrouvrir en fentes spasmodiques : « Viens donc ! Käthe ! » Des flammes putassières, lubriques, tout en rouge, visages pointus, maquillage de travers, s’aventuraient dangereusement jusqu’à nous, gonflaient vers nous leur ventre lisse, leur rire crépitait, elles se rapprochèrent encore dans une lumière scabreuse de bordel : « Viens donc ! Käthe ! »).
(p.152/153)
Les hêtres : nos porte-enseigne, les chênes : nos athlètes, les sapins : nos arbalétriers : telle est notre garde du corps, comme jadis dans la Sherwood Forest : « Such outlaws as he and his Kate » ; et de la sorte nous pénétrâmes plus avant dans la forêt : je connaissais l’habitus de chaque brin d’herbe ; tel bout d’écorce était-il toujours à la même place ? : ici un renard avait imprimé sa griffe dans le sol pour grimper, là-bas un être humain, à présent, deux êtres humains. Les genévriers agrippaient, la mousse sur la pointe des pieds et hachis de chapeaux de charnus champignons, la fourmi furieuse à l’attaque des talons Conti : sous la jambe du pantalon la piqûre des lancéoles d’éteules.
Légers, en maraude, on marchait en suivant ses membres, sur des petits disques de prairie sans un vent jusqu’au moment où je me retrouvai dans les bras souples et épineux d’un jeune pin aux larges hanches (les branches, jambes écartées, un bassin accueillant, ma main surprit des replis muqueux moussus ; et la poitrine cuirassées rebondie haletante : « Käthe – ? – » « Présente » (tout près, à ma manche).
(p.156)
Les cavatines du vent.
Je me trouvais partout dans la cage des ses grands doigts, sous le joug de ses longs bras, de la large écharpe de ses jambes. Lourd. (Elle pourrait dire quelque chose comme : je le portais comme une moitié d’armure ; son corps me cueillait partout du bec ; il trouvait partout des seins à picorer.)
(p.158)
Arno Schmidt ..................................
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Arno Schmidt
Né en 1914 à Hambourg, mort en 1979 à Bargfeld dans la lande de Lunebourg, Arno Schmidt est l’auteur d’une œuvre dont l’originalité transcende les catégories habituelles.
Homme aux passions multiples — de l’arpentage à l’astronomie en passant par la traduction d’Edgar Poe —, il puise aussi dans la culture la plus populaire et sa propre expérience pour construire des récits débordant d’humour burlesque et d’audaces techniques, dont Jean-Patrick Manchette louait « passées les quatre ou cinq premières minutes de surprise, la formidable limpidité ».
Par la précision de sa riposte à l’obscurantisme nazi, par l’impact poétique de la langue qu’il s’est forgée, par ses jeux de pensées incessants et inépuisables, Arno Schmidt a révolutionné la littérature allemande de la seconde moitié du XXe siècle. Il est aujourd’hui traduit dans une dizaine de pays. CLIQUER ICI
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