28/10/2013
WISLAWA SZYMBORSKA
WISLAWA SZYMBORSKA
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© Poésie
©SOURCE PHOTO | INTERNET | WISLAWA SZYMBORSKA (1923-2012)
EXTRAITS
De la mort sans exagérer
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Traduit du polonais par Piotr Kaminski
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WISLAWA SZYMBORSKA, De la mort sans exagérer
Poésie Fayard, 1996
(Traduit du polonais par Piotr Kaminski)
(LES FEMMES DE RUBENS)
KOBIETY RUBENSA
In « Sel » (Sól) ─ 1962
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Gargantuettes, faune femelle,
nudité tonnante des tonneaux.
Elles se nichent dans des lits ravagés,
bouches ouvertes, coqueriquantes.
Leurs pupilles regardent au-dedans
pour mieux pénétrer les mystères
des chaudrons d’ardeur glandulaire.
Barocchantes ! Pâte gonflée,
Vapeur des bains, vins cramoisis,
porcelets blancs galopent au ciel,
trompettes hennissent l’alarme charnelle.
Potironneuses ! Exorbitantes !
Doublées par l’enlèvement des voiles,
triplées par la pose véhémente,
plats d’amour plantureux !
Vos maigres sœurs se levèrent plus tôt,
dès potron-minet du tableau.
Nul ne vit quand leur file indienne
traversa l’envers de la toile.
Proscrites du style. Côtes recensées,
gallinacés leurs pieds, leurs mains
Vain leur envol à tire d’omoplate.
Au treizième siècle – sur fond doré.
Au vingtième siècle – sur toile d’argent.
Le dix-septième n’a rien pour les plates.
Car alors même le ciel est convexe,
Anges convexes, et dieu convexe –
Phoebus moustachu à monture embrasée
Pénètre en l’alcôve bouillante.
------------------------- (p. 15/16)
(EAU)
WODA
Idem
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Voilà que sur ma main tombe une goutte de pluie,
répandue par le Gange et le Nil.
Elévation du givre des moustaches d’un phoque,
fruit des cruches cassées dans les villes d’Ys et Tyr.
Sur la pointe de mon index
La mer Caspienne est une mer ouverte,
et le Pacifique coule dans le lit de la Rudawa,
la même qui survola Paris en petit nuage
en mille sept cent soixante-quatre
le sept mai à trois heures du matin.
La bouche n’y suffirait pour décliner
tous tes noms ondoyants, eau.
Il faudrait te trouver un nom dans toutes les langues
en prononçant ensemble toutes leurs voyelles
et se taire en même temps – au nom d’un lac,
qui n’a jamais pu obtenir un nom quelconque,
et qui n’existe point sur terre, comme au ciel
n’existe cette étoile qui s’y refléterait.
Un qui se noie, un autre t’implore en mourant.
C’était il y a longtemps, et c’était hier.
Maisons tu éteignais, maisons tu emportais
comme des arbres, et forêts comme des villes.
Dans les fonds baptismaux et les bidets des putes.
Sur les langues et sur les linceuls.
Grignotant les rochers, allaitant l’arc-en-ciel.
Sueur et rosée des pyramides, des lilas.
Que c’est léger, tout ça, dans une goutte de pluie
Combien délicat est sur moi le toucher du monde.
Quoi – quand – où que se soit passé,
restera gravé dans l’eau de babel.
------------------------- (p. 24/25)
(JOIE D’ECRIRE)
Radość Pisania
In « Cent blagues» (Sto pociech) ─ 1967
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Où court cette biche écrite dans la forêt écrite ?
Irait-elle s’abreuver au bord de l’eau écrite
qui copie son museau comme le papier-carbone ?
pourquoi lève-t-elle la tête, entend-elle quelque chose ?
Elle emprunte ses pattes à la réalité
et, sous mes doigts, elle tend l’oreille.
Silence – ce mot aussi gratte sur le papier
en écartant
les branches, droit sorties du mot « forêt ».
Au-dessus de la feuille blanche ils sont prêts à sauter
ces petits caractères qui peuvent tourner mal,
ces phrases qui cernent de près
sans nulle chance de salut.
Il y a, dans une goutte d’encre, une solide réserve
de chasseurs, l’œil plissé et rivé sur la proie,
prêts à dévaler la pente périlleuse du stylo
A fondre sur la biche, à la mettre en joue.
Ils auront oublié que ce n’est pas la vie.
D’autres lois, noir sur blanc, régissent cette contrée.
Un clin d’œil durera aussi longtemps que je veux,
il se laissera tailler en petites éternités,
chacune remplie de balles suspendues en plein vol.
Rien n’arrivera jamais, si je l’ordonne ainsi.
Pas une feuille qui tombe sans que je le décide,
Pas un brin d’herbe ne plie sous le point du sabot.
Ainsi donc, un monde existe
dont je régente le sort souverainement ?
Temps que j’enchaîne de signes ?
Existence, sur mon ordre, impérissable ?
Joie d’écrire.
Pouvoir de maintenir.
Vengeance de la main mortelle.
------------------------- (p. 30/31)
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(PSAUME)
Psalm
In « Grand Nombre» (Wielka liczba) ─ 1976
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Ö, combien perméables sont les frontières humaines!
Voyez tous ces nuages qui passent, impunément,
ces sables du désert filant d’un pays à l’autre,
ces cailloux des montagnes pénétrant chez l’ennemi,
en d’insolents sursauts !
Est-il besoin de prendre un à un les oiseaux
qui volent ou qui se posent sur la barrière baissée ?
Ne serait-il qu’un moineau, et voilà que déjà
sa queue est limitrophe, et son bec indigène !
Et puis, qu’est-ce qu’il gigote !
Parmi les innombrables insectes je m’en tiendrai à la fourmi
qui, entre le pied droit et le pied gauche du douanier,
ne se sent pas tenue d’avouer ses vadrouilles.
Oh, saisir d’un regard cette immense confusion
sur tous les continents !
n’est-ce pas là le troène qui, de l’autre côté du fleuve,
infiltre illégalement sa cent millième feuille ?
Et qui d’autre, pensez-vous, que la pieuvre aux longs bras
viole les sacro-saintes eaux territoriales ?
Comment peut-on parler de l’ordre dans tout cela
s’il n’est même pas possible d’écarter les étoiles,
pour que l’on sache enfin laquelle brille pour qui ?
Et que dire de l’insubordination du brouillard !
Et des poussières des steppes sur toute leur étendue,
comme si l’on n’avait pas tracé une ligne en son milieu !
Et ces voix qui résonnent sur les ondes serviables,
pépiements séducteurs et allusifs glouglous !
Seul ce qui est humain peut nous être étranger
le reste c’est forêts mixtes, travail de taupe et vent.
------------------------- (p. 64/65)
POÉSIE FAYARD
1996
■ FAYARD EDITIONS : http://www.fayard.fr/wislawa-szymborska
17:24 Publié dans POLOGNE, Wislawa Szymborska | Lien permanent | Commentaires (2) | Imprimer | | Facebook
Commentaires
Merci d'avoir mis à disposition ces poèmes que j'apprécie et que je découvre. Belle langue nerveuse et inventive que celle de cette polonaise au nom imprononçable...
Écrit par : pradoc | 04/11/2013
C'est fabuleux ces poèmes. Wislawa Szymborska, je ne la connaissais pas. Elle m'évoque certains poèmes de Savitzkaya, dans Les Couleurs de boucherie.
Nathalie, toutes ces explorations que tu nous donnes dans tes carnets sont devenues une véritable nourriture.
Écrit par : Tieri | 09/08/2014
Les commentaires sont fermés.