27/07/2013
Kate Summerscale
Kate Summmerscale
La déchéance de Mrs Robinson
(Christian Bourgois Editeur, 2013)
JOURNAL INTIME D’UNE DAME DE L’EPOQUE VICTORIENNE
Traduit de l’anglais par Eric Chédaille
SITE DE L’EDITEUR - http://www.christianbourgois-editeur.com/
Kate Summerscale
Juin 2006 | Bloomsbury plc | © Mark Pringle
Une lecture de Nathalie Riera
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■■■ « La déchéance de Mrs Robinson » a pour cadre le procès devant le tribunal des Divorces et Affaires matrimoniales d’Henry Oliver Robinson et d’Isabella Walker. Après avoir découvert par accident le journal intime de son épouse, et son aveu d’adultère, H.O. Robinson convoque le tribunal londonien pour dissolution de son mariage. Requête qui soulève la question de l’écrit comme preuve et de la complexité face à la crédibilité du journal intime et à la véracité des évènements qui y sont rapportés. Le journal d’Isabella ne serait-il pas le produit d’un dérangement mental ? de fantasmes sans corrélation avec des faits réels, ou, au contraire, l’œuvre d’un esprit s’adonnant à une activité purement littéraire, se jouant à mêler réalité et fiction sans autre but qu’une « forme d’apprentissage, d’exercice préalable à la composition d’un roman. » (p.212). Ici, référence à Emily Brontë et sa sœur Anne, et à la diariste Fanny Burney.
Consigner ses expériences pour une femme née dans la société victorienne, c’est faire du journal un lieu de révélation et d’effusion, mais aussi un moyen de « déchiffrer sa vie », et pour une anglaise de classe moyenne, être « capable d’attenter à la décence avec sa plume » : « Comme l’économiste et philosophe Herbert Spencer, qui décrivait ses mémoires comme ‘une histoire naturelle de (sa) propre personne’, elle dressait le relevé de son évolution personnelle. En écrivant et en lisant son journal, elle avait espoir de comprendre son moi aliéné et conflictuel par le biais de cette extériorisation, de pénétrer dans sa propre tête et sous sa propre peau. » (p.61)
Dans l’histoire littéraire, certains journaux intimes passent pour apocryphes, ou ont au contraire la réputation d’un excès d’honnêteté. Kate Summmerscale cite à ce sujet les carnets d’Horace Walpole qui « consigna délibérément des choses fausses » (p.205), à l’opposé du journal de Samuel Peppys « réputé pour sa franchise ». Du temps de l’époque victorienne, « la rédaction des annales de la vie domestique et spirituelle » révèle un goût prononcé pour l’introspection, tels que les carnets personnels du mémorialiste et bibliophile John Evelyn, parus pour la première fois en 1818.
Outre les fonctions du journal intime, Isabella souffre d’un mariage malheureux, institution considérée de son point de vue : « arbitraire et inique ». Lecture et écriture sur soi, contre le desséchement et l’esseulement : K. Summerscale ne manque pas de faire un parallèle avec Madame Bovary. Isabella écrit son journal à la même époque que la parution du roman de Gustave Flaubert.
Durant le procès, journalistes, médecins et spécialistes du royaume seront appelés à témoigner, à partir des écrits d’Isabella, autrement dit à mettre en cause la véracité du journal. Mais la « défense d’Isabella fut beaucoup plus dégradante que ne l’aurait été un aveu d’adultère. » (p.224) Isabella considère cette lecture non consentie de son journal « comme une agression quasi sexuelle ». Dans une lettre pleine de rage, elle écrit :
« Que des hommes, de parfaits inconnus, nullement autorisés à le faire, se soient crus en droit d’y mettre le nez, de dépouiller et de censurer mes écrits intimes, d’y choisir des passages, avec leurs pattes fouineuses, impudentes, ignobles, cela je ne puis le comprendre. Je n’aurais jamais agi de même, pas plus que je n’aurais eu la bassesse d’espionner leurs prières, les balbutiements de leur sommeil ou les accents de leur délire ; je me serais tenue pour insultée par la simple invite à lire des pages destinées au seul regard de leur rédacteur. » (p.229)
« Le journal offre un aperçu de ce que pourrait devenir la société si la vision nouvelle, évolutionniste, du monde venait à s’imposer ».
Nathalie Riera, juillet 2013
Les carnets d'eucharis
p. 214.
Mr Nightingale décrit son journal comme son « seul réconfort », mais il est devenu un symptôme et même une cause de sa maladie. Lorsqu’il est dérobé et lu par d’autres personnes, il le trahit ; au lieu de l’aider à voir en lui-même, il permet à d’autres de lire en lui ; au lieu de le laver de son péché, il le livre à ceux qui vont le châtier. La passivité de ce journal est une illusion. A la fin de la pièce, Mr Nightingale reçoit ce conseil : « Brûlez ce livre et soyez heureux ! »
***
p. 212/213.
Diaries (du latin dies) et journals (du français jour) étaient par définition un lieu d’épanchements quotidiens, mais leur apparente immédiateté pouvait être trompeuse. Isabella remplissait souvent le sien un ou plusieurs jours après les évènements qu’elle décrivait. Un journal pouvait n’offrir qu’une approximation du temps véritable, de même qu’il pouvait ne faire que suivre et effleurer les sentiments qu’il cherchait à définir avec précision. Il agissait sur celle qui le tenait, tendant à en intensifier les émotions et à en altérer les perceptions. Jane Carlyle, épouse de l’historien John Carlyle, décrivit ce processus dans le sien à la date du 21 octobre 1855 : « Ton journal, qui ne parle que de sentiments, accuse tout ce qui est artificiel et morbide en toi ; cela, je l’ai vécu. » L’acte de tenir un journal faisait honneur à maintes valeurs de la société victorienne – la confiance en soi, l’autonomie, la capacité de garder des secrets. Poussées trop loin, ces vertus pouvaient toutefois se changer en vices. L’autonomie pouvait se faire déconnexion radicale d’avec la société, ses codes, ses règles et ses contraintes ; le secret pouvait se muer en dissimulation, le contrôle de soi en solipsisme, l’introspection en monomanie. »
■ SITES A CONSULTER :
Christian Bourgois Editeur
http://www.christianbourgois-editeur.com/fiche-livre.php?Id=1384
10:40 Publié dans Christian Bourgois Editeur, Nathalie Riera | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
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