24/08/2011
Charles Racine, Ciel étonné
Source : sur le site du compositeur Gérard Zinsstag
Charles Racine
Poète suisse francophone
(1927-1995)
Ciel étonné
Fourbis éditions
(1998)
Les poèmes de Charles Racine déroutent, et attirent. Lus ici, aujourd’hui, ils paraissent comme griffés dans le rugueux d’un mur maçonné à la diable, avec giclées de plâtre et coulures de chaux. Une friche entrouverte par la parole et le couteau, une parole merveilleusement ébréchée, un couteau tourné contre soi. Ils éveillent, ils débusquent le sens et le non-sens, et de leur altercation fusent les séquences d’un phrasé énigmatique qui ricochent dans l’air acide, qui relancent le déconcert…
« Cette longue légende qui m’entraîne
et qui m’apparut peut-être
sur le chemin englouti d’avance »
Extrait de la préface de Jacques Dupin
Le poète Charles Racine, disparu à 62 ans, laisse une œuvre fulgurante. « Ciel étonné » rassemble la plupart de ses poèmes : une découverte.
Charles Racine, né en 1927 à Zurich, savait les mots traîtres, puisqu'il sut aller avec eux jusqu'au bout de sa vérité. Traîtres ainsi le furent-ils en ne sauvant pas l'homme de la folie de sa parole, l'amenant au fil de sa vie à s'enfermer de plus en plus dans la solitude, vivant reclus et de rien dans cette Suisse alémanique. Charles Racine s'égarait dans les mots, allait là où on ignore ce qu'ils produisent : "si je m'égare,/ c'est pour prendre une rupture dans mes bras." Aussi, il choisit la langue et le nom de sa mère (couturière suisse romande) contre l'allemand paternel.LIRE LA SUITE
Extraits
« Le sujet est la clairière de son corps »
la femme débarquait d’un chalutier la peau
sous le goémon les yeux cornouaille le suroît
jusqu’au front les doigts gros la femme débarquait
d’un chalutier elle a bu avec moi j’ai passé
la main sur sa chair fuyante celle de pêcheur
sa bouche de pêcheur celle de goémon le bon
dieu aux abois le nez fourré dans l’algue
saumâtre le bon dieu aux abois respira et baisa la bouche
du grand poisson ses yeux restèrent cornouaille
le bon dieu cherchant sa certitude passait la main
sur la chair de pêcheur Redressant ses flancs
aplatis de chalutier elle vida mon verre ne donna rien
elle passa le port disant un baiser au goémon
1955
ce geste in extremis
qu’absorba pourtant l’abîme
ce geste in extremis abonde
qu’absorbe pourtant l’abîme
envahisse se répande
détériore ce papier rejoigne et colore
mon sang noces amères encre
se répandent animent un breuvage
Eloigne-toi, en dormant, de ma bouche,
dans la verdure qui ne s’éveille verte
sur le sable
des poèmes s’intercèdent sur les pans
meurtris de la lèvre pendus à la chaîne
de cette grille t’entrechoquant dans les murs
dont la croche saigne sur la saison définitive
1963
Les signes à pleines mains dressent
leurs barrières dans la houle
Un divin naufrage est souhaité
mais le poème est face à ces lames
qu’abandonne la mer qui se retire
Economie du trait évoquant le relief
Des mains adressent leur paume
au pont qui chante et s’illumine
dans la voirie
1964
cette couture faite dans le drap propre
déchire la mère du geste qui reprend sous
la flamme où veuve éteinte que garde à vue
son œuvre à la tombée de l’heure piège l’âme
qui lors ne se déshabille qu’elle ne retouche
et ne serge sur ses mains d’un brin d’herbe
le tissu qui l’excède l’économie céleste
qu’elle incline sur les fronts baptismaux
1967
Où le charbon ne le dispute plus à la flamme
qu’il éteint l’y repose le langage est
prévenu de la réapparaissante disparition du
règne poétique la meule du pas ralenti la
marche chevillante qu’affrète le pigment verbal
pour le dégrader le gant dont il enveloppe
le chemin me murmurent les œuvres vives
discrètement tapageuses herbes et moissons
que tu enfourches dans l’infini sans arrêt tu
prends le raccourci désigné au plus obscur
de la géologie tu hantes des mains somptuaires
qui s’offrent et… les jours et les nuits
dissipés dans le temps que tu as versés à
pleins bras sur la ville
1963/1967
■ Autres extraits
Légende forestière
Souviens-toi que tu es forestier
que tu existes
que ta naissance eut lieu
à l’orée de l’une des saisons de mon amour
de l’une de mes saisons à l’orée de mon amour
à l’orée de ma domaniale étreinte,
de mon domanial excès, de l’étreinte
de mon domanial excès
(p.68)
&
L’exil ne figure dans le texte
Poésie tu donnes lieu à la rescision
Tu l’accomplis cet acte
Que ne me reste-t-il quelque mie sur la page
Poésie tu es pulpe jusqu’à même les contours de ton corps
Présence tranchante d’avoisinage
du corps médiatif qu’elle assume d’ailleurs incorpore
Que ne me reste-t-il quelque mie sur la page
sinon que rapatriant qui ne vient dans mes poches
le crayon se déploie dans l’hypnose sèche
moi au bas de ses moyens du bas de ses moyens
regardant vers le stylite
Je ne suis que cette girouette
qui parfois déploie un bras qui l’attrape
à la nuque qui ne laisse rien
1964
■ SITES A CONSULTER :
■Hommage à Charles Racine par Gérard Zinsstag, octobre 1997
Gérard Zinsstag, compositeur
■ III- CHARLES RACINE Tresse et détresse : le texte cousu par Frédéric Marteau
■ Po&sie n°121
LE NOUVEAU COMMERCE Cahier N° 15/16 Printemps-Eté 1970
■ Editions Grège Légende Posthume
22:01 Publié dans Charles Racine | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
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