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04/07/2011

Pascal Boulanger, le lierre la foudre (une lecture de Brigitte Donat)

Comment la poésie rencontre-t-elle l’histoire et permet-elle à la littérature de dévoiler l’envers d’un monde que ronge le nihilisme ? Pascal Boulanger poursuivait déjà cette question dans un précédent recueil poétique, Tacite (Flammarion, 2001) : il révélait l’histoire comme une reconduction de l’enfer. Cette vision s’approfondit avec le Lierre la foudre ; elle met à nu le fondement anthropologique de toute société selon lequel chaque communauté se fonde sur un crime commis en commun, dresse la généalogie d’un effondrement qu’inaugure le siècle des Lumières, met en abîme le déclin du père symbolique que creuse une insondable absence. Le dévoilement est accablant, notre modernité n’en finit pas de s’enliser au sein d’un mécénat maternel qu’accompagne un retour au paganisme et à sa violence généralisée.

« Mollesse / débordement / Quand le monde offert à la prise / à la consommation / efface les limites / qui paie sa dette / qui paie le prix d’être soumis au langage ? »

 S’il est impossible d’échapper à la comédie sociale, l’aliénation cesse pourtant dès qu’un être s’éveille au jeu désintéressé de l’amour quand il est sans négoce et sans ressentiment. La vie de chaque homme peut alors s’opposer à la totalité hégélienne et, dans ce retrait, annoncer : je suis l’esprit qui toujours affirme. Son langage alors souverain, dans l’écart et la solitude, s’arrache à la fatalité du malheur et renverse la malédiction en exultation. Quand le poème se pense et s’écrit, l’existence d’un être n’est plus saturée ni close, puisque le langage excède le monde. Le vers apparaît comme un trait, chaque parole se détache, fait saillie dans l’art de la notation sèche. Composé comme une fresque, ce recueil n’en n’est pas moins diffracté afin que chaque poème, avec son titre et souvent sa dédicace, s’impose comme un îlot. Pascal Boulanger, de cette manière, rend hommage, de personne à personne, de livre en livre, dans et par le langage, à de nombreux noms – Marcelin Pleynet, Pierre Legendre, Jacques Henric, Claude Minière, Philippe Muray – qui, dans leurs singularités, sont autant d’expériences incomparables et de vérités pratiques qui permettent d’accéder à la connaissance du pire sans exclure le chant de l’affirmation. C’est dans ce continuum du poétique comme du politique que le poème déploie un dispositif chant/critique. À l’horizontalité de la série et du nombre se dresse la verticalité de l’oeuvre, qui s’ouvre au deuil fécond de l’héritage. En effet, la bibliothèque s’oppose au dressage social et permet au poète d’être écrit par ce qu’il lit. Les visions de l’écriture appellent une exigence éthique où la poésie est envisagée comme l’essence même d’un langage qui prophétise, rayonne et résonne.

Dans un contexte de relectures théologiques et en prenant appui sur les pensées de Chestov et de Kierkegaard, Pascal Boulanger rétablit la suprématie d’une pérennité christique à contre-courant du contexte poétique, qui, l’ayant refoulé, s’est attaché essentiellement au monde grec et à la pensée heideggérienne. Ce n’est donc pas anodin si les éditions Corlevour, dont les travaux tournent autour du christianisme, publient ce livre. À notre temps qui, sous prétexte de « lumière », s’est engagé dans l’ignorance, Dieu apparaît comme l’unique signifiant capable d’opposer sa transcendance à l’immanence de la barbarie communautaire.

« Le Nom au centre de tout / qui assume tout / porte tout / souffre tout… croit encore à l’échec des échecs. »

L’expérience du défaut de Dieu n’est pas celle de sa radicale absence. Soutenir son deuil, au contraire, renforce son attrait, et du Dieu sans visage, de son regard invisible, s’impose un éloignement qui trace un chemin. Le retrait de Dieu ne signifie pas que l’amour passe hors-jeu, mais indique le visage actuel de son insistance, de sa fidélité à travers son refoulement même. L’histoire, parce qu’elle est endurée, sera ainsi traversée, soutenue par l’espérance qui croit dans la promesse de l’impossible.

« Qui frappe là où il n’y a pas de porte… pour nous faire entendre / que l’impossible devient possible / quand Isaac est rendu à Abraham… »

Puisque la foi ne repose sur rien, sur l’insensé, elle est le levier qui suspend un instant les fracas de l’histoire, la violence de son mouvement. À l’interruption momentanée de l’histoire, à l’histoire devenue un instant l’impossibilité de l’histoire, se produit le vide où la catastrophe hésite à se renverser en salut, où, dans la chute, s’opère la remontée et le retour.

 

« Quand tout est impossible, alors la parole prophétique affirmant l’avenir impossible, dit aussi le “pourtant” qui brise l’impossible et restaure le temps » (Maurice Blanchot).

 

Le Lierre la foudre recompose un monde dans son ultime poème qui a pour titre emblématique Prophétie. « Des chants monteront des voûtes / des rebelles vivront cachés et goûteront l’esprit d’un monde jamais perdu / des bibles vivront dans des échoppes / des soleils éblouis d’herbes et de fleurs renverseront le paysage. » Brigitte Donat

 

 

 

Cette recension vient de paraître dans la revue art press n°380

 

 

 

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le lierre la foudre - éditions Corlevour, 2011 

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