29/12/2010
Georges Braque (vu par Francis Ponge)
Francis Ponge, « Braque-Japon»
Sa face profondément creusée d’ornières verticales, est fortement hâlée.
Des yeux extrêmement clairs s’y lèvent, vers l’horizon – constitué ici par la série de ses tableaux en œuvre, alignés à une certaine distance (quasi panoramique : l’atelier est fort vaste) comme des bateaux croisant au large.
Comme, un jour, je disais à Braque qu’il m’évoquait ainsi quelque marin : « Oui, me dit-il, mais je me sens aussi comme un jardinier. Ces tableaux – et il tendait le bras vers eux – poussent tout seuls. Il suffit que je les surveille et, bien sûr, les aide un peu, par moments, en y allant couper quelque branche, dégager quelque pousse, en les émondant quelque peu. »
(…)
Braque, qui ne force jamais son talent, qui ne s’oblige jamais à peindre, s’oblige par contre toujours, d’ailleurs le plus naturellement du monde, à rester à la disposition de ce talent. Il tient à la fois son corps et son esprit dispos, en les conservant dans un loisir plein de ressources. Il tient toujours sa main prête. Il tient toute son expérience, toute sa mémoire d’artisan ou de praticien en réserve – et tous ses outils à portée de cette main et de ce génie et de cette mémoire, en parfait état de fonctionnement.
(…)
Oui, Braque se maintient dans un risque perpétuel, ce qui fait de lui le plus jeune des maîtres (…) Comme le moindre mécanicien de village est obligé de se tenir au courant des derniers perfectionnements de la mécanique ou de la carrosserie automobile, et d’y adapter son esprit quasi immédiatement … mais son travail se fait en plein air, en pleine terre, sur la route, en pleine saison vraie de la campagne, du perpétuel…
(…) sa gloire, par certains côtés éblouissante, ne ressemble pas à toutes les autres. Les gens futiles, les excités de toutes les modes, les « critiques » et les professeurs à la petite semaine l’oublient parfois dans leurs énumérations. Mais il est sans rival dans le cœur des poètes. Il s’y est greffé à jamais.
Francis Ponge, « Braque-Japon », L’Atelier Contemporain, éd. Gallimard, 1977
20:07 Publié dans Francis Ponge | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook
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