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28/09/2009

Octavio Paz

 

 

 

 

OCTAVIO PAZ

 

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Entretiens (1955-1996)

De vive voix

Editions Gallimard, Collection « Arcades », 2008

 

EXTRAITS

 

 

 

 

 

L’homme n’est pas seulement le produit des circonstances : il est leur complice.


 

Nous devons cultiver et défendre la particularité, l’individualité et l’irrégularité : la vie. L’homme n’a aucun avenir dans le collectivisme des Etats bureaucratiques ni dans la société de masse créée par le capitalisme. Tout système, tant parson caractère abstrait que par sa propension à la totalité, est l’ennemi de la vie. Un poète espagnol oublié, José Moreno Villa, disait dans un sourire mélancolique : « J’ai découvert dans la symétrie la racine de bien des iniquités. 

(p.168)

 

 

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Naguère, les héros de la jeunesse étaient des poètes, des écrivains, Valéry ou Eliot ; parfois des révolutionnaires, comme chez nous Zapata ou même Pancho Villa. Après sont venus lesprofesseurs, au temps de Sartre ; actuellement, nos héros sont les gens de la télévision. Cheminement très curieux.

(p.493)

 

 

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… j’ai une profonde répulsion pour les utopies parce que je pense que l’homme est individuel, qu’il est irrégulier, singulier, et que les utopies s’acharnent à en faire quelque chose d’uniforme. Rien n’est plus ennuyeux que les utopies heureuses. Pensez, mettez-vous dans un phalanstère de Fourier, qui était le meilleur, le plus sympathique des utopistes. J’admire et j’aime Fourier, mais vous devenez fou dans l’un de ses phalanstères ! Il n’y a rien de plus semblable aux utopies que les prisons, c’est l’uniformité. Alors que je pense que l’homme est invention, changement. C’est pourquoi je suis un ennemi de tous les systèmes, politiques ou autres.

(p.497)

 

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En cette fin de siècle l'opinion est devenue une énorme bureaucratie économique et politique et la presse est devenue très impersonnelle.

 

Aux inégalités dont souffre la société moderne vient s’ajouter une inégalité nouvelle entre une minorité qui lit et une majorité qui ne lit plus ou bien ne sait plus lire et regarde la télévision. Il faudra bien s’y faire. On voit poindre là une division profonde qui fait songer une fois de plus au roman de Huxley, Le meilleur des mondes, où seule une minorité a accès à la science véritable et à la culture générale. Le livre pourrait bien redevenir ce qu’il fut jadis : une rareté. Apparaît donc un clivage profond, sans précédent, qui n’est fondé ni sur le sang, comme dans l’Ancien Régime, ni sur l’argent, comme dans les démocraties actuelles, mais sur les connaissances. Et ce n’est pas sans danger pour la démocratie.

 

Une partie de nos maux s’explique par la nature même de notre civilisation où tout devient produit, objet de consommation. J’en parle dans Itinéraire : l’interrogation universelle est aujourd’hui : combien vaux-tu ? Corps et âmes, livres et idées, tableaux et chansons sont devenus des marchandises. J’ai évoqué, à la Foire du livre de Francfort, les manipulations caricaturales qui se pratiquent sous le masque du mot littérature avec la complicité des médias et de leur label trompeur de « culture populaire » qui exclut les ouvrages jugés trop sérieux, autrement dit « barbants », quand ne se manifeste pas une franche hostilité contre la littérature « sérieuse » : comme si Platon, Aristote, Boccace, Rabelais, Cervantès, Swift étaient des gens sérieux !

(p.532)

 

Chaque artiste fera sa révolution tout seul et devra tout seul porter le poids déchirant du bonheur.

 

Dire non est bien la chose la plus difficile dans le monde moderne qui devient celui de l’uniformité. Celle-ci menace la littérature de congélation. Ce qu’on nous demande surtout aujourd’hui, c’est d’approuver. Et le système est depuis longtemps si assoiffé d’approbation que dans les grands procès politiques de notre siècle on a même cherché à faire confesser des crimes imaginaires afin de transformer les accusés en accusateurs d’eux-mêmes. Car de nos jours le bourreau a besoin d’approbation, même pour tuer.

 

La vraie littérature est indifférente aux lois, à la logique du marché, avec ses best-sellers auxquels on a coupé becs et ongles. La rébellion fait partie de la littérature. Dans la tradition moderne de critique et de rébellion, de subversion, la poésie, du XIXè au XXè siècle, a joué un rôle non négligeable. Il faudra bien revenir à cet élan initial de la grande littérature du XXè siècle, qui n’était ni conformiste ni tranquillisante mais critique, souvent agressive, s’interdisant de flatter les lecteurs et leurs préjugés, de suivre les modes. C’était une littérature faite par des écrivains qui ne craignaient pas de se retrouver seuls. C’est pourquoi je n’ai jamais oublié de rendre hommage aux éditeurs qui sont restés fidèles à la grande tradition de ceux qui, depuis le XVIIIè siècle, ont défié les goûts et la morale de la majorité. C’est grâce à eux que nous ne sommes pas complètement abêtis, anesthésiés.


(…) C’est pourquoi nous, les écrivains d’aujourd’hui, nous devons redire le monosyllabe qui a marqué le début de la littérature moderne : non.

(p.533)

 

J’ai plusieurs fois rapproché révolution de rénovation.

 

 

 

 

 

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Né à Mexico le 31 mars 1914, Octavio Paz est considéré comme le plus grand poète d’Amérique latine et un théoricien hors pair de la littérature. Ambassadeur du Mexique en Inde pendant de longues années, il n’a cessé de confronter la conception occidentale de la création à celle de l’Orient. Il a dirigé Vuelta, la plus importante revue d’Amérique latine, et a aussi donné des conférences dans diverses universités d’Europe et d’Amérique. Octavio Paz a reçu le prix Cervantès en 1981 et le prix Nobel de littérature en 1990. Il est décédé à Mexico en avril 1998.

 

 Editions Gallimard, collection "Arcades"