02/08/2023
Mia Lecomte - Poèmes choisis et traduits par Silvia Guzzi
MIA LECOMTE
Poèmes choisis & traduits par Silvia Guzzi
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■ Mia Lecomte © Photo Carlo Accerboni
Petite partition
I
Les choses telles qu’elles nous entourent existent
parfois si peu que les posséder
signifie y renoncer nous en jouissons
justement par leur peu d’existence
par la modestie le vide qui s’ensuit
un intervalle entier que l’on voudrait
où ne rien dire n’est jamais superflu
les choses telles qu’elles nous accompagnent
n’existent jamais tout à fait c’est justement
pour ça que nous les faisons nôtres
pour ça qu’elles s’y refusent encore
qu’elles essayent d’exister se laissent fondre
II
Ce que les choses aiment de nous
elles le savent toujours dans leur solitude
elles se le répètent quand et comment
le jour sa lumière en canon
d’une heure à l’autre pour chaque geste
revécu à leurs côtés chaque habitude
– Si tu savais le peu de paix
elles parlent de notre capacité à avoir
– combien le mode de la perte est prévisible
Elles se l’avouent presque sans y croire et
puis elles l’oublient d’une heure
à l’autre en se répétant toujours quand
nous ne les entendons plus
III
Les choses confinées dans les tiroirs
n’essayent plus de nous rejoindre elles restent
immobiles toutes là dans ces tiroirs
qui ne glissent que dans un sens
qui les enferment chaque jour de l’année
d’où en principe elles veulent sortir
elles arrivent à bouger dans les tiroirs
à attendre aussi mais ensuite elles se figent
sans nous rejoindre enfermées là-dedans
sans regret elles restent toutes
en ordre sans nous
IV
Avant que nous quittions la pièce les choses
commencent déjà à s’en aller
elles se raidissent dépourvues de genre
une à une elles reprennent tout
d’elles-mêmes sans un regret
elles se font inutiles sans crainte
de ne pas insister elles vont précises
droites là-dehors une à une
elles nous font sortir un peu à la fois
sans heurts morceau après morceau jusqu’à ce que
de nous plus rien ne reste
Partiturina
I
Le cose come ci circondano esistono
a volte così poco che possederle
significa sottrarsi ne approfittiamo
proprio per quel poco essere
per la modestia il vuoto che consegue
un intervallo intero che vorremmo
dove il non dire non è mai superfluo
le cose come ci accompagnano
non esistono mai del tutto proprio
per questo le facciamo nostre
per questo ancora non ce lo permettono
provano a esistere si lasciano svanire
II
Quello che le cose amano di noi
lo sanno sempre nel restare sole
se lo ripetono come e quando
il giorno quella sua luce a canone
da un’ora all’altra per ogni gesto
ritrascorso accanto ogni abitudine
– Non puoi capire quanta poca pace
parlano della nostra capacità di avere
– quanto è scontato il modo della perdita
Se lo confessano quasi senza crederci e
poi se ne dimenticano da un’ora
all’altra sempre a ripetersi quando
non le sentiamo più
III
Le cose rinchiuse nei cassetti
non provano più a raggiungerci restano
ferme tutte lì dentro in quei cassetti
che scorrono per un unico verso
a chiuderle ogni giorno dell’anno
da dove in principio vogliono uscire
riescono a muoversi dentro i cassetti
anche aspettare ma poi si fermano
senza raggiungerci chiuse lì dentro
senza rimpianto restano tutte
in ordine senza di noi
IV
Prima che usciamo dalla stanza le cose
cominciano già ad andarsene
si fanno rigide prive di genere
ad una ad una riprendono tutto
di loro stesse senza un rimpianto
si fanno inutili senza paura
di non insistere vanno precise
dritte là fuori ad una ad una
ci fanno uscire poco per volta
senza dolore in brani singoli finché
di noi non rimane più niente
Extrait de Intanto il tempo, 2012
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Passionnée
Le poisson rouge grandit en proportion du bocal
il prend forme dans une géométrie de pulsions
retenue exactement dans l’idée de ses limites
une empreinte circonscrite dans un moule de sang
conscient du plaisir exigu des espaces
qui inonde attentif jusqu’au point où son toucher
se traduit en un baiser tout d’écailles brûlantes
une étreinte d’un muet tendant au carmin
le poisson est froid il a froid
il plonge refait surface dans sa circularité intransigeante
dans le destin d’un ailleurs réadapté chaque fois au millimètre
il tremble immobile en deçà de l’élan le plus saturé il conclut
ce qui dépasse se transcolore ce qui lui appartient se dissipe
mais n’a rien à voir avec son rouge à lui
Appassionata
Il pesce rosso cresce in proporzione alla vasca
viene configurandosi in una geometria di pulsioni
trattenuta esattamente nell’idea dei suoi limiti
un’impronta circoscritta in uno stampo di sangue
consapevole del piacere angusto degli spazi
che allaga vigile fino al punto in cui il suo tocco
si traducesse in un bacio tutto squame roventi
un amplesso di un muto tendente al carminio
il pesce è freddo ha freddo
sprofonda riaffiora nella sua circolarità intransigente
nel destino di un altrove riadattato ogni volta al millimetro
freme saldo al di qua dello slancio più saturo conclude
quel che eccede trascolora si disperde quel che è suo
ma non ha niente a che fare col suo rosso
Extrait de Al museo delle relazioni interrotte, 2016
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Intimité
La fille aînée a parlé avec le diable ce matin
dans la chambre rose pâle renversée dans le soleil il
s’est présenté à elle du dedans et lui a dit de sa
propre voix que le très saint est le dieu des perdants
alors qu’un pacte efficace garantit la victoire suprême
la certitude du plaisir pour toujours en l’absence d’éternité
la cadette dans son lit rêvait entretemps d’un vampire
et même d’un monstre tricéphale et de fantômes
qui jouaient tous aux dés sur le drap de marbre
ils se vantaient de leur toilette ils lui expliquaient
les morts vivants et d’autres questions simples de sexe
appuyée à l’idée d’elle-même la mère décousait les volants
de son jour parfait elle le remplissait de boucles au hasard
de boutons de plusieurs tailles elle se rappelait que ce jour-là
elle avait aimé un lycanthrope et qu’il l’avait dénudée jusqu’au
point où un reprisage d’argent brille encore
Intimità
La figlia maggiore stamani ha parlato col diavolo
nella stanza rosa pallido rovesciata nel sole lui
le si è presentato da dentro e le ha detto con la sua
propria voce che il santissimo è l’iddio dei perdenti
mentre un patto efficace assicura la vittoria suprema
la certezza del piacere per sempre in assenza d’eterno
la minore nel suo letto sognava intanto un vampiro
e anche un mostro tricefalo ed alcuni fantasmi
che giocavano tutti a dadi sul lenzuolo di marmo
si facevano belli della loro toilette le spiegavano
dei morti viventi e d’altre semplici questioni di sesso
poggiata all’idea di se stessa la madre scuciva le balze
del suo giorno perfetto lo riempiva di asole a caso
bottoni di più dimensioni ricordava che quel giorno
aveva amato un licantropo lui l’aveva spogliata fino
al punto dove luccica ancora un rammendo d’argento
Extrait de Al museo delle relazioni interrotte, 2016
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Seuils
Le premier mari a eu peur de la poussière
il la sentait passer dans la chambre
s’arrêter sous le lit où il dormait
se faire danger
Quand le deuxième arriva la poussière
s’était déjà accumulée dans les coins les plus sombres
il suffit de peu et la chambre en sera mouillée
plus que l’eau indivisible
Le troisième mari le quatrième
dirent poussière le besoin de négliger
fidèles à une certaine idée de brillance
ils s’entourèrent de bibelots transparents
Le cinquième le sixième le septième puis tous les autres
maris en ordre d’indifférence
du premier au dernier un seul
lui de côte et de désir
Et toujours elle qui crie fort
syllabe par syllabe
poussière à la poussière tu étais et tu seras
qui a été avant nous que je redeviendrai après
Soglie
Il primo marito ha avuto paura della polvere
la sentiva passare nella stanza
fermarsi sotto il letto dov’era coricato
farsi pericolo
Arrivò il secondo che la polvere
già si era accumulata negli angoli più bui
basta poco e la stanza ne sarà bagnata
più che l’acqua indivisibile
Il terzo marito il quarto
dissero polvere la necessità di trascurare
fedeli a una certa idea di lucentezza
si circondarono di ninnoli trasparenti
Il quinto il sesto il settimo poi quegli altri
mariti in ordine di indifferenza
dal primo all’ultimo un solo
lui per costola e desiderio
Intanto lei che grida forte
sillaba per sillaba
polvere alla polvere eri e sarai
che fu prima di noi ritornerò poi
Extrait de Lettere da dove, 2022
■ © Photos Mia Lecomte
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| BIO-BIBLIOGRAPHIE :
Mia Lecomte (Milan, 1966) est une poétesse et écrivaine italienne d’origine française. Parmi ses dernières publications, on citera les recueils de poésie Al museo delle relazioni interrotte (2016) et Lettere da dove (2022), de nouvelles Cronache da un’impossibilità (2015) et de contes pour enfants Gli spaesati / Les dépaysés (2019). Ses poèmes ont été traduits dans plusieurs langues et ont paru en Italie et à l’étranger dans de nombreuses revues littéraires et anthologies. En 2012, l’éditeur canadien Guernica en a publié une sélection sous le titre For the Maintenance of Landscape, tandis que les recueils Là où tu as ton corps (Prix Khoury Ghata 2021) et Nuda proprietate ont été publiés en 2020. En 2009, elle a créé la Compagnia delle poete, un groupe théâtral de poétesses étrangères italophones dont elle-même fait partie. Elle est traductrice du français et critique littéraire dans le domaine de la littérature transnationale italophone et, tout particulièrement, de la poésie. On lui doit l’essai Di un poetico altrove. Poesia transnazionale italofona (1960-2016) (2018) et la direction de plusieurs anthologies. Elle est rédactrice du semestriel de poésie comparée Semicerchio et de la revue franco-anglaise La traductière et elle collabore à l’édition italienne du Monde Diplomatique. Elle fait partie des membres fondateurs de l’Agence littéraire transnationale Linguafranca, qui a vu le jour en 2017.
Silvia Guzzi est traductrice de l’italien, de l’anglais et de l’espagnol. Elle traduit des poètes contemporains, dont la plupart sont encore inédits en France, pour des revues, des blogs et des livres d’art. Elle a récemment traduit la correspondance de L. M. Alcott, Nos têtes audacieuses. Lettres de la créatrice des sœurs March, pour les éditions L’Orma (2022), et les témoignages de survivants au génocide arménien, Paroles d’enfants arméniens 1915-1922 de S. Orfalian, pour Gallimard (2021). Son blog : Traductions.it.
17:10 Publié dans Mia Lecomte, Silvia Guzzi | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook