02/05/2014
Nathalie Riera - "Paysages d'été", Lanskine, 2013 - Une lecture de Brigitte Gyr
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UNE NOTE DE BRIGITTE GYR
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Paysages d’été
Poème-roman
NATHALIE RIERA
Editions Lanskine, 2013
Nathalie Riera | © 2014
■■■Ce qui frappe d'emblée dans ce livre poème de Nathalie Riera c'est la beauté et l'inventivité d'une écriture à la limite de la métalangue. L'auteur réussit le pari singulier de calquer la typologie du désir sur celle d'une nature, délivrée de sa logique, à la fois fragile et souveraine dans son ambivalence, avec une liberté de la langue qui n'est pas étrangère à celle du brin d'herbe, du vent, de l'oiseau, des chevaux
sous la jupe vos mains quand passe le vent dans la crinière des chevaux vos baisers qui arrachent d'un coup sec alors ne pas s'attarder au même endroit la caresser en douceur l'entourer l'attendrir la relâcher la regarder humides ses lèvres du livre qui tremble humides vos mains du roman pas encore écrit
Une écriture en symbiose avec les arts, tous les arts, que prise tant Nathalie Riera : peinture, photographie, à la limite du figuratif, cinéma, avec ses fondus et ses enchaînés ; le récit de l'amour (et de l'écriture) étant également, ici, récit de l'illusion – on ne se précipite pas sur le chef-d'œuvre on ne quitte pas des yeux le trompe-l'œil comme aimanté par lui – celle de l'invention de Morel, le film et le livre, célèbre roman de Bioy Casarès dans lequel le mythe de l'éternel retour s'avère n'être que le résultat d'une diabolique invention technique – un mouvement perpétuel de la caméra en lieu et place de la vraie Faustine, après la peste qui aura décimé l'île entière et dont aucun habitant n'aura survécu que reste-t-il de Faustine? faut-il croire qu'il ne resterait d'elle que cette image dont le fugitif s'est épris dès le premier instant de son apparition miraculeuse du haut de la colline ? Splendide et terrifiante mise en abîme de l'amour que Nathalie Riera – qui s'attarde sur cet épisode alors que Paysages d'été approche de sa fin – pourrait bien vouloir ici s'approprier. Mais, avant tout, ce livre qu'habite une sensualité profonde est une authentique partition musicale, étayée par une écriture circulaire, à la périodicité somptueuse dont les chapitres ne cessent de se répondre, comme les paragraphes à l'intérieur des chapitres, les phrases à l'intérieur des paragraphes, et les mots à l'intérieur des phrases dans un agencement subtil et libre, et dont les nombreuses répétitions, hésitations, 'repentirs', ne produisent jamais les effets de lourdeur que pourrait créer un tel texte, mais au contraire – et c'est une prouesse – une légèreté, une musicalité remarquable :
Hymne ou cantique, ici :
la chute et la cadence des reins c'est un hymne monter toujours plus haut quitter les sentes les plus sombres c'est un hymne tous ces mots pour toi un cantique
ou encore concerto ? adagio for strings dont les trois mouvements (allegro, adagio, allegro) recoupent les parties I, II, III pour évoquer l'impérieux du désir piaffant comme le cheval – l'un des motifs les plus étranges de ce livre.
M'interrogeant sur cette 'partition' et voulant en percer le secret, celui de la pierre ? imperturbable est la pierre qui recèle le secret, j'ai forcément pensé à Bach, à ses fugues, son contrepoint ; Bach, le maître absolu en variations et écarts subtils, qui ne cesse de creuser, d'approfondir, d'alléger à mesure que se déroule l'œuvre. Mais parce qu'on est au XXIème siècle, et que l'auteur est une jeune femme moderne, j'ai aussi pensé à des compositeurs plus proches de nous et, singulièrement, à György Ligeti, dont Nathalie m'a confirmé ensuite qu'elle aimait particulièrement son Kammerkonzert bâti lui aussi sur une périodicité très intéressante. L'écriture est au service de l'amour et du désir – désir de l'amour sacré, l'encens de l'amour imprègne l'air, désir d'écrire, l'aphasie cruelle. Un désir impétueux qui ne renonce à rien, ni à la couleur, ni à la musique, ni à la liberté piaffante, et moins que tout à l'écriture qui est la fiction de ce qui est vécu, et à la vie. La plénitude de la beauté, de l'amour, baigne chez Nathalie Riera dans un onirisme naturel – on pense, face à certaines de ses évocations au splendide film de Serguei Paradjanov les chevaux de feu. Une plénitude, une beauté qui a pour contrepoint la douleur de l'arrachement, sa nostalgie, ses désillusions : A la citation de Nathalie Sarraute, (dans la première partie, l'embrasure c'est à dire la source) "c'est toujours la beauté qui l'emporte" j'ai lu ça dans les Fruits d'or* répond cette phrase (dans la 2ème partie dans la pénombre du roman) : elle a terminé Les Fruits d'Or et se dit que la Beauté n'est que proposition attaquable
l'amour n'étant jamais ici à l'abri de la soudaineté d'un retournement, de l'absence, de l'écart
et son corps dans l'accord du silence et le désaccord de ce que le réel inflige cruel toujours plusprès du claquement de la clameur que du battement léger du pétillement du tintement
même si demeure le souhait, profond d'un bonheur loin du monde, qui ramène à l'enfance
avec vous marcher sur des routes légères s'arracher des élégies s'attacher à la douceur d’un verset harnacher le cheval s'enlacer dans la clairière s'élancer dans la sphère de l'invisible là où se cachent toujours les enfants leurs mains unies et désunies à tout
Il n'est pas inintéressant quand on lit un écrivain de rechercher quelles sont ses influences profondes. Après tout, on vient tous de quelque part, dans notre vie et nos fictions, et on a intérêt, plus encore quand on écrit, dessine, ou compose, à savoir d'où. On peut espérer ainsi éviter et la caricature et le plagiat et – pire que tout, peut-être – l'inconscience. Nathalie Riera, avec sa générosité naturelle l'a bien compris, elle partage avec nous ses passions, ses intérêts profonds, évoque des figures comme celle de Bonnard, de Martine Franck, d'Eva Bergman, de Nathalie Sarraute, de Duras, dont elle cite Lola V.Stein, l'un de ses livres majeurs, nous trace le chemin. Et l'on peut être effectivement tenté de pointer une certaine proximité avec cette dernière dans son exploration du désir féminin, son usage des contours et des contournements, son travail sur la douleur de l'absence autant que sur la stupéfaction de l'amour et ses abîmes, mais la filiation, si elle existe, s'arrête là. L'écriture de Nathalie qui, en authentique écrivain, sait déjouer tous les pièges, n'appartient qu'à elle : originale, inventive, dans sa plénitude, son mouvement incessant, son onirisme,
elle écrit que nous sommes les enfants de tous les rêves désordonnés nous ne frappons pas aux portes nous ouvrons les portes et nous courons
mais aussi sa manière de dire des choses profondes comme sur
l'écriture dans sa phase immobile transie presque abattue
et d'aborder le monde avec une lucidité et une liberté sans faille. Sous son titre faussement banal Paysages d'été est une vraie réussite.
Brigitte Gyr, mai 2014
© Les Carnets d’Eucharis
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■■■NATHALIE RIERANée en 1966, vit en Provence. Elle est l’auteur notamment d’un essai sur la contribution positive du théâtre et de la poésie dans l’espace carcéral : La parole derrière les verrous (éditions de l’Amandier, 2007), de recueils de poésie : ClairVision (Publie net, 2009), Puisque Beauté il y a (Lanskine, 2010), Feeling is first/Senso é primo (Galerie Le Réalgar, 2011 – Collection « 1 et 1 » : un artiste et un écrivain – sur les peintures de Marie Hercberg), puis récemment aux éditions du Petit Pois : Variations d’herbes (collection Prime Abord, 2012) ; aux éditions Lanskine : Paysages d’été (2013). Elle dirige, par ailleurs, la revue numérique Les Carnets d’Eucharis depuis 2008 (42 numéros) et publie régulièrement en revue.
17:11 Publié dans Brigitte Gyr, Lanskine, Nathalie Riera, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook